Interview commune des responsables des principales centrales syndicales (UNSA, CFDT, CGT, CFE-CGC, FO) parue sur le site internet du PS le 28 avril 2005, sur la situation sociale, le chômage et la précarité, les priorités de chaque syndicat, le syndicalisme et l'Europe sociale.

Prononcé le

Média : internet - www.parti-socialiste.fr

Texte intégral

Q - Quel diagnostic faites-vous de la société française ?
Alain Olive : Tous les indicatifs sociaux, taux de chômage, de sous-emploi, de précarité, nombre de bénéficiaires du RMI, on note une dégradation depuis quelques années.
François Chérèque : La société française est actuellement dans une forme d'état dépressif, après trente ans de chômage sans solution durable. Nous n'avons pas eu, et la société française et les salariés en particulier, de réponse forte de la part des politiques après le 21 avril 2002. Le gouvernement s'est trompé, dès le début, sur sa politique de l'emploi. Au lieu de traiter le problème à la source, il a laissé perdurer une situation inacceptable, ce qui a provoqué une augmentation du chômage. D'autre part, actuellement, à gauche, aucun vrai projet politique alternatif qui donne espoir aux salariés n'est visible.
Alain Guinot : Le développement de la mondialisation, dans ses effets négatifs, renforcés par les politiques ultralibérales, aggravent et accélèrent la situation de crise en générant des désordres considérables. Les inégalités se creusent entre les pays les plus riches et les plus pauvres, et à l'intérieur même de chacun des pays entre les plus pauvres et les plus riches. L'écart entre les formidables potentialités offertes par le développement scientifique et technologique et le nombre de ceux y ayant accès est une des caractéristiques les plus graves de l'approfondissement de la crise.
Jean-Luc Cazettes : Lorsqu'on additionne les profits des grandes entreprises, les indemnités colossales que perçoivent certains grands patrons et les augmentations de salaires consenties ici ou là, il y a tout lieu d'être inquiet. Personne ne maîtrise plus rien. Et surtout pas les employeurs ! Dans ces conditions, on peut légitimement craindre que tout ne se termine très mal. Avec, pour conséquence inéluctable, une crispation accrue de notre société.
Jacques Voisin : Je constate, avant tout, la panne de la société française. Elle est inquiète pour son avenir, elle exprime une véritable angoisse et a besoin de sécurité, à tous niveaux. Tout cela conduit à un repli sur soi et à l'individualisme. L'entreprise ne jouant plus son rôle de communauté de travail, le lien social s'en trouve brisé. Par ailleurs, le sort réservé aux jeunes est effrayant. Le chômage demeure considérable et, très logiquement, la demande des salariés concerne avant tout l'emploi, le leur et celui de leurs enfants, les salaires et, plus généralement, le logement, l'école, la santé Et que leur répond-on ? " Épargnez ! Consommez ! " Mais avec quoi ?
Jean-Claude Mailly : On est dans une société en crise, bien que l'économie française soit la quatrième ou cinquième puissance mondiale. Une crise perceptible au travers de l'accroissement des inégalités, d'un chômage persistant, de conditions de travail dégradées, de problèmes importants de pouvoir d'achat et de conditions de vie dans le logement ou d'inquiétudes croissantes en matière de retraite et d'accès aux soins. S'y ajoute un élément structurant essentiel : quel avenir pour les valeurs républicaines (liberté, égalité, fraternité et laïcité) dans le mesure où le libéralisme économique ou capitalisme libéral génère privatisation et décentralisation, réduction ou limitation des dépenses publiques et sociales. D'une certaine façon l'affaire du lundi de Pentecôte concentre tous les paramètres : un État libéral qui n'assume pas ses responsabilités républicaines, économise sur les dépenses publiques et au moment d'une catastrophe comme celle de la canicule 2003, en est réduit à recourir à la culpabilisation des familles et au travail obligatoire.
Q - La situation semble s'aggraver et l'inquiétude grandit... Pourquoi ?
