Texte intégral
Mesdames, Messieurs les conseillers,
Je suis très heureux de pouvoir aujourd'hui intervenir dans le traditionnel débat organisé par le CES sur la situation conjoncturelle à l'automne. Je regrette vivement de n'avoir pu me rendre devant vous plus tôt, car votre rôle dans l'analyse de la situation et la discussion de la politique économique et sociale est tout à fait éminent. L'opinion en France est très attentive à vos débats, car elle est bien consciente que la clef de la réduction du chômage se trouve d'abord dans la perspective d'une croissance forte et durable.
Cette discussion d'automne est toujours particulièrement intéressante car l'actualité économique a souvent une tendance à s'accélérer entre juillet et octobre. Le krach boursier d'octobre 1987, l'invasion du Koweit début août 1990, la crise de change de septembre 1992, les choix budgétaires de l'automne 1995, tous ces événements, au-delà de leurs différences, ont eu en commun de produire d'importants effets macro-économiques. Il est donc toujours utile de faire le point sur la prévision associée au PLF, préparé durant l'été, quand " la poussière commence à retomber " et que l'on peut prendre un peu de recul. De ce point de vue, l'avis préparé par M. Casanova est fort utile : il souligne bien les deux questions essentielles que nous devons examiner :
Dans quelle mesure l'exceptionnelle vigueur de la demande intérieure française nous protège-t-elle des effets d'un ralentissement de l'économie mondiale sans doute plus prononcé que prévu ?
Quelles sont les réactions souhaitables de la politique économique dans la conjoncture actuelle ?
I. Première question donc : où en sommes-nous de la course poursuite entre expansion interne et ralentissement externe ?
Pour répondre de manière synthétique à cette question, nous devons pouvoir formuler une appréciation sur deux interrogations: le choc extérieur est-il circonscrit ? Quelle est l'ampleur de la reprise de la demande intérieure ?
1.Les événements récents soulignent les progrès accomplis dans la résorption des déséquilibres internationaux grâce à la coopération internationale.
Votre rapporteur souligne à juste titre les incertitudes qui pèsent sur l'environnement international. Devant ces risques, gouvernements et banques centrales ne sont généralement pas restés inertes et l'action engagée a permis le retour d'une plus grande sérénité sur les marchés financiers.
Plusieurs des difficultés rencontrées par les pays émergents sont en voie de résolution.
Dans les pays d'Asie émergente, des progrès considérables ont été enregistrés : l'ajustement extérieur a été opéré plus rapidement qu'anticipé et les premiers signes d'un réveil de la production intérieure apparaissent, notamment en Corée.
L'annonce, à la fin de la semaine dernière, d'un programme de stabilisation et de réforme au Brésil, soutenu par un effort massif de la communauté internationale pour environ 41Mds de dollars (35 Mds d'euros) permettra de lever une partie des incertitudes pesant sur la croissance de l'Amérique Latine. La France y participe pour 1,25 milliard de dollars et l'Europe y contribue davantage que les États-Unis.
Les informations en provenance de Russie sont plus confuses, mais l'impact macro-économique des difficultés de cette économie est probablement moins grave et la menace de contagion a été endiguée.
Il n'est ainsi pas exagéré de considérer que beaucoup d'économies émergentes sont sur le chemin de la convalescence et que le risque qu'elles faisaient peser sur la croissance mondiale a diminué.
La possibilité d'une contagion de la crise aux économies développés a reculé.
La crise sur les marchés financiers s'est éloignée : les marchés boursiers ont depuis un mois regagné une partie du terrain perdu et sont désormais plus en ligne avec les fondamentaux, grâce au relâchement de la politique monétaire américaine et à l'accélération de la convergence des taux d'intérêt en Europe. Comme cela était nécessaire, les taux de change se sont pour l'instant stabilisés, en particulier, le taux de change du dollar vis à vis des monnaies de l'UEM.
Le Japon reste le principal foyer d'incertitude. Mais la restructuration tant attendue du système bancaire semble en meilleure voie et les autorités continuent à chercher les moyens de faire repartir l'activité, comme en témoigne le plan annoncé hier. La contraction de l'économie sera sévère en 1998, mais les autorités japonaises sont sorties de l'inaction et se donnent les moyens d'un redressement.
Aux États Unis, la prévision d'un ralentissement est toujours d'actualité, mais le risque de récession est moins grand qu'il y a deux mois : la qualité de la politique économique conduite par les autorités, en particulier la Banque centrale, n'est sans doute pas étrangère à ce bon résultat. Il faut souhaiter que chacun fasse en sorte de soutenir la croissance, sans peser sur celle de ses partenaires. J'y reviendrai.
Au total, il apparaît assez clairement que l'ampleur de l'effort de coopération internationale a permis d'écarter certains des nuages qui assombrissaient l'horizon de la croissance française. Le choc a été rude, en particulier pour certaines branches industrielles très internationalisées, mais il semble désormais sous contrôle. Ressemblant beaucoup à celles exprimées après le krach de 1987, les craintes parfois un peu millénaristes, que nous entendions il y a quelques semaines, se font moins fortes.
2. Dans le même temps, la croissance de la demande interne ne cesse de nous surprendre.
Tous les indicateurs disponibles concernant la demande interne pointent dans la même direction : le rythme de croissance de la demande est plus fort qu'envisagé.
Il est difficile de choisir un ordre logique dans l'exposé des facteurs de la croissance tant se confirme l'existence d'un cercle vertueux de la croissance qui unit progression de l'emploi, retour de la confiance et dynamique de la demande. Un cercle, par nature, se prête mal à la définition d'un commencement.
Pourtant, s'il faut choisir, je dirai qu'au commencement, il y a la confiance.
L'Insee nous indique que son indicateur de confiance n'a jamais aussi haut depuis sa création en 1987. Si ce phénomène résulte probablement encore en partie d'une autre performance historique, la victoire de l'équipe de France lors de la coupe du monde, il traduit aussi le début du recul du sentiment d'insécurité que suscitait une montée du chômage qui apparaissait inexorable. Cette plus grande sérénité face à l'avenir contribue sans doute à la disparition de ce " surplomb " d'épargne dont l'apparition avait " plombé " la croissance au début de la décennie. Les consommateurs depuis quelques mois sont moins frileux et adoptent des comportements plus dépensiers.
