Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 9 février 2004, sur les enjeux des élections régionales, à la fois sanctionner le gouvernement et donner des espoirs au vu des compétences des régions et des départements.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- La France vit-elle aujourd'hui une sorte "d'élection présidentielle permanente" ? A. Montebourg le croit ; il l'écrit dans "Tribune socialiste", cette semaine. Le fondateur du courant de gauche NPS au PS ironise sur ce qu'il juge être le "duel néo-bonapartiste Sarkozy-Chirac à droite" et "le concours de beauté publicitaire - je cite ses mots - Fabius-Strauss-Kahn" à gauche. Dans quel état est la politique aujourd'hui ? On a l'impression qu'il s'agit moins de la politique au sens des grands débats qui engagent l'avenir de la cité que de la seule question du pouvoir...
R- "Vous pouvez avoir cette impression en regardant le congrès de l'UMP hier, mais vous ne devez pas avoir ce jugement si vous écoutez ce que nous disons depuis maintenant plusieurs mois."
Q- Avez-vous lu Le Point de cette semaine ? "Qui veut la place de Hollande ?" Sous-titre : "Les prétendants au poste de premier secrétaire manoeuvrent en coulisses au cas où un échec aux élections régionales contraindrait F. Hollande à démissionner". On est dans la bataille du pouvoir, on n'est pas dans la politique !
R- "Mais cela a toujours existé ! Vous n'êtes pas né de la dernière pluie médiatique, vous avez toujours connu les rivalités..."
Q- Non, mais il pleut beaucoup ces temps-ci !
R- "Oui, mais c'est à vous de savoir donner la bonne météo, et pas simplement regarder ce qui ne va pas quand vous mettez le nez à la fenêtre. Vous avez aussi à voir ce que la politique peut apporter dans le débat d'idées. Très franchement, de savoir ce que Sarkozy va faire au mois de novembre, si Juppé va vraiment démissionner, si Chirac veut vraiment empêcher Sarkozy, ce n'est pas l'image de la politique que vous et moi, je l'espère, nous voulons avoir.
Qu'il y ait une élection présidentielle dans trois ans ne surprendra personne, puisque nous avons maintenant le quinquennat, mais nous ne sommes pas obligés de nous y précipiter. Faisons attention, y compris dans nos commentaires et dans nos interventions, de ne pas donner une image de la politique [qui serait] simplement une compétition entre personnes.
Q- Il y a suffisamment de problèmes qui étreignent aujourd'hui les citoyens, pas simplement au plan social, mais déjà sur le plan social : la remontée du chômage, l'exclusion, le fait qu'il n'y ait jamais eu autant de monde, hélas, aux Restaurants du Coeur, l'avenir de la Sécurité sociale... Aujourd'hui, c'est l'assurance maladie qui est en cause, le problème de la justice et de la loi Perben... Donc, parlons quand même de ce qui fait le quotidien des concitoyens, plutôt que du quotidien des responsables politiques. Très franchement, ce qui s'est passé depuis maintenant dix jours sur l'avenir, l'emploi, le sort d'A. Juppé, a dû paraître - quel que soit le sentiment que l'on pouvait avoir - décalé par rapport à ce qu'est l'inquiétude de beaucoup de Français, par rapport à leur propre emploi, à leur propre avenir ou à leur propre sort."
R- Bien entendu, vous avez raison, la politique, c'est autre chose. Néanmoins, le poids de tout cela, est-ce que l'on peut l'imaginer s'agissant des prochaines régionales ? Est-ce que toutes ces prises de parole, est-ce que tous ces commentaires, ici et là, à droite comme à gauche, peuvent être de nature à modifier l'enjeu des prochaines régionales ?
Q- "Quel est l'enjeu des régionales qui viennent ? D'abord, c'est deux ans après un Gouvernement qui a été constitué par J. Chirac autour de J.-P. Raffarin qui, à mon sens, a détruit non seulement ce que les avancées sociales de L. Jospin avaient pu permettre de progrès, mais en plus, est revenu sur un certain nombre d'acquis sociaux - et on va le voir encore sur le contrat à durée déterminée qui va devenir la règle ou sur l'assurance-maladie qui va être fragilisée, on le sait, même si les décisions seront prises au lendemain des élections.
