Texte intégral
Q - Avec nous sur ce plateau, Philippe Douste-Blazy, vous êtes ministre français des Affaires étrangères. Monsieur le Ministre, merci de répondre à nos questions, vous revenez du Soudan notamment, puisque d'une première tournée africaine qui vous a notamment mené au Soudan. Quand on voit les débordements dans les rues, est-ce que cela n'est pas déjà la preuve que la réconciliation n'est pour l'instant qu'un accord sur le papier ?
R - J'étais, il y a 48 heures, à Khartoum, et je peux vous assurer que la perte de John Garang est une perte cruelle, bien sûr pour ses proches, pour sa famille, mais pour ses amis politiques et pour le processus de paix, car vous l'avez très bien dit sur ce reportage, 22 ans de guerre civile qui sont arrêtés par les accords du Sud, et John Garang en était le symbole. Alors si on veut respecter sa mémoire, la meilleure solution c'est de continuer le processus de paix, et la France est à la disposition, bien sûr, des deux parties pour que ce processus de paix continue, c'est majeur. J'étais ensuite au Darfour, vous savez, il n'y aura pas de processus de paix s'il n'y a pas de processus politique général, que ce soit à l'Est, ou y compris au Darfour.
En fait le Soudan, qu'est-il ? Le Soudan, c'est le plus gros pays du continent africain, et c'est un pays qui est au confluent de la partie africaine et du monde arabe. Et donc la stabilité de la région se joue dans ce pays.
Q - On va revenir sur le Darfour. Un mot encore sur John Garang, on sait qu'il a écarté tous ses rivaux, et notamment ses successeurs. Est-ce que vous pensez que c'est encore possible cette réconciliation historique signée le 9 janvier dernier ?
R - Je suis persuadé que c'est possible, je crois au processus politique. La seule solution pour que le Soudan soit stable, la seule solution, c'est la solution politique, et il n'y en a pas d'autres.
La France a joué, depuis le début, son rôle. Le Tchad, voisin, a joué son rôle dès le début, comme vous le savez. Il est important qu'il y ait un processus politique de paix et de réconciliation, ce mot est peut-être plus important que jamais au Soudan, ce soir. Je le dis, j'en appelle à la sagesse de tous, y compris de ceux qui pleurent aujourd'hui le leader, John Garang.
Q - Vous l'avez évoqué, le Darfour, est-ce que vous pensez que le gouvernement de Khartoum fait tout ce qu'il faut pour neutraliser les milices responsables de ces déplacements en masse de population ?
R - C'est une crise humanitaire grave, je rappelle qu'il y a 2.200.000 personnes déplacées et 200.000 réfugiés, plus de 200.000 réfugiés au Tchad, mais 2.200.000 personnes déplacées, à l'intérieur du Soudan, à l'intérieur du Darfour, et en particulier dans ce camp que j'ai visité, le plus important, où il y a 120.000 personnes.
Alors, c'est très simple ; lorsque vous posez la question aux gens qui sont déplacés et qui sont dans ces camps, vous leur demandez "pourquoi vous ne revenez pas maintenant dans vos villages ?", ils ont peur de revenir, car ils ont peur d'exactions. J'ai dit au vice-président de la République, j'ai dit à mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, aux autorités soudanaises qu'il était capital qu'il n'y ait pas de violations des Droits de l'Homme et que la sécurité de ces personnes déplacées puisse être assurée pour qu'elles reviennent dans leur village d'origine. La France
Q - En toute sécurité.
R - En toute sécurité. La France a fourni 1 million et demi d'euros pour les populations déplacées et 2 millions d'euros pour que les habitants de ces villages puissent recevoir ces personnes déplacées, pour qu'elles sortent enfin de ces camps. Quand vous avez vu ces enfants, ces femmes qui vivent dans ces conditions aussi terribles pour des raisons de guerre civile, il faut à tout prix que cela s'arrête.
Q - Philippe Douste-Blazy, après le Soudan, vous étiez à Niamey au Niger pour signer ce week-end une convention d'un million et demi d'euros en faveur du fonds alimentaire, il s'agit de lutter contre la famine qui ravage le nord du pays. Plusieurs fois, l'ONU a interpellé les pays riches sur cette question. Au total, la France alloue 4 millions et demi à ce fonds. Vous êtes allé sur le terrain, vous avez rencontré les responsables locaux, dont le président Mamadou Tandja. Monsieur le Ministre, les ONG tirent la sonnette d'alarme, il y a un risque de propagation de cette crise alimentaire, est-ce que la communauté internationale ne réagit pas trop tard ?
