Interview de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, dans "Le Monde" du 30 avril 2005, sur le référendum sur la Constitution européenne, l'engagement de la CGT et le débat interne à ce syndicat et la mise en minorité de B. Thibault à la direction de la CGT.

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Q - Que signifierait une victoire du non, le 29 mai, pour les salariés français ?
R - La CGT s'est exprimée pour un rejet de cette Constitution, dont le texte est loin de se limiter aux institutions d'une Europe à 25, et aux objectifs et valeurs qui la caractérisent. Ce traité légitime les politiques communes d'inspiration libérale à l'oeuvre dans l'Union.
C'est l'essentiel du chapitre III dont la Confédération européenne des syndicats avait dit, en son temps, qu'elles n'avaient rien à faire dans ce texte. Les salariés ont là l'occasion de marquer leur désaccord. Il faut cependant être lucide. Quelle qu'elle soit, l'issue du référendum ne changera pas le quotidien des salariés le 30 mai au matin.
Q - Comment analysez-vous le poids du non dans l'électorat populaire et ouvrier ?
R - C'est moins la Constitution européenne, mais plutôt les conditions et les finalités de cette Union qui sont l'objet des polémiques. Les conditions, notamment sociales et économiques, de l'élargissement n'ont pas fait réellement l'objet de débat impliquant l'ensemble des citoyens. Tous les syndicats d'Europe, réunis le 19 mars à Bruxelles pour l'emploi, contre la directive Bolkestein sur les services, attestent que ce n'est pas l'esprit nationaliste qui inspire le mouvement syndical. Le Front national est un parti aux thèses ultralibérales, que nous combattons.
Q - Un non entraînerait-il une crise gouvernementale ?
R - Elle existe déjà. La défiance à l'égard du gouvernement atteint des sommets. Ajoutez à cela que plusieurs de ses membres sont en campagne pour leur propre avenir. Nous sommes dans une phase de transition.
Q - Une victoire du non vous mettrait-elle en difficulté, dans la mesure où, en février, vous aviez pris position contre un engagement de la CGT dans la campagne contre le traité ?
R - La CGT n'est pas en campagne comme le sont les partis. Elle a défini sa contribution au débat national en motivant les raisons pour lesquelles elle se prononce pour un rejet. Je reste persuadé que notre débat aurait pu déboucher sur quelque chose de plus consistant sur les enjeux européens, qui ne se limitent pas à l'échéance européenne. Nous assumons cette situation collectivement et j'admets la part qui revient au premier responsable.
Pour les suites, ce sont les syndicats qui définiront les orientations et la direction de la CGT qui sera en place au 48e congrès, fixé en avril 2006. Je continuerai naturellement de m'impliquer dans ces réflexions, au moins jusque-là.
Q - Dans quel état se trouve la direction de la CGT après les tensions et votre mise en minorité ?
R - Je pense qu'elle a pris conscience, au travers de ces difficultés, combien il nous fallait accélérer certaines de nos transformations pour être à la hauteur des attentes formulées à notre égard. Moins qu'à d'autres, on pardonne l'à-peu-près à la CGT. Notre développement dans les entreprises devient un enjeu central et, pour y parvenir, il nous faut être plus précis sur nos prérogatives de syndicat, notre démocratie interne pour gérer la pluralité des opinions et la nature des relations entre organisations qui composent la CGT.
Q - Certains, à la CGT, craignent une évolution à la mode CFDT. Que leur dites-vous ?
R - Je ne vois pas l'intérêt de ressembler à une autre confédération qui traverse des crises et perd des adhérents. La CGT occupe une place centrale dans le paysage social. Lorsque nous estimons que nous avons des transformations à opérer dans nos modes de fonctionnement et d'organisation, c'est pour accroître nos capacités à mettre en mouvement les salariés, pas pour participer à un concours de beauté intersyndical.
Q - Ne devrez-vous pas trancher entre une CGT "contestataire" et une CGT plus "réformiste" ?
R - Je suis engagé dans ce débat comme dans les autres. Je ne partage pas l'idée d'un clivage entre deux types de syndicalisme, l'un moderne parce que réformateur, l'autre archaïque parce que protestataire. Tous les syndicats en France, en Europe et au-delà doivent savoir conjuguer contestation, proposition, mobilisation et négociation. A chacun de définir sur quel levier il faut savoir appuyer à un moment donné.
Propos recueillis par Rémi Barroux
(Source http://www.cgt.fr, le 4 mai 2005)