Déclaration de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, et interviews à "France 2" le 12 février 2004 et à "Radio Classique" le 13 à New Delhi, sur le partenariat franco-indien.

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Circonstance : Voyage en Inde de Dominique de Villepin les 12 et 13 février 2004

Média : France 2 - Radio Classique - Télévision

Texte intégral

(Allocution devant la communauté française en Inde, à New Delhi le 12 février 2004) :
Merci de m'accueillir dans cette ambassade qui m'est si chère, car j'ai constaté que les choses n'ont pas beaucoup changé, beaucoup de visages amis qui n'ont pas beaucoup vieilli, ça me fait plaisir de me retrouver ici.
Je parlais, il y a quelques instants avec mon épouse, qui évidemment n'imagine pas que je suis sans elle ici sans une certaine émotion, en pensant à ma fille qui est née ici à Delhi, à une époque où ce n'était pas sans risque. J'espère que les choses ont un tout petit peu changé mais ce furent pour moi de très belles années et je sais quelle grande aventure est celle des Français en Inde.
Quels enjeux extraordinaires pour notre pays, quels défis à relever !
Je ne citerais pas l'importance de la culture de la tradition, de cette formidable alliance entre la tradition et la modernité présente dans ce pays, avec un marché intérieur gigantesque, une démographie galopante, une croissance qui ferait rêver la plupart des grands pays de la planète, autant de raisons d'être présents, de nous battre, d'affirmer notre volonté, d'être partie à cette aventure.
Une connivence exceptionnelle, une histoire de partage : notre ami Lafon que je vois là, l'a explorée minutieusement et c'est vrai que les connivences entre nos deux pays sont extraordinairement anciennes : une histoire culturelle, des liens étroits de la culture, de Mahatma Gandhi, Romain Rolland et bien d'autres Malraux, tout ceci nous est extraordinairement proche. Les liens de la culture bien sûr mais aussi une même vision, une même exigence sur la scène internationale. Il n'est que de citer la vision du multilatéralisme, l'exigence que nous avons de la multipolarité, la reconnaissance que nous avons de la diversité culturelle, le souci d'exprimer chacun, les uns et les autres, notre identité dans un monde qui, nous le voyons, est un monde dangereux, imprévisible, difficile.
J'ai évoqué bien sûr ces questions tout à l'heure en Afghanistan, le terrorisme, la prolifération, les crises régionales. Je crois qu'avec nos amis indiens nous sommes de plain pied face à ces défis du monde nouveau, soucieux, les uns et les autres, de mettre en avant les mêmes valeurs : l'exigence d'unité de la communauté internationale, nous l'avons vécue à travers la crise irakienne, l'exigence de solidarité vis-à-vis des peuples du monde entre le Nord et le Sud, entre l'Orient et l'Occident, l'exigence aussi de responsabilité collective qui fait que nous mettons les Nations unies au coeur de notre stratégie internationale.
Alors, bien sûr, pour relever les défis de ce beau et grand pays, nous avons un atout. Nous avons un atout qui est, dans le fond, une même exigence d'originalité, un même esprit d'indépendance, une même tradition et un même héritage démocratique, mais nous avons d'abord pour atout votre présence ici.
La présence de la France, c'est d'abord des visages, c'est d'abord des passions partagées, des itinéraires partagés. Combien d'entre vous sont arrivés dans ce pays il y a dix ans, vingt ans, trente ans, quarante ans, y prenant parfois souche et témoignant de ce qu'est notre pays aux quatre coins de la planète ? Je crois que c'est cela la première valeur, le premier bienfait de notre pays en Inde. Et quels que soient les itinéraires et les aventures personnels des uns et des autres, je sais, pour l'avoir vécu de près, qu'une communauté comme la nôtre, une communauté française en Inde, c'est une communauté qui est intimement liée par le souci d'avancer ensemble. Les difficultés ne manquent pas, les difficultés de la vie quotidienne, parfois de l'éducation, de l'éloignement, les difficultés de certaines situations sociales, de la sécurité, parfois de l'isolement : tout ceci, finalement, trouve sa meilleure réponse dans la présence d'un autre Français, dans le fait que l'un d'entre nous a ouvert le chemin, a rencontré les mêmes difficultés, les a surmontées et, fort de cette expérience, partage avec nous ce chemin. Je sais que, dans la difficulté, dans le doute et l'hésitation, c'est bien cette communauté qui sait resserrer les liens, qui sait se serrer les coudes qui est notre meilleur atout.
