Déclaration de M. Jean-François lamour, ministre des sports, sur l'organisation économique et la fiscalité du sport et les relations financières entre sport et médias, au Sénat le 4 mars 2004.

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Circonstance : Clôture du colloque "Sport, argent, médias" au sénat le 4 mars 2004

Texte intégral

Monsieur le Président de la Commission des Affaires Culturelles,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires,
Mesdames et Messieurs,
Je tiens, en premier lieu, à adresser mes remerciements au Président PONCELET pour tout l'intérêt que la Haute Assemblée porte au développement du sport et à vous Monsieur le Président VALADE pour avoir organisé ce colloque.
Les débats qui se sont déroulés aujourd'hui au cours des tables-rondes présidées par Messieurs les sénateurs Murat, Bourdin, Faure et Sergent, ont donné lieu à des échanges particulièrement riches, qui témoignent des liens qui se sont renforcés tout au long du XXème siècle entre le sport et l'économie. Ce phénomène s'est accompagné d'une médiatisation croissante.
Une médiatisation d'ailleurs inégalement répartie. Je regrette à cet égard que cette journée ait été trop exclusivement consacrée au football. Il faut d'ailleurs sans doute s'intéresser autant aux pratiquants qu'aux spectateurs.
Le sport est devenu aujourd'hui un fait social majeur, qui contribue au développement économique de la France et participe à son rayonnement international.
Cette affirmation du rôle économique du sport dans notre société, nécessite que l'on s'interroge - et c'est bien le sens des travaux de ce colloque -sur l'organisation économique, la fiscalité du sport en France et les relations financières entre sport et médias.
La prise en compte de l'évolution de l'environnement social et économique des pratiques sportives en France est à mes yeux un enjeu fondamental qui concerne l'ensemble du sport français.
C'est dans cet esprit que les dispositions de la loi du 1er août 2003 donnent aux fédérations sportives, dans un cadre précis, la possibilité d'ouvrir leurs instances dirigeantes à l'ensemble des partenaires économiques, y compris les établissements commerciaux, qui contribuent directement ou indirectement au développement d'une discipline.
Ces dispositions conditionnent l'avenir de fédérations aussi importantes, par exemple, que le ski ou l'équitation.
C'est aussi le sens des nouvelles mesures contenues dans la loi de 2003, qui apportent une réponse aux préoccupations des clubs professionnels concernant l'utilisation du numéro d'affiliation, le droit des marques ou la cession des droits d'exploitation audiovisuelle.
Ce dernier sujet illustre la complexité de mise en oeuvre de certaines évolutions. Il faut ici, en l'occurrence, à la fois préserver les conditions d'une véritable concurrence entre les diffuseurs et éviter - ce qui serait préjudiciable au sport professionnel - des situations de monopole de diffusion.
Le projet de décret fixant les conditions et limites de la commercialisation par les ligues professionnelles des droits d'exploitation audiovisuelle des manifestations est actuellement soumis à l'avis du conseil de la concurrence.
Sur un plan plus général, l'exposition médiatique des sports est très inégale et discriminante, en particulier sur les chaînes hertziennes.
Il faut, à ce propos, se garder de tout angélisme, car ces questions sont très liées à l'existence de marchés.
De ce point de vue, je suis persuadé que dans les prochaines années, les nouvelles technologies permettront - en diminuant les coûts de production et en ciblant davantage les offres adaptées à des publics différenciés - un plus grand succès médiatique au bénéfice de l'ensemble des disciplines sportives.
J'y suis très attentif et j'ai suivi, avec un intérêt particulier, l'expérimentation qui s'est déroulée lors des championnats du monde de lutte à Créteil.
D'autres évolutions sont indispensables - j'en suis convaincu - pour renforcer la compétitivité et l'attractivité de nos clubs professionnels. Nous y travaillons ensemble : Etat et mouvement sportif.
J'ai récemment installé, avec le soutien du Premier Ministre, un comité de réflexions et de suivi des réformes qu'il convient de mettre en oeuvre dans des délais rapides.
