Déclaration de M. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, sur le syndicalisme, les relations entre divers syndicats, notamment avec SUD et la CFDT à propos de la réforme des retraites et le RMA, Paris le 27 novembre 2003.

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Circonstance : 39 ème congrès de la Fédération des cheminots à Paris le 27 novembre 2003

Texte intégral

Chers Camarades,
Permettez-moi, pour débuter ce propos, de vous dire le plaisir qui est le mien de pouvoir intervenir à la tribune de ce 39ème congrès de notre Fédération des Cheminots.
Les responsabilités confédérales offrent l'opportunité de se frotter à des réalités professionnelles diverses et c'est toujours passionnant. Mais, lorsqu'on replonge dans ses origines auxquelles on est si attaché, on ne peut s'empêcher de ressentir comme un frémissement qu'on ne rencontre nulle part ailleurs. C'est ce qui m'arrive ce matin et je vous en remercie.
Pour les cheminots et la SNCF bien sûr, pour les salariés des transports comme sur le plan interprofessionnel, les choix opérés par le gouvernement RAFFARIN en matière économique et sociale apparaissent de plus en plus ouvertement comme le résultat d'une coalition avec le MEDEF.
C'est également une période assez cruciale pour le syndicalisme lui-même.
Je vous épargne la litanie de nos critiques à l'action gouvernementale.
Baisse de l'impôt sur le revenu, avantages à l'épargne, déductions diverses pour les ménages les plus aisés, crédits d'impôts en tous genres, atténuation de l'impôt sur les bénéfices, allégements de cotisations sociales sans précédent pour les entreprises : 18 milliards d'euros soit 120 milliards de francs.
C'est maintenant le RMA, un sous contrat de travail pour des sous salariés, la volonté de refondre les dispositifs publics du marché du travail. Voilà la carte de visite du gouvernement qui souhaite faire figurer sur son bristol " réforme des retraites " et " réforme de l'assurance maladie " avant l'été.
Par ses messages culpabilisateurs envers les assurés sociaux, il est fort probable que l'on veuille préparer les esprits à de nouveaux sacrifices qui seront annoncés après les élections régionales.
L'appétit du gouvernement pour les mesures anti-sociales devient proportionnel à son impopularité.
Les méthodes utilisées rejoignent les objectifs. C'est un autoritarisme systématique qui devient de plus en plus insupportable.
C'est par une conférence de presse que l'on apprend la décision de créer une caisse spécifique en marge de la Sécurité Sociale pour subvenir aux besoins des personnes dépendantes. Celle-ci serait financée par un jour férié supprimé aux salariés contre l'avis unanime - pour une fois - des syndicats de salariés. La RTT devient ainsi la " Rallonge du Temps de Travail ".
Il faut écouter la radio dimanche pour découvrir la mise en place d'un nouveau chèque-emploi pour les petites entreprises sans qu'à aucun moment cela n'ait été abordé, d'une manière ou d'une autre, avec les syndicats. Résultat, pour le chèque on est à peu près sûr de ce qu'en feront les entreprises, pour ce qui est de l'emploi, vous verrez ce qu'il adviendra des 500 000 promesses.
Ce gouvernement confond politique de communication et véritable politique de l'emploi.
Il doit aussi se méfier des boutefeu dans ses rangs.
Il y a quelques jours, voilà un Préfet, celui d'Indre-et-Loire, qui s'est servi pour la première fois de l'art 3 de la loi de mars 2003, dite loi SARKOZY, pour mettre fin à la grève de 12 sages femmes qui revendiquaient pour leurs salaires et leurs conditions de travail dans une clinique privée. Le tribunal saisi avait pourtant rejeté la demande de leur direction qui voulait imposer un service minimum dans un établissement qui n'y est pas contraint. Eh bien, le préfet est passé outre et a prononcé la réquisition des 12 grévistes.
Tout ceci, naturellement, au nom du trouble à l'ordre public ! Cet ordre là, camarades, commence à prendre la forme du baillon.
Il en va de même lorsque, en vertu bien sûr du service public, il est envisagé d'attenter au droit de grève pour les salariés travaillant dans les transports. Comme moi, vous avez sans doute remarqué que nos interlocuteurs parlent de moins en moins de service public sauf, en une occasion, lorsque cela doit servir de paravent à la volonté de restreindre le droit de revendiquer et le droit de grève.