Alors nous avons fait beaucoup au fil des années, depuis 1998, depuis la visite du président de la République, nous avons affirmé la vocation d'un partenariat stratégique avec l'Inde, c'est-à-dire d'un partenariat global : politique, économique, dans le domaine de la coopération militaire, dans le domaine culturel, aucun domaine n'échappe à cette ambition et à cette volonté. Il faut aller plus loin.
Nous nous voyons tous et certains d'entre vous sont là de pied ferme pour négocier des positions, négocier des contrats, défendre l'intérêt de nos entreprises et je sais à quel point c'est parfois difficile, à quel point il faut de la patience, de la détermination. Eh bien il est certain que notre relation politique, notre relation culturelle, notre intimité avec l'Inde ne trouve pas encore un écho suffisant dans le domaine industriel et commercial, dans le domaine des services et c'est bien ce défi-là qu'il nous faut relever. Il faut, pas à pas, prendre davantage pied dans ces secteurs économiques car nous voyons tous la place qu'occupe déjà l'Inde et qu'elle occupera dans le XXIème siècle, que sont forts les liens très étroits qui nous lient. Il n'y a aucune raison pour que nous ne puissions renforcer ce partenariat, il est d'ailleurs temps.
Donc, mon souhait, c'est bien qu'ensemble nous puissions relever ce défi avec l'ensemble de notre diplomatie, l'ensemble des ses acteurs, tous ceux qui ont vocation ici à représenter la France, qu'il s'agisse des services culturels, des services économiques, l'ensemble des services techniques, du consulat, des responsables de notre ambassade. Je sais avec quel coeur Dominique Girard a pris sa mission, avec son épouse Maud, je sais avec quelle exigence chacun veut tracer avec vous le chemin. Je suis sûr que, en revenant ici dans quelques mois, dans quelques années, vous avez reçu récemment la visite du Premier ministre, nous pourrons une fois de plus mesurer le chemin parcouru et c'est avec confiance que je sais que nos positions sont défendues par vous et ne cesseront de s'améliorer au fil des années.
Une fois de plus, merci. Je ne prolonge pas ce propos, j'ai déjà été trop long et j'ai à coeur de pouvoir saluer chacun et chacune d'entre vous. Merci.
Je vois que la nouvelle technologie a gagné notre ambassade, je vois que l'imaginaire, aussi, a su se tailler un chemin. Au-delà des senteurs, des colonnes végétales se sont emparées de ce lieu et je dois dire qu'elles font merveille. Donc, je tiens à saluer le merveilleux artiste qui a réalisé cela, il est là, mais je croyais qu'il avait les cheveux verts... Un incident de parcours... Je n'y verrai pas un signe de conformisme mais au contraire le souhait de s'associer à cette fête. En tout cas, bravo, parce que c'est une merveilleuse réalisation qui montre une fois encore que la France a des chercheurs, la France a des industriels, la France a des artistes qui savent affirmer leur conviction et leur présence à l'étranger.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 février 2004)
(Interview à France 2 à New Delhi le 12 février 2004) :
Q - Quel est votre souhait pour ce pays ?
R - D'abord, l'Inde est la première grande démocratie du monde, avec plus d'un milliard d'habitants. C'est l'unité, la stabilité, le développement de l'Inde, auquel nous sommes très attachés. Vous savez que nous avons développé un partenariat stratégique avec l'Inde depuis la visite du président de la République en 1998. Nous avons des relations extrêmement suivies. Le Premier ministre était en Inde l'année dernière et, à intervalles très réguliers, nous nous rendons en Inde pour développer ces relations qui sont excellentes dans les domaines culturel, scientifique, technique, dans le domaine économique et commercial, et bien sûr dans le domaine politique, puisque nous partageons une même vision du monde, celle d'un monde multilatéral, un monde multipolaire, où l'ensemble des énergies de la communauté internationale sont utilisées à la fois pour régler les crises et pour bâtir un nouvel ordre mondial. Et vous savez que cette région est particulièrement exigeante de ce point de vue, puisqu'elle est confrontée à la fois au terrorisme, aux questions de prolifération et aux crises. Donc, c'est évidemment l'occasion pour moi d'avoir un dialogue très approfondi avec mes principaux interlocuteurs.
Q - Est-ce qu'il y a un intérêt particulier à soigner ces relations en ce moment ?
