Déclaration de M. Georges Sarre, porte-parole du Mouvement Républicain et Citoyen, sur les conséquences de la mise en place du grand marché européen et de la libéralisation internationale des échanges, Paris le 25 avril 2004.

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Circonstance : Conseil national du MRC le 25 avril 2004

Texte intégral

Chers camarades !
Responsables et commentateurs politiques se sont félicités à qui mieux mieux du regain de participation aux élections régionales. Après le fiasco des présidentielles, beaucoup ont cru pouvoir saluer un retour de la démocratie. C'est rester à la surface des choses.
En profondeur, l'essentiel n'a guère changé. En 2002 comme en 2004, c'est le même malaise, profond, la même protestation, qu'expriment les Français. Seule, la manière de protester a changé, parce que la situation a changé : en 2002, l'abstention record, et la course aux extrêmes, condamnaient la politique à responsabilité partagée des deux sortants : Jacques Chirac et Lionel Jospin. En 2004, la gifle magistrale reçue par la droite, sur fond de participation en hausse, sanctionne sans appel la politique conduite depuis 2002.
Mais la bonne santé apparente retrouvée par la gauche est une illusion.
Car si la gauche bénéficie du vote sanction, elle n'a pas renoncé aux orientations politiques libérales condamnées en 2002. Et les Français ont redit en 2004 qu'ils ne voulaient pas de ces politiques. Ils ne veulent pas de l'acceptation passive de la mondialisation ultra-libérale. Ils ne veulent pas que leurs dirigeants assistent bras ballants aux délocalisations, aux suppressions massives d'emplois dans l'industrie, et, déjà, dans les services. Les Français n'accepteront pas plus du PS que de la droite au pouvoir la montée du chômage, de la précarité, de l'exclusion.
La crise sociale et politique reste forte, car les Français se rendent compte qu'ils ne sont pas consultés sur l'essentiel, que le choix de leur avenir leur échappe. Aux élections, les électeurs ont le choix entre des petits partis qui ont à peine les moyens de s'exprimer, et surtout entre deux grands partis, le RPR-UMP d'une part, le PS de l'autre, qui nous ont habitués aux promesses électorales non tenues. Le référendum sur Maastricht, le seul depuis des années qui ait porté sur un point décisif, a été biaisé par une propagande mensongère massive. C'est à Bruxelles, en catimini, que nos gouvernements, en conseil des ministres, donnent leur aval aux directives supranationales les plus nocives, sans même un débat à l'Assemblée nationale ni au Sénat. Qui donc nous a consultés et quand sur l'Europe à vingt-cinq ? Quand nous consultera-t-on sur l'entrée de la Turquie ? Quand nous a-t-on consultés sur la réforme des retraites, demain sur celle de la Sécurité sociale ? Quelle est cette prétendue démocratie où l'on ne se tourne vers le peuple que pour l'interroger sur l'accessoire, et jamais sur l'essentiel ?
Va-t-on avoir un référendum sur le traité constitutionnel ? Jacques Chirac s'y est engagé. Il doit respecter sa parole et surtout permettre le débat démocratique. Tony Blair vient de le décider, nous nous en réjouissons. Aujourd'hui, la situation est nouvelle. Le vote des Anglais va entraîner celui d'autres peuples. En France, il faut créer une dynamique pour le référendum : à nous d'en prendre l'initiative, et je vous propose de lancer, dès aujourd'hui, une pétition nationale pour un référendum sur le traité constitutionnel européen.
Les Français ont voté pour les régionales et les cantonales. Mais quelles suites va donner Jacques Chirac à la volée de bois vert qu'il a reçue aux régionales ? On a vu la valse des portefeuilles, mais le maintien des principaux ministres et du premier d'entre eux, c'est-à-dire le plus usé. Certes Jacques Chirac annonce quelques concessions, mais aussi la perspective d'une accélération des prétendues réformes, puisque c'est ainsi qu'ils nomment les régressions sociales ! Avez-vous entendu les responsables UMP, le soir-même des élections où ils avaient été étrillés, déclarer cyniquement à la télévision qu'ils avaient perçu la prétendue impatience de la population et qu'ils allaient donc accélérer leurs prétendues réformes ! N'ayons aucun doute : ils persistent, signent, et vont aggraver leur politique. Nicolas Sarkozy renforce déjà l'austérité : 7 milliards gelés !