La confiance résulte du sentiment qu'ont désormais les ménages de ce pays que leurs problèmes, et leurs préoccupations, sont pris en comptes par le gouvernement. En premier lieu, que la priorité de l'emploi n'est plus seulement une clause de style.
Les performances de la France en termes de création d'emplois sont désormais remarquables. La semaine dernière, l'Insee a révélé que l'économie Française avait créé 60 000 emplois dans le secteur privé au troisième trimestre de cette année, portant le nombre des emplois créés depuis un an à 300 000. 300 000 emplois, c'est un chiffre un peu abstrait dont nous mesurons mal la portée : disons, pour fixer les idées, que cela correspond au nombre de chômeurs dans l'ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Combiné avec les créations d'emplois-jeunes, ce volume d'emplois apparus dans le secteur marchand explique la réduction de 160 000 du nombre des chômeurs depuis 12 mois.
Les ménages disposent ainsi de revenus plus élevés : le niveau des créations d'emplois et la très faible inflation contribueront à une croissance du revenu disponible des ménages proche de 3 % cette année, soit plus que les 2,8 % annoncés en septembre. Le pouvoir d'achat des salariés au SMIC a augmenté de plus de 5 % depuis juillet 1997. La réduction de l'inflation favorise une augmentation du pouvoir d'achat des revenus qui avaient été fixés sur la base d'une anticipation de hausse des prix plus forte que celle qui est finalement observée, notamment les salaires des agents publics et l'ensemble des prestations sociales.
La conséquence est une consommation des ménages qui progresse à un rythme inconnu depuis la fin des années 80. La consommation en produits manufacturés dépassait de 9 % en septembre de cette année son niveau de septembre 1997. De même les ménages français ont retrouvé, grâce à la baisse des taux d'intérêt, le goût de l'investissement logement. La consommation totale des ménages progressera cette année nettement plus que nous l'envisagions encore à l'été, sans doute plus près de 4 % que de 3 %.
J'observe que la consommation des ménages qui absorbe près de 60 % du PIB sera sensiblement plus forte encore en 1998 que ne l'avaient anticipée tous les observateurs : le principal moteur de la croissance tourne donc à plein régime.
La force de la consommation tire de son côté l'investissement des entreprises. La résistance de l'activité dans le secteur des biens d'équipement, malgré la contraction des exportations, suggère une dynamique persistante de l'investissement. Il est toujours possible que l'instabilité financière du mois de septembre pèse sur les opinions des investisseurs dans les prochaines enquêtes. L'orientation des déterminants fondamentaux de l'investissement - taux d'intérêt, rentabilité des investissements et orientation de la demande - plaide néanmoins pour une poursuite du renouvellement et de l'extension des équipements installés.
Une vigoureuse expansion de l'investissement est une nécessité : la France a pris au cours des dernières années un retard préoccupant dans son effort d'équipement. Pour connaître le cycle long de croissance dont nous avons besoin, pour résorber le chômage de masse, il faut que l'accumulation du capital productif s'accélère dans notre pays.
En définitive, il est pour moi clair que l'ensemble des chaînons du cercle vertueux de la croissance sont désormais solidement en place : la confiance nourrit la consommation, celle-ci tire emploi puis l'investissement qui, à son tour, favorise une expansion de la production.
Au total, quelle est la bonne prévision pour l'économie française en 1999 ? :
Je voudrais développer deux idées : en premier lieu, l'idée que la croissance de l'économie française sera soutenue en 1999 est une idée qui progresse ; ensuite, il est désormais acquis que la France fera, en 1999, la course de la croissance en tête du peloton.
D'abord un constat, l'ampleur de l'incertitude s'est réduit depuis deux mois : les scénarios-catastrophes sont désormais peu crédibles et la fourchette des prévisions s'est resserrée. Le choc extérieur a été puissant, sans doute plus prononcé qu'anticipé, mais à l'inverse la dynamique de la demande intérieure continue de nous surprendre.
Quel sera le résultat net de ces différents effets ? Le ralentissement de l'économie mondiale nous ramènera-t-il un peu en-deçà du 2,7 % que j'avançais à l'occasion du PLF, ou bien la vigueur inattendue de la demande intérieure nous portera-t-elle un peu au-delà ?
Il me semble, que dans l'état actuel de nos informations, 2,7 % de croissance pour 1999 reste une prévision raisonnable. D'autres sont un peu en-deçà, mais j'observe qu'il n'y a pas de différence qualitative avec la prévision faite par les conjoncturistes privés. Ne sombrons pas dans le fétichisme des décimales. Je ne suis pas sûr que les instruments d'analyses et de prévisions dont nous disposons permettent de garantir une prévision au dixième près. Je redoute, il est vrai, que la prévision que j'ai faite, avec mes services à l'été 1997 pour 1998, ait fait un peu monter les enchères. Nous avions indiqué que la croissance pour 1998 atteindrait 3,0 %, et il semble que la réalité de 1998 confirmera notre projection, voire la dépassera légèrement.
C'est dans cet esprit que je prend note de la dernière prévision de l'OCDE sur la France pour 1999. Un peu inférieure à l'estimation que nous faisons, sensiblement inférieure à celle faite par sa sur aînée le FMI, je ne suis pas sûr que cette prévision prenne suffisamment en compte ce que nous savons de l'expansion de la demande interne française. La configuration actuelle présente de nombreux points communs avec celle de 1987 : turbulences boursières, difficultés dans les pays en développement (crise de la dette en 1987), relâchement des politiques monétaires, fort gains de termes de l'échange dans les pays développés, avec la chute du prix des matières premières. J'observe, en outre, que sa prévision d'une croissance de 2,4 % pour 1999 est de bon augure si l'on veut bien se rappeler que l'OCDE prévoyait, en décembre dernier, 2,9 % de croissance seulement pour l'économie française en 1998.
