Discours de M. Jean-Michel Baylet, président du PRG, sur la position du PRG dans la perspective de l'élection présidentielle de 2007, Arles 18 septembre 2005.

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Circonstance : Université d'été du Parti radical de gauche (PRG) à Arles du 16 au 18 septembre 2005

Texte intégral

Mes chers amis radicaux,
Merci et bravo ! Merci à tous d'être venus aussi nombreux, tellement nombreux, à notre grand rendez-vous de rentrée politique et d'avoir ainsi démontré votre parfaite mobilisation militante et l'intensité de votre attente. Merci à notre fédération des Bouches-du-Rhône et à son Président, Yves VIDAL, pour leur accueil dans la meilleure tradition de la convivialité provençale. Merci à tous ceux - Paul Dhaille, Claudette Brunet-Lechenault, Elisabeth Boyer et d'autres, qui ont uvré au sein de la direction nationale ou de l'administration du parti, pour le succès de cette université d'été spécialement bien préparée. Merci enfin à nos invités, à nos amis venus d'autres pays européens pour nous dire qu'eux non plus ne désespèrent pas de notre grand projet commun et nous avons d'ailleurs décidés hier soir de continuer les liens et de nous rapprocher encore davantage pour faire vivre la vie internationale du radicalisme et nos convictions communes portées au niveau européen. Oui, nous avons été heureux de recevoir Richard Miller du Mouvement Réformateur belge, Dale Chafic du Center Party suédois, Pilar Dellunde d'Esquerra Republica, Sophie Int'Veld de D66, partenaire habituel et ancien, Lone Loklint. Merci à Sylvia Anginotti du parti démocrate anglais, merci à Marco Cappato qui représentait nos amis radicaux italiens.
Bravo à tous pour la qualité de vos travaux, pour le sérieux de vos délibérations, pour l'optimisme de vos conclusions. Depuis deux jours, vous avez rappelé que le projet de réforme démocratique de nos institutions, de fondation d'une VIe République vraiment républicaine était d'abord un projet radical, et de longue date. Il y a déjà vingt ans que nous avions commis ensemble un ouvrage, hélas un peu tombé en désuétude. Dans cet ouvrage, déjà, nous en appelions à la VIe République bien avant que d'autres n'essaient de s'emparer de ce projet qui est initialement un projet radical et vous avez eu raison de le réaffirmer fortement en particulier dans cet atelier intéressant destiné au débat et aux propositions sur la VIe République. Vous avez prouvé aussi l'extrême actualité de l'idée laïque et réaffirmé son importance aussi bien pour les pouvoirs locaux que pour l'Union Européenne, alors que d'autres la jugent archaïque et voudraient la priver de sa substance en la dévoyant dans une pseudo modernisation qui serait le signal de toutes les capitulations républicaines. Hier enfin, vous avez livré une vision audacieuse des réformes économiques et sociales qui permettraient d'approfondir et de consolider un modèle de société fondé, comme le souhaitent les radicaux, sur la justice et la solidarité quand d'autres nous invitent à le mettre à bas pour lui substituer le jeu sauvage d'une concurrence sans principes et d'un individualisme sans foi ni loi. Bref, vous avez proclamé que la vision radicale d'une société libre, harmonieuse, solidaire, fraternelle et chaleureuse était actuelle et pertinente, et que sa mise en uvre était urgente. Pour tout cela, amis radicaux, bravo et merci.
Ce faisant, vous avez ainsi mis votre esprit politique et votre cur radical à l'unisson de cette belle fin d'été provençal qui a enchanté nos trois journées de travaux. Vous y avez d'autant plus de mérite que vous voyez comme moi à quel point, au-delà de la douceur ambiante de ces journées radieuses, combien l'horizon politique est sombre. Il est sombre pour l'Europe. Il est sombre pour la France. Il est sombre pour la gauche.
Pour l'Europe, il nous faut considérer une réalité d'évidence : notre pays a manqué le rendez-vous qu'il avait avec l'Histoire.
A l'heure où le monde est marqué par la violence et par la guerre, par cette autre violence sociale qu'est l'injustice planétaire, par la montée de l'intolérance et du fanatisme, par la crise des valeurs de l'universalisme, à cette heure-là oui nous avions, plus que jamais, besoin d'une Europe politique forte, rayonnante, généreuse, exemplaire.