Et tout cela est parfaitement logique, car la situation des finances publiques est aujourd'hui catastrophique. Or le gouvernement est incapable de redresser une situation économique qui amoindrit les recettes, démagogue au point de laisser filer tous les déficits : celui de l'Etat, celui de la Sécurité sociale, dont ils s'apprêtent à tirer argument pour, le moment venu, opérer une vague de privatisations.
La France est prise au piège. Au piège du libéralisme mondialisé et de l'Union Européenne. Nous subissons les orientations prises via l'OMC et Bruxelles, par les Etats-Unis et les multinationales : le commerce sauvage, la déréglementation, le démantèlement de l'Etat, etc.
Ces politiques ont pour corollaire l'abaissement des conditions de travail, des normes sociales et environnementales, l'appauvrissement et la vente des services publics. C'est le nivellement par le bas ! Jusqu'où irons-nous pour avoir des coûts concurrentiels vis à vis de la Grèce, de la Roumanie ou du Sri Lanka ? Jusqu'où aggraverons-nous le mouvement qui depuis trente ans élargit la part des profits au bénéfice du capital et au détriment de la rémunération du travail ?
Alors comment s'en sortir ? Il faut dire aux Français qu'une autre politique est possible, et qu'il ne faut pas désespérer de la démocratie ! Il faut vaincre, et y compris dans nos rangs, la frilosité et le défaitisme !
Il faut dénoncer, d'abord, les règles et les comportements scandaleux qui verrouillent la démocratie : lois électorales, lois sur le financement public.
Mais, surtout, nous ne serons entendus que si nous sommes manifestement porteurs d'un projet de rupture avec le cercle vicieux européïste et libéral dans lequel sombre la France, comme ses voisins d'ailleurs. Nous ne serons ni écoutés, ni entendus si nous utilisons des arguments à l'eau de rose.
Pour commencer, chers camarades, il faut dire toute la vérité sur l'Europe !
Qui ne voit que l'Europe actuelle s'est faite contre la gauche ? Le tournant libéral de 1983 s'est pratiqué au nom de l'Europe. Depuis, l'Europe a servi d'alibi à tous les abandons et d'horizon mythique au Parti socialiste et à ses affidés.
De Pierre Larrouturou à François Hollande en passant par l'aile gauche du PS, les européïstes dits " de gauche " tiennent le même discours depuis 1983 : il faut accepter le pire aujourd'hui, y compris le traité Giscard, pour préparer le meilleur demain. Aujourd'hui, on trahit tout, mais demain on rase gratis ! La combine commence à être frelatée !
En 1992, Jacques Delors : " Il faut voter oui, pour ne pas casser la dynamique, on se mettra ensuite au boulot pour l'Europe sociale ". Il s'agit toujours de la même promesse. Aujourd'hui François Hollande déclare " oui " au traité social pour lequel il faudra se battre dans les années à venir. L'acceptation de la constitution étant le préalable indispensable au combat pour un traité social.
Il est manifeste au contraire que l'Europe et le progrès social sont totalement incompatibles : car l'Europe actuelle est l'outil de la défausse politique et de l'usurpation démocratique, qui empêchent les peuples de choisir la voie du progrès.
Il faut donc que les Français sachent que, pour notre part, nous sommes parmi les rares à avoir la volonté de nous affranchir du cadre structurant, à l'échelle européenne et internationale, dans lequel les gouvernements successifs se sont fait prisonniers, pieds et poings liés, depuis plus de vingt ans.
Les retraites, les privatisations ? Le PS et les Verts ne peuvent pas avoir deux discours, un à Paris, un à Bruxelles ! Nous sommes, à gauche, les empêcheurs de tricher en rond !
Nous, MRC, si la droite privatise EDF-GDF, par exemple, nous aurons la volonté et l'ambition de préconiser sa renationalisation ! Comme nous devons avoir l'exigence de revendiquer la nécessaire entrée de l'Etat au capital de grands fleurons industriels en difficultés. Et si une telle politique se heurte aux préconisations européennes, nous devons avoir le courage de défendre la primauté de la souveraineté nationale sur toute contrainte européenne !
D'ores et déjà je préconise la création d'un comité de vigilance contre les privatisations, pour la défense et la modernisation des services publics. Un comité large ouvert à tous ceux qui refusent le renoncement, la capitulation.
Evidemment, une politique de sauvegarde de nos industries, de nos services, notamment publics, ne peut se faire à structure européenne constante.
Avec le traité de Rome, puis l'acte unique, le grand marché qui a vu le jour est une aubaine formidable pour le pouvoir financier mondialisé.