Un point ne fait cependant pas débat : la France sera en 1999 en tête de la course de la croissance : L'OCDE , après la Commission nous place dans le peloton de tête de la croissance en Europe en 1999 pour la deuxième année consécutive. La croissance française dépassera ainsi celle de ses principaux partenaires de près d'un point au total sur 1998/1999.
A l'origine de ce résultat se trouve la vigueur des créations d'emplois. Alors que l'emploi sera encore pratiquement stable en 1998, en Allemagne et en Italie, l'appareil productif de la France se renforcera en recrutant des centaines de milliers de nouveaux salariés.
Cette performance française en terme d'emplois doit être soulignée car elle indique l'avance prise par le France sur ses partenaires européens dans la mise en uvre de politiques de croissance favorables à l'emploi. Certains de nos partenaires européens, moins avancés dans le cycle consommation-emploi, subissent ainsi plus fortement l'effet du ralentissement de l'économie mondiale.
Le rythme de créations d'emplois que nous envisageons pour 1998 et 1999 a peu d'équivalent dans l'histoire économique de la France : avec 300 000 postes de travail nouveaux chaque année, les créations d'emplois seront cinq fois supérieures à celles des années 80 et même deux fois plus fortes que celles enregistrées, au cur " des trente glorieuses " dans les années 60. Le phénomène est incontestable : la croissance française est désormais plus riche en emplois. Le seuil à partir duquel l'économie française crée des emplois a été sensiblement abaissé : il est sans doute inférieur à 1,5 % aujourd'hui quand il approchait 2,5 % dans les années 80.
Une croissance soutenue en 1999 est cependant conditionnée par la mise en uvre de politique adaptée. Pour rattraper le retard accumulé dans la première partie des années 1990, nous devons éviter de commettre à nouveau les erreurs de politique économique du passé.
II. L'orientation des politiques économiques en Europe au cours des prochaines années
Je vais maintenant aborder la question de la politique macro-économique de l'Europe d'aujourd'hui et des réponses qui doivent être données dans la configuration conjoncturelle actuelle.
1. La recherche du bon " policy-mix "
Comment la politique macro-économique peut-elle favoriser une croissance durable des économies françaises et européennes dans les prochaines années ? Un intense débat politique a vu le jour dans la plupart des pays européens - y compris en Allemagne. Pour parler simplement, la question à laquelle nous devons répondre est de savoir si nous devons adopter le dosage politique budgétaire laxiste / politique monétaire restrictive pratiqué par le tandem Reagan-Volcker ou le dosage inverse, qui a été choisi par le tandem Clinton-Greenspan ? Nous devons bien évidemment ne pas perdre de vue les différences de situations, mais je suis cependant convaincu que le dosage de politiques le mieux adapté à l'Europe d'aujourd'hui est beaucoup plus proche de la seconde que de la première de ces expériences.
Dans les circonstances actuelles, la responsabilité de maintenir des conditions favorables à une croissance sans inflation doit incomber à la politique monétaire, tandis que, dans tous les pays où des ajustements budgétaires sont encore en cours, la politique budgétaire doit conserver comme objectif la réduction du déficit public. Cette conclusion me semble difficile à contester pour au moins quatre raisons :
1) Il n'y a pour le moment aucune menace visible sur la stabilité des prix dans la zone euro. L'inflation pour les 12 derniers mois est de 1 % dans la zone euro et de 0,5 % en France. Et s'il y a lieu de s'inquiéter, c'est parce que, même sans tenir compte des distorsions tenant à la mesure de l'évolution des prix, l'inflation est maintenant significativement au-dessous du plafond retenu par la Banque Centrale Européenne.
2) L'ajustement budgétaire dans la zone euro n'est pas encore achevé, et il doit encore se poursuivre jusqu'à ce que nous atteignions une situation des finances publiques assainie, dans laquelle nous soyons en mesure de garantir que le ratio de l'endettement public reste en moyenne stable sur un cycle.
3) Dans le type de choc auquel nous sommes actuellement confrontés, la politique monétaire commune constitue un instrument approprié et elle est capable d'agir rapidement ; au contraire, compter sur des politiques budgétaires nationales pour mettre au point une réponse coordonnée demanderait une énergie considérable.
4) Les économistes ont depuis un certain temps averti que dans ses débuts, l'euro pourrait subir des pressions à la hausse, en raison d'un déplacement de la demande d'actifs vers des placements libellés en monnaie européenne. Quelle que soit l'amplitude de cet éventuelle pression, la politique macro-économique ne doit certainement pas la favoriser en adoptant une combinaison de politique budgétaire laxiste et de politique monétaire restrictive, qui ne pourrait que favoriser une appréciation de l'euro.
Ces quatre raisons me conduisent à conclure sans ambiguïté en faveur d'une politique monétaire commune qui demeure fidèle à sa mission d'assurer la stabilité des prix, tout en veillant parallèlement à maintenir des conditions favorables à la croissance. Les politiques budgétaires, pour leur part, devraient continuent à viser l'ajustement requis en matière de finances publiques, de manière à ne pas léguer aux générations futures une charge de la dette insupportable. Cette orientation est commune à la France et à l'Allemagne, comme j'ai pu le vérifier hier lors de ma rencontre avec Oscar Lafontaine.
Pour mettre en uvre ce type d'orientation, nous avons insisté sur la nécessité d'une coordination des politiques économiques en Europe et que nous avons proposé la création de l'Euro-11. La situation à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés nous rappelle avec insistance combien nous avons besoin d'institutions de coordination efficaces entre les 11 gouvernements de la zone euro, ainsi qu'entre eux et la BCE.
