Déclaration de M. Christian Poncelet, président du Sénat, sur la séquestration de Florence Aubenas, journaliste et de Hussein Hanoun Al-Saadi, en Irak, Paris le 30 mars 2005.

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Circonstance : Réunion de mobilisation des parlementaires pour la libération de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun Al-Saadi, sur le parvis des Droits de l'Homme, Paris le 30 mars 2005

Texte intégral

Chers amis,
Certaines absences, Dieu merci, ne passent pas inaperçues.
La mobilisation qui les entoure est un message de soutien adressé aux absents, à leurs familles, à leurs amis.
Elle est aussi un signal pour leurs ravisseurs afin qu'ils prennent conscience de la lâcheté et de la vanité de leur geste.
Ce qui nous rassemble aujourd'hui, c'est la même conscience, c'est la même certitude que la liberté de la presse comme toute autre liberté ne peut s'emprisonner.
En prenant la parole aujourd'hui, au nom de tous les sénateurs, toutes tendances politiques confondues, c'est l'homme politique au sens premier du terme qui parle.
L'homme politique qui a consacré sa vie à défendre une certaine conception de l'Homme, une certaine idée des relations qui doivent exister entre citoyens d'une même société.
Dans cette société, qui n'est pas rêvée mais bien réelle, la presse est un élément indispensable.
Elle dit ou contredit, elle annonce ou dénonce, elle démange ou dérange, elle fait au fond ce qu'elle veut car c'est à la source de cette liberté que nous puisons nos envies et espoirs de citoyens.
Dans ce rôle Florence tient toute sa place. Que ce soit en Iraq ou sur d'autres théâtres d'opérations, Florence a toujours su apporter son regard critique et sa capacité d'analyse qui savent éclairer l'esprit de ses lecteurs.
La disparition de Florence et d'Hussein est un drame humain.
L'enlèvement de Florence et d'Hussein est une atteinte à notre humanité. La séquestration de Florence et d'Hussein est une violation de notre conception de la démocratie.
La détention de Florence et d'Hussein est la négation de nos valeurs, certes toujours faciles à professer, mais dont la remise en cause doit être l'occasion pour chacun d'entre nous d'une réflexion sur le prix que nous y attachons et les moyens que nous mettons à les défendre.
Le rassemblement de ce matin est le fruit de cette réflexion et l'expression de notre volonté de préserver nos libertés, dont la liberté de la presse.
Je ne souhaite pas rendre hommage à Florence et Hussein.
Je veux simplement leur parler.
" Je dis " tu " à tous ceux que j'aime, même si je ne les ai vus qu'une seule fois ", écrivait Jacques Prévert dans son merveilleux poème " Barbara " qui campe une femme sur un fond de guerre.
Aussi, à ce titre, glissant mes mots dans les pas du poète j'ai envie de vous dire " tu ".
Toi Florence, toi Hussein nous attendons votre retour. A tous les deux nous adressons un message de courage dans l'épreuve.
Notre mobilisation ne peut pas vous être inconnue.
Nous savons maintenant que tous les otages ont eu à un moment ou à un autre connaissance des actions en faveur de leur libération.
Il s'agit pour nous d'apporter la preuve de la cohésion nationale dès lors que l'on touche à l'essence même de notre démocratie, à l'esprit même de notre République.
Nous avons pu le constater pour Georges Malbrunot et Christian Chesnot : la mobilisation de tous les Français, de toutes confessions, et l'union sacrée de notre nation ont contribué à leur libération. Il faut faire de même pour Florence et Hussein. Je souhaite également que nous ayons une pensée pour Frédéric Nérac dont nous sommes sans nouvelles depuis 737 jours et pour Guy-André Kieffer, disparu depuis le 16 avril 2004 à Abidjan.
Notre message, c'est celui de la liberté, cette liberté dont vous êtes privés et que, grâce à des êtres comme vous, nous pouvons savourer.
Il fait nuit même en plein jour quand des journalistes sont emprisonnés, quand le témoignage de la vérité est nié, quand les bouches sont bâillonnées.
Il serait tentant d'être prudent : d'arguer du danger pour ne pas aller témoigner, de s'abriter derrière l'argument de la féminité pour vous dissuader de faire votre métier.
Ce serait tentant en effet car facile. Mais après ? Que dirions-nous ? Que nous ne savions pas ? Que nous ne pouvions pas savoir ? Que, si nous avions su, évidemment nous aurions agi différemment ?
Cette tentation et les conséquences d'y succomber rappellent aux personnes de ma génération de mauvais souvenirs récemment commémorés.
Florence tu as eu raison d'y aller avec courage, Hussein tu as eu du courage de l'accompagner avec raison.
Florence, Hussein, nous espérons que vous serez bientôt de retour pour témoigner.
Notre espoir est la preuve que dans ce monde désincarné, la voix d'un peuple s'élevant pour crier " libération " empêche l'oubli et ouvre les geôles.
(Source http://www.senat.fr, le 7 avril 2005)