Texte intégral
Q- Doper les exportations, est-ce la solution pour régler un certain nombre de maux, notamment ce déficit lourd de la balance commerciale française ?
R- Doper les exportations oui, parce que je ne suis pas "ministre des Achats". Aujourd'hui, les achats sont, de manière importante, des achats de matière énergétique, de pétrole, à un prix du baril qui, vous le savez, est extrêmement fort, qui a augmenté de 60 % depuis le début de l'année. N'étant pas ministre des Achats et ne pouvant pas faire grand-chose sur le cours du baril de pétrole, notre action va se concentrer sur les exportations, et en particulier, puisque c'est là que le Gouvernement peut agir, va essayer de constituer un environnement qui soit propice aux exportations [inaud.] des entreprises françaises qui, aujourd'hui, n'exportent pas beaucoup.
Q- Mais il n'y pas que la facture pétrolière qui grève cette balance commerciale déficitaire, il y a aussi le fait que la France, en termes d'exportations, se porte moins bien qu'il y a quelques années.
R- Je ne dis pas qu'elle se porte moins bien, je pense que les exportations se portent extrêmement bien. Si vous regardez le chiffre des exportations, elles ont atteint un niveau record : on était à 347 milliards d'euros à la fin de l'année dernière, on est à plus de 200 milliards d'euros. On est donc en perspective de croissance de nos exportations.
Q- C'est en parts de marché...
R- Ce qui est juste, ce que nous n'avons pas assez d'entreprises exportatrices. Les grandes entreprises du type Alstom, Areva, Alcatel, Thalès, exportent magnifiquement bien, en général. Je crois que de toute façon, aucune situation n'est jamais acquise et toutes les entreprises doivent être très attentives, puisque la concurrence internationale n'intervient pas seulement en bas de l'échelle, si j'ose dire, dans les produits à faible valeur ajoutée. Il est évident que des pays comme la Chine, l'Inde, pour ne mentionner que ceux-là, sont en train de monter en puissance en termes de valeur. Mais, grosso modo, nos grandes entreprises - on le voit encore avec Airbus, ce matin, qui lance l'A350 - se portent plutôt bien et exportent de manière importante. En revanche, les PME françaises exportent très peu. On s'aperçoit, quand on regarde les chiffres des douanes, que seulement 5 % des PME exportent. C'est très peu par rapport aux entreprises allemandes par exemple, dont 200.000 PME exportent aujourd'hui en France. On a à peu près 100.000 entreprises de taille moyenne qui exportent. Donc, tout le plan export, que l'on appelle "Cap export PME"...
Q- C'est ce que vous avez annoncé hier...
R- ..."Cap export" pour mieux exporter, est destiné à encourager les entreprises françaises de taille moyenne à aborder les marchés extérieurs, y compris dans l'espace économique européen, puisque ce sont là les marchés de proximité qui les effrayent le moins.
Q- Je voudrais quand même que l'on précise quelque chose par rapport aux grandes compagnies : vous disiez tout à l'heure qu'elles se défendaient bien sur le marché de l'exportation ; tout de même, c'est à peine un petit peu plus de la moitié de nos exportations françaises. 42 % des exportations sont tout de même assurés par les PME.
R- Tout à fait. C'est la raison pour laquelle nous voulons encourager ce segment-là, pour deux raisons : parce qu'il y a un potentiel d'exportations important, et deuxièmement, il y a un potentiel d'emplois important. Des analyses convergentes à la fois au niveau de mon ministère, le Commerce extérieur, et des Affaires sociales, démontrent que c'est dans ce vivier-là d'entreprises qu'on a le plus de chances de générer plus d'exportations et plus d'emplois, puisque l'on dit traditionnellement qu'un milliard d'euros d'exportation est à peu près l'équivalent de 15.000 emplois supplémentaires.
Q- Donc aujourd'hui, vous vous situez vraiment en droite ligne du plan gouvernemental, plus général, de relance de l'emploi ?
R- Bien sûr. Tout le Gouvernement est mobilisé à cet effet. Et dans la mesure où le commerce extérieur peut y contribuer, il est évident que nous nous mobilisons pour cette cause.
Q- Cinq pays cibles ont été identifiés : les Etats-Unis, le Japon, la Chine, l'Inde, la Russie. Ce sont des pays différents, il y a trois pays émergents et deux pays bien installés dan le paysage mondial de l'économie. Cela veut-il dire qu'il va y avoir des stratégies différentes ?
R- Ce sont cinq pays pilotes, plus que cinq pays cibles, puisque aujourd'hui, nous avons identifiés vingt-cinq pays comme porteurs d'exportation. Mais ces cinq pays pilotes sont importants pour deux raisons. D'une part, parce qu'ils sont tous les cinq en croissance importante - les uns plus que les autres : la Chine est à peu près à 9 %, le Etats-Unis à 3,5, si on regarde le spectre. Ce sont, tous les cinq, des pays vers lesquels nous avons un potentiel d'exportation important, à deux degrés différents. Les Etats-Unis et le Japon, parce que ce sont des économies qui sont beaucoup plus matures et sur lesquelles nos couples "spécificité sectorielle-maturité du marché" est susceptible de réussir...
Q- Par exemple, en parlant de spécificité sectorielle, dans quels domaines peut-on, nous, arriver sur le marché américain ?