Au lieu de quoi, nous avons mis en panne un processus d'intégration ininterrompu depuis cinquante années. Nous avons additionné les mécontentements les plus hétéroclites et ils étaient nombreux nous l'avons constaté mais cela nous le savions déjà, en un refus sans projet. Nous avons douché l'espérance des nouveaux membres qui nous rejoignaient et privé de référence tous ceux, et ils sont nombreux, en particulier à l'Est, qui s'appuyaient sur le modèle européen. Nous n'avons pas su montrer aux plus jeunes de nos concitoyens le chemin à emprunter par leur ardeur militante pour un monde de progrès social, d'harmonie, de liberté et de paix. Décidément non, la France n'était pas là où l'Histoire l'attendait.
Je veux rassurer Jean-François Hory et quelques autres. Il ne s'agit évidemment pas, pour le président des radicaux, de fustiger nos concitoyens, d'admonester le peuple. Il ne s'agit pas de cela. Naturellement, la décision populaire s'impose à tous, mais nous savons quand même que la procédure référendaire portait ce risque en elle car elle est toujours, quand ce n'est pas un choix volontaire, lourde des ambiguïtés du césarisme et aussi, et c'était d'une certaine manière, là encore, présent dans l'esprit du Président de la République, des systèmes plébiscitaires. Certes, mais nul ne le contestait, y compris dans le camp du oui, le projet n'était pas parfait et il était loin même de notre conception de l'Europe fédérale. Mais je voudrais tout de même en appeler quelques instants à votre mémoire récente et aussi à votre fidélité politique la plus constante : croyez-vous mes amis qu'un seul de ces arguments politiques, qu'une seule de ces arguties juridiques que nous avons beaucoup entendu pendant cette campagne aurait tenu si -rêvons un instant- François Mitterrand avait été encore des nôtres et que lui ait rappelé à la gauche, aux radicaux et aux socialistes, où étaient leurs devoirs et leur avenir ? Nous n'en serions pas là, j'en suis sûr et d'ailleurs souvenons-nous combien, grâce à sa détermination et à ses convictions européennes, il avait lui seul ou presque, pesé sur les résultats du précédent référendum.
Pour moi, il ne saurait être question de faire amende honorable d'autant plus qu'au-delà de cette salle où l'on a ce matin et chez les radicaux, où l'on a durant toute cette campagne pesé les mots et les propos, non, je ne ferais pas amende honorable devant la démagogie, devant l'irresponsabilité, devant les coalitions sans âme aussi vite dispersées qu'elles avaient été péniblement rassemblées et nous en avons la preuve quasiment au quotidien. Et je ne ferais pas amende honorable non plus d'avoir appliqué les décisions de mon parti et de ses militants. Comment demander de faire amende honorable quand on se bat pour ses convictions ? Je le répète, on s'incline, on respecte, on prend acte de la décision populaire mais néanmoins, la beauté de la politique, c'est aussi de se battre jusqu'au bout pour ses convictions. Pensez-vous que nos aînés étaient majoritaires dans le pays lorsqu'ils ont séparé l'église de l'Etat, envoyé la troupe déloger les congrégations ? Pensez-vous que Joseph Caillaux était majoritaire dans le pays quand il a imposé l'impôt sur le revenu ? Il ne le serait d'ailleurs toujours pas aujourd'hui ! Pensez-vous que lorsque - et j'ai le privilège d'être de ceux qui au Parlement, à l'Assemblée nationale, l'ont voté - François Mitterrand a aboli la peine de mort nous étions majoritaires dans le pays ? Non, nous ne l'étions pas et nous prenons acte qu'aujourd'hui, pour des raisons multiples, nous ne le sommes toujours pas. Mais ce n'est pas parce que nous sommes minoritaires que nous devons renoncer à nos convictions politiques et nous ne le ferons pas. Tout au contraire, je veux que les radicaux reprennent sans délai le chemin de l'espoir en étant les premiers à élaborer des propositions pour la relance du processus d'intégration européenne et je pense que sur ce thème nous n'aurons aucun mal à nous rassembler car je n'ai pas entendu un seul des nôtres au PRG contester la nécessité de la construction européenne, ce qui nous séparait c'était ce traité et ses modalités. Sachons tourner cette page et ensemble élaborer ces propositions. Les campagnes qui s'annoncent devant nous nous en fournirons l'occasion. Pour moi- et je le sais pour vous aussi- refusons ensemble de tourner le dos à l'espoir et à notre avenir. Allons, mes amis radicaux, reprenons notre combat européen. Reprenons le tous ensemble, il n'y a pas d'autre chemin.
