Interview de M. Jacques Voisin, président de la CFTC à Radio Classique le 31 août 2005, sur la rentrée sociale, le chômage et la mise en place du Plan de cohésion sociale, notamment les contrats "nouvelles embauches".

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Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- Êtes-vous heureux avec les chiffres du chômage qui casse, à la baisse, les 10 % ?
R- J'ai envie de dire quand même satisfait. C'est une bonne nouvelle, c'est une bonne chose.
Q- On ne boude pas son plaisir quand même ?
R- Oui, cela fait plaisir, pour tous ceux qui sont concernés. C'est bien mais, derrière cela, il va falloir quand même analyser, au fond, les tendances. C'est important. Si il y a une tendance lourde, il faudra la vérifier et l'analyser pour...
Q- C'est quand même le quatrième mois que cela recule !
R- Oui, le quatrième mois, effectivement.
Q- Et là, cela s'accélère.
R- Attendez ! On a vu monsieur Borloo mettre en place son plan de cohésion sociale, ses mesures d'aide à l'emploi. On est plus, quand même, aujourd'hui, dans des dispositifs d'accompagnement d'aide à l'emploi que dans de vrais emplois. Il faut analyser les sorties : les sorties si c'est vers l'emploi, c'est vers quel type d'emploi, parce que c'est quand même 70 % en CDD, intérim et puis, demain, on va avoir le CNE effectivement. C'est le contrat nouvel embauche. (...) Cela reste précaire, et donc on a quand même une situation qui reste très très fragile. On a des soubresauts, mais on n'a pas un grand mouvement de fond. Ça bouge. Cela bouge dans le bon sens. Donc, on va regarder ça de près.
Q- Il y a une autre analyse qui est faite, et notamment par J.-L. Borloo, interrogé par l'AFP ,qui dit qu'il est en ligne avec ce qu'il avait prévu, donc que quelque part ce chiffre du chômage à la baisse ne l'étonne pas. On dit aussi que, en fait, c'est aussi parce que J.-L. Borloo, pour une fois, a agi sur les structures, en mettant ce guichet unique notamment qui commence à donner des résultats. Donc, est-ce que, plutôt que d'avoir des incitations fiscales, des incitations, des aides ou des "emplois", artificiellement créés un peu comme les emplois "jeunes" en son temps, il n'était pas temps, justement, de travailler sur les structures et faire justement des guichets uniques, ce genre de chose ?, On n'a pas entendu les syndicats là-dessus ?
R- En fait, je pense que les syndicats, dont la CFTC, n'ont jamais été opposés à cela. Moi je suis du bassin de Valenciennes, j'ai vécu la restructuration de la sidérurgie et on avait mis en place ces cellules de reclassement dont on parlait à l'époque, et c'était ça, c'était déjà ce guichet unique. C'est évident que, pour un demandeur d'emploi, il vaut mieux qu'il aille frapper à une seule porte pour dont il a besoin pour essayer peut-être de se former mais surtout de retourner vers l'emploi. Donc, l'idée est intéressante.
Q- Et d'avoir un véritable accompagnement...
R- Et d'avoir un véritable accompagnement. Et c'est vrai que nous, demain, dans les négociations que l'on va avoir notamment au niveau de l'assurance chômage - cela va être une négociation lourde qu'on va avoir, au mois d'octobre- cette question de l'accompagnement personnalisée des demandeurs d'emploi, c'est la question centrale et c'est par là qu'on évitera l'exclusion, et c'est vraiment l'axe qu'il faudra porter, renforcer ce dispositif parce qu'on voit bien que cela a des résultats probants.
Q- Alors, on l'a dit, une rentrée, un peu maussade. Peut-être que cela a changé depuis ce matin avec les chiffres du chômage, mais les gens rentrent sous fond de pétrole cher, de croissance qui se traîne, pas le moral pour acheter, donc la consommation est un peu en péril. On craignait que D. de Villepin soit attaqué sur le plan politique, vu les divisions, les déchirements un peu partout. On le laisse un peu tranquille de ce côté-là et on pensait que l'écueil viendrait, pour lui, du côté social, avec notamment une mobilisation de toutes les grandes centrales, prévue à la fin du mois de septembre. Est-ce que, justement, ces bons chiffres du chômage ne vont pas un peu casser votre dynamique ?
R- Vous savez, ce que voit toujours les Français, ce sont notamment les prélèvements, c'est le coût effectivement du pétrole, ce sont les questions portant sur le logements - l'augmentation du logement sur un an, c'est quand même faramineux ; après on s'étonnera de voir les situations qu'on a vécues cette semaine : ces questions-là, c'est lourd pour les salariés. (...) Ce qu'ils voient aussi c'est de la précarité ; derrière la mobilité il y a de la précarité, c'est ce qu'ils vivent.
Q- On va y revenir. Vous pensez au contrat "nouvelles embauches" ?
R- On a une vraie question de pouvoir d'achat et on voit bien que la croissance, ce n'est quand même que 0,1 % aujourd'hui et on n'attend pas des merveilles de ce coté-là, si on peut le dire comme ça. Et donc, on voit bien que le consommateur, lui, est lui sur ses gardes et il reste dans l'insécurité. Voyez quand on parle de l'épargne par exemple : on voit bien qu'aujourd'hui le comportement du Français, c'est un comportement de sécurité et il n'est pas assuré par rapport à son avenir, il n'a pas de perspective, sauf à regarder la précarité, sauf à regarder ces problèmes de pouvoir d'achat et donc il est négatif, un regard négatif sur les choses, et donc il reste très attentif à la recherche de réponse et à nous, organisations syndicales dont la CFTC, de trouver la bonne voie.