R - Bien sûr, c'est une crise humanitaire qui, elle, n'est pas due à une guerre civile, elle est due à une catastrophe naturelle qui est la sécheresse et le fait qu'il n'y ait pas eu donc de récoltes, on le sait depuis maintenant septembre dernier. Le gouvernement nigérien l'a dit, l'ONU l'a dit, mais personne n'a bougé. Donc la France, évidemment, bouge plus que les autres, nous sommes le premier contributeur bilatéral, de très loin, au Niger, tout compris, sur le plan international, Américains compris, nous sommes les premiers de très loin.
En réalité, nous avons deux choses à faire : pour des raisons éthiques morales évidentes, il faut tout de suite s'occuper des enfants "malnutris" ; pour les 30.000 enfants souffrant d'une malnutrition sévère, qui vont mourir dans les heures qui viennent si on ne fait rien, nous avons pris la France - le président de la République a donné son feu vert - règle le problème soulevé par l'UNICEF pour les 30.000 enfants, puisque 35 tonnes sont arrivées avant-hier à Niamey. Les thérapeutiques, liquides de réhydratation, aliments caloriques.
Et puis, il y a 160.000 enfants qui souffrent de malnutrition modérée ; pour ceux-là, il faut à tout prix qu'il y ait immédiatement un pont aérien, qui est décidé également avec la France et la communauté européenne, pour qu'ils ne se retrouvent pas dans la première catégorie. Cela, c'est humanitaire, il faut le faire, mais l'échec de l'humanitaire, c'est l'échec de la politique. En fait que faut-il faire en Afrique ? Il faut immédiatement s'occuper de l'irrigation, il faut s'occuper de l'éducation. Si vous laissez les petites filles aller chercher l'eau le matin, elles ne vont pas à l'école. Si les femmes ne sont pas éduquées, alors vous avez un problème démographique majeur. Donc aujourd'hui, oui, la communauté internationale semble oublier parfois les pays du Sud, et c'est non seulement égoïste, mais bête, parce qu'on ne peut pas s'étonner qu'il y ait des problèmes de terrorisme, qu'il y ait des problèmes de haine, d'intolérance si vous humiliez et si vous laissez des pays totalement frustrés.
Q - Vous le dites d'ailleurs dans le journal Le Monde, je crois, aujourd'hui ; pour vous, la sécurité des pays riches passe par le développement des pays pauvres.
R - Evidemment, on n'aurait pas à s'occuper de notre sécurité, notre petite sécurité, là, aujourd'hui, si on était capables d'être plus généreux avec les pays les plus pauvres. Mais être généreux, ce n'est pas apporter gratuitement de l'alimentation - cela, il faut le faire en période aiguë, mais c'est facile, j'ai envie de dire, heureusement qu'on le fait, et encore on ne le fait pas toujours, on le fait avec retard, vous venez de le dire et vous avez raison - mais il faut surtout irriguer.
Et puis, concernant les négociations en cours à l'OMC, je vais me rendre à Hong Kong bientôt pour discuter avec tous les pays : est-il normal que les Etats-Unis d'Amérique n'acceptent pas qu'il y ait une importation chez eux de produits agricoles ? L'Union européenne reçoit 10 % de produits agricoles importés des pays pauvres de plus que les Etats-Unis d'Amérique. S'ils n'ont pas une agriculture, qu'ont-ils ?
Le monde aujourd'hui a une caractéristique, c'est qu'il partage les crises, crises du terrorisme, crises de l'éducation du Sud, crises... les pandémies, les grippes aviaires au Vietnam, en Chine, mais demain cela peut se passer en France. Donc tout cela, on le partage. Penser qu'on est en toute tranquillité chez nous, dans "notre Nord", bien riches, c'est une énorme erreur stratégique.
Q - On passe, maintenant, au dossier du nucléaire. Mohamed El Baradei, le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique a officiellement demandé à l'Iran de renoncer à reprendre des activités nucléaires. Un peu plus tôt, Téhéran avait signifié à l'AIEA qu'elle allait reprendre ses activités de conversion d'uranium.