Alain Olive : Le gouvernement actuel porte une part importante des responsabilités. D'abord, certaines de ses mesures ont aggravé une situation déjà inquiétante. Par exemple, la fin du traitement social du chômage -qui est arrivé au plus mauvais moment, alors que la croissance était en train de baisser, ou la fin programmée de la réduction du temps de travail, ou encore la rigueur salariale dans le public, qui a aussi frappé le secteur privé. L'ensemble de ces éléments aboutit effectivement à une détérioration très forte des principaux indicateurs sociaux. De plus, il y a un problème de dialogue social. Pour nous, le dialogue social est un impératif et la négociation est indispensable pour aboutir à un compromis. Le dialogue imposé par le gouvernement, je le qualifierais de faux dialogue, de dialogue de surface. Sur tous les principaux sujets, la réforme des retraites à laquelle l'UNSA s'est opposée, la réforme de l'assurance maladie, la réforme des 35 heures, il y a eu des consultations formelles mais il n'y a pas eu de vraies négociations. C'est d'ailleurs un des grands enjeux pour la démocratie sociale de demain : comment met-on en place de vraies procédures de négociation sur les grands sujets inter-professionnels entre gouvernement et partenaires sociaux ?
François Chérèque : La situation sociale s'aggrave toujours avec la montée du chômage. Après la baisse importante pendant le gouvernement Jospin, le chômage a recommencé à augmenter dès le mois de mai 2001. Pourtant, la France et ses entreprises produisent des richesses. Mais il n'y a pas une redistribution de ces richesses de façon équitable dans la population. De fait, cela creuse les écarts sociaux dans la population française. Cette situation est vécue comme injuste de la part des salariés, d'autant que dans la même période le gouvernement baisse les impôts des populations les plus aisées et augmente les charges sociales, en particulier par la suppression du lundi de Pentecôte pour financer une partie de la protection sociale.
Alain Guinot : Les éléments les plus saillants de la crise sont le chômage et la précarité, mais aussi le faible niveau des salaires. La France est devenue un pays de bas salaires. Au point que nous connaissons aujourd'hui le phénomène de l'existence de salariés pauvres qui s'ajoute à l'exclusion. Pour les salariés, la reconnaissance du travail est centrale. Au total, nous sommes confrontés à une véritable insécurité sociale.
Jean-Luc Cazettes : Le plus inquiétant dans cette histoire, c'est que les motifs d'insatisfaction se multiplient au fil des semaines. En témoigne la cacophonie engendrée par la suppression du lundi de Pentecôte. Si nous sommes prêts à nous associer à un effort collectif de solidarité en faveur des personnes âgées dépendantes, nous ne pouvons pour autant souscrire à une décision totalement ingérable sur le fond. Le constat vaut tout autant pour les problèmes liés à la mondialisation et les produits textiles dont les importations ont augmenté à l'excès au cours du premier trimestre. C'est bien la preuve que la situation de crise que nous traversons est de nature à s'aggraver. Et que le gouvernement court derrière les évènements, sans jamais rien maîtriser !
Jacques Voisin : Difficile, dans ces conditions, de parler d'amélioration de la situation. Devant nous, se développe un capitalisme à l'anglo-saxonne, libéral, où les salariés n'ont plus qu'un seul choix : réussir à s'intégrer ou se désintégrer. Combien sont-ils à couler socialement, saisis par la pauvreté et la précarité ? Même ceux qui travaillent peuvent se retrouver pauvres. Cette situation est d'autant plus dure que les salariés ont l'impression d'avoir beaucoup donné depuis 20 ou 30 ans, mais pour quoi, pour qui ? Où est la juste répartition des richesses produites ? Où sont les projets d'avenir ? L'alternative à ce désespoir social est pour le moins illisible.
Jean-Claude Mailly : L'inquiétude grandit à mesure de la persistance des problèmes et du sentiment d'impuissance des pouvoirs publics qui, depuis de longues années, semblent acquiescer ou subir, tant au niveau national qu'européen, la " loi du marché ", acceptant de voir leurs prérogatives, donc leurs capacités d'intervention, rognées. En quelque sorte le marché gouverne et les gouvernements gèrent. Il est, par exemple, significatif de constater l'absence de perspectives à moyen et long terme en matière de stratégie industrielle. Ce n'est pas un hasard dans la mesure où le court terme est l'horizon du marché.
Q - Comment les syndicats peuvent-ils contribuer à améliorer la situation des salariés ?
Alain Olive : Les syndicats doivent d'abord balayer devant leurs portes. Les organisations syndicales françaises aujourd'hui sont à un tournant. Elles doivent être en capacité de faire de vraies propositions, d'établir un rapport de force conséquent et ne plus se contenter de rester contestataires. Nous avons d'ailleurs proposé un pacte syndical dans ce sens. Sur une question essentielle, comme la précarité, si les organisations syndicales ne sont pas en capacité de proposer des choses et de les faire aboutir, il y a toute une partie des gens qui sont à la recherche d'emplois qui vont se détourner du syndicalisme.