Il est un peu fort de café que ceux-là même qui nous vantent chaque jour les mérités d'une économie de marché libérée de toutes contraintes, la libéralisation des services publics et la mise en concurrence à l'échelle européenne se parent du drapeau du service public pour restreindre les libertés.
Les mêmes veulent changer le statut de ce qui reste des entreprises et service public.
Les mêmes adoptent des budgets qui de l'Hôpital à la Recherche publique portent atteinte à la cohésion sociale, au développement et à l'égalité entre les citoyens.
Alors non ! NON ! Pas de leçon de service public aux salariés qui y travaillent et aux fonctionnaires qui pour la plupart d'entre eux ont une haute opinion de l'intérêt général.
Ce n'est pas parce qu'il y a, çà et là, quelques apprentis sorciers qu'il faudra compter sur la CGT pour renoncer à l'un des droits de valeur constitutionnelle qu'est le droit de grève.
La colère, l'amertume sont bien présentes mais nous ne pouvons nous en tenir là !
Il nous appartient de montrer que nous ne sommes ni condamnés à accompagner les mauvais coups ou à voir les réformes passer.
Les syndicats ne sont pas les pompiers du social.
Il nous revient, comme vous le faites cette semaine en articulant la mobilisation, la contestation, la proposition et la négociation, de montrer que les salariés du public comme du privé ont les capacités de changer la donne.
Ils le peuvent au plan national et international.
A ce titre, la CGT est naturellement pleinement engagée dans le syndicalisme Européen.
Ces dernières semaines, nous avons enregistré deux résultats d'élections professionnelles prometteurs. Dans la Fonction publique hospitalière - où la CGT progresse de près de 3 % - et chez les salariés du Ministère de la Défense. Dans les deux cas, la CGT est la seule confédération dont l'influence progresse - et dans des proportions spectaculaires - dans certains établissements.
Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais on ne peut s'empêcher de voir dans ces deux consultations nationales, et aussi dans l'écho grandissant de nos analyses et prises de positions, un encouragement à la démarche précisée par les syndicats de la CGT au 47ème congrès.
C'est dans ce même centre de Congrès qu'en mars dernier, les délégués de toutes professions se sont donné l'objectif d'atteindre le plus rapidement possible le cap du million de syndiqués à la CGT.
La première responsabilité de nos directions à tous les niveaux, c'est que cet objectif soit bien perçu comme prioritaire, qu'il constitue une condition décisive de notre efficacité au service des revendications des salariés.
La tâche est immense, mais l'objectif est devenu urgent.
Vous connaissez tous la situation : plus de 90 % de salariés ne sont pas syndiqués ! Cette situation n'est plus tolérable tant elle est préjudiciable à tous. Un nombre important de ces salariés sont potentiellement et " naturellement " dans la zone d'influence de nos syndicats, de nos organisations fédérales. Certains d'entre vous ont décidé d'affronter ce défi mais des résistances subsistent. Ces atermoiements n'ont plus de raison d'être. C'est avec méthode et avec détermination, deux qualités que l'on ne peut pas ne pas reconnaître à la fédération des cheminots, que nous devons, que vous devez maintenant investir ce terrain.
Vous avez un grand rôle à jouer, à la dimension de ce que représente la fédération dans la Confédération.
L'exploration de nouveaux modes d'organisation, d'échange et de fonctionnement de nos organisations professionnelles et territoriales est à l'ordre du jour. De leur mise en uvre dépend notre capacité à faire vivre une activité syndicale de site et de branche avec des objectifs revendicatifs partagés, sans toujours être communs, soutenus par des initiatives solidaires s'adressant à l'ensemble des salariés dans la diversité de leur condition et de leur position. Cette vision doit se déployer autour de tous les axes qui peuvent la matérialiser, en cultivant toutes les proximités qu'elles soient logiques ou géographiques.
Proximités logiques au sein de la branche des transports, sans lesquelles nous ne pouvons pas aboutir à des contre-offensives efficaces dans le domaine du fret. Proximités logiques autour de la problématique de l'aménagement des territoires, terrain essentiel de la lutte sur le contenu et les modalités de la gestion démocratique du service public du transport, et des liens qu'il doit entretenir avec le développement économique et le progrès social, la qualité et la protection active de l'environnement.
Proximités géographiques, qu'elles soient ou non renforcées par des liens liés au service. Les grandes gares, anciennes ou nouvelles, sont de vastes lieux de vie où se côtoient mille métiers, où se déplacent des millions de gens. Si nous le voulons, si nous nous décidons à y investir une part de notre activité militante en lien étroit avec les UL ou les UD, nous pouvons les transformer en un véritable bouillon de culture syndical.