R - Bien sûr, parce que l'Inde exerce une influence importante sur les relations internationales. Ensuite, c'est une région où il y a de très fortes tensions et nous nous réjouissons à cet égard de voir l'amélioration des relations avec le Pakistan. Le Premier ministre indien a tendu la main, en avril dernier, au Pakistan, et depuis, le dialogue a été relancé. Nous encourageons évidemment cela et nous voulons appuyer de nos efforts l'amélioration des relations dans cette sous-région et bien sûr cela doit s'accompagner d'un grand partenariat. C'est l'objectif de nos relations avec l'Inde, un partenariat tous azimuts dans tous les grands domaines et bien sûr aux niveaux politique, stratégique, économique et commercial.
Q - Est-ce que vous avez appris aujourd'hui ? Est-ce qu'il y a des choses dont vous avez pris conscience ?
R - J'ai habité pendant plusieurs années dans ce pays, je le connais, et je l'aime beaucoup. Je crois que ce qui ressort le plus, c'est que ce pays connaît un développement économique considérable depuis quelques années. On parle ici de taux de croissance de plus de 8 %. C'est l'envie de l'Inde, bien sûr, de développer son rôle sur la scène internationale, mais d'assurer un développement harmonieux. On le voit, c'est une grande puissance économique, c'est une puissance spatiale, c'est une puissance scientifique. C'est un pays où un tiers des habitants a moins de 15 ans. Donc, il y a derrière cela une jeunesse extraordinaire, enthousiaste, qui veut trouver sa place dans ce monde. C'est un pays qui, sur le plan des services, sur le plan des technologies, est un des premiers pays au monde, donc nous avons évidemment beaucoup à faire avec l'Inde, beaucoup à apprendre, et nous devons engager un dialogue permanent, pour voir comment nous pouvons travailler ensemble sur les grandes échéances internationales.
Q - A propos de dialogue, est-ce que vous comprenez les inquiétudes de la minorité sikhe ?
R - Bien sûr. C'est une minorité importante en France, il y a environ 5.000 Sikhs établis depuis de très nombreuses années, et qui ont joué un rôle dans notre histoire, puisqu'ils se sont engagés aux côtés de la France, dans notre pays, pour apporter leur soutien pendant les deux guerres mondiales. Donc, nous avons une relation extrêmement forte. Nous avons par ailleurs un profond respect pour leur religion, leur culture et nous voulons, dans le cadre de la loi qui est actuellement en préparation, trouver des solutions qui permettront de répondre à leurs inquiétudes. C'est le sens de l'entretien que j'ai eu ici avec des représentants de la communauté sikhe et le président de la Commission des minorités indiennes. Ils ont été reçus très longuement par l'ambassadeur qui a ouvert ses portes à cette communauté sikhe. Ils ont été reçus aussi à Paris au ministère de l'Education nationale. Luc Ferry va les recevoir dans les prochaines semaines et nous voulons, par le dialogue, trouver une réponse à leur inquiétude. Ils comprennent très bien ce qu'est la spécificité française, cette exigence d'une loi sur la laïcité. Il reste à trouver les modalités qui permettront de répondre à la fois à l'exigence de cette laïcité française, et en même temps, de répondre à leurs inquiétudes.
Q - Est-ce qu'ils restent inquiets pour l'instant ?
R - Je crois que nous allons trouver la solution. J'ai bon espoir, vous savez, dès lors que nous sommes tous désireux de trouver cette solution, nous la trouverons et je pense qu'elle prendra en compte, évidemment, les aspirations des uns et des autres.
Q - On a fait dans ce voyage, deux pays très différents. Est-ce qu'il y a un lien que l'on peut faire entre eux ?
R - Vous avez d'un côté une démocratie confirmée, la plus grande démocratie du monde. Et de l'autre côté, un pays qui veut marcher vers la démocratie après une vingtaine d'années de guerre. Le président d'Afghanistan Karzaï veut avancer dans la voie de l'unité, la réconciliation de son pays, la dernière Loya Jirga qui s'est tenue à la fin de l'année a permis d'assurer cette réconciliation, de définir une Constitution pour l'Afghanistan ; une Constitution à la fois présidentielle mais qui accorde une certaine importance au contrôle parlementaire, donc une Constitution équilibrée. Je crois que maintenant l'Afghanistan est désireux véritablement de rentrer dans ce processus démocratique essentiel avec des élections qui doivent se dérouler à la fois pour les présidentielles et les législatives en 2004, désireux donc d'assurer la bonne conduite de ce processus avec le soutien de la communauté internationale.