Car, et là aussi nous serons d'accord, vous le voyez bien presque au jour le jour, la France est déjà affaiblie par cet épisode. On l'a vu au lendemain du vote lorsqu'il s'est agi de réformer le budget de l'Union ; on l'a vu peu après lorsqu'il a fallu choisir le pays d'accueil des Jeux Olympiques, on l'a vu et on le voit aujourd'hui dans les débats qui se déroulent aux Nations Unies. Incontestablement aujourd'hui, quel que soit le sujet, la voix de la France porte moins haut, moins fort et moins loin.
Le vote du 29 mai n'a provoqué chez le Président de la République et dans sa majorité conservatrice qu'une réaction tactique, un réflexe de cuisine politique, celui d'un réaménagement gouvernemental davantage destiné à régler les comptes au sein de l'UMP qu'à consolider la place et assumer les devoirs de la France en Europe et dans le monde.
De Raffarin en de Villepin, la ligne reste bien la même. Sous le discours incantatoire d'un vague gaullisme social, le même conservatisme reste à l'uvre et les forces qui soutiennent la droite ne s'y trompent pas puisque les prévisions ou annonces les rassurent pleinement. Dans un pays miné par le sous-emploi et anxieux de la précarité de l'emploi, le contrat nouvelles embauches est un formidable recul. Refusons cette régression. Et que dire de la tentative du seul ministre démocrate-chrétien, monsieur Gilles de Robien, de rallumer la querelle scolaire en octroyant de nouvelles faveurs à l'enseignement confessionnel ? Condamnons cette provocation.
Et enfin, troisième exemple, que penser, lorsqu'on est radical et qu'on a inventé l'impôt progressif comme l'outil privilégié de la justice et de la solidarité, du projet de plafonnement fiscal qui permet d'aggraver l'injustice et de creuser les inégalités ?
Ne nous y trompons pas. Un premier ministre gaulliste à la place d'un pompidolien. Un discours lyrique après des raffarinades de comptoir. Un haut-parleur hâbleur après un petit conservateur tout en rondeur. Rien n'y fait, la droite d'en haut est tout aussi à droite que la droite d'en bas.
Pire même, elle a désormais deux fers au feu. Car à côté de l'homme des cent jours -quelle incroyable référence historique, tout de même ! il faut oser-, il y a l'homme " qui y pense tous les jours ". L'insatiable, l'incroyable, l'ineffable, l'inévitable, le vibrionnant, l'impatient, l'inquiétant. Le petit qui brûle de jouer dans la cour des grands. Il y a donc, les armes à la main, braquant tout ce qui bouge, ennemis et même avant tout, amis, menaçant tous ceux qui ne se prosternent pas devant son ambition féroce, il y a donc l'extravagant M. Sarkozy. Champion incontesté, car nul ne peut rivaliser, de l'auto satisfaction et de la gesticulation, de l'inefficacité et du complexe de supériorité, il avance karcher bien en main, et l'Elysée en tête, sur le terrain des fantasmes sécuritaires, à la tête de l'UMP devenue machine de guerre. Les notables conservateurs, le patronat le plus réactionnaire, les électeurs les plus rétrogrades l'ont adopté sans hésiter, voilà l'homme qui saura mâter la gauche. Lui, il y va, il va nous emmener à la victoire. Et les intolérants de tous bords l'ont bien entendu : de discours sur les discriminations positives en prétendues modernisations de la laïcité, voici bien notre mini-Bush capable de transformer la République en mosaïque de communautés.
Alors la programmation pour 2007 de M. Sarkozy, tiendra-t-elle jusqu'à l'échéance ? Fort heureusement, rien n'est moins sûr. Mais aujourd'hui, le spectacle est permanent : on ne sait pas jusqu'où il peut aller, on sait seulement que rien ne l'arrêtera... Sauf naturellement, si vous les radicaux, vous les citoyens de ce pays, vous en décidez autrement et nous allons ensemble nous y atteler.