Aujourd'hui la défense des " droits acquis " deviendrait illisible si elle ne s'accompagnait pas de la prise en compte de la précarité qui prive des milliers de salariés d'un niveau de garanties collectives élevé. C'est en associant clairement ces objectifs et les luttes pour la protection des statuts que tous nos syndicats, toute la CGT pourront donner de la consistance et de la crédibilité aux uns et aux autres. Comme vous l'avez montré vous mêmes avec clairvoyance et avec responsabilité lors de l'action pour les retraites du premier semestre, il n'y a pas d'avenir au repli d'une corporation sur elle-même ni à la surenchère démagogique, qu'elle soit aux couleurs de l'autonomie ou se pare des plumes de la radicalisation.
La confrontation sur les retraites a constitué un moment de vérité sur le mouvement syndical français, ses divergences, ses forces et ses faiblesses. Les conséquences sont sensibles, elles sont sans doute durables.
Les choix faits à cette occasion par la confédération CFDT, les conceptions et les objectifs qu'ils ont portés, soulèvent dans ses rangs des interrogations, provoquent des désaccords, jugés suffisamment importants pour que des adhérents, parfois de très longue date, décident de quitter leur syndicat et, pour plusieurs milliers d'entre eux, de rejoindre la CGT.
À ce titre, vous êtes les témoins et je dirai aussi les acteurs, d'une situation syndicale, qui n'a pas de précédent dans la profession et même au-delà puisque c'est désormais un fait, le débat anime toutes les professions sur l'ensemble du territoire.
Au point qu'il y a quelques jours, des observateurs avertis, manifestement très attentionnés à notre égard, m'ont demandé si, après tout, la venue à la CGT de syndiqués voire de militants d'une autre confédération n'allait pas en fait nous créer et me créer plus de difficultés qu'autre chose !
Je les ai rassurés en leur disant simplement que je préférais être à la direction d'une organisation qui doit gérer l'arrivée massive de nouveaux syndiqués qu'être à la direction d'une organisation qui doit contenir les déceptions et étancher les voies d'eau
Nous devons et - j'en suis convaincu - nous saurons tirer au maximum vers le haut les conséquences de cette évolution. Nous le ferons en ayant à cur d'aider tous les nouveaux adhérents à trouver toute leur place et ainsi d'honorer la confiance qu'ils mettent en nous. Ils n'ont pas fait leur choix au hasard et nous allons le prouver. Ils viennent chez nous avec une histoire et une expérience riche, et par bien des côtés originale, que nous ferons maintenant fructifier ensemble.
Nous avons, en quelque sorte, un défi commun à relever et tout le monde va devoir y mettre du sien et de la bonne volonté. Mais je me dis qu'au regard de ce qui s'est déjà produit dans d'autres professions, d'autres entreprises, au regard de la façon dont la direction fédérale et le congrès lui-même appréhendent ce nouvel horizon, on ne peut qu'avoir confiance dans cette CGT là !
Je connais plusieurs de ces militants depuis de nombreuses années et le respect mutuel a toujours caractérisé nos relations. Aussi, permettez-moi de leur souhaiter personnellement la bienvenue à la CGT.
La meilleure façon d'être nous-mêmes dans ces circonstances, c'est de rester lucides sur nos responsabilités, notamment dans un secteur où l'on a toujours reconnu à la CGT sa capacité à résister à la facilité, consciente qu'elle est des enjeux qui traversent le monde des transports, bien au-delà de la situation faite à ses personnels.
Parce que nous sommes la CGT nous avons, moins que d'autres, le droit à l'à-peu-près.
Laissons à ceux qui peuvent se le permettre, les vertiges de la démagogie et les impasses du simplisme en nous disant tout simplement que les cheminots en particulier et les salariés en général savent aussi faire la part des choses.
Eux aussi ont du remarquer que la même confédération qui, le 12 juin, appelait à la grève générale lors d'un meeting à Marseille pour l'avenir des retraites, n'a pas hésité à signer avec le patronat en novembre, un accord consacrant une baisse programmée du niveau des retraites complémentaires.
Eux aussi constatent que les SUD déploient malencontreusement et gaspillent malheureusement l'essentiel de leur énergie à essayer de nous faire perdre le nord...
Au delà de cette ironie, nous devons faire à nouveau le constat que le syndicalisme français est trop divisé. Ses querelles, bien qu'elles portent sur l'analyse des situations et des conditions à réunir pour la défense des intérêts des salariés, sont ressenties comme autant de joutes inefficaces.