Vous savez que la France est très engagée en Afghanistan. Nous participons à la force d'intervention et d'assistance. Il y a environ 550 français. Nous participons aussi à la lutte contre le terrorisme. Nous sommes donc présents sur les deux fronts. Nous souhaitons renforcer cette présence de l'Eurocorps, son arrivée en Afghanistan. Cet Eurocorps a vocation à prendre le relais du Canada à la tête de la force d'intervention et d'assistance dans ce pays. Donc, je crois que c'est là la marque de notre engagement. Nous voulons donc être présents sur les questions de sécurité. Nous sommes présents aussi dans la préparation des élections, puisque nous avons apporté, nous apportons une aide substantielle à la commission électorale. J'ai annoncé cette aide d'un million d'euros. Dans le domaine du développement, nous voulons poursuivre bien sûr nos coopérations traditionnelles dans les secteurs de l'éducation, de la santé, dans le domaine du soutien à l'Etat de droit et parallèlement, nous voulons aussi accroître notre appui et c'est pour cela que j'ai annoncé hier que l'Afghanistan pourrait être inclus dans la Zone de solidarité prioritaire, c'est-à-dire que l'Agence française du Développement, par exemple, pourra intervenir dans des projets à moyen et long terme.
Q - Mais c'est un pays qui semble avancer évidemment, lentement mais sûrement, sauf dans le domaine de la sécurité ?
R - Des progrès ont été faits dans le domaine de la sécurité, même si un regain de violence a pu être constaté au cours des derniers mois. Mais je crois que ce pays va dans la bonne direction. Et souvent, quand nous sommes à des tournants dans l'histoire d'un pays, c'est l'occasion même que choisissent un certain nombre de forces extrémistes pour frapper. Je crois qu'il faut tenir bon pour continuer de travailler ensemble. C'est un très bon exemple pour la communauté internationale. Vous vous rappelez que l'intervention de la communauté internationale en Afghanistan avait été soutenue à l'unanimité, dans le cadre des Nations unies ; aujourd'hui c'est l'ensemble des pays qui apporte son soutien à ce processus. C'est donc une voie qui est tracée et je crois qu'il faut continuer nos efforts, les accroître même et les intensifier si l'on veut véritablement pouvoir aboutir. Mais j'ai rencontré des interlocuteurs confiants, dont le président Karzaï qui a fait un remarquable travail et nous voulons donc évidemment soutenir ses efforts.
Q - La reconstruction de l'Afghanistan vous paraît plus évidente que celle de l'Irak ?
R - Ce sont deux cas différents. Dans un cas, une fois de plus, vingt années de guerre civile, de divisions, de déchirures. Une volonté de la part de l'ensemble des Afghans - et c'était très frappant lors de cette visite - de tourner la page. Une volonté de se retrouver entre les différentes communautés, les différentes ethnies. Je crois que c'est quelque chose qu'on peut véritablement toucher du doigt. A partir de là, bien sûr, il reste encore beaucoup à faire.
La situation de l'Irak est, elle, extrêmement différente, puisqu'il y a une guerre et que la communauté internationale s'est divisée sur la question de la guerre. Mais il faut maintenant se retrouver et essayer de créer le chemin. Créer le chemin, la France l'a dit depuis le début, cela passe d'abord par la reconnaissance de la souveraineté et c'est peut-être là où l'on constate la principale différence avec l'Afghanistan.
En Afghanistan, une Loya Jirga avait permis très vite de donner le pouvoir aux Afghans et de donner le pouvoir à des autorités afghanes totalement souveraines et au président Karzaï. En Irak, ce n'est toujours pas le cas. Nous sommes toujours sous le régime de l'occupation par les forces de la coalition même si la résolution 1511 a tracé la voie. En principe, des élections doivent donc être prévues d'ici à 2005 et un système transitoire, avec un gouvernement intérimaire formé au 30 juin, doit être mis en place. Donc, c'est un processus compliqué. Il y a actuellement une commission des Nations unies qui est sur place, envoyée par le Secrétaire général, qui est chargée de voir comment ce processus politique pourrait être amélioré, pour mieux répondre aux besoins du pays, aux aspirations légitimes du pays. Attendons les conclusions. Nous devons soutenir ce processus mais une fois de plus, la clé, c'est le retour le plus rapide possible à la souveraineté. La deuxième clé c'est la nécessité d'avoir un processus inclusif, d'associer l'ensemble des forces politiques qui renoncent à la violence et de leur donner véritablement une place dans le jeu politique irakien.
