Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du gouvernement à "LCI" le 11 mars 2005, notamment sur le malaise social, le Smic et les négociations salariales avec les fonctionnaires.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral


Q- Il y avait deux fois plus de monde dans les rues hier que le 5 février.
Cela préoccupe-t-il le Gouvernement ?
R- Le succès de cette manifestation dans toute la France montre qu'il y a effectivement beaucoup de préoccupations, qu'il y a beaucoup d'interrogations, d'inquiétudes de la part de nombreux de nos concitoyens. Et donc il va de soi que le premier travail qui est le nôtre, c'est à la fois bien sûr d'écouter tout cela attentivement - je crois que vous l'avez bien vu -, mais aussi, au-delà, d'essayer d'y répondre. Ce qui m'a le plus frappé, c'est de voir la diversité des mots d'ordre : pouvoir d'achat, l'emploi, la fonction publique, le service public, l'école, la recherche...
Q- On a surtout entendu "pouvoir d'achat" et "salaires" hier...
R- Il y avait aussi tous les autres éléments... Mais c'est tout à fait normal, il n'y a rien de choquant à cela. La seule chose que je veux vous dire, c'est le travail du Gouvernement par rapport à ça, il est surtout de s'attacher à répondre point par point à toutes ces questions. Et pas simplement de manière globale.
Q- Bien sûr, "point par point", mais cela permet peut-être de gagner du temps ?
R- Je ne sais pas ce que l'on appelle "gagner du temps". Si on prend l'exemple du pouvoir d'achat - c'est bien le sujet principal qui a été évoqué hier, à l'occasion de ces manifestations. Le moins que l'on puisse dire, c'est que depuis deux ans et demi, on a initié beaucoup de choses, on a ouvert beaucoup de chantiers. C'est vrai que ce sont aussi des éléments de réponse très concrets. Regardez par exemple le cas du Smic - vous savez que le Smic est un des indicateurs sur lesquels le Gouvernement peut agir directement - : en trois ans, 2003, 2004, 2005, le Gouvernement aura augmenté le Smic de plus de 15 %. C'est considérable ! Et j'aurais, peut-être comme d'autres, trouvé assez fair play que parfois, certains partenaires sociaux le reconnaissent. Je ne demande pas qu'il y ait des éloges pour le Gouvernement, mais qu'au moins, on constate que sur ces éléments-là, le Gouvernement a pris les décisions que d'autres n'avaient pas prises avant.
Q- Malheureusement, la facture de fioul a augmenté de plus de 15 % par exemple...
R- Oui, enfin, vous conviendrez avec moi que l'équivalent de la facture de fioul n'est pas forcément l'équivalent d'un salaire. Simplement, ce que je veux vous dire, c'est que sur tous ces sujets, il y a beaucoup d'initiatives qui ont été prises. Mais bien sûr que cela ne répond pas à tout, et ce que vous évoquez sur la facture pétrolière pourrait l'être sur beaucoup d'autres sujets. On est bien d'accord là-dessus. C'est pour cela qu'il faut se bouger...
Q- J'écoute ce que disent les gens...
R- Sans doute, mais simplement, ce que je veux vous dire, c'est que sur ce sujet-là, comme sur un certain nombre d'autres, on essaie d'apporter des réponses point par point. Et je vous en ai donné un exemple avec l'augmentation du Smic.
Q- Votre collègue, R. Dutreil, a dit il y a deux jours qu'il n'avait pas mandat pour de nouvelles négociations salariales avec les fonctionnaires. Ce matin, le journal La Tribune annonce que Matignon va lâcher du lest. Est-ce que vous confirmez ?
R- Je ne sais pas, à ce stade, ce qu'il en est. La seule chose que je peux vous dire, c'est que premièrement, la porte du dialogue a toujours été largement ouverte et R. Dutreil en a fait régulièrement la démonstration, comme d'ailleurs le Premier ministre. Deuxièmement, vous dire qu'un certain nombre de décisions sont enclenchées. Je pense en particulier à la revalorisation du point fonction publique, puisque malgré les marges de manoeuvre très limitées qui sont les nôtres et dont chacun doit avoir conscience, il y a eu une décision d'augmentation de 0,5 point en février, une seconde en novembre, pour ce qui concerne la fonction publique, qui vient s'ajouter à l'augmentation normale liée à l'indicateur que l'on appelle le GVT. C'est un premier élément important. Le second, c'est qu'a été décidée la revalorisation des traitements des fonctionnaires les plus modestes ou ceux qui sont au plafond dans l'avancement de leur grade, c'est-à-dire ceux qui, sinon, auraient le moins de perspectives d'avancement dans leur rémunération. Il y a donc un certain nombre de choses concrètes qui sont engagées. Et puis, bien entendu, sur tous ces sujets, il faut continuer à travailler, parce que l'objectif est d'améliorer tous les jours la considération des fonctionnaires dans le parcours qui est le leur.
Q- Mais ce n'est peut-être pas seulement de la considération qu'ils réclament ?
R- Je ne sais pas ce que vous trouvez de péjoratif à cela ?! [Je vais prendre quelques exemples concrets. Tout ce qui est engagé aujourd'hui pour accélérer les carrières des fonctionnaires, pour encourager leur formation continue, la mobilité, tout ce qui est fait pour permettre la fluidité au sein de l'administration de l'Etat - et nous travaillons beaucoup ces questions avec R. Dutreil, en ce qui concerne les actions que l'on peut mener conjointement entre la fonction publique et le ministère de l'Economie et des Finances, avec T. Breton -, il y a une formidable modernisation de notre fonction publique à mettre en uvre et c'est là-dessus que l'on travaille aussi.
Q- C'est peut-être ça qui grippe, non ?
R- Ce qui est vrai, c'est que nous sommes aujourd'hui engagés dans une phase où nous voulons moderniser beaucoup de choses. Et de ce point de vue, il faut sans cesse avoir à l'esprit de bien en montrer les perspectives et les objectifs, c'est-à-dire un meilleur service public pour les Français.
Q- Quand on entend le mot "Grenelle", cela vous fait bondir, parce que cela signifie négociations globales sur les salaires...
R- Non, simplement ce qui m'avait un peu fait réagir dans la déclaration de D. Strauss-Kahn, c'est que "Grenelle" fait référence à mai 68. Or beaucoup d'années ont passé depuis mai 68. Et vous voyez que là où par exemple les choses ont changé, c'est là où en mai 68 on avait augmenté le Smic de 15 %, mais là, je veux dire que c'est exactement le processus que nous avons engagé. Et je crois que cela prouve aussi que si cette décision est importante, elle ne répond à toutes les interrogations, parce que l'objectif est de convaincre les Français, par le résultat, que les décisions que nous prenons modernisent le pays. Et la seule chose que je dis par rapport à cela, c'est qu'il faut nous juger sur nos résultats dans la durée, c'est-à-dire à l'issue du quinquennat.
Q- C'est vous qui parliez de mai 68...
R- Et en l'occurrence, ce n'est pas moi qui ait parlé du Grenelle !
Q- Certains disent que la situation est explosive ou pourrait le devenir si J.-P. Raffarin et vous ne prenez pas une initiative pour calmer le mécontentement...
R- D'abord, personne ne peut souhaiter quelque chose comme cela, cela va de soi...
Q- Mais personne ne le souhaite, c'est un constat...
R- Enfin, "c'est un constat"... Pour l'instant, nous ne sommes pas à cela. L'objectif est d'essayer d'en appeler chacun à l'esprit de responsabilité et de montrer à chacun la volonté qui est la nôtre d'apporter des réponses concrètes à chaque fois. J'évoquais tout à l'heure le pouvoir d'achat, on peut le dire de la même manière sur l'école : le travail qui est accompli par F. Fillon ne vient pas simplement pour le plaisir de faire une loi. On voit des constats sur lesquels nous devons assumer des responsabilités. Lorsque vous avez l'information que 150.000 jeunes ne maîtrisent pas correctement l'écriture et la lecture, que nous avons un certain nombre de nos jeunes qui ne sont pas en situation d'entrer sur le marché du travail, c'est bien qu'il faut moderniser nos systèmes.
Q- Quand vous avez un rapport de la Cour des comptes, qui dit que l'équivalent de temps de travail de 32.000 professeurs n'est pas utilisé pour l'enseignement, c'est du travail de sape, c'est jeter de l'huile sur le feu ?
R- Je n'ai pas à faire d'appréciations sur le rapport de la Cour des comptes. La seule chose que je peux dire, c'est que nous travaillons à la nouvelle constitution financière, qui va être mise en oeuvre à partir de l'année prochaine, et dont le but est justement de faire en sorte qu'il y ait une parfaite connaissance, par les Français, des affectations de chaque agent de l'Etat. C'est un élément tout à fait nouveau de transparence. En même temps, je veux rappeler à chacun que tout le monde est légitimement exigeant aussi sur notre capacité de gérer bien les remplacements lorsque des professeurs sont absents. C'est donc normal qu'il y ait ce type de situations observées. La priorité est de permettre les remplacements des professeurs qui ne sont pas en situation de pouvoir enseigner, d'où ce volant disponible.
Q- Avez-vous parlé au Premier ministre hier soir, vous a-t-il paru inquiet ?
R- Non, je n'ai pas parlé hier soir avec le Premier ministre. Mais en l'occurrence, je crois surtout que la détermination qui est la nôtre est la même : dialoguer, écouter et mettre en oeuvre les décisions qui s'imposent pour notre pays...
Q- Imaginez-vous le référendum sur fond de grogne sociale ?
R- J'espère de tout coeur que chacun saura séparer les choses. Ce qui relève des problématiques que nous avons sur le plan social, c'est une chose ; le référendum est un rendez-vous avec notre histoire, avec notre destin, c'est l'Europe qui est en cause. Et de ce point de vue, nous avons beaucoup de choses à faire ensemble et chacun doit comprendre que cela dépasse les limites immédiatement partisanes sur le plan national.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 mars 2005)