R- Les élections régionales, c'est un moment où l'on peut dire "non, ça suffit, on arrête et on veut que ce Gouvernement soit sanctionné". C'est nécessaire, mais cela ne suffit pas, parce que c'est la protestation, la contestation. Ce que l'on doit apporter - c'est le rôle du PS et de la gauche -, c'est un certain nombre d'espoirs possibles immédiatement, dès 2004, parce que les régions et les départements ont des compétences sur l'emploi, la formation professionnelle, les transports publics, l'environnement...
- Et donc, cela doit être utilisé au service de nos concitoyens. Je ne dis pas que lorsque nous serons majoritaires - j'espère que nous le serons dans beaucoup de régions - qu'on pourra se substituer à la politique gouvernementale, ce ne serait pas vrai. Je dis que si les citoyens en décident - et je souhaite qu'ils en décident massivement -, nous pouvons engager des politiques utiles. Ce que je veux, ce n'est pas simplement attendre 2007 pour savoir qui sera le candidat du PS ou de la gauche, même si c'est important. Ce que je veux, c'est que le PS et la gauche soient utiles dès à présent, dès 2004, à nos concitoyens."
Q- Mais comment faire en sorte aujourd'hui que cette situation politique - encore une fois, malheureusement, ce n'est ni vous, ni moi, ni personne, c'est comme ça ; il suffit d'ouvrir les journaux, la télé ou la radio pour le comprendre et pour l'entendre -, le poids de tout cela ne risque-t-il pas de peser sur les extrêmes, à droite comme à gauche, dans les prochaines régionales ?
R- "Ce serait quand même un comble ! J'entends cette opinion - ce n'est pas une idée, c'est une opinion - se diffuser, dire que cela va mal : cela va mal parce que le Gouvernement a mal agi, cela va mal parce qu'il y a du chômage, parce que des inégalités sont renforcées, parce que la justice est menacée, parce que l'audiovisuel public connaît une crise - on le voit ici à France Inter -, cela va mal parce qu'il y a un doute à l'égard de la capacité même de nos dirigeants à leur fixer un projet d'avenir, alors cela serait forcément bon pour les extrêmes, en l'occurrence, pour l'extrême droite.
- Ce serait quand même un comble que celui, en l'occurrence J.-M. Le Pen, qui a le programme le plus ultra-libéral, qui veut supprimer l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune, supprimer le Smic, le RMI ; bref, qui voudrait faire de la droite extrême - c'est son programme - que la misère sociale puisse être pour lui un terreau fructueux !
Q- De la même manière, si on doit être sur le terrain de l'exemplarité, de la morale - et je le souhaite, il y en a besoin, il ne s'agit pas d'être un père vertueux, mais quand même -, quand il y a des pressions sur la justice, quand il y a des condamnations qui sont prononcées, on ne doit pas se tourner vers celui qui incarne quand même la transgression de tous les droits, l'inéligibilité. Parce que J.-M. Le Pen a été reconnu inéligible pour agression physique à l'égard d'une élue socialiste. Pour toutes ces raisons, je pense que le devoir de la gauche, c'est de montrer qu'il y a une autre voix possible et d'éviter cette espèce d'enfermement où l'échec de la droite serait peut-être - c'est possible, il faut être très vigilant - un succès pour l'extrême droite. Donc, je dis "oui, il y a alerte", parce que je vois bien ce qui est en train de se produire : on veut nous dire qu'il pourrait finalement y avoir un nouveau 21 avril..."
R- C'est à cela que je pensais...
"... Et que, de toute façon, à ce moment-là, il y aurait le choix entre la droite et l'extrême droite. Mais ce serait un paysage terrible ! Cela veut dire que ceux qui échouent pourraient avoir une solution, une chance de s'en sortir, parce qu'il y aurait la menace de l'extrême droite. Si on veut sanctionner le Gouvernement, si on veut envoyer un message, si on veut être utile, si on veut que cela change, c'est à gauche qu'il faut voter, nulle part ailleurs."
Q-Vous pensez que, dans l'opinion, les comportements, les analyses et les réflexes ont changé depuis le premier tour de la dernière présidentielle ? Et d'ailleurs, à droite comme à gauche, les comportements politiques, les enjeux sont-ils de nature à modifier les comportements ?
R- "Nous avons tiré les leçons de ce qui s'est produit. La première leçon, c'est de ne pas sous-estimer la menace, celle de l'extrême droite ; je viens d'en parler.
La deuxième leçon, c'est d'arriver unis aux élections : dans la plupart des régions, toute la gauche sera rassemblée.
La troisième leçon, c'est de développer ce que j'appelle la "démocratie participative".
On ne peut pas changer une société, une région ou un département sans avoir un lien avec ceux qui représentent la société, parce que sinon, on voit bien que le politique n'y suffit plus.
Nous avons tiré les leçons en disant "attention, aujourd'hui, c'est la crise sociale qui menace", parce qu'il y a des catégories de la population qui ne voient plus leur avenir clairement.
Et de ce point de vue, quand il y a doutes sur le futur, il peut y avoir des risques de pertes de la conscience civique. Donc, voilà, nous avons tiré les leçons.
C'est pour cela que nous allons devant les électeurs en leur disant que la première obligation civique, morale, c'est d'abord d'aller voter et ensuite, c'est d'exprimer fortement des positions et d'être utiles.
Parce que je veux que la politique ne soit pas ce spectacle que vous avez rappelé, qui existe toujours : compétition entre les personnes, rassemblement déconnecté - c'était le sentiment que l'on avait hier du congrès de l'UMP par rapport à ce qu'est le vécu quotidien de nos concitoyens -,
mais que ce soit des propositions concrètes qui peuvent s'appliquer immédiatement.
Quand je parle, pour les élections régionales, de créations d'emplois pour les associations, quand j'évoque la gratuité pour les livres scolaires, quand je dis qu'il est possible, dès 2004, d'offrir un ordinateur et l'accès de tous aux nouvelles technologies, à tous les jeunes lycées, quand je parle de cartes de transport, quand j'évoque la gratuité pour les licences sportives pour les familles les plus modestes, je me dis que c'est ce que l'on peut faire dès 2004.
La politique, c'est d'abord cela."
Q- C'est important ce qui se passe dans notre maison : quatorzième jour de grève Radio France. La question a été posée au porte-parole du Gouvernement - "que pensez-vous de cette grève ?" - et il a dit que les journalistes devaient être entendus et a exprimé "son attachement" au service public de l'audiovisuel. Au-delà des questions de salaires, à vos yeux, existe-t-il aujourd'hui un risque d'une remise en cause du service public, en tout cas à la radio, de sa définition. Soyons précis : est-ce qu'un jour on pourrait voir RFI et RFO fusionner et de se demander si cette fusion n'ouvrirait pas la porte à d'autres fusions - France Musique et France Culture - et que sais-je encore... Est-ce que tout cela, à vos yeux, risque un jour d'être menacé ?
R- "D'abord, je vais vous parler personnellement : je suis malheureux de ce qui se produit en ce moment dans la radio publique. Parce que ne pas avoir l'information, telle que je la souhaite à toutes les heures de la journée, oui, je pense que, comme pour beaucoup, c'est une privation.
Privation et peut-être bientôt "privatisation", sans jeu de mots, parce que ce qui est en cause, c'est l'hypocrisie du Gouvernement, qui dit qu'il ne s'en mêle pas, qu'il est attaché au service public mais qui ne donne aucun moyens nouveaux aux dirigeants de Radio France pour négocier.
Il n'y a pas de négociations donc il y a grève. Il y a grève, donc il y a perte d'auditeurs. Il y a crise de l'audiovisuel public et à ce moment-là, il peut y avoir, oui, c'est vrai, autorisation, finalement, d'une forme de privatisation.
La privatisation, elle se fait aujourd'hui à travers la concurrence. Quand je vois l'état dans lequel on veut mettre l'audiovisuel public, je me dis qu'il ne s'agit pas simplement de ressources budgétaires, il ne s'agit pas simplement d'une incompréhension dans la négociation ; il s'agit d'une volonté de faire en sorte qu'il n'y ait plus d'audiovisuel public à l'horizon des dix prochaines années."
Q- A votre connaissance, cette volonté s'exprime-t-elle ici ou là ? Est-ce que, par exemple, dans les couloirs de l'Assemblée nationale, certains vous disent : "Tiens, ce serait pas mal de..." ?
R- "Personne ne le dit franchement à droite mais beaucoup le pensent. Et donc, il suffit de créer cette situation de blocage, de faire en sorte qu'il puisse y avoir doute sur la pérennité même du service public pour que, finalement, le ver soit dans le fruit. Il est dans le fruit.
Et donc, si le Gouvernement - et je l'appelle solennellement à réagir - ne crée pas les conditions d'une réouverture de la négociation, c'est qu'en fait, il veut la faiblesse, voire peut-être la mort, du service public de radio."
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 11 février 2004)