Car il ne sert à rien de se réjouir, dans la perspective de l'élection présidentielle, d'un probable affaissement du Front National entré en convulsion même s'il est renforcé par la dérive xénophobe et par l'anti-islamisme obsessionnel de M. de Villiers. Il est inutile de s'en féliciter : désormais, grâce à M. Sarkozy, la droite renferme également l'extrême droite.
Et le plus étonnant de cette nouvelle configuration tient à ce que, dans la prise en tenailles du système chiraquien, M. Sarkozy a les mêmes intérêts tactiques que le patron et futur candidat du MRP.... ou plutôt de l'UDF. Gageons que, devant ce projet commun d'encercler le Président de la République et son flamboyant premier ministre, l'humanisme social, nouveau mot d'ordre de M. Bayrou et donc de la démocratie chrétienne, ne fera pas long feu. Et contre ceux qui rêvent d'un accord inédit entre la sociale démocratie et la démocratie chrétienne, un accord entre Martine Aubry et François Bayrou par exemple, parions que les parlementaires de l'UDF sauront bien représenter à leur chef où se trouvent leurs intérêts électoraux, naturellement dans l'alliance avec la droite la plus dure ! Et naturellement et comme à chaque fois, c'est de ce côté là qu'ils tomberont, c'est ce camp là qu'ils choisiront.
Telle est aujourd'hui la droite, traversée par des lignes de haines personnelles mais, au fond et à la fin, d'accord sur l'essentiel.
Et la gauche ? Me direz-vous. Il faut bien en parler. Où en est la gauche, trois ans et demi après le cataclysme de 2002 ?
Mes chers amis, nous sommes là pour nous parler franchement, le constat est terrible : à dix-huit mois de l'élection présidentielle, nous assistons à un éclatement sans précédent ; le spectacle est tout simplement consternant alors que les échéances électorales doivent nous dicter l'impératif de rassemblement.
Du côté de l'extrême-gauche et des tenants d'un prétendu pôle de radicalité, on espérait mettre à profit le résultat du référendum européen pour se poser en alternative crédible à la gauche de gouvernement. Une sorte de Front Populaire de la surenchère, de Laurent Fabius à Olivier Besancenot, par l'entremise de Marie-Georges Buffet, peut-être même de José Bové. Que le seul énoncé d'une telle perspective politique ne suffise pas à en démontrer l'inanité était déjà très étonnant mais qu'on puisse encore y penser aujourd'hui après les récents incidents de la Fête de l'Humanité nous laisse pantois.
La vérité est pourtant simple. L'extrême-gauche, et nous le savons depuis toujours, n'a pas de pire ennemi que la gauche responsable et donc d'une certaine manière que les radicaux ; elle a toujours fait et elle fera demain encore le jeu de la droite pour arriver à ses fins.
Les socialistes qui pensaient tirer profit du succès du non pour inverser, de l'extérieur, les équilibres internes de leur parti ont été vite désarmés par un simple projectile. C'est dire que le projet tenait à peu (pas à un uf masi presque !!). Il n'y a en tout cas, aucun lien entre ceux qui incarnaient il y a peu la conversion du socialisme au libéralisme et ceux qui, à l'extrême gauche, refusent depuis toujours et encore aujourd'hui, de voir le monde tel qu'il est et d'assumer la moindre responsabilité pour tenter de l'améliorer.
Aucun lien et aucune passerelle puisque le parti communiste se débat de manière pathétique entre deux pulsions contradictoires : renouer avec ces trotskistes qui ne rêvent, depuis l'attentat de Mexico, que de la mort des communistes ou retourner, avec une espérance d'exercice du pouvoir, à cette alliance socialiste qui les a fait passer en trente ans de 22 à 5 % de l'électorat. Difficile pour eux, assurément.
Alors laissons l'extrême gauche à son irresponsabilité et finalement ne l'aidons pas à sortir à notre détriment de son propre isolement.
Pour autant, la gauche responsable, notre gauche, hier plurielle mais unie, cette gauche qui disait avoir compris tous les enseignements de la présidentielle de 2002, cette gauche qui devrait porter contre Sarkozy toutes les espérances populaires, la gauche est aujourd'hui incapable d'assumer cette mission et d'offrir la moindre perspective de rassemblement.