Monsieur le Ministre, pourquoi l'Iran se braque sur ce dossier du nucléaire ?
R - Je suis, nous sommes très préoccupés par la reprise, éventuelle - l'annonce officielle - on vient de le voir, de la reprise des activités de conversion en Iran. Nous avions, jusque-là, une règle du jeu : ce sont les Accords de Paris. D'un côté, les Iraniens acceptent la suspension des activités sensibles - conversion, enrichissement - et, de l'autre, nous faisons des propositions début août sur le plan commercial, sur le plan politique, concernant la stabilité, surtout la sécurité du pays et puis sur le nucléaire civil.
J'ai écrit une lettre, avec mes homologues anglais et allemand, qui a été adressée il y a quelques jours, et nous ferons nos propositions d'ici le 7 août. Nous venons de recevoir cet ultimatum. Il me semble que si l'Iran ne revient pas sur son choix, alors nous devons demander une réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique.
Q - Vous avez dit que vous alliez rencontrer le 7 août, mais quels sont les moyens que vous avez, dont vous disposez à l'Union européenne pour renouer le dialogue avec l'Iran ?
R - Justement, si Téhéran ne souhaite pas renouer le dialogue, je dis qu'il faut cette réunion de gouverneurs. Nous sommes aujourd'hui soutenus par l'ensemble de la communauté internationale, à la fois nos partenaires européens mais aussi par la Russie et les Etats-Unis. Si, malgré cela, l'Iran continuait, il faudrait alors saisir le Conseil de sécurité. Auparavant, je souhaite que le Conseil des gouverneurs puisse demander à la communauté internationale tout entière de continuer les négociations. Il faut que le processus de négociation continue. Il faut que les accords qui ont été passés, librement consentis entre les Iraniens et les Européens que nous sommes, puissent perdurer. Si jamais ce n'était pas le cas, ce sera alors la saisine du Conseil de sécurité. Je crois que le mieux, c'est que les Iraniens puissent revenir à la table des négociations. C'est mieux pour nous, c'est mieux pour eux, c'est même, aussi, je dirais, une chance pour tout le monde. Il faut que les Iraniens saisissent, aussi, cette chance de parler aux Européens.
Q - Vous parlez du Conseil de sécurité, s'il y a entêtement, on peut aller jusqu'où ?
R - Alors, là, ce sont des sanctions. Il faudra demander d'aller devant le Conseil de sécurité et, à partir de là, nous verrons. Vous savez, il en va de la stabilité de la région. Vous connaissez l'influence des Iraniens sur l'Irak, sur le Liban, sur y compris les Territoires palestiniens. Il s'agit, aussi, du respect du traité de non-prolifération. Si les Iraniens, qui ont signé à l'époque le traité de non-prolifération, se sentent libres de cette signature, quid de la Corée du Nord ? Quid d'autres pays qui veulent la bombe atomique ? Donc, il est vraiment très important... Je souhaite être très ferme sur votre plateau sur ce sujet. Je pense qu'il ne faut pas accepter cet ultimatum de la part des Iraniens qui ressemble à un prétexte pour prendre une décision unilatérale. Nous ne souhaitons pas cette décision unilatérale.
Q - Venons-en maintenant au décès du roi Fahd, le souverain d'Arabie saoudite s'est éteint d'une longue maladie. Il sera inhumé, ce mardi, à Riyad. La nouvelle annoncée, ce lundi matin, a plongé tout le pays dans le deuil. Le monarque avait 84 ans. Son demi-frère, le prince Abdallah, lui succède sur le trône.
On a appris que Jacques Chirac se rendrait aux obsèques du roi Fahd, ce mardi. Monsieur le Ministre, avec l'arrivée sur le trône du prince Abdallah, vous avez des garanties que la poursuite de la politique engagée, notamment contre le terrorisme, est-ce que vous avez des garanties que cette politique va se poursuivre ?