2. Les orientations de la politique budgétaire.
Dans cette perspective, la politique budgétaire qui sera arrêtée dans le programme triennal que la France présentera d'ici le 31 décembre, en liaison avec l'Allemagne et ses autres partenaires européens, devra atteindre concomitamment trois objectifs :
*financer nos priorités politiques pour assurer la cohésion sociale. Ceci suppose une politique ambitieuse de redéploiement et de réforme de l'Etat, comme L. JOSPIN l'a engagée depuis deux ans. On peut réduire la dépense publique en % du PIB sans se condamner ou se résigner au " moins d'Etat " ;
*réduire les déficits publics pour préparer l'avenir. Pour la première fois depuis vingt ans, la dette publique reculera en % du PIB en l'an 2000 ; un fonds de réserve des retraites a été créé, qui montera en régime avec les excédents à venir des régimes sociaux, à partir de l'an 2000 ;
*diminuer les prélèvements obligatoires pour conforter la croissance. C'est ce que nous avons commencé en 1998 et 1999, avec une baisse de 0,4 point de PIB. C'est ce que nous poursuivrons jusqu'en 2002, d'autant plus vite que la croissance sera forte.
Financement de nos priorités, désendettement et préparation des retraites, diminution des prélèvements : tel est le triangle d'or qui a guidé les budgets 1998 et 1999. Les gouvernements précédents avaient toujours sacrifié un ou deux des trois pôles du triangle ; le gouvernement de L. JOSPIN est fermement résolu, jusqu'en 2002, à tenir ces trois objectifs, parce qu'ils dessinent le cap de la croissance solidaire.
Armé de ce diagnostic conjoncturel et de cette carte pour conduire notre politique économique, il nous reste à expliquer aux passagers la route à suivre et à entendre leurs souhaits sur le choix de l'itinéraire. C'est le rôle du CES de contribuer à ce débat.
III. De nouvelles relations avec le CES.
Je voudrais conclure cette présentation en vous donnant quelques indications sur la manière dont j'envisage le développement du dialogue entre mon ministère et le Conseil économique et social. Comme vous l'a dit le Premier ministre le 28 avril dernier lorsqu'il est venu devant votre assemblée, le Gouvernement attache une grande importance à la qualité de ses échanges avec le Conseil, et il souhaite recueillir périodiquement son avis sur les enjeux auxquels le pays est confronté. Ce n'est pas de notre part une simple manifestation d'ouverture ou de bonne volonté. Cela résulte profondément de notre conviction que la politique économique ne se résume pas à un ensemble de décisions d'inspiration technocratique, aussi marquées par le souci du bien commun qu'elles puissent être. Elle ne se conçoit pas sans effort d'explication, sans débat, sans confrontation entre les responsables gouvernementaux et les forces économiques et sociales du pays. Cc n'est qu'en nous prêtant à un dialogue nourri et exigeant que nous pourrons répondre au mieux aux attentes de nos concitoyens, que nous pourrons espérer convaincre des vertus de notre politique.
Vous aurez sûrement noté quelques manifestations concrètes de cette démarche. Permettez-moi de vous les rappeler :
*la publication précoce des orientations budgétaires pour l'année à venir, et leur examen par le Parlement ;
*la concertation que Christian Sautter et moi avons conduite sur les choix fiscaux pour 1999 ;
*la refonte du Rapport économique, social et financier du gouvernement, afin d'en faire un vrai document de politique économique.
La réforme de Commission des comptes de la Nation.
Je souhaite poursuivre dans cette voie, et j'ai pour cela décidé de réformer la Commission des comptes et des budgets économiques de la Nation. La CCBEN est une institution éminente, qui a joué un grand rôle depuis sa création dans l'immédiat après-guerre. A travers elle, l'approche quantitative des enjeux économiques s'est développée, au sein de l'administration mais aussi parmi tous les partenaires au dialogue sur les perspectives économiques et sociales. C'est à elle, comme au Plan, que nous devons de parler le même langage. Mais ceux d'entre vous qui en sont membres savent que les échanges en son sein ont, parfois, pris depuis quelques années un certain caractère trop convenu et routinier. Elle avait besoin d'une modernisation. J'ai donc pris les avis d'un certain nombre de personnalités ou d'organisations, et j'ai annoncé à la dernière réunion de la Commission les grands axes d'une réforme. Les voici :
*il faut au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie une vraie instance de concertation sur les orientations économiques et budgétaires. Je souhaite à cette fin organiser chaque année, entre la présentation du PLF au Conseil des ministres et le début de la discussion parlementaire, une Conférence économique réunissant les organisations syndicales et professionnelle représentatives ; j'y présenterais les orientations du PLF et j'écouterais ce que me diront les principales organisations économiques et sociales.
*je souhaite transformer la Commission des comptes en une instance consultative plus ramassée et plus réactive, composée de personnalités qualifiées françaises et internationales. Cette Commission économique consultative comprendra des économistes et des personnalités issues des milieux économiques et sociaux, nommées à titre personnel. Je la réunirait pour la première fois en mars prochain et ensuite à intervalles rapprochés
*il faudra naturellement veiller à l'équilibre des sensibilités et des origines. Elle débattra des grandes questions structurelles et des principaux dossiers de politique économique. Le groupe technique des prévisions demeurera, car il joue un rôle utile et apprécié de comparaison systématique des visions de l'avenir. La Commission aura bien entendu à connaître de ses travaux.
*enfin je souhaite développer les liens entre le MEFI et le CES et je souhaite proposer au président de ce Conseil d'examiner ensemble comment ce ministère pourrait, chaque année, recueillir l'avis du CES sur des orientations de politique économique du Gouvernement. Une formule possible, si elle vous agrée, est qu'au printemps de chaque année le Gouvernement vous transmette pour avis un document de politique économique portant sur un ou plusieurs des enjeux structurels auxquels nous sommes confrontés. Le CES pourrait alors en délibérer et formuler un avis à l'intention du Gouvernement afin que celui-ci puisse en tenir compte pour l'élaboration du Rapport économique, social et financier qui continuera d'être adressé au Parlement à la rentrée de septembre.