Et je ne crains pas de le dire, aujourd'hui comme en 2002 la faute en incombe au parti socialiste.
En effet, prétendant relever seul l'héritage politique de François Mitterrand, le parti socialiste a décidé de conduire toute la gauche. Face au rapport de forces constamment imposé -les radicaux en savent quelque chose mais pas eux seulement- et au constat de réalités électorales incontournables il est vrai, les partenaires des socialistes qu'ils soient radicaux, écologistes, citoyens, communistes ont dû accepter ce leadership. Cependant, la fonction de direction de la gauche comporte, c'est bien la moindre des choses, une double obligation : celle de rassembler la gauche et celle de la faire gagner. Et je suis obligé de constater aujourd'hui -comme vous, je n'en doute pas-, que le parti socialiste est incapable de nous réunir et que s'il continue ainsi, il s'apprête à nous faire perdre.
Car la réalité politique actuelle est pire que celle de 2002, et de manière paradoxale quand l'opinion publique rejette et condamne tellement cette majorité, ce gouvernement et l'action qu'il mène. En 2002, les socialistes avaient certes négligé de prendre la moindre initiative de rassemblement. Au moins avaient-ils, avec le Premier ministre de l'époque, un candidat d'évidence, naturel, et qui de surcroît leur imposait la cohésion interne. Aujourd'hui plus rien de tel : il y a autant de partis socialistes que d'écuries présidentielles.
Au lieu de saisir le résultat du référendum comme la preuve de l'urgence qu'il y avait à dépasser ce désaveu de l'électorat pour reconstituer rapidement une force de combat, les socialistes ne cessent d'utiliser cette séquence pourtant dépassée pour approfondir et multiplier leurs divisions.
Et ils offrent à l'opinion médusée -spécialement aux électeurs de gauche, vous devez l'entendre comme moi dans vos départements et communes, particulièrement incrédules- le spectacle lamentable de règlements de comptes interminables, de chocs d'ambition déguisés en faux clivages idéologiques, d'arrangements de circonstance entre adversaires d'hier et ennemis de demain, de motions improbables et d'armistices intenables entre des leaders qui nous démontrent leur volonté à transformer toute la période politique qui s'ouvre -et pourtant nous sommes dans l'urgence- en un interminable Congrès de Rennes. Alors je le dis aussi fortement qu'il est possible, c'en est assez.
Assez de ces jeux de couloir, de ces jeux de miroirs, de ces enjeux de pouvoir. Assez de ces ambitions, assez de ces confrontations, assez de ces altercations. Assez finalement de cette procédure de suicide collectif à la manière des sectes devenues incapables d'apercevoir la réalité extérieure. Assez ! -et je le dis aussi, pourquoi pas, après tout, de cette tribune, en m'adressant directement à eux, aux principaux protagonistes de ce jeu irréel : François, Dominique, Laurent, Martine, Jack, Henri, Ségolène, Arnaud, Jean-Luc, vous tous assez !-. La gauche en a assez ! Le peuple de gauche en a assez !
Il est temps de se ressaisir. Il est grand temps.
Pour leur part, les radicaux, parce que l'optimisme et le volontarisme politiques sont consubstantiels de nos êtres, croient encore à la possibilité d'un rassemblement. Et nous l'espérons sincèrement et loyalement.
Si ce rassemblement est possible, il appartient au parti socialiste de faire très vite taire ses querelles. Alors, et alors seulement, nous pourrons tenter de mettre en place les bases et la procédure d'une candidature commune au premier tour de la présidentielle qui réanimerait l'espérance populaire que nous réclamons depuis tant d'années d'université d'été en université d'été, de congrès en congrès.
Quelles bases et quelle procédure ?
D'abord et de façon très urgente un comité de liaison permanente, constitué de façon partenariale et équilibrée entre toutes les forces politiques intéressées par cette perspective de rassemblement.
Ensuite, cette étape franchie, la mise en place de groupes thématiques chargés d'élaborer la plate-forme programmatique qui délimiterait, sur le fond, le périmètre de l'accord politique.