Q- Oui, mais quel va être le mot d'ordre de cette mobilisation ? Plus de pouvoir d'achat ? Moins de précarité ? Il faut bien toujours, entre guillemets, "un slogan". Quel est-il ? Quel est l'axe majeur de cette réunion ?
R- En fait, vous savez, il y a plusieurs thèmes. Il y a effectivement l'emploi, la question de l'emploi reste posée ; je l'ai dit tout à l'heure, cela reste fragile ; cela va peut-être dans le bon sens mais ça reste fragile. Il y a les précarités. Il y a la question des précarités : l'emploi se construit aujourd'hui par la précarité, c'est le constat que l'on fait. Et dans les précarités, on a aussi celle, il faut le dire comme ça, du pouvoir d'achat, un pouvoir d'achat atone.
Q- Peut-être que D. de Villepin demain va, ou devrait peut-être faire, des annonces en termes de fiscalité. Peut-être que cela aussi, ça va jouer, justement, en modifiant un peu la fiscalité ?
R- Cela peut jouer, mais à quel niveau et pour qui cela peut jouer ?
Q- Pour les classes moyennes. Parce que (...) les plus riches, ne sont plus là de toute façon, ils ne sont plus en France. Et on s'occupe beaucoup, et on a raison, de ceux qui sont dans des situations plus fragiles, mais c'est vrai que les classes moyennes, depuis longtemps, ont l'impression un peu de servir...d'être entre les deux mâchoires de l'étau.
R- Tout à fait. Ce sont elles qui sont progressivement... Elles ont tendance à être attirées vers le vide.
Q- Et vers le bas !
R- Et vers le bas, effectivement. Mais, on a quand même pour cette rentrée ces questions qui sont des questions lourdes et, en fait, on a l'impression - et ce n'est pas l'impression ; c'est pour cela qu'on a fait, quand on vu le plan d'urgence du Premier ministre... On a l'impression que l'on veut... D'ailleurs on parle de croissance, on parle de dynamiser la croissance, on ne voit pas très concrètement quels outils on a mis en place pour ce faire. Par contre, on a très bien vu qu'on s'est dit qu'après tout, la croissance doit reposer sur la précarité et que, si on donne un peu plus de précarité, cela devrait donner un peu de dynamisme, un peu de souffle. Ce n'est pas cohérent.
Q- Au terme de précarité j'ai envie de vous opposer une mobilité. C'est vrai que tous les syndicats sont vent debout contre le contrat "nouvelles embauches" alors que, aussi bien une étude de l'ANPE, confirmée par la CGPME et puis par pas mal de petits patrons qui ont déclaré vouloir aujourd'hui embaucher entre une et trois personnes supplémentaires grâce à ce contrat "nouvelles embauches", cela les rassérène un peu. Pourquoi vous êtes vent debout contre ce contrat ?
R- Précisément parce que l'on vient - et c'est cela qu'il faut comprendre - de toucher à un point essentiel du droit et qu'une brèche est ouverte sur le contrat, la relation contractuelle et en fait cette brèche c'est "Je n'ai plus à justifier ou à motiver la rupture du contrat de travail", et on va le faire sans autre forme, sans aucune motivation, sans rien du tout. Cela veut dire que quelque part, on va vous dire, vous êtes coupable ou vous êtes responsable, mais on n'a pas à vous en donner les motifs, de manière à ce que vous n'ayez pas à attaquer la décision qu'on a prise ou avoir un recours sur la décision qu'on a prise. On est dans cette situation-là, c'est très dangereux.
Q- Ce n'est pas nécessairement de la culpabilité, ce sont aussi les circonstances de l'entreprise qui veut faire...
R- Ce n'est pas pour autant que nous nous n'avons pas avec le ministre, avec J.-L. Borloo, G. Larcher, regardé les choses en disant, bon, il y a une vraie question qui est posée, celle de l'activité, celle de la réponse économique et puis la réponse conjoncturelle à apporter, rassurer peut-être l'entreprise pour essayer de faire de l'emploi. Mais il ne s'agit pas de venir tout balayer d'un seul coup. On peut regarder, j'allais dire, une rupture qui se justifie pour des raisons conjoncturelles. Encore qu'on voit l'effet que cela peut avoir si vous avez une activité en dents de scie : vous allez avoir des salariés qui vont rentrer sortir des entreprises sans jamais pouvoir construire un vrai projet, en étant dans l'insécurité totale pendant des années. Si c'est cela que l'on recherche, peut-être que cela va avoir un effet sur l'économie mais cela n'aura aucun effet social ou au contraire, cela aura un effet destructeur au niveau des personnes, au niveau du social, au niveau des relations pour le travail.
Q- D'un mot, est-ce qu'il n'est pas temps de revoir entre syndicats et patronat notamment un nouveau contrat social et de le proposer au gouvernement qui sera en place à ce moment-là quand vous l'aurez créé ?
R- Nous, nous proposons le statut du travailleur et nous pensons que c'est un vrai projet de société qu'il y a derrière, c'est une vraie réponse aux questions qui nous sont posées. Alors, vous savez, il faut faire attention aux mots. La réforme, oui, nous sommes des réformistes et nous voulons avancer. Mais nous voulons avancer - effectivement vous l'avez très bien dit - avec notre interlocuteur principal, qui est le Medef. Aujourd'hui, le patronat est absent des négociations.
Q- Que pensez-vous de L. Parisot ? Allez-vous la rencontrer ?
R- On jugera (..) sur pièces. Mais, en fait, on a entendu madame Parisot nous dire qu'il y aurait du dialogue social, qu'on allait reprendre la négociation ou qu'on allait reprendre la démarche que l'on suggère depuis des années et des années, c'est-à-dire le contrat social : eh bien, regardons ce que l'on peut faire justement par la négociation collective !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 31 août 2005)