R - En tout cas, j'en suis persuadé. J'accompagnerai, demain, le président de la République à l'enterrement du roi Fahd. Vous savez, le roi Fahd était très respecté. Il a beaucoup uvré à la fois pour l'intégrité de son pays et pour la souveraineté de son peuple. Il a joué un rôle très important dans la stabilité de la région. Durant son règne, nous avons connu une très belle relation entre la France et l'Arabie saoudite. Le roi Fahd était un ami de la France. Je suis persuadé qu'avec le roi Abdallah, nous pourrons continuer cette magnifique amitié qui existe, que nous devons cultiver.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 août 2005)
R - J'étais, il y a 48 heures, à Khartoum, et je peux vous assurer que la perte de John Garang est une perte cruelle, bien sûr pour ses proches, pour sa famille, mais pour ses amis politiques et pour le processus de paix, car vous l'avez très bien dit sur ce reportage, 22 ans de guerre civile qui sont arrêtés par les accords du Sud, et John Garang en était le symbole. Alors si on veut respecter sa mémoire, la meilleure solution c'est de continuer le processus de paix, et la France est à la disposition, bien sûr, des deux parties pour que ce processus de paix continue, c'est majeur. J'étais ensuite au Darfour, vous savez, il n'y aura pas de processus de paix s'il n'y a pas de processus politique général, que ce soit à l'Est, ou y compris au Darfour.
En fait le Soudan, qu'est-il ? Le Soudan, c'est le plus gros pays du continent africain, et c'est un pays qui est au confluent de la partie africaine et du monde arabe. Et donc la stabilité de la région se joue dans ce pays.
Q - On va revenir sur le Darfour. Un mot encore sur John Garang, on sait qu'il a écarté tous ses rivaux, et notamment ses successeurs. Est-ce que vous pensez que c'est encore possible cette réconciliation historique signée le 9 janvier dernier ?
R - Je suis persuadé que c'est possible, je crois au processus politique. La seule solution pour que le Soudan soit stable, la seule solution, c'est la solution politique, et il n'y en a pas d'autres.
La France a joué, depuis le début, son rôle. Le Tchad, voisin, a joué son rôle dès le début, comme vous le savez. Il est important qu'il y ait un processus politique de paix et de réconciliation, ce mot est peut-être plus important que jamais au Soudan, ce soir. Je le dis, j'en appelle à la sagesse de tous, y compris de ceux qui pleurent aujourd'hui le leader, John Garang.
Q - Vous l'avez évoqué, le Darfour, est-ce que vous pensez que le gouvernement de Khartoum fait tout ce qu'il faut pour neutraliser les milices responsables de ces déplacements en masse de population ?
R - C'est une crise humanitaire grave, je rappelle qu'il y a 2.200.000 personnes déplacées et 200.000 réfugiés, plus de 200.000 réfugiés au Tchad, mais 2.200.000 personnes déplacées, à l'intérieur du Soudan, à l'intérieur du Darfour, et en particulier dans ce camp que j'ai visité, le plus important, où il y a 120.000 personnes.
Alors, c'est très simple ; lorsque vous posez la question aux gens qui sont déplacés et qui sont dans ces camps, vous leur demandez "pourquoi vous ne revenez pas maintenant dans vos villages ?", ils ont peur de revenir, car ils ont peur d'exactions. J'ai dit au vice-président de la République, j'ai dit à mon homologue, le ministre des Affaires étrangères, aux autorités soudanaises qu'il était capital qu'il n'y ait pas de violations des Droits de l'Homme et que la sécurité de ces personnes déplacées puisse être assurée pour qu'elles reviennent dans leur village d'origine. La France
Q - En toute sécurité.
R - En toute sécurité. La France a fourni 1 million et demi d'euros pour les populations déplacées et 2 millions d'euros pour que les habitants de ces villages puissent recevoir ces personnes déplacées, pour qu'elles sortent enfin de ces camps. Quand vous avez vu ces enfants, ces femmes qui vivent dans ces conditions aussi terribles pour des raisons de guerre civile, il faut à tout prix que cela s'arrête.
Q - Philippe Douste-Blazy, après le Soudan, vous étiez à Niamey au Niger pour signer ce week-end une convention d'un million et demi d'euros en faveur du fonds alimentaire, il s'agit de lutter contre la famine qui ravage le nord du pays. Plusieurs fois, l'ONU a interpellé les pays riches sur cette question. Au total, la France alloue 4 millions et demi à ce fonds. Vous êtes allé sur le terrain, vous avez rencontré les responsables locaux, dont le président Mamadou Tandja. Monsieur le Ministre, les ONG tirent la sonnette d'alarme, il y a un risque de propagation de cette crise alimentaire, est-ce que la communauté internationale ne réagit pas trop tard ?