R- Je pense à trois secteurs particuliers : la pharmacie, d'une manière évidente, la cosmétologie - ce sont deux secteurs qui sont extrêmement porteurs - et l'aéronautique. Aussi curieux que cela puisse paraître, si vous regardez le Washington Post d'hier, vous avez six pleines pages de publicité pour Airbus, qui vous indiquent le nombre d'emplois, le nombre de produits et c'est absolument considérable. Donc nous avons des secteurs facteurs d'exportation vers ces pays-là. Les trois autres, Chine, Russie, Inde, c'est de manière très claire, parce que ce sont des pays à forte croissance - la Russie, en plus, avec un gisement de valeurs complémentaires très important actuellement, compte tenu de leurs réserves énergétiques -, vers lesquels il y a d'une part un potentiel de sympathie, et d'autre part, un potentiel de croissance, qui vont nous aider à pousser les entreprises dans ces directions. Sachant que la Russie est probablement moins intimidante, parce qu'elle est plus proche. Curieusement, la géographie joue un rôle important dans l'attitude des entreprises vers l'exportation. La Chine, parce que c'est un peu l'Eldorado du moment, avec les réserves d'usage qu'il faut apporter compte tenu des risques politiques inéluctables, dans le cadre d'un pays qui se développe à cette vitesse, avec un cadre politique tel qu'il est. Et puis l'Inde est aussi en forte croissance, mais avec un certain nombre de blocages qui résultent de son histoire, de sa culture, de son côté très anglo-saxon et de la barrière de la langue qui existe aussi.
Q- Et l'Europe, avec des marchés qui sont plutôt pas très dynamiques en ce moment, reste-t-elle une cible prioritaire ? Vous disiez tout à l'heure que d'un point de vue géographique, c'est quand même ce qu'il y a de plus simple. Cela reste-t-il vrai ?
R- L'Europe représente aujourd'hui 60 à 66 %, disons deux tiers de nos exportations. C'est évidemment une zone très importantes mais vers laquelle on n'a pas identifié de pays pilotes, parce que ce sont nos frères et nos voisins, c'est vraiment le marché intérieur européen...
Q- Avec l'Allemagne qui reste notre débouché prioritaire...
R- L'Allemagne reste notre débouché prioritaire, parce que c'est le pays le plus large. Donc on n'a pas jugé utile d'en faire des pays pilotes. Deuxième axe dont je vous parlais tout à l'heure sur les pays pilotes : nous allons dans ces cinq pays - donc Etats-Unis, Japon, Chine, Russie et Inde - rassembler nos forces. Nous avons un certain nombre d'acteurs à l'exportation que sont, en France, Ubifrance, dans ces pays étrangers, les missions économiques à l'étranger, et toute une série d'autres acteurs : les conseillers du commerce extérieur pour la France, les chambres de commerce, la COFACE qui intervient en assurance prospection. Dans ces cinq pays-là, j'ai l'assurance des acteurs qu'ils vont travailler ensemble, pour soutenir les efforts que les entreprises - nous l'espérons - entreprendrons ensemble. C'est ce que j'ai appelé leur "navigation en escadre".
Q- Est-ce une restructuration qui était nécessaire depuis plusieurs années ? Parce qu'il y avait beaucoup d'organismes disparates, fallait-il éclaircir un peu le paysage ?
R- Il y a déjà des restructurations qui sont intervenues. Ubifrance, c'est déjà la fusion de trois organismes en un seul. Au niveau central, la DGTPE est aussi un organisme qui est concentré maintenant. Il y a des habitudes qui ont été prises, il n'est donc pas question de casser quelque chose qui marche. Il est surtout question de simplifier, de rendre plus lisible et plus efficace un dispositif et des acteurs qui travaillent ensemble.
Q- Avez-vous bon espoir que la France puisse réellement redevenir compétitive, innovante, créatrice à l'export, alors qu'aujourd'hui, on la voit quand même bloquée à l'intérieur ?
R- On ne va pas gloser sur le prix Nobel de monsieur Chauvin, mais je crois que cela fait partie de ces signes qui indiquent quotidiennement que la France n'est pas une société bloquée, que la France est aussi une société d'innovation, de création d'entreprises. Je vais dans les régions à peu près une fois par semaine, je rencontre des entreprises, y compris et particulièrement des PME. Il y a tout un tissu d'industriels qui innovent, qui exportent, qui sont audacieux et qui ont du courage. Ce sont vers ces entreprises que nous nous tournons. Et c'est pour susciter cette audace et ce courage et pour créer un environnement porteur, pas pour protéger - c'est un mot que j'ai beaucoup entendu quand je suis rentrée des Etats-Unis - mais pour encourager, pour vraiment créer un environnement positif et favorable, pour faire s'épanouir un certain nombre d'énergies.
Q- Vous faisiez allusion à vos activités professionnelles aux Etats-Unis. Est-ce difficile la politique en France, aujourd'hui ? Quand vous êtes arrivée, vous avez été un peu surprise par les différents blocages, par la façon dont cela se passait... Aujourd'hui, avez-vous bon espoir que l'on peut effectivement parvenir à faire des choses ?
R- En tout cas, ce n'est pas bloqué, c'est très actif, c'est très dense. Il y a vraiment un esprit d'équipe qui m'a fortement surpris et qui m'a vraiment réconforté au sein du Gouvernement lui-même, dans lequel j'arrivais comme une novice, et dans lequel j'apprends tous les jours.
Q- Vous êtes "issue de la société civile", comme on dit...
R- Oui, je suis issue de la société civile. J'avais une expérience professionnelle et, en particulier, une expérience professionnelle à l'étranger. Mais une chose qui me frappe à propos de la société française : c'est que bien souvent, on ignore nos propres forces et il n'y a rien de tel que de vivre hors de France pour d'apercevoir de la richesse de la France, de son capital d'amour à l'extérieur de ses frontières et du fait que, bien souvent, on s'autocritique, on se flagelle et on a tendance à se regarder un peu trop le nombril, sans s'apercevoir de la richesse qui est la nôtre.
Q- Vous êtes donc très optimiste ?
R- Absolument !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 octobre 2005)