François Chérèque : La priorité de la CFDT reste la lutte contre le chômage, et plus particulièrement, la création d'emplois. La France supprime des emplois comme les autres pays européens mais elle a une particularité, elle en crée beaucoup moins. Nous continuons à revendiquer un investissement fort dans la recherche, dans l'innovation, dans la formation, et cela, au niveau français et au niveau européen parce que la France ne peut pas initier cette démarche toute seule, C'est pourquoi nous soutenons le traité constitutionnel. Il permettra un meilleur pilotage politique et social au niveau européen, pour trouver des réponses. Nous avons deux autres axes de travail : l'accompagnement de chaque salarié tout au long de son parcours professionnel et l'augmentation du pouvoir d'achat.
Alain Guinot : La CGT s'efforce de promouvoir un syndicalisme solidaire qui s'adresse à tous les salariés. Pour cela, il nous faut avancer des revendications qui correspondent à des réalités nouvelles. Le principe visant à instaurer un nouveau statut du travail salarié fait partie intégrante de nos principales ambitions sociales. Notre objectif de conquêtes sociales s'impose également dans le domaine des retraites, de la protection sociale ou de la défense et l'amélioration des services publics. Pour la CGT, un syndicalisme solidaire, c'est un syndicalisme qui s'efforce de promouvoir les convergences entre salariés du privé et du public. Un syndicalisme qui uvre pour le syndicalisme rassemblé, capable d'obtenir des succès revendicatifs. Nous agissons également pour un véritable Europe sociale.
Jean-Luc Cazettes : Leur marge de manuvre est d'autant plus étroite que leur audience est limitée. Ceci résulte de rivalités qui ne sont pas de nature à entraîner l'adhésion des salariés. Dans l'intérêt de tous, il serait bon que nous puissions nous réunir autour d'une table pour définir une plate-forme commune, engager des actions significatives et redonner confiance à nos adhérents. Ce qui est loin d'être le cas. On est en droit de craindre l'irruption d'initiatives séparées. Nous devons impérativement nous mobiliser autour des questions de l'emploi, des salaires et de la croissance. Et combattre, avec détermination, les délocalisations, à l'heure où des entreprises peu scrupuleuses multiplient les commandes en Chine pour vendre des produits français fabriqués sur place. En agissant ainsi, elles contribuent à abaisser la qualité et le niveau de leur production. Sans doute est-il tentant de céder à la tentation dans un pays qui contraint ses prisonniers politiques et les enfants à travailler, à bon compte.
Jacques Voisin : je reprendrais une formule de l'un de mes prédécesseurs : " en restant soi-même mais en coopérant ". Aujourd'hui, il est impératif que nous, syndicalistes, soyons reconnus comme acteurs responsables. Or, sur l'ensemble des dossiers, on ne nous écoute pas, il n'existe aucune concertation. Pourquoi ? Parce que nous sommes dans la logique du Medef, dans la logique libérale qui dit que le social est la résultante de l'économie. C'est faux, bien sûr. Dans le pays, comme dans l'entreprise, il va falloir redonner aux salariés toute leur place, il faudra revisiter la notion de gouvernance d'entreprise. Il faut redonner du pouvoir aux salariés et réinventer des solidarités. La situation impose que les organisations syndicales se voient, se parlent et renforcent leur coopération. Les sujets ne manquent pas, les salaires par exemple.
Jean-Claude Mailly : D'abord en restant des syndicats et, pour notre part, un syndicalisme indépendant. Le syndicalisme est dans notre pays la forme d'engagement qui recueille le plus d'adhérents et qu'au-delà même du taux d'adhésion le syndicalisme en France a une réelle capacité d'influence et de mobilisation. Négociation et action sont indissociables tout comme il est indispensable de développer la syndicalisation et de respecter la démocratie représentative ou par délégation. On ne mobilise pas artificiellement, nous l'avons démontré le 10 mars dernier, le slogan " augmenter les salaires, pas les horaires " reflétant et synthétisant les revendications.
Enfin, il importe de développer l'action syndicale au niveau international. Pour autant une organisation internationale n'est pas une holding qui donne des ordres à ses filiales nationales. Nous le voyons actuellement avec la Confédération Européenne des Syndicats, Force Ouvrière n'étant nullement engagée par la prise de position de la CES face au projet de traité constitutionnel. C'est notamment ce que nous rappellerons à l'occasion du 1er mai, journée de solidarité internationale et de dépôt des revendications.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 avril 2005)