R - Bien sûr, c'est une crise humanitaire qui, elle, n'est pas due à une guerre civile, elle est due à une catastrophe naturelle qui est la sécheresse et le fait qu'il n'y ait pas eu donc de récoltes, on le sait depuis maintenant septembre dernier. Le gouvernement nigérien l'a dit, l'ONU l'a dit, mais personne n'a bougé. Donc la France, évidemment, bouge plus que les autres, nous sommes le premier contributeur bilatéral, de très loin, au Niger, tout compris, sur le plan international, Américains compris, nous sommes les premiers de très loin.
En réalité, nous avons deux choses à faire : pour des raisons éthiques morales évidentes, il faut tout de suite s'occuper des enfants "malnutris" ; pour les 30.000 enfants souffrant d'une malnutrition sévère, qui vont mourir dans les heures qui viennent si on ne fait rien, nous avons pris la France - le président de la République a donné son feu vert - règle le problème soulevé par l'UNICEF pour les 30.000 enfants, puisque 35 tonnes sont arrivées avant-hier à Niamey. Les thérapeutiques, liquides de réhydratation, aliments caloriques.
Et puis, il y a 160.000 enfants qui souffrent de malnutrition modérée ; pour ceux-là, il faut à tout prix qu'il y ait immédiatement un pont aérien, qui est décidé également avec la France et la communauté européenne, pour qu'ils ne se retrouvent pas dans la première catégorie. Cela, c'est humanitaire, il faut le faire, mais l'échec de l'humanitaire, c'est l'échec de la politique. En fait que faut-il faire en Afrique ? Il faut immédiatement s'occuper de l'irrigation, il faut s'occuper de l'éducation. Si vous laissez les petites filles aller chercher l'eau le matin, elles ne vont pas à l'école. Si les femmes ne sont pas éduquées, alors vous avez un problème démographique majeur. Donc aujourd'hui, oui, la communauté internationale semble oublier parfois les pays du Sud, et c'est non seulement égoïste, mais bête, parce qu'on ne peut pas s'étonner qu'il y ait des problèmes de terrorisme, qu'il y ait des problèmes de haine, d'intolérance si vous humiliez et si vous laissez des pays totalement frustrés.
Q - Vous le dites d'ailleurs dans le journal Le Monde, je crois, aujourd'hui ; pour vous, la sécurité des pays riches passe par le développement des pays pauvres.
R - Evidemment, on n'aurait pas à s'occuper de notre sécurité, notre petite sécurité, là, aujourd'hui, si on était capables d'être plus généreux avec les pays les plus pauvres. Mais être généreux, ce n'est pas apporter gratuitement de l'alimentation - cela, il faut le faire en période aiguë, mais c'est facile, j'ai envie de dire, heureusement qu'on le fait, et encore on ne le fait pas toujours, on le fait avec retard, vous venez de le dire et vous avez raison - mais il faut surtout irriguer.
Et puis, concernant les négociations en cours à l'OMC, je vais me rendre à Hong Kong bientôt pour discuter avec tous les pays : est-il normal que les Etats-Unis d'Amérique n'acceptent pas qu'il y ait une importation chez eux de produits agricoles ? L'Union européenne reçoit 10 % de produits agricoles importés des pays pauvres de plus que les Etats-Unis d'Amérique. S'ils n'ont pas une agriculture, qu'ont-ils ?
Le monde aujourd'hui a une caractéristique, c'est qu'il partage les crises, crises du terrorisme, crises de l'éducation du Sud, crises... les pandémies, les grippes aviaires au Vietnam, en Chine, mais demain cela peut se passer en France. Donc tout cela, on le partage. Penser qu'on est en toute tranquillité chez nous, dans "notre Nord", bien riches, c'est une énorme erreur stratégique.
Q - On passe, maintenant, au dossier du nucléaire. Mohamed El Baradei, le chef de l'Agence internationale de l'énergie atomique a officiellement demandé à l'Iran de renoncer à reprendre des activités nucléaires. Un peu plus tôt, Téhéran avait signifié à l'AIEA qu'elle allait reprendre ses activités de conversion d'uranium.
Monsieur le Ministre, pourquoi l'Iran se braque sur ce dossier du nucléaire ?
