Tribune de la Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, dans "Financial Times" du 23 septembre 2005, sur les réformes à entreprendre au niveau européen, notamment économiques et sociales, intitulée "Il est temps de prendre les choses en main pour réformer l'Europe".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Financial Times - Presse étrangère

Texte intégral

Le besoin de réforme se situe au coeur du débat politique en Europe, et par conséquent au centre des préoccupations des électeurs, comme nous l'avons vu lors des élections de dimanche dernier en Allemagne. Pourtant, il faut nous garder de toute interprétation hâtive de ces résultats. De même que les Français ne votaient pas contre l'Europe lorsqu'ils ont rejeté la Constitution européenne, pourquoi certains considéreraient-ils les résultats des élections allemandes comme un vote contre la réforme, étant donné que les chefs des deux principaux partis sont d'accord pour dire que la réforme est nécessaire ?
Il ne s'agit donc pas de savoir si les réformes doivent être faites ou non. Le débat porte sur la capacité de nos gouvernements à mener une réforme efficace, en faisant preuve de volonté tout en restant à l'écoute de leurs concitoyens. C'est cette question qui sera abordée à l'occasion du sommet informel de l'Union européenne le mois prochain.
Ne prétextons pas de fausse querelle entre modernistes et partisans du statu quo. Nous connaissons la nature du défi : il s'agit de combiner compétitivité économique et solidarité sociale. Pour cela, chaque Etat membre de l'Union européenne doit mener une politique de réforme et une action semblable doit être également menée au niveau européen.
Les Etats membres sont les premiers acteurs de cette réforme. La France a lancé une série de réformes économiques et sociales d'envergure dans cinq domaines majeurs : les retraites, afin de maintenir une prise en charge totale de notre population vieillissante ; la santé, afin d'assurer le financement d'un système juste et efficace ; le marché du travail, afin d'encourager la création d'emplois et de remettre les chômeurs au travail ; la fiscalité, afin de relancer l'économie ; et enfin la recherche et l'innovation, afin de mieux adapter notre industrie à la mondialisation. Des ressources supplémentaires seront mises à disposition pour des projets de recherche que les entreprises jugeront porteurs.
Telles sont les priorités de notre Premier ministre Dominique de Villepin.
Parce qu'il n'existe pas de modèle unique en Europe, nous pouvons apprendre beaucoup les uns des autres, en respectant les identités nationales et en répondant aux attentes des citoyens. Ce n'est qu'ensemble que nous, Européens, trouverons les bonnes réponses, et cela pour deux raisons. Tout d'abord, seule l'Union européenne offre la masse critique qui permet de tirer profit de la mondialisation. L'Union européenne possède en effet des atouts uniques : la taille de son marché, sa population, son haut niveau de technologie. Ce qu'il nous faut, c'est en tirer parti afin qu'entre l'Etat nation et la concurrence mondiale, le niveau européen ne soit pas seulement pertinent mais effectivement nécessaire. Comment peut-on y parvenir ?
Nous devons renforcer nos efforts en matière de recherche et d'innovation. Ensemble, nous avons réussi à mettre en place une industrie aéronautique (Airbus) et un lanceur de satellite (Ariane). Nous sommes à la pointe de la technologie en matière d'énergie du futur (ITER, le projet de réacteur thermonucléaire expérimental international). Nous développons un réseau de communications par satellite (Galileo). Nous devons aller plus loin. Le budget européen prévisionnel pour 2007-2013 présenté par la présidence luxembourgeoise en juin et approuvé par le président Chirac consacre 33 % de dépenses supplémentaires à la recherche. Nous devons mettre en place une gouvernance économique plus efficace en intégrant nos réformes à une politique globale. Cela implique, par exemple, de renforcer l'Eurogroupe.
Ensuite, l'Union européenne allie force et cohésion et cela parce qu'elle est fondée sur des valeurs communes : le rejet de la discrimination, notamment contre les femmes ; la protection sociale ; la solidarité entre les générations et des services publics performants. Ces valeurs sont au cur de notre pacte démocratique et à l'origine du souhait des nouveaux Etats membres de rejoindre l'Union. Elles imposent des exigences élevées à tous les Européens et une plus grande solidarité entre les Etats membres.
Soyons clairs : le dynamisme économique et l'ambition sociale vont de pair. La croissance crée la richesse qui rend possibles nos aspirations sociales. La solidarité sociale, notamment en matière de formation, de santé et d'aide aux familles, renforce notre potentiel de croissance à long terme. Ces deux éléments sont nécessaires pour répondre aux défis des économies à croissance rapide que sont la Chine ou l'Inde. D'où l'importance des directives européennes sur le temps de travail et les services : un nivellement vers le bas en matière de normes sociales serait non seulement injuste mais aussi contre-productif.
Nous devons aussi assurer la solidarité entre les Etats membres, afin que chacun puisse atteindre de hauts niveaux de développement économique et de cohésion sociale. Sur ce point également, lors du Conseil européen de juin, la France, comme la majorité des ses partenaires, était prête à payer sa part pour financer l'élargissement de l'Union.
Tony Blair a déclaré devant le Parlement européen : "Je crois en l'Europe en tant que projet politique. Je crois en une Europe dotée d'une dimension sociale forte et humaine. Je n'accepterai jamais une Europe qui se contenterait de n'être qu'un marché économique". Nous ne sommes entièrement d'accord avec ce point de vue. Cela a toujours été l'ambition de la France. L'heure est venue de la concrétiser.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 septembre 2005)