Six axes de travail ont été retenus, portant sur :
la reconnaissance pour l'ensemble des sportifs professionnels d'un droit à l'image,
l'exonération du prélèvement de 1% sur les contrats à durée déterminée pour les sociétés sportives,
le développement, dans le secteur du sport professionnel et dans le secteur du haut niveau, d'un dispositif adapté de préparation à la retraite, à la reconversion et à l'épargne salariale,
l'évolution de la taxe sur les spectacles,
les conditions de mise à disposition des sportifs auprès des équipes de France,
enfin, le réexamen de la situation de certaines disciplines sportives en matière d'accidents du travail.
L'élaboration de ces nouvelles mesures constitue pour moi une obligation de résultat. Je m'y suis personnellement engagé.
Mon objectif est de faire en sorte que le modèle d'organisation du sport - en particulier du sport professionnel - soit en France le plus performant possible.
Si les modifications législatives récentes n'étaient pas intervenues les risques d'éclatement des fédérations étaient réelles. Ce risque - pour des raisons dogmatiques - avait été occulté.
Schématiquement, deux visions du sport s'opposent aujourd'hui :
une première vision optimiste qui considère que le sport est porteur de valeurs positives inaltérables et qu'il existe une essence du sport que l'on appelle l'esprit sportif. Le sport est alors synonyme d'honnêteté, de courage, de fraternité et de loyauté ;
à l'inverse, une autre vision insiste sur les risques et les dérives liés à la pratique du sport. Les phénomènes de violence, de dopage et de mercantilisation excessive sont alors mis en avant. Ces dérives seraient, aux yeux de certains, " consubstantielles " au sport, ou à ses nouvelles logiques de développement.
A ces deux visions répondent deux attitudes :
l'une qui répugne à intégrer les acteurs économiques dans le sport ;
l'autre qui, en sens inverse, prône la séparation du sport amateur, fondé sur une culture associative, et du sport professionnel, assujetti, quant à lui, aux règles économiques du droit commun.
Ni l'une, ni l'autre ne parvient à me convaincre, car je me fais du sport une idée qui rassemble et non pas une idée qui divise.
Je défends, en ce qui me concerne, une conception exigeante du sport où l'humanisme tient une place essentielle.
Cette dimension trouve dans le sport une résonance particulière, à un moment où l'actualité met en évidence de graves défaillances qui entraînent le sport loin de son essence originelle.
J'ai naturellement à l'esprit certains faits récents et dramatiques de dopage. Mais aussi les dérives financières voire mafieuses de la gestion de certains clubs européens.
Le sport trouve sa force et son exemplarité dans les repères qu'il donne. L'enjeu fondamental est qu'il ne perde pas lui-même ses propres repères.
La société française est actuellement en prise à des interrogations portant sur les valeurs qui fondent la communauté nationale. Les travaux menés récemment par la commission Stasi l'ont mis en évidence à l'occasion du débat sur la laïcité.
J'ai réaffirmé à cette occasion avec force, que le sport doit jouer tout son rôle social et s'inscrire dans le pacte républicain.
Je me réjouis, de ce point de vue, de la création de la Fondation du Sport initiée par le Président de la République et présidée par Pierre DAUZIER. C'est un signe particulièrement encourageant.
Ce dont je souhaiterais vous convaincre aujourd'hui c'est que cette conception du sport n'est pas celle du passé. Elle doit, au contraire, nous servir de guide pour relever ensemble le défi de l'avenir du sport français.
Dès ma prise de fonction en 2002, j'ai eu à m'exprimer, notamment à l'occasion des États Généraux du Sport, sur ma vision de l'organisation du sport et sur la nécessité de maintenir au sein des fédérations sportives l'unité des pratiques entre le sport amateur et le sport professionnel, mais aussi entre le sport de haut niveau et la pratique sportive par le plus grand nombre.
Ce principe de maintien de l'unité et de l'esprit de solidarité du sport est à mes yeux primordial. Il est la condition indispensable permettant de préserver les valeurs du sport.
Tel est notamment le sens des dispositions de la loi d'août 2003 sur la mutualisation et les principes de répartition des droits d'exploitation audiovisuelle. C'est aussi l'esprit du FNDS, de ses ressources et des principes de redistribution.
Le sport ne saurait en effet être réduit, s'agissant du haut niveau à une industrie de spectacles et en ce qui concerne la pratique du plus grand nombre au secteur marchand des prestataires de services.