Pour terminer, je voudrais redire tout l'intérêt que le Gouvernement porte à vos travaux et remercier M. Casanova pour l'éclairage porté sur la conjoncture. La politique économique nécessaire pour susciter le cycle de croissance long dont nous avons besoin ne peut que bénéficier des débat de votre Assemblée.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 31 juillet 2002)
Je suis très heureux de pouvoir aujourd'hui intervenir dans le traditionnel débat organisé par le CES sur la situation conjoncturelle à l'automne. Je regrette vivement de n'avoir pu me rendre devant vous plus tôt, car votre rôle dans l'analyse de la situation et la discussion de la politique économique et sociale est tout à fait éminent. L'opinion en France est très attentive à vos débats, car elle est bien consciente que la clef de la réduction du chômage se trouve d'abord dans la perspective d'une croissance forte et durable.
Cette discussion d'automne est toujours particulièrement intéressante car l'actualité économique a souvent une tendance à s'accélérer entre juillet et octobre. Le krach boursier d'octobre 1987, l'invasion du Koweit début août 1990, la crise de change de septembre 1992, les choix budgétaires de l'automne 1995, tous ces événements, au-delà de leurs différences, ont eu en commun de produire d'importants effets macro-économiques. Il est donc toujours utile de faire le point sur la prévision associée au PLF, préparé durant l'été, quand " la poussière commence à retomber " et que l'on peut prendre un peu de recul. De ce point de vue, l'avis préparé par M. Casanova est fort utile : il souligne bien les deux questions essentielles que nous devons examiner :
Dans quelle mesure l'exceptionnelle vigueur de la demande intérieure française nous protège-t-elle des effets d'un ralentissement de l'économie mondiale sans doute plus prononcé que prévu ?
Quelles sont les réactions souhaitables de la politique économique dans la conjoncture actuelle ?
I. Première question donc : où en sommes-nous de la course poursuite entre expansion interne et ralentissement externe ?
Pour répondre de manière synthétique à cette question, nous devons pouvoir formuler une appréciation sur deux interrogations: le choc extérieur est-il circonscrit ? Quelle est l'ampleur de la reprise de la demande intérieure ?
1.Les événements récents soulignent les progrès accomplis dans la résorption des déséquilibres internationaux grâce à la coopération internationale.
Votre rapporteur souligne à juste titre les incertitudes qui pèsent sur l'environnement international. Devant ces risques, gouvernements et banques centrales ne sont généralement pas restés inertes et l'action engagée a permis le retour d'une plus grande sérénité sur les marchés financiers.
Plusieurs des difficultés rencontrées par les pays émergents sont en voie de résolution.
Dans les pays d'Asie émergente, des progrès considérables ont été enregistrés : l'ajustement extérieur a été opéré plus rapidement qu'anticipé et les premiers signes d'un réveil de la production intérieure apparaissent, notamment en Corée.
L'annonce, à la fin de la semaine dernière, d'un programme de stabilisation et de réforme au Brésil, soutenu par un effort massif de la communauté internationale pour environ 41Mds de dollars (35 Mds d'euros) permettra de lever une partie des incertitudes pesant sur la croissance de l'Amérique Latine. La France y participe pour 1,25 milliard de dollars et l'Europe y contribue davantage que les États-Unis.
Les informations en provenance de Russie sont plus confuses, mais l'impact macro-économique des difficultés de cette économie est probablement moins grave et la menace de contagion a été endiguée.
Il n'est ainsi pas exagéré de considérer que beaucoup d'économies émergentes sont sur le chemin de la convalescence et que le risque qu'elles faisaient peser sur la croissance mondiale a diminué.
La possibilité d'une contagion de la crise aux économies développés a reculé.
La crise sur les marchés financiers s'est éloignée : les marchés boursiers ont depuis un mois regagné une partie du terrain perdu et sont désormais plus en ligne avec les fondamentaux, grâce au relâchement de la politique monétaire américaine et à l'accélération de la convergence des taux d'intérêt en Europe. Comme cela était nécessaire, les taux de change se sont pour l'instant stabilisés, en particulier, le taux de change du dollar vis à vis des monnaies de l'UEM.
Le Japon reste le principal foyer d'incertitude. Mais la restructuration tant attendue du système bancaire semble en meilleure voie et les autorités continuent à chercher les moyens de faire repartir l'activité, comme en témoigne le plan annoncé hier. La contraction de l'économie sera sévère en 1998, mais les autorités japonaises sont sorties de l'inaction et se donnent les moyens d'un redressement.
Aux États Unis, la prévision d'un ralentissement est toujours d'actualité, mais le risque de récession est moins grand qu'il y a deux mois : la qualité de la politique économique conduite par les autorités, en particulier la Banque centrale, n'est sans doute pas étrangère à ce bon résultat. Il faut souhaiter que chacun fasse en sorte de soutenir la croissance, sans peser sur celle de ses partenaires. J'y reviendrai.
Au total, il apparaît assez clairement que l'ampleur de l'effort de coopération internationale a permis d'écarter certains des nuages qui assombrissaient l'horizon de la croissance française. Le choc a été rude, en particulier pour certaines branches industrielles très internationalisées, mais il semble désormais sous contrôle. Ressemblant beaucoup à celles exprimées après le krach de 1987, les craintes parfois un peu millénaristes, que nous entendions il y a quelques semaines, se font moins fortes.
2. Dans le même temps, la croissance de la demande interne ne cesse de nous surprendre.
Tous les indicateurs disponibles concernant la demande interne pointent dans la même direction : le rythme de croissance de la demande est plus fort qu'envisagé.
Il est difficile de choisir un ordre logique dans l'exposé des facteurs de la croissance tant se confirme l'existence d'un cercle vertueux de la croissance qui unit progression de l'emploi, retour de la confiance et dynamique de la demande. Un cercle, par nature, se prête mal à la définition d'un commencement.
Pourtant, s'il faut choisir, je dirai qu'au commencement, il y a la confiance.
L'Insee nous indique que son indicateur de confiance n'a jamais aussi haut depuis sa création en 1987. Si ce phénomène résulte probablement encore en partie d'une autre performance historique, la victoire de l'équipe de France lors de la coupe du monde, il traduit aussi le début du recul du sentiment d'insécurité que suscitait une montée du chômage qui apparaissait inexorable. Cette plus grande sérénité face à l'avenir contribue sans doute à la disparition de ce " surplomb " d'épargne dont l'apparition avait " plombé " la croissance au début de la décennie. Les consommateurs depuis quelques mois sont moins frileux et adoptent des comportements plus dépensiers.