La troisième grande nécessité, c'est faire en sorte que l'ensemble des pays de la région soutienne cette évolution, faire en sorte que l'Iran, la Syrie, la Turquie, l'ensemble des pays arabes, puisse véritablement jouer dans le sens de la réconciliation et de la stabilité. C'est l'intérêt collectif. C'est pour cela que la France a plaidé en faveur d'une conférence internationale qui pourrait se situer au lendemain de ce retour à la souveraineté pour, à la fois, soutenir le nouveau gouvernement et s'attaquer à ces grandes questions que sont la sécurité, le développement de l'Irak et de l'ensemble de la région.
Q - Je vous entends beaucoup parler d'Europe, de Nations unies, presque autant que de la France. Est-ce que vous ne défendez pas finalement une certaine idée du monde ?
R - Bien sûr, mais vous savez la France est très engagée dans cette région et elle le montre. Vous voyez par exemple notre engagement à travers la présence de nos soldats en Afghanistan. Nous sommes très engagés aussi en Inde, sur le plan économique, scientifique, culturel. Mais bien sûr l'Europe agrandit nos capacités, agrandit notre influence. Nous sommes soucieux aussi d'aborder cette région de façon coordonnée, en liaison avec nos partenaires, en liaison avec la Commission européenne, d'aborder cette question avec l'ensemble de cette légitimité et de cette efficacité supplémentaires que nous confère l'Union européenne. C'est bien dans cet esprit que nous abordons les différents problèmes du monde et vous parlez des Nations unies, c'est évident, si nous voulons face à ce monde imprévisible, dangereux, avoir une chance d'avancer vers plus d'ordre, cela suppose que nous acceptions à la fois des règles et des principes qui sont essentiels à la nouvelle architecture internationale. Et c'est bien de cela que j'ai parlé, bien sûr, à nos amis indiens, de cette même vision que nous partageons, à la fois une unité de la communauté internationale et, en même temps, cet esprit de responsabilité collective et de solidarité. Je crois que c'est justement en partageant cette exigence d'un nouvel ordre international que nous avons des chances de réduire les marges d'incertitude, de réduire les risques auxquels nous sommes confrontés. Et cette région qui paie un lourd tribut au terrorisme, qui paie un lourd tribut aux menaces, telle que celle de la prolifération, est évidemment concernée comme beaucoup d'autres. Mais elle est particulièrement sensible à cette exigence de refonte de l'ordre international.
Q - Votre modèle est un monde multipolaire ?
R - C'est un monde multilatéral, c'est-à-dire avec des institutions internationales et c'est aussi un monde multipolaire où chaque pôle peut jouer dans le sens de la stabilité. Parfois, on se méprend sur la conception française de cette multipolarité. Il ne s'agit pas d'organiser des pôles concurrents mais bien évidemment de reconnaître des rapports de force, des situations de fait. Il y a de grands pays qui émergent, il y a des aspirations régionales qui se font jour. Faisons en sorte d'organiser ces aspirations, à partir de principes, de règles communes. Il nous faut bâtir une gouvernance mondiale, il nous faut une démocratie mondiale. Nous avons des Etats nations qui sont démocratiques ou qui marchent vers la démocratie. Faisons en sorte que les nouveaux grands problèmes du monde, ou moins nouveaux, qu'il s'agisse des questions de solidarité, des questions d'environnement ou de justice internationale, faisons en sorte que ces grandes questions comme le terrorisme ou la prolifération, puissent être abordés dans un esprit commun et avec des règles communes.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 février 2004)
(Interview à Radio Classique à New Delhi le 13 février 2004) :
Q - Monsieur le Ministre, vous plaidez pour un nouvel ordre mondial, ici à Delhi. Le gouvernement indien est-il réceptif et l'accession de l'Inde au statut de membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, soutenue d'ailleurs par la France, est-elle centrale dans l'approche de la politique étrangère indienne ?
R - Je crois que nous partageons avec l'Inde une même vision des relations internationales, une même exigence, organiser la scène internationale autour de principes forts, comme le principe d'unité, de responsabilités collectives, de solidarité, et faire en sorte que la règle de droit l'emporte en toute circonstance sur la force. Je crois que ce sont des éléments évidemment très importants. L'Inde aspire à prendre toutes ses responsabilités sur la scène internationale. On le voit, y compris dans le contexte régional actuel de l'Inde, puisque l'année dernière au mois d'avril, l'Inde a tendu la main au Pakistan. Et puis le dialogue reprend entre ces deux pays, ce qui est évidemment un élément central dans la stabilité de la sous-région. Donc, je crois que de ce point de vue, nous avançons dans un même esprit.