Ensuite encore, une procédure de déclaration de candidature à l'investiture commune suivie d'une tournée d'auditions décentralisées des différents candidats par tous les partenaires.
Et après, après seulement, une grande Convention nationale de toutes les forces de progrès composée de façon équitable et qui désignerait le ou la candidate chargée de porter et de faire gagner notre projet commun, le projet de la gauche.
Je demande donc formellement, depuis la tribune des radicaux aujourd'hui, aux écologistes, au mouvement citoyen, à tous les groupes associatifs ou informels concernés, à toutes les personnalités de gauche intéressées, mais avant tout bien sûr au parti socialiste, de se prononcer rapidement sur cette proposition.
Mais je déclare tout aussi formellement et immédiatement, et de façon catégorique, premièrement que je ne laisserai personne imposer ou dicter aux radicaux le choix du candidat qu'ils soutiendront et deuxièmement que je ne permettrai à personne d'entraîner les radicaux dans une nouvelle défaite programmée.
Et nous ne nous laisserons pas enfermer dans la décision ou dans l'indécision des autres. Si notre proposition -la dernière que nous faisons- n'est pas rapidement saisie, alors nous arrêterons nos propres dispositions. Entre radicaux. Car sincèrement, je considère qu'il est de notre devoir, quand je vois comment nous juge l'opinion publique, quand nous voyons comment les choses se présentent, difficilement pour nous, je crois qu'il est de notre devoir d'en appeler une fois de plus à la raison, la raison qui, là encore, est consubstantielle du radicalisme. Et si nous radicaux, ne le faisons pas, qui le fera à gauche ?
Mais je crains bien, mes chers amis, que notre volonté de rassemblement dans les circonstances actuelles, reste durablement sans écho.
Alors, je vous le confirme officiellement, j'exécuterai le mandat que vous m'avez donné au Congrès de Lyon : le parti radical de gauche aura un candidat à l'élection présidentielle.
Je sais que c'est votre volonté et vous me le confirmez. Soyez assurés que c'est aussi la mienne car je crois que le radicalisme, en présentant ses propres idées et son propre candidat, sera utile à la gauche et utile au pays.
D'ores et déjà, je dis, avec le souvenir des mauvais procès qui nous ont été faits en 2002, que je dénie à quiconque le droit de contester la légitimité des radicaux à concourir à l'élection présidentielle. Et ce d'autant plus que nous serons en 2007 dans une situation d'éclatement sans précédent de " l'offre " (j'y mets naturellement des guillemets) politique tant à droite qu'à gauche.
Pour ce qui concerne la gauche, à l'heure où la famille sociale démocrate, c'est-à-dire les tenants d'une idéologie en crise dans toute l'Europe, a déjà produit au moins quatre candidatures affichées -et selon des informations reçues pendant notre université d'été, si elles étaient confirmées, j'ai cru comprendre qu'une des grandes décisions de la convention socialiste hier, au-delà du constat de l'éclatement du parti à je ne sais combien de motions, a été de dire qu'ils attendaient la fin 2006 pour désigner leur candidat mais fin 2006 ce n'est plus 4 qu'ils seront mais 10 ou 15 ! Je crois que nul ne pourra nous dire que le radicalisme, seul capable aujourd'hui de dépasser les contradictions nouées dans notre société, ne serait pas digne de figurer dans la compétition électorale suprême ? Et qu'on ne fasse pas comme en 2002 avec Christiane Taubira, ou comme plus récemment dans le Nord, le procès aux radicaux de faire perdre la gauche. Quand la victoire est là, elle est celle du champion, c'est-à-dire de celui qui a mené le combat, quand la défaite est là, elle n'est pas celle du voisin ! On ne nous la fait pas ou en tout cas on ne nous la fait plus. Car le parti socialiste nous a montré, en de nombreuses occasions, qu'il était parfaitement capable de perdre tout seul et même d'entraîner ses partenaires dans la défaite comme en 2002. Je l'ai dit et je le répète, le leadership imposé par les socialistes et subi -vous le savez mieux que quiconque- par nous-mêmes et les autres alliés qui composent la gauche plurielle ou qui la composaient ne pouvait être acceptable qu'à deux conditions : la capacité à rassembler -on a vu qu'elle n'existe pas- et la capacité à gagner.