La confiance résulte du sentiment qu'ont désormais les ménages de ce pays que leurs problèmes, et leurs préoccupations, sont pris en comptes par le gouvernement. En premier lieu, que la priorité de l'emploi n'est plus seulement une clause de style.
Les performances de la France en termes de création d'emplois sont désormais remarquables. La semaine dernière, l'Insee a révélé que l'économie Française avait créé 60 000 emplois dans le secteur privé au troisième trimestre de cette année, portant le nombre des emplois créés depuis un an à 300 000. 300 000 emplois, c'est un chiffre un peu abstrait dont nous mesurons mal la portée : disons, pour fixer les idées, que cela correspond au nombre de chômeurs dans l'ensemble de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Combiné avec les créations d'emplois-jeunes, ce volume d'emplois apparus dans le secteur marchand explique la réduction de 160 000 du nombre des chômeurs depuis 12 mois.
Les ménages disposent ainsi de revenus plus élevés : le niveau des créations d'emplois et la très faible inflation contribueront à une croissance du revenu disponible des ménages proche de 3 % cette année, soit plus que les 2,8 % annoncés en septembre. Le pouvoir d'achat des salariés au SMIC a augmenté de plus de 5 % depuis juillet 1997. La réduction de l'inflation favorise une augmentation du pouvoir d'achat des revenus qui avaient été fixés sur la base d'une anticipation de hausse des prix plus forte que celle qui est finalement observée, notamment les salaires des agents publics et l'ensemble des prestations sociales.
La conséquence est une consommation des ménages qui progresse à un rythme inconnu depuis la fin des années 80. La consommation en produits manufacturés dépassait de 9 % en septembre de cette année son niveau de septembre 1997. De même les ménages français ont retrouvé, grâce à la baisse des taux d'intérêt, le goût de l'investissement logement. La consommation totale des ménages progressera cette année nettement plus que nous l'envisagions encore à l'été, sans doute plus près de 4 % que de 3 %.
J'observe que la consommation des ménages qui absorbe près de 60 % du PIB sera sensiblement plus forte encore en 1998 que ne l'avaient anticipée tous les observateurs : le principal moteur de la croissance tourne donc à plein régime.
La force de la consommation tire de son côté l'investissement des entreprises. La résistance de l'activité dans le secteur des biens d'équipement, malgré la contraction des exportations, suggère une dynamique persistante de l'investissement. Il est toujours possible que l'instabilité financière du mois de septembre pèse sur les opinions des investisseurs dans les prochaines enquêtes. L'orientation des déterminants fondamentaux de l'investissement - taux d'intérêt, rentabilité des investissements et orientation de la demande - plaide néanmoins pour une poursuite du renouvellement et de l'extension des équipements installés.
Une vigoureuse expansion de l'investissement est une nécessité : la France a pris au cours des dernières années un retard préoccupant dans son effort d'équipement. Pour connaître le cycle long de croissance dont nous avons besoin, pour résorber le chômage de masse, il faut que l'accumulation du capital productif s'accélère dans notre pays.
En définitive, il est pour moi clair que l'ensemble des chaînons du cercle vertueux de la croissance sont désormais solidement en place : la confiance nourrit la consommation, celle-ci tire emploi puis l'investissement qui, à son tour, favorise une expansion de la production.
Au total, quelle est la bonne prévision pour l'économie française en 1999 ? :
Je voudrais développer deux idées : en premier lieu, l'idée que la croissance de l'économie française sera soutenue en 1999 est une idée qui progresse ; ensuite, il est désormais acquis que la France fera, en 1999, la course de la croissance en tête du peloton.
D'abord un constat, l'ampleur de l'incertitude s'est réduit depuis deux mois : les scénarios-catastrophes sont désormais peu crédibles et la fourchette des prévisions s'est resserrée. Le choc extérieur a été puissant, sans doute plus prononcé qu'anticipé, mais à l'inverse la dynamique de la demande intérieure continue de nous surprendre.
Quel sera le résultat net de ces différents effets ? Le ralentissement de l'économie mondiale nous ramènera-t-il un peu en-deçà du 2,7 % que j'avançais à l'occasion du PLF, ou bien la vigueur inattendue de la demande intérieure nous portera-t-elle un peu au-delà ?
Il me semble, que dans l'état actuel de nos informations, 2,7 % de croissance pour 1999 reste une prévision raisonnable. D'autres sont un peu en-deçà, mais j'observe qu'il n'y a pas de différence qualitative avec la prévision faite par les conjoncturistes privés. Ne sombrons pas dans le fétichisme des décimales. Je ne suis pas sûr que les instruments d'analyses et de prévisions dont nous disposons permettent de garantir une prévision au dixième près. Je redoute, il est vrai, que la prévision que j'ai faite, avec mes services à l'été 1997 pour 1998, ait fait un peu monter les enchères. Nous avions indiqué que la croissance pour 1998 atteindrait 3,0 %, et il semble que la réalité de 1998 confirmera notre projection, voire la dépassera légèrement.
C'est dans cet esprit que je prend note de la dernière prévision de l'OCDE sur la France pour 1999. Un peu inférieure à l'estimation que nous faisons, sensiblement inférieure à celle faite par sa sur aînée le FMI, je ne suis pas sûr que cette prévision prenne suffisamment en compte ce que nous savons de l'expansion de la demande interne française. La configuration actuelle présente de nombreux points communs avec celle de 1987 : turbulences boursières, difficultés dans les pays en développement (crise de la dette en 1987), relâchement des politiques monétaires, fort gains de termes de l'échange dans les pays développés, avec la chute du prix des matières premières. J'observe, en outre, que sa prévision d'une croissance de 2,4 % pour 1999 est de bon augure si l'on veut bien se rappeler que l'OCDE prévoyait, en décembre dernier, 2,9 % de croissance seulement pour l'économie française en 1998.