Le sport n'est pas une activité économique comme une autre. L'Etat ne se contente pas de la réglementer. Il existe un service public du développement du sport auquel je suis particulièrement attaché. 2004, année européenne de l'éducation par le sport, nous le rappelle opportunément.
Historiquement le sport a toujours été chargé de sens social. Il participe aux valeurs d'une société, il les reflète mais plus encore il participe à leur construction.
Le mode d'organisation du sport français - que j'évoquais tout à l'heure et auquel je crois profondément - fait confiance au corps social, notamment incarné par le fait associatif, et préserve ainsi la spécificité éducative du sport.
C'est cette conception exigeante du sport qui me conduit, je le redis avec vigueur, à récuser un modèle d'organisation qui prône la séparation du sport amateur et du sport professionnel.
Je constate à ce propos le paradoxe qu'il y a, pour les défenseurs de cette conception dualiste, à réclamer une banalisation de l'encadrement juridique et économique du sport, tout en demandant au niveau communautaire que l'on tienne compte ses particularismes.
C'est avant tout au nom de ces fonctions éducatives et sociales du sport qu'il importe, et la France s'y emploie avec détermination, d'inscrire le mot " sport " dans le futur traité de l'Union Européenne.
C'est aussi cette conception unitaire du sport, qui m'a conduit à me prononcer défavorablement à la possibilité pour les clubs professionnels de faire appel à l'épargne publique.
Un club professionnel doit avoir des résultats et donc bénéficier d'un cadre juridique adapté et compétitif. Mais il doit aussi incarner une culture, à laquelle participent ses dirigeants, ses joueurs, ses supporters. Cela n'est pas compatible avec la vie boursière et ses aléas marqués par la brièveté.
Je ne souhaiterais pas qu'une telle réforme compromette un équilibre auquel le mouvement sportif dans son ensemble est attaché.
Ma conception du sport est également fondée sur une approche pragmatique et dynamique.
Il n'existe pas, en effet, de modèle d'organisation idéal et figé car celui-ci est sans cesse à inventer. Il faut constamment le faire évoluer pour répondre aux enjeux nouveaux qui se dessinent.
J'y suis prêt, avec vous et l'ensemble des acteurs du sport, mais dans le respect des valeurs qui le caractérisent et des références qui font sa force.
Vous avez, tout au long de la journée, abordé le sport dans ses dimensions économique et médiatique. Vous avez confronté les questions sportives avec les enjeux d'une économie qui dépassent largement le cadre national.
La solution de facilité consisterait à laisser le droit commun et les règles économiques investir le sport. Le marché existe. La médiatisation du sport, si elle constitue un exceptionnel vecteur de développement, peut aussi engendrer, nous en sommes tous conscients, de fortes dérives.
L'attitude responsable et raisonnable consiste à rechercher une solution qui permette de préserver ce qui fait l'essence du sport et toute sa valeur.
L'actualité récente - j'y reviens - concernant le dopage dans le sport, doit nous inciter à réaffirmer avec force que sans éthique le sport perd tout sens.
Une équipe professionnelle doit être capable de rivaliser avec ses concurrentes. Mais pas au prix de la vie de ses acteurs.
Inverser le sens des valeurs, ce n'est pas seulement condamnable sur le plan disciplinaire, pénal ou tout simplement moral, c'est condamner le sport.
Tel est le sens des propos du Président de la République, lorsqu'il rappelait à l'occasion de la clôture des Etats Généraux que le dopage est plus qu'une dérive du sport : c'est l'anti-sport.
L'action menée par le Gouvernement, sous l'impulsion du Premier Ministre, dans le but d'isoler les tricheurs, mais aussi de remonter les chaînes de responsabilités, est marquée par une détermination sans précédent et une absence totale de concession.
Permettez-moi pour conclure de m'inspirer d'Albert CAMUS : " tout ce que je sais de plus sûr sur la morale et les obligations des hommes, c'est au sport que je le dois ".
Je souhaite que nous puissions transmettre cet héritage.
Je vous remercie de votre attention.

(Source http://www.jeunesse-sports.gouv.fr, le 8 mars 2004)