La conséquence du grand marché européen et de la libéralisation internationale des échanges fut rapide : avec le ralliement total au libre échangisme débridé, la Commission, alors présidée par Jacques Delors, dans le livre blanc de 1990 sur " la croissance, la compétitivité et l'emploi ", a théorisé puis mis en pratique une remise en cause sournoise et forte de l'Etat providence et une flexibilité sans nuance.
Pour les européïstes, le salaire est l'ennemi de l'emploi. Il faut accroître les taux de profits et refaire de la rentabilité du capital le critère directeur de tout choix macro-économique. L'austérité salariale est le seul et unique moyen d'augmenter les profits des entreprises et, quand ça va mal, on licencie.
En France, cette rupture historique a été sauvage, la part de la masse salariale ayant perdu 10 points de pourcentage dans le PIB, passant de près de 70 % il y a une vingtaine d'années à moins de 60 % aujourd'hui. Autre indice, alors qu'en France de 1980 à 1998, la productivité a fait un bond en avant de 26 %, le pouvoir d'achat salarié à structure constante n'a progressé que de 1 % dans les entreprises de secteur marchand.
Cette politique, c'est celle des européïstes, de tous les européïstes ! En 1997 à Luxembourg, c'est l'" Europe rose " qui signe un passage à une phase supérieure de détricotage du modèle social Européen.
Naturellement, je n'oublie pas le traité de Maastricht créant l'euro et le pacte de stabilité. L'euro devait nous permettre de réussir beaucoup de choses. Regardez où nous en sommes en avril 2004. Le dollar est le sésame de toute politique américaine. Il descend ou il monte selon les seuls intérêts de l'Empire.
Le contre-poids, la protection de l'Europe monétaire ! Baratin ! Chacun sait à quoi s'en tenir aujourd'hui. Que sont devenues les riantes perspectives des Barre, Giscard, Guigou, Strauss-Kahn...
? Envolées !
Chacun le voit, c'est la déconstruction sociale totale qui est à l'uvre. Notre rôle est clair : la dénoncer, et tracer la voie d'une authentique rupture. C'est en tous cas le sens de ma présence active au sein du MRC.
L'heure est venue de lancer une contre-offensive décisive contre l'ultra-libéralisme dont l'OMC et l'Union européenne sont les principaux fourriers. Il faut militer pour la renégociation de certaines clauses essentielles des traités.
Je conclurai, chers camarades, en parlant de notre MRC.
Certes, tout n'est pas facile, tout n'est pas rose. Mais il faut tenir et tenir bon.
Aux régionales et aux cantonales, dans beaucoup de départements et de régions, nous avons été malmenés, ignorés. C'est bien entendu en Franche-Comté que la crise et la bataille ont été les plus violentes et les plus injustes. Je veux dire à nouveau à Jean-Pierre Chevènement et à Christian Proust ma solidarité amicale.
Plus que jamais, nous devons compter sur nos propres forces. A nous d'agir, de militer, de proposer pour faire exister le MRC. C'est la condition unique pour peser et être respectés.
Maintenant, il y a les européennes. Que faire ? Etre présents, bien sûr. Les européennes sont l'occasion de proposer une alternative aux frères siamois que sont l'européïsme et le libéralisme.
Aujourd'hui les discussions avec le PCF et ses mouvances avancent. C'est, dans le contexte présent, la meilleure approche possible.
Et si, comme je l'espère, les Français sont appelés à se prononcer par référendum sur le projet de traité constitutionnel, nous devrons nous engager totalement dans cette bataille électorale.
Et puis il y aura trois ans. Trois ans de calme électoral. Je vous propose de voir ce calendrier comme une chance. Nous avons trois ans pour que notre mouvement réfléchisse, s'organise, se mobilise, se mette en ordre de bataille, pour livrer les grands combats de 2007, et le plus grand d'entre tous, l'élection présidentielle. Dès les prochaines semaines, il faut nous organiser. Mettre en place des groupes de travail thématiques. Organiser des sessions de formation des militants. Reprendre avec détermination un maillage territorial étroit. Réfléchir ensemble à la reformulation de notre discours et au choix de nos mots d'ordre.
Bref, nous n'avons pas devant nous le temps de l'extinction, mais celui de la mobilisation.
Nous mobiliser, plus que jamais, c'est un devoir. Nous le devons à nous mêmes. Au combat que nous menons depuis longtemps et qui garde tout son sens. Nous le devons à la vérité, parce que si non personne ne la dira. Nous le devons à la France, parce que sans nous personne ne la défendra.
(source http://mrc-france.org, le 28 avril 2004)