Un point ne fait cependant pas débat : la France sera en 1999 en tête de la course de la croissance : L'OCDE , après la Commission nous place dans le peloton de tête de la croissance en Europe en 1999 pour la deuxième année consécutive. La croissance française dépassera ainsi celle de ses principaux partenaires de près d'un point au total sur 1998/1999.
A l'origine de ce résultat se trouve la vigueur des créations d'emplois. Alors que l'emploi sera encore pratiquement stable en 1998, en Allemagne et en Italie, l'appareil productif de la France se renforcera en recrutant des centaines de milliers de nouveaux salariés.
Cette performance française en terme d'emplois doit être soulignée car elle indique l'avance prise par le France sur ses partenaires européens dans la mise en uvre de politiques de croissance favorables à l'emploi. Certains de nos partenaires européens, moins avancés dans le cycle consommation-emploi, subissent ainsi plus fortement l'effet du ralentissement de l'économie mondiale.
Le rythme de créations d'emplois que nous envisageons pour 1998 et 1999 a peu d'équivalent dans l'histoire économique de la France : avec 300 000 postes de travail nouveaux chaque année, les créations d'emplois seront cinq fois supérieures à celles des années 80 et même deux fois plus fortes que celles enregistrées, au cur " des trente glorieuses " dans les années 60. Le phénomène est incontestable : la croissance française est désormais plus riche en emplois. Le seuil à partir duquel l'économie française crée des emplois a été sensiblement abaissé : il est sans doute inférieur à 1,5 % aujourd'hui quand il approchait 2,5 % dans les années 80.
Une croissance soutenue en 1999 est cependant conditionnée par la mise en uvre de politique adaptée. Pour rattraper le retard accumulé dans la première partie des années 1990, nous devons éviter de commettre à nouveau les erreurs de politique économique du passé.
II. L'orientation des politiques économiques en Europe au cours des prochaines années
Je vais maintenant aborder la question de la politique macro-économique de l'Europe d'aujourd'hui et des réponses qui doivent être données dans la configuration conjoncturelle actuelle.
1. La recherche du bon " policy-mix "
Comment la politique macro-économique peut-elle favoriser une croissance durable des économies françaises et européennes dans les prochaines années ? Un intense débat politique a vu le jour dans la plupart des pays européens - y compris en Allemagne. Pour parler simplement, la question à laquelle nous devons répondre est de savoir si nous devons adopter le dosage politique budgétaire laxiste / politique monétaire restrictive pratiqué par le tandem Reagan-Volcker ou le dosage inverse, qui a été choisi par le tandem Clinton-Greenspan ? Nous devons bien évidemment ne pas perdre de vue les différences de situations, mais je suis cependant convaincu que le dosage de politiques le mieux adapté à l'Europe d'aujourd'hui est beaucoup plus proche de la seconde que de la première de ces expériences.
Dans les circonstances actuelles, la responsabilité de maintenir des conditions favorables à une croissance sans inflation doit incomber à la politique monétaire, tandis que, dans tous les pays où des ajustements budgétaires sont encore en cours, la politique budgétaire doit conserver comme objectif la réduction du déficit public. Cette conclusion me semble difficile à contester pour au moins quatre raisons :
1) Il n'y a pour le moment aucune menace visible sur la stabilité des prix dans la zone euro. L'inflation pour les 12 derniers mois est de 1 % dans la zone euro et de 0,5 % en France. Et s'il y a lieu de s'inquiéter, c'est parce que, même sans tenir compte des distorsions tenant à la mesure de l'évolution des prix, l'inflation est maintenant significativement au-dessous du plafond retenu par la Banque Centrale Européenne.
2) L'ajustement budgétaire dans la zone euro n'est pas encore achevé, et il doit encore se poursuivre jusqu'à ce que nous atteignions une situation des finances publiques assainie, dans laquelle nous soyons en mesure de garantir que le ratio de l'endettement public reste en moyenne stable sur un cycle.
3) Dans le type de choc auquel nous sommes actuellement confrontés, la politique monétaire commune constitue un instrument approprié et elle est capable d'agir rapidement ; au contraire, compter sur des politiques budgétaires nationales pour mettre au point une réponse coordonnée demanderait une énergie considérable.
4) Les économistes ont depuis un certain temps averti que dans ses débuts, l'euro pourrait subir des pressions à la hausse, en raison d'un déplacement de la demande d'actifs vers des placements libellés en monnaie européenne. Quelle que soit l'amplitude de cet éventuelle pression, la politique macro-économique ne doit certainement pas la favoriser en adoptant une combinaison de politique budgétaire laxiste et de politique monétaire restrictive, qui ne pourrait que favoriser une appréciation de l'euro.
Ces quatre raisons me conduisent à conclure sans ambiguïté en faveur d'une politique monétaire commune qui demeure fidèle à sa mission d'assurer la stabilité des prix, tout en veillant parallèlement à maintenir des conditions favorables à la croissance. Les politiques budgétaires, pour leur part, devraient continuent à viser l'ajustement requis en matière de finances publiques, de manière à ne pas léguer aux générations futures une charge de la dette insupportable. Cette orientation est commune à la France et à l'Allemagne, comme j'ai pu le vérifier hier lors de ma rencontre avec Oscar Lafontaine.
Pour mettre en uvre ce type d'orientation, nous avons insisté sur la nécessité d'une coordination des politiques économiques en Europe et que nous avons proposé la création de l'Euro-11. La situation à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés nous rappelle avec insistance combien nous avons besoin d'institutions de coordination efficaces entre les 11 gouvernements de la zone euro, ainsi qu'entre eux et la BCE.
