Déclaration de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur les résultats du référendum et l'analyse du vote français et la position de la CFDT face aux décisions et aux orientations de la Confédération européenne des syndicats (CES).

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Circonstance : Réunion du Comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES) à Bruxelles le 14 juin 2005

Texte intégral

Tout d'abord, avant de dire quelques mots sur la situation française et l'analyse du vote, je voudrais remercier toutes les organisations qui nous ont apporté leur soutien dans cette campagne, et bien sûr particulièrement la CES et John qui nous ont beaucoup aidés. Sans votre soutien, nous nous serions sentis un peu seuls.
Deuxième point, il faudra dans l'avenir se poser la question du lien de la CES avec ses affiliés. Lorsque la CES décide, après un débat collectif de soutenir tel ou tel texte, ou tel ou tel engagement, qu'est-ce que cela signifie pour chacun d'entre nous ? Est-ce que chaque organisation peut se défaire des orientations de la CES dans son propre pays, s'opposer même à ce que veut la CES dans un débat national, au risque de créer la confusion ? Est-ce que nous sommes une simple amicale qui se contente de bavardage chaque trimestre sans conséquence sur l'engagement de chacun, ou sommes-nous une vraie confédération syndicale qui joue l'unité, où chacun fait sienne les décisions collectives ?
Cela doit faire partie des débats de la CES dans les mois qui viennent. La CFDT pour sa part a depuis son Congrès de Lille en 1998, décidé de faire siennes les décisions arrêtées par la CES, comme les décisions de la CFDT sont celles de tous ses syndicats.
Venons-en maintenant à l'analyse du scrutin français.
Oui le vote français a trouvé son origine en partie dans la situation sociale française. Beaucoup de salariés, en particulier les plus modestes n'ont plus confiance en l'avenir, ils ont le sentiment de perdre et que l'Europe ne les aide pas, qu'elle est trop libérale. Ajoutez à cela le mécontentement vis-à-vis du gouvernement et on explique en partie le vote.
Mais en rester à cette analyse est trop facile et même simpliste. Nous avons vécu en France une campagne anti-européenne aux relents parfois nationalistes comme rarement nous en avons vécue dans notre pays. Nous avons donc assisté aussi à un vote antieuropéen, popularisé par des partis qui ont été historiquement contre toutes les étapes de la construction européenne : Front national, souverainistes de droite et de gauche, Parti communiste, partis trotskystes.
Tous ces partis, certains sans honte, l'extrême droite, d'autres se cachant derrière le slogan " pour une autre Europe " qui ne trompe que les naïfs, tous ont toujours refusé la Construction européenne. Ce qu'il y a de nouveau, c'est qu'une partie du PS les ait rejoints avec des arguments inadmissibles : rejet du travailleur polonais qui viendrait en France, rejet de la Turquie, interprétation scandaleuse du texte qui mettrait en cause le droit à l'avortement, le divorce et permettrait aux jeunes filles musulmanes de porter le voile à l'école et aux garçons de prier dans les couloirs.
Résultat, 67 % des personnes ayant voté " non " l'on fait, disent-ils, parce qu'il y a trop d'étrangers en France. N'oublions jamais ce vote. Pour la première fois depuis la libération, l'extrême droite est dans le camp des vainqueurs en France. Même après la guerre d'Algérie cela n'a pas été le cas !
Je ne dis pas que tous ceux qui ont voté non, ou qui ont appelé au non sont xénophobes, mais il s'agit de montrer du doigt les politiques, en particulier de gauche qui ont utilisé cette peur pour leur petite cuisine personnelle.
Arrêtons de dire que les élites étaient pour le oui, et le peuple pour le non. La CFDT a le sentiment d'être autant représentative du peuple que d'autres. C'est une partie des élites de gauche et d'extrême gauche qui vient de tromper une partie du peuple désespéré par sa situation sociale, tout en insultant parfois les syndicalistes de la CES.
Et maintenant :
Comme John l'avait écrit dans un journal français, c'est Tony Blair qui sort gagnant et qui a aujourd'hui la main dans le rapport de force vis-à-vis des gouvernements qui ont soutenu le texte mais perdu leur référendum, comme vis-à-vis de ceux qui l'ont adopté. On voit bien qu'il n'y a pas de plan B et que le refus favorise l'immobilisme, donc donne de l'air aux plus libéraux.
Il faut aujourd'hui que la CES continue de soutenir le traité constitutionnel et dans cette optique, le projet de déclaration qui nous est proposé n'est pas assez clair. Nous ne pourrons pas voter un texte qui donne le sentiment qu'on enlève le droit aux autres pays de se prononcer. Le " oui " espagnol, et celui d'autres pays par leur Parlement ont autant de valeur que le " non " français.
Ensuite, la notion de " grande conversation avec les peuples " proposée dans le texte est ambiguë. On ne peut pas donner l'impression d'opposer la démocratie directe - les peuples - à la démocratie représentative dont font partie les syndicats dont la CES, mais aussi les parlements nationaux.
On voit mal comment cela peut marcher. Je propose donc que le texte soit modifié en précisant :
- Notre regret du " non " dans 2 pays, et nos félicitations aux 10 autres,
- En engageant les autres pays à se prononcer,
- En demandant aux Chefs d'Etats et de Gouvernements, sans attendre la fin du processus de ratification de relancer les politiques sociales et économiques en Europe pour répondre aux inquiétudes des salariés telles qu'elles s'expriment dans tous les pays, quel que soit le résultat du vote oui ou non déjà intervenu.
Car vous le savez tous, on peut être dans chaque pays favorables au Traité, mais conscients des difficultés sociales et désireux d'en trouver les solutions le plus vite possible. Le débat sur le budget de l'Europe est l'occasion de dire fort ce que veut la CES, sans attendre la fin du processus de ratification.
Je vous remercie de votre écoute.
(Source http://www.cfdt.fr, le 6 juillet 2005)