La France, vous l'avez rappelé, soutient la présence, la représentation de l'Inde au Conseil de sécurité. Je crois que c'est évidemment un élément important pour les Indiens, mais c'est un élément important pour faire en sorte que nos institutions internationales soient à la fois plus représentatives, et c'est là l'exigence d'une représentation de l'ensemble des grands pays sur la scène internationale, en même temps plus efficace. Faire en sorte que les Nations unies, faire en sorte que nos institutions multilatérales puissent se doter de tous les atouts, de tous les instruments qui leur permettront véritablement de faire passer leur message. La France, par exemple, appuie l'idée d'un Conseil de sécurité économique et social. La France appuie l'idée d'un corps du désarmement qui aura vocation à faire appliquer les grands principes de lutte contre la prolifération. De la même façon, nous plaidons en faveur d'un corps des Droits de l'Homme ou d'une organisation mondiale de l'environnement.
Q - Et l'Inde est d'accord ?
R - Je crois que sur l'ensemble de ces sujets, nous nous retrouvons. Nous avons besoin dans un monde qui est à la fois imprévisible, dangereux, nous avons besoin de davantage d'organisations, de davantage de règles.
Q - Alors sur la question de la loi sur le voile, en France, les Sikhs dont la patrie est l'Inde, vous ont-ils fait part de réserves qu'ils pourraient avoir ? Et est-ce que vous vous êtes engagé envers eux faire entendre leur point de vue quand vous serez à Paris devant le Conseil des ministres ou dans d'autres circonstances ?
R - Il y a un dialogue dans le cadre de la préparation de la loi qui a été engagé avec la communauté sikh depuis maintenant plusieurs mois. Cette communauté a été reçue ici à New Delhi par notre ambassadeur. Elle a été reçu à deux reprises au ministère de l'Education à Paris et Luc Ferry doit recevoir cette communauté au cours des prochaines semaines. Il y a bien sûr une situation que nous devons prendre en compte. Il s'agit d'une communauté très respectée en France, il y a environ 5.000 Sikhs et cette communauté a participé et partagé notre histoire à travers les deux guerres mondiales ; nous n'oublions pas son engagement. Evidemment, et c'est ce que je leur ai expliqué, nous avons des principes, et lors de l'entretien que j'ai eu avec le président de la Commission des minorités et avec des représentants de la communauté sikh, j'ai voulu expliquer justement notre attachement aux principes de la laïcité, au principe de neutralité. Bien évidemment, cette loi n'a pas vocation à "antagoniser" à aucun moment une religion ou une autre. Il s'agit de principes fondamentaux qui justement ont pour but de faire respecter l'ensemble de ces religions, d'assurer le principe de tolérance. Donc, dans ce contexte, nous allons poursuivre ce dialogue et j'ai bon espoir que nous pourrons parvenir par le dialogue à une solution satisfaisante pour la communauté sikh.
Q - Monsieur le Ministre, en matière scientifique et technologique, l'Inde et la France passeront-elles de la coopération à quelque chose de plus fort ?
R - L'Inde est une puissance technologique, une puissance spatiale, et représente plus d'un milliard d'habitants, dont un tiers de la population a moins de 15 ans. Il y a là un réservoir de capacités, d'expertises, extrêmement important. Il y a 160 universités en Inde, environ 260 000 diplômés par an dans le domaine scientifique. Tout ceci est évidemment à prendre en compte. C'est un pays qui a aujourd'hui près de 8 % de croissance. Alors, nous voulons, avec l'Inde, et c'est ce qui a été décidé par le président de la République, lors de sa visite en 1998, et confirmé par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, lors de sa visite l'année dernière et je suis venu justement travailler dans ce sens, nous voulons former un véritable partenariat global, un partenariat stratégique avec l'Inde dans tous les domaines : politique, bien sûr, mais aussi économique, commercial, scientifique, technique. Et j'ai été heureux en rencontrant ce matin un certain nombre de représentants de notre communauté française, représentants commerciaux, industriels ou dans le domaine des arts, de constater à quel point cette présence se renforce. Nous prenons la mesure de l'importance qu'a l'Inde dans le monde d'aujourd'hui et nous voulons accompagner leur développement. Nous sommes à leurs côtés et évidemment pour la France c'est un grand défi qu'il nous faut relever à tous les échelons. Et je souhaite que la présence économique française se développe en particulier dans le secteur des petites et moyens entreprises. Il y a ici de grandes opportunités à saisir. Il est important que les Français puissent en être informés et puissent relever ce défi.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 18 février 2004)