2. Les orientations de la politique budgétaire.
Dans cette perspective, la politique budgétaire qui sera arrêtée dans le programme triennal que la France présentera d'ici le 31 décembre, en liaison avec l'Allemagne et ses autres partenaires européens, devra atteindre concomitamment trois objectifs :
*financer nos priorités politiques pour assurer la cohésion sociale. Ceci suppose une politique ambitieuse de redéploiement et de réforme de l'Etat, comme L. JOSPIN l'a engagée depuis deux ans. On peut réduire la dépense publique en % du PIB sans se condamner ou se résigner au " moins d'Etat " ;
*réduire les déficits publics pour préparer l'avenir. Pour la première fois depuis vingt ans, la dette publique reculera en % du PIB en l'an 2000 ; un fonds de réserve des retraites a été créé, qui montera en régime avec les excédents à venir des régimes sociaux, à partir de l'an 2000 ;
*diminuer les prélèvements obligatoires pour conforter la croissance. C'est ce que nous avons commencé en 1998 et 1999, avec une baisse de 0,4 point de PIB. C'est ce que nous poursuivrons jusqu'en 2002, d'autant plus vite que la croissance sera forte.
Financement de nos priorités, désendettement et préparation des retraites, diminution des prélèvements : tel est le triangle d'or qui a guidé les budgets 1998 et 1999. Les gouvernements précédents avaient toujours sacrifié un ou deux des trois pôles du triangle ; le gouvernement de L. JOSPIN est fermement résolu, jusqu'en 2002, à tenir ces trois objectifs, parce qu'ils dessinent le cap de la croissance solidaire.
Armé de ce diagnostic conjoncturel et de cette carte pour conduire notre politique économique, il nous reste à expliquer aux passagers la route à suivre et à entendre leurs souhaits sur le choix de l'itinéraire. C'est le rôle du CES de contribuer à ce débat.
III. De nouvelles relations avec le CES.
Je voudrais conclure cette présentation en vous donnant quelques indications sur la manière dont j'envisage le développement du dialogue entre mon ministère et le Conseil économique et social. Comme vous l'a dit le Premier ministre le 28 avril dernier lorsqu'il est venu devant votre assemblée, le Gouvernement attache une grande importance à la qualité de ses échanges avec le Conseil, et il souhaite recueillir périodiquement son avis sur les enjeux auxquels le pays est confronté. Ce n'est pas de notre part une simple manifestation d'ouverture ou de bonne volonté. Cela résulte profondément de notre conviction que la politique économique ne se résume pas à un ensemble de décisions d'inspiration technocratique, aussi marquées par le souci du bien commun qu'elles puissent être. Elle ne se conçoit pas sans effort d'explication, sans débat, sans confrontation entre les responsables gouvernementaux et les forces économiques et sociales du pays. Cc n'est qu'en nous prêtant à un dialogue nourri et exigeant que nous pourrons répondre au mieux aux attentes de nos concitoyens, que nous pourrons espérer convaincre des vertus de notre politique.
Vous aurez sûrement noté quelques manifestations concrètes de cette démarche. Permettez-moi de vous les rappeler :
*la publication précoce des orientations budgétaires pour l'année à venir, et leur examen par le Parlement ;
*la concertation que Christian Sautter et moi avons conduite sur les choix fiscaux pour 1999 ;
*la refonte du Rapport économique, social et financier du gouvernement, afin d'en faire un vrai document de politique économique.
La réforme de Commission des comptes de la Nation.
Je souhaite poursuivre dans cette voie, et j'ai pour cela décidé de réformer la Commission des comptes et des budgets économiques de la Nation. La CCBEN est une institution éminente, qui a joué un grand rôle depuis sa création dans l'immédiat après-guerre. A travers elle, l'approche quantitative des enjeux économiques s'est développée, au sein de l'administration mais aussi parmi tous les partenaires au dialogue sur les perspectives économiques et sociales. C'est à elle, comme au Plan, que nous devons de parler le même langage. Mais ceux d'entre vous qui en sont membres savent que les échanges en son sein ont, parfois, pris depuis quelques années un certain caractère trop convenu et routinier. Elle avait besoin d'une modernisation. J'ai donc pris les avis d'un certain nombre de personnalités ou d'organisations, et j'ai annoncé à la dernière réunion de la Commission les grands axes d'une réforme. Les voici :
*il faut au ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie une vraie instance de concertation sur les orientations économiques et budgétaires. Je souhaite à cette fin organiser chaque année, entre la présentation du PLF au Conseil des ministres et le début de la discussion parlementaire, une Conférence économique réunissant les organisations syndicales et professionnelle représentatives ; j'y présenterais les orientations du PLF et j'écouterais ce que me diront les principales organisations économiques et sociales.
*je souhaite transformer la Commission des comptes en une instance consultative plus ramassée et plus réactive, composée de personnalités qualifiées françaises et internationales. Cette Commission économique consultative comprendra des économistes et des personnalités issues des milieux économiques et sociaux, nommées à titre personnel. Je la réunirait pour la première fois en mars prochain et ensuite à intervalles rapprochés
*il faudra naturellement veiller à l'équilibre des sensibilités et des origines. Elle débattra des grandes questions structurelles et des principaux dossiers de politique économique. Le groupe technique des prévisions demeurera, car il joue un rôle utile et apprécié de comparaison systématique des visions de l'avenir. La Commission aura bien entendu à connaître de ses travaux.
*enfin je souhaite développer les liens entre le MEFI et le CES et je souhaite proposer au président de ce Conseil d'examiner ensemble comment ce ministère pourrait, chaque année, recueillir l'avis du CES sur des orientations de politique économique du Gouvernement. Une formule possible, si elle vous agrée, est qu'au printemps de chaque année le Gouvernement vous transmette pour avis un document de politique économique portant sur un ou plusieurs des enjeux structurels auxquels nous sommes confrontés. Le CES pourrait alors en délibérer et formuler un avis à l'intention du Gouvernement afin que celui-ci puisse en tenir compte pour l'élaboration du Rapport économique, social et financier qui continuera d'être adressé au Parlement à la rentrée de septembre.
Pour terminer, je voudrais redire tout l'intérêt que le Gouvernement porte à vos travaux et remercier M. Casanova pour l'éclairage porté sur la conjoncture. La politique économique nécessaire pour susciter le cycle de croissance long dont nous avons besoin ne peut que bénéficier des débat de votre Assemblée.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 31 juillet 2002)