Soyons parfaitement clairs, nous ne devons pas laisser nos amis nous entraîner dans une défaite dont les prémisses sont aujourd'hui posées. Seules la vivacité et la fermeté de la réaction des radicaux contre ce processus délibéré peut encore l'enrayer. Je veux dire qu'en vous proposant, le moment venu, une candidature portée par les radicaux, je n'entends pas vous entraîner à faire de la figuration. Il s'agit bel et bien de gagner et, pour moi, j'y suis tout à fait déterminé et je vous demande collectivement de vous y préparer.
Bien entendu, il ne suffit pas de rester dans des propos incantatoires. Il nous faut donc avancer, et dès aujourd'hui. Vous avez vu récemment comment le seul incident de santé qu'a connu le Président de la République -et nous lui souhaitons un prompt rétablissement, nous sommes d'ailleurs sur là encore plus amicaux que certains de ses propres amis- a produit, notamment en raison de spéculations indécentes de la droite, une brutale accélération politique et de très rapides mouvements d'opinion, que l'on constate encore aujourd'hui dans les sondages. Cet incident vient nous rappeler que le temps public est toujours, d'une façon ou d'une autre, irréductible à la prévision. C'est pourquoi je vous demande immédiatement de vous mettre en mouvement, quelles que puissent être les tergiversations de nos alliés traditionnels.
Vous devez activer les réseaux militants dans la perspective de la campagne. Vous devez les renforcer et les étendre à tous les sympathisants que le désarroi visible de l'électorat de gauche ne manquera pas de vous apporter et vous m'en avez d'ailleurs largement parlé les uns et les autres au cours de cette université d'été.
Vous devez, à tous les échelons renforcer l'unité du parti et pour ma part à la veille de ce combat, je serai intraitable, au moment de nous mettre en ordre de bataille avec ceux qui croient de manière permanente pouvoir donner, à tous propos et depuis l'intérieur du PRG, des leçons de morale politique tout en ignorant et même souvent en combattant à chaque grande consultation les choix que vous avez démocratiquement arrêtés, intraitable avec ceux qui vont se parer de notre étiquette dans les manifestations socialistes, chevènementistes, ou communistes sans même prendre le temps de venir participer à nos réunions. Alors je le dis, cette fois-ci, c'est trop. Intraitable, que cela soit bien entendu et surtout bien rapporté.
Vous devez aussi travailler dès maintenant, dans l'esprit qui vous a animés pendant ces trois journées mais avec le souci d'une production directement opérationnelle, à l'élaboration du programme que nous porterons lors de la campagne présidentielle. Votre réflexion et celle de vos fédérations et de vos cercles devra être originale -aucun domaine chez les radicaux n'est frappé de tabou-, dense et ramassée -nous n'avons pas besoin d'un catalogue mais d'une série courte de propositions innovantes-, mais aussi responsable puisque, je le répète, nous ne serons pas en piste pour une candidature symbolique mais dans l'esprit d'avoir à rendre compte de notre programme dès 2007 dans l'exercice du pouvoir.
Sans être définitivement figé, cet effort programmatique culminera à la Convention nationale que nous devons tenir début février à Rennes. Nous aurons loisir de modifier à la marge avant et pendant la campagne, le programme que vous-mêmes, chers amis radicaux, aurez défini mais il fournira la base solide et crédible de notre engagement dans cette élection.
Et les Français, n'en doutez pas, verront alors que, sur des questions aussi essentielles que celles des institutions et de la VIe République, de l'engagement européen, du modèle français de solidarité sociale, des créations d'emplois par une économie humaniste, de la sauvegarde de notre cohésion par les services publics, de l'indispensable restauration d'une laïcité exigeante, -et je pourrai citer bien d'autres domaines où le radicalisme a généré des idées singulières-, les radicaux sont toujours porteurs d'une philosophie politique et de propositions concrètes permettant de dépasser l'opposition désormais stérile entre le libéralisme sans principes et le pseudo réformisme sans autres objectifs que le retour au pouvoir.
Vous le voyez, j'attends beaucoup de votre mobilisation totale autour de ce projet. En contrepartie je mettrai en place avec la direction, au niveau national, tous les moyens humains et matériels nécessaires à la réalisation d'une aussi grande ambition.
Enfin, et surtout, il me restera à vous soumettre le nom du candidat. Le candidat capable à la fois d'assumer comme siennes les valeurs radicales et de les faire approuver par nos concitoyens. Vous comprenez que je ne peux pas, sauf à compromettre l'ensemble du projet et à méconnaître nos statuts, en dire aujourd'hui davantage. Mais vous devez admettre d'ores et déjà que le candidat pourra certes venir de nos rangs -et au passage merci à toutes celles et tous ceux qui m'ont fait savoir qu'ils considéraient que j'étais le meilleur, encore faudrait-il que j'arrive à le démontrer mais je prend ça pour une démarche d'amitié et de cohérence finalement par rapport aux institutions de la Ve République- donc oui, le candidat pourra naturellement venir de nos rangs et dans ce cas il n'est pas obligatoire qu'il soit le président, mais il pourra aussi, disons le clairement, être un candidat suffisamment proche de nous sans être des nôtres aujourd'hui. J'ai dit au Comité directeur avant-hier que nous devions choisir le ou la meilleure. Nous sommes dans un combat électoral, nous devons choisir le meilleur qui veuille porter notre message et qui se reconnaisse dans le radicalisme. Vous accepterez aussi, du moins je l'espère, que cette candidature soit en accord avec nos propositions de réforme institutionnelle et qu'elle puisse donc être celle d'un " ticket " de deux personnes dans un système - je ne prends pas référence, c'est pour la bonne compréhension du sujet- à l'américaine, avec un président et un vice-président. Je vous rappelle que dans notre réforme institutionnelle et le passage en régime présidentiel en VIe République, nous proposons la suppression du poste de premier ministre et un ticket président/vice-président. Mettons -et donnons l'exemple- nos actions en accord avec nos propositions, et menons cette campagne sous la forme d'un ticket, qui, j'en suis convaincu, aura l'assentiment des citoyens de ce pays. Vous comprendrez encore que, s'il s'agit d'organiser l'irruption des radicaux là où nul ne les attend, que leur candidat puisse offrir un profil différent de celui qu'on connaît aux grandes figures du radicalisme. Vous voudrez bien enfin que cette campagne -et donc notre candidat- soit placée sous le sceau de la modernité et qu'elle rompe avec nombre de nos traditions.
Vous allez, j'en suis sûr, m'aider à surmonter les difficultés considérables et les pressions de tous ordres que notre parti va rencontrer ; elles seront à la mesure de nos espérances.
Elles s'exprimeront, haut et fort, lors du Congrès extraordinaire que nous avons décidé où naturellement notre candidat viendra puiser au creuset radical la légitimité, la force, la pertinence, l'énergie que vous saurez, j'en suis sûr, lui apporter. Et de ce moment, nous serons, sans faux-semblants, sans faux-fuyants, sans échappatoires possibles dans notre épreuve de vérité. C'est une belle aventure qui commence et c'est celle là que je vous propose, amis radicaux, aujourd'hui, ici, en Arles.
En ce qui me concerne, j'ai confiance.
Confiance en vous, comment pourrait-il en être autrement, si longtemps privés de ce grand souffle que donne le vent du large quand on a décidé de rompre avec le confort de ses amarres et tout cela est prémonitoire. Confiance en vous, si riches de tout le capital politique dont la République -qui vous aime- vous a fait dépositaires. Confiance en vous, tellement capables de jeter le regard le plus sûr sur la complexité sociale pour l'éclairer de votre humanisme. Confiance en vous, héritiers de la plus grande tradition de ce pays et soucieux de l'honorer en défrichant l'avenir. Confiance en vous pour qui l'engagement militant n'est pas affaire de calculs, de sièges ou d'avantages mais affaire d'intérêt général et de bien public.
Oui, mes amis, j'ai confiance en vous et si vous savez, en cette grande occasion, donner le meilleur de vous-mêmes, j'aurai, nous aurons, à nouveau confiance en la gauche. Je sais que la République, à qui nos pères ont tant donné, nous regardera étonnée mais ravie n'en doutez pas, indulgente et heureuse, murmurant peut-être encore incrédule : " Enfin, les radicaux sont de retour ".
C'est à cela que je vous convie et pour tout cela je compte sur vous !
(Source http://www.planeteradicale.org, le 21 septembre 2005)