Interview de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, à "France2" le 7 octobre 2005, sur le lancement du plan "Cap Export PME" visant à encourager les PME à mieux exporter, sur les produits d'exportation, sur les volontaires internationaux en entreprise, sur l'attractivité de la France.

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Texte intégral

Q- Le commerce extérieur français se porte plutôt bien en général. On assiste quand même parfois à un petit tassement. Est-ce structurel, conjoncturel, une mauvaise passe ?
R- Ce n'est pas à un tassement auquel on assiste, parce que l'on n'a jamais
autant vendu. Les exportations sont à leur niveau historique, record le plus élevé. Il se trouve qu'en même temps, on achète aussi pas mal et que l'on achète en particulier du pétrole puisque l'on est encore partiellement dépendants de l'étranger pour nos approvisionnements en pétrole, et que le pétrole en ce moment est cher.
Q- Quels sont nos atouts à l'export et quels sont nos points de faiblesse ? Parce qu'en général, c'était à l'intérieur de l'Europe où l'on était plutôt leader, et là, on perd un peu.
R- On ne perd pas, on est toujours de manière prédominante exportateurs vers les pays d'Europe, puisque ce sont nos marchés de proximité et qu'il est naturellement plus facile de s'orienter vers des pays voisins, des pays frères en réalité, à l'intérieur du marché intérieur européen. Ce que j'ai récemment lancé, puisque je l'ai présenté il y a deux jours, c'est "Cap Export PME", c'est-à-dire un projet de mesures visant à encourager les PME à mieux exporter, c'est-à-dire à partir vers des marchés à forte croissance, qui sont un peu loin : il y a la Chine, il y a l'Inde, il y a la Russie ; et puis il y a des pays aussi développés que les Etats-Unis ou le Japon, où il faut que nous encouragions les PME à exporter.
Q- Vous évoquez la Chine, c'est plutôt la grande frayeur. On sait qu'en ce qui concerne le textile notamment, les Chinois nous taillent des croupières - si vous me passez l'expression -, et viennent, y compris en France, faire un peu de dégâts sur le marché du textile. On a vu encore récemment que G. Sarkozy avait été obligé de déposer le bilan de son entreprise textile.
R- La Chine c'est à la fois un très très grand marché et évidemment un marché d'où viennent un certain nombre de produits. Cela fait à peu près dix ans que l'on négocie avec la Chine pour leur entrée à l'OMC. Ils sont rentrés dans l'Organisation Mondiale du Commerce en 2001, et on sait depuis longtemps que, depuis le 1er janvier, les accords multifibres qui protégeaient chacun des marchés allaient être démantelés. Il y a donc toute une série d'entreprises françaises dans le textile... Moi, j'étais au prêt-à-porter il y a quelques semaines, beaucoup d'entreprises textiles se sont préparées, ont développé leurs activités dans des lieux à plus faible coût de main-d'uvre comme la Chine, et donc c'est un nouveau marché qui est en train de se mettre en place, dans lequel nos entreprises françaises, notamment les PME, doivent s'organiser pour tirer le mieux parti de la mondialisation et des atouts de la France. Parce que, vous m'en parliez tout à l'heure, on a des atouts considérables dans le domaine pas seulement des hautes technologies, dans le domaine des produits de marque. On regardait à l'instant les défilés de haute Couture, il y a une image de la France, il y a une culture de la France - j'étais hier à la FIAC, parce que je crois que la culture est aussi un bien d'exportation - nous avons énormément à vendre, en plus des Airbus, des Centrales nucléaires...
Q- On est toujours bons dans des produits de luxe ; dans le vin cela se maintient, en dépit de la concurrence des vins du Nouveau Monde, dans l'automobile ?
R- On est bons dans l'automobile, on est bons dans l'aéronautique. Je vous fais remarquer qu'A350 est un nouvel avion et que l'on est en train d'engranger toute une série de contrats dans ce domaine-là. On est très bons dans le domaine des centrales nucléaires, on est très bons dans le domaine des trains, des métros, etc. C'est de l'industrie lourde à forte valeur ajoutée, d'une part et puis avec un facteur d'innovation et de recherche très très important. Et puis on est traