Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, à "France 2" le 23 mars 2004, sur les résultats du premier tour des élections, constituant un désaveu pour le gouvernement et un encouragement pour la gauche.

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Texte intégral

Q- F. Laborde-. Peut-être un commentaire sur ce scrutin de dimanche, avec une progression assez inattendue des socialistes, qui doit vous faire chaud au coeur.
R- "Oui, tout à fait. Je crois que c'est un encouragement, en tout cas, pour la gauche. Je crois que la gauche doit également être à la hauteur du message qui lui a été adressé, parce que sa responsabilité est maintenant grande, à la fois pour gagner des régions et montrer que l'on peut faire autrement de la politique, et puis, aussi préparer l'avenir. C'est cela que les électeurs nous adressent comme message. Et donc, le message est reçu et nous devons être conscients de nos responsabilités. Mais pour le Gouvernement, c'est aussi une dure leçon."
Q- Est-ce que côté socialiste, ce score remet en scène, redonne confiance à certains leaders qui pouvaient être critiqués ? Je pense notamment à F. Hollande. On sait qu'à l'intérieur même du PS, quelques bons amis ne se privaient pas de dire qu'il était un peu trop ceci et pas assez comme ça. Aujourd'hui, il trouve une nouvelle légitimité dans ce premier résultat ?
R- "Je crois que c'est très encourageant, parce que c'est la ligne politique que F. Hollande et le congrès du PS ont définie qui a été validée, c'est-à-dire celle d'une gauche de rassemblement, une gauche de solidarité, et qui n'est pas culpabilisée en permanence par l'extrême gauche, qui là, d'ailleurs, n'a pas été suivie par les électeurs. Nous avons tiré la leçon du 21 avril et la tâche qui nous attend maintenant, c'est de préparer un projet pour l'avenir. Ce n'est pas d'une gauche plate dont nous avons besoin, c'est d'une gauche audacieuse, qui sache répondre aussi aux attentes de la société française pour répondre à la crise morale, à la crise sociale, à la crise civique que connaît notre pays pour lui donner un nouveau souffle et un nouvel élan, pour préparer une nouvelle espérance. Donc, ce n'est qu'une étape. Et c'est ce qui nous attend maintenant, au-delà de toutes les autres querelles de personnes, qui, je crois, sont derrière nous. En tout cas, personnellement, je crois que nous n'avons pas à nous concentrer sur ces questions mais sur le projet. Pour l'heure, nous ne sommes qu'à la mi-temps du match, et vous savez que c'est à la fin du match que l'on fait les comptes. Donc, il y a encore un deuxième tour, ne l'oublions pas !"
Q- A ce stade, on voit que les choses se tendent un peu. J.-P. Raffarin qui était hier en meeting à La Rochelle, s'est attaqué à ce qu'il appelle le "social-socialisme". Il a dit : "la France ne peut plus connaître l'immobilisme des cinq années socialistes" ; c'est une de ses déclarations, entre autres. Qu'est-ce que vous avez à répondre au Premier ministre ?
R- "Je trouve que le Premier ministre perd un peu les pédales, parce que dimanche soir, il s'est précipité sur les écrans pour dire "je vous ai compris !", et en rajoutant aussitôt que, de toute façon, il allait continuer sa politique, en allant même plus vite. Donc, je pense qu'il joue là les provocateurs et ne sait plus trop comment faire face à la situation. Il est désavoué personnellement, sa politique, celle de son Gouvernement, celle de J. Chirac sont désavouées très franchement. Mais n'oublions pas ce qu'il y a devant nous. Il faut que cette politique change, parce que le Gouvernement veut réformer la Sécurité sociale par ordonnance et on voit bien dans quel sens. Le ministre du Travail, monsieur Fillon, veut faire une réforme du code de travail, on voit bien dans quel sens : toujours plus de précarité. On sait aussi que la décentralisation n'est pas financée et que ce sont les contribuables qui vont payer la facture. Et on sait aussi que le Gouvernement a retardé les gels et les annulations de crédits. Il y a un plan de 4 milliards se prépare pour après les élections, qui ne sera pas autre chose qu'un plan d'austérité. Donc, tout cela, il ne faut pas l'oublier, il ne faut pas se laisser impressionner par les côtés provocateurs du Premier ministre, qui est allé le dire à Poitiers, où là, franchement, il a été aussi désavoué dans sa propre région."
Q- Le Gouvernement dit aussi que s'il est impopulaire, c'est parce qu'il prend des réformes qui sont difficiles, et que la gauche n'a pas prises, style réforme des retraites.
R- "Je pense qu'il faut respecter le message des Français. Les Français que nous avons rencontrés pendant toute cette campagne ne me disaient pas beaucoup de choses, mais on sentait une colère sourde, une colère profonde, rentrée. Ils ont utilisé le bulletin de vote, c'est-à-dire la seule arme démocratique qui compte. Ils sont venus plus nombreux que d'habitude pour dire qu'ils ne voulaient plus de cette politique, qu'ils ne voulaient plus non plus de cette méthode, parce que sur les retraites, il faut une réforme des retraites, mais J.-P. Raffarin n'est pas allé jusqu'au bout du processus de négociation. Beaucoup lui ont reproché et cela s'est retrouvé dans les urnes. Le fait d'être incapable de donner la priorité à l'éducation, à la recherche, dans un pays qui a besoin de préparer son avenir, c'est-à-dire les emplois de demain, qui doit faire face à la désindustrialisation, on a l'impression d'un Premier ministre et d'un Gouvernement qui nous parlent de réformes, mais c'est toujours un recul social que ça signifie. Donc, je ne sais pas de quelle réforme parle monsieur Raffarin, en tout cas ce n'est pas celle que nous, nous voulons faire, et je crois que ce ne sont pas les réformes dont le pays a vraiment besoin pour préparer son avenir."
Q- Vous évoquiez, il y a quelques instants, la constitution d'un projet pour l'avenir, à gauche. Quel pourrait en être les deux ou trois lignes de force de ce projet ?
R- "Je crois qu'il faut tout faire pour proposer au pays un vrai plan de préparation de l'avenir qui soit basé sur l'éducation et la formation permanente, mais aussi sur une politique de recherche et d'industrie. Parce que ce dont nous avons besoin, c'est aussi de créer des emplois pour tous et les régions, et les départements, peuvent contribuer aussi par des politiques cohérentes avec celles de l'Etat et celles de l'Europe à mener à bien ce projet. Et puis, il faut aussi une autre approche des questions sociales. Il faut, tout au long de la vie, donner aux salariés en particulier, de la stabilité, un cadre qui les protège des aléas de la conjoncture et des aléas des mutations technologiques. C'est ce que l'on appelle "la sécurité sociale professionnelle". Et puis, il faut inscrire toute cette démarche dans une vision du développement durable, à la fois la protection de l'environnement et de la qualité de vie, mais aussi de la solidarité entre les générations et avec les plus faibles. Et puis, il faut aussi faire vivre la démocratie, parce qu'aujourd'hui, les Français ont dit "non" à l'Etat UMP. Quand je vois les fusions du deuxième tour, UMP/UDF, je pense que beaucoup d'électeurs UDF vont se sentir floués, parce qu'on a entendu tellement de critiques, qui, parfois, rejoignaient les nôtres, de la politique de monsieur Raffarin, de la politique de l'UMP, qui contrôle tout ! Je crois que l'on a aussi besoin..."
Q- C'est un petit appel du pied aux électeurs UDF que vous faites ? Pour leur dire qu'au deuxième tour, ils peuvent voter socialiste ?
R- "Non, c'est un appel du pied aux citoyens sincères qui craignent que tous les pouvoirs concentrés dans une même main, celle du président de la République, qui contrôle tout, avec son parti l'UMP, et que c'est dangereux pour l'avenir de la France, et qu'il faut confirmer, au deuxième tour, le message fort qui a été exprimé au premier. Et donc, on a encore devant nous quelques jours. je pense qu'il faut à la France un tournant, un nouvel élan, il faut à la France une nouvelle espérance. Nous sommes maintenant entrés dans une nouvelle saison, qui est le printemps, cette saison qui est celle de toutes les promesses. J'espère que cette semaine, et dimanche prochain, ce sera aussi le début d'une autre promesse : celle d'un espoir pour l'avenir de notre pays."
Q- La rentrée parlementaire c'est le 6 avril ; est-ce que vous pensez que d'ici là, le Gouvernement aura changé ?
R- "Ce n'est pas tellement le fait que le Gouvernement change ou que le Premier ministre change. Monsieur Raffarin est, de toute façon, largement désavoué personnellement, c'est très clair. C'est surtout qu'il faut que sa politique change. Donc, le 6 avril, ce sera la première question que nous poserons au Gouvernement : allez-vous changer votre politique ? Plus nous serons nombreux à le dire dans les urnes dimanche prochain, plus nous pourrons continuer notre tâche d'opposition pour préparer, non pas seulement l'alternance, mais une alternative, et ce que j'appelais "le nouvel espoir". Cela, c'est de la responsabilité de la gauche."
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 23 mars 2004)