R - Je suis, nous sommes très préoccupés par la reprise, éventuelle - l'annonce officielle - on vient de le voir, de la reprise des activités de conversion en Iran. Nous avions, jusque-là, une règle du jeu : ce sont les Accords de Paris. D'un côté, les Iraniens acceptent la suspension des activités sensibles - conversion, enrichissement - et, de l'autre, nous faisons des propositions début août sur le plan commercial, sur le plan politique, concernant la stabilité, surtout la sécurité du pays et puis sur le nucléaire civil.
J'ai écrit une lettre, avec mes homologues anglais et allemand, qui a été adressée il y a quelques jours, et nous ferons nos propositions d'ici le 7 août. Nous venons de recevoir cet ultimatum. Il me semble que si l'Iran ne revient pas sur son choix, alors nous devons demander une réunion extraordinaire du Conseil des gouverneurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique.
Q - Vous avez dit que vous alliez rencontrer le 7 août, mais quels sont les moyens que vous avez, dont vous disposez à l'Union européenne pour renouer le dialogue avec l'Iran ?
R - Justement, si Téhéran ne souhaite pas renouer le dialogue, je dis qu'il faut cette réunion de gouverneurs. Nous sommes aujourd'hui soutenus par l'ensemble de la communauté internationale, à la fois nos partenaires européens mais aussi par la Russie et les Etats-Unis. Si, malgré cela, l'Iran continuait, il faudrait alors saisir le Conseil de sécurité. Auparavant, je souhaite que le Conseil des gouverneurs puisse demander à la communauté internationale tout entière de continuer les négociations. Il faut que le processus de négociation continue. Il faut que les accords qui ont été passés, librement consentis entre les Iraniens et les Européens que nous sommes, puissent perdurer. Si jamais ce n'était pas le cas, ce sera alors la saisine du Conseil de sécurité. Je crois que le mieux, c'est que les Iraniens puissent revenir à la table des négociations. C'est mieux pour nous, c'est mieux pour eux, c'est même, aussi, je dirais, une chance pour tout le monde. Il faut que les Iraniens saisissent, aussi, cette chance de parler aux Européens.
Q - Vous parlez du Conseil de sécurité, s'il y a entêtement, on peut aller jusqu'où ?
R - Alors, là, ce sont des sanctions. Il faudra demander d'aller devant le Conseil de sécurité et, à partir de là, nous verrons. Vous savez, il en va de la stabilité de la région. Vous connaissez l'influence des Iraniens sur l'Irak, sur le Liban, sur y compris les Territoires palestiniens. Il s'agit, aussi, du respect du traité de non-prolifération. Si les Iraniens, qui ont signé à l'époque le traité de non-prolifération, se sentent libres de cette signature, quid de la Corée du Nord ? Quid d'autres pays qui veulent la bombe atomique ? Donc, il est vraiment très important... Je souhaite être très ferme sur votre plateau sur ce sujet. Je pense qu'il ne faut pas accepter cet ultimatum de la part des Iraniens qui ressemble à un prétexte pour prendre une décision unilatérale. Nous ne souhaitons pas cette décision unilatérale.
Q - Venons-en maintenant au décès du roi Fahd, le souverain d'Arabie saoudite s'est éteint d'une longue maladie. Il sera inhumé, ce mardi, à Riyad. La nouvelle annoncée, ce lundi matin, a plongé tout le pays dans le deuil. Le monarque avait 84 ans. Son demi-frère, le prince Abdallah, lui succède sur le trône.
On a appris que Jacques Chirac se rendrait aux obsèques du roi Fahd, ce mardi. Monsieur le Ministre, avec l'arrivée sur le trône du prince Abdallah, vous avez des garanties que la poursuite de la politique engagée, notamment contre le terrorisme, est-ce que vous avez des garanties que cette politique va se poursuivre ?
R - En tout cas, j'en suis persuadé. J'accompagnerai, demain, le président de la République à l'enterrement du roi Fahd. Vous savez, le roi Fahd était très respecté. Il a beaucoup uvré à la fois pour l'intégrité de son pays et pour la souveraineté de son peuple. Il a joué un rôle très important dans la stabilité de la région. Durant son règne, nous avons connu une très belle relation entre la France et l'Arabie saoudite. Le roi Fahd était un ami de la France. Je suis persuadé qu'avec le roi Abdallah, nous pourrons continuer cette magnifique amitié qui existe, que nous devons cultiver.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 août 2005)