La CGT ne peut se résigner à la division et à la dispersion des forces syndicales. Il faudra bien trouver, et le plus rapidement sera le mieux, les moyens par lesquels les revendications sociales seront au centre de l'action des uns et des autres.
La CGT sera toujours disposée au travail ensemble pour un véritable progrès social.
Il faut aussi constater que les salariés et la vitalité du syndicalisme français sont les premières victimes de l'absence d'une véritable démocratie sociale.
Chacun voit comment le patronat et les gouvernements, savent tirer avantage d'un droit social qui continue à conférer un poids égal à chaque syndicat, quelle que soit sa représentativité réelle, pour mieux manuvrer les négociations et abaisser le contenu des accords.
Chacun sait qu'il n'est pas admissible que le droit des salariés reste le seul domaine où la minorité peut décider pour la majorité !
Une nouvelle fois, le gouvernement détourne hypocritement le sens des mots en collant l'étiquette " démocratie sociale " sur un projet de loi qui n'a pour finalité que de servir, une fois de plus, la cause du MEDEF, tout en ménageant la susceptibilité et les privilèges de confédérations vivant à l'abri du décret de 1966.
Dans ce qu'on nous présente comme une révolution, on nous dit que le fait majoritaire sera reconnu puisqu'à l'avenir un accord conclu par un syndicat pourra être contesté par une majorité de syndicats. Autrement dit, c'est le nombre de syndicats sur une position qui deviendrait déterminant. Soit, mais trois petits syndicats auraient plus d'importance que deux organisations majoritaires ?
Et on appelle ça la démocratie ?
Je profite de l'occasion que vous m'offrez pour rappeler les positions de la CGT en la matière.
Tous les salariés, quelle que soit l'entreprise, petite ou grande, dans laquelle ils travaillent, doivent disposer d'élections professionnelles et l'on doit tenir compte de ce qu'ils expriment à cette occasion pour déterminer les conditions de validité des accords dans l'entreprise, la branche professionnelle et au plan interprofessionnel.
Ainsi, la seule mesure réellement démocratique c'est de reconnaître les accords valides dès lors qu'ils ont recueilli la signature de syndicats représentant au moins 50 % de voix aux élections des salariés concernés par la négociation. C'est ça la vraie majorité.
La nocivité du projet de loi ne s'arrête pas là puisque c'est dans le bureau du Premier Ministre - un lieu vraiment redoutable pour les intérêts des salariés - que le gouvernement a décidé de donner un gage de plus au MEDEF en bouleversant la hiérarchie des normes dans le droit du travail.
Les employeurs se verraient autorisés à déroger, par accords d'entreprise, aux règles des conventions collectives et aux lois. Le MEDEF en rêvait et le gouvernement s'apprête à le faire au point que son parti pris, de plus en plus systématique à la frange la plus libérale du patronat français, ne peut être perçu que comme une provocation de plus en plus criante à l'égard des salariés.
Les premières conséquences d'une telle attitude ne se font pas attendre.
Ainsi, dans la négociation interprofessionnelle, que nous sommes censés avoir pour protéger les salariés face aux restructurations, voilà l'organisation de M. Seillières qui nous propose une nouvelle définition du licenciement économique. Selon elle, le licenciement serait " une suppression d'emploi destinée à rétablir, à sauvegarder ou à améliorer la compétitivité de l'entreprise ".
Le pire c'est que l'on voudrait nous vendre cette formule sans rire. Ceux qui se retrouvent au chômage, et de plus en plus souvent sans indemnisation, n'ont pas envie de telles plaisanteries et nous n'avons, bien évidemment, pas dit notre dernier mot.
Le patronat tient ainsi deux fers au feu. Il n'a pas l'intention de répondre au besoin de protection des salariés en cas de licenciement et il joue la montre dans l'attente d'une loi qui lui donnera plus de liberté d'action, entreprise par entreprise.
Que le gouvernement et sa majorité sachent qu'une loi n'a pas le pouvoir de mettre fin aux revendications.
Voilà, mes chers camarades, ce dont je voulais vous faire part en guise de contribution à ce congrès.
L'influence de la CGT va progresser dans la profession, nous avons tous les ingrédients pour qu'elle progresse dans le pays et vous verrez que cela peut changer bien des choses.
Vive ce 39ème congrès de notre Fédération !
Vive la CGT !
(source http://www.cgt-37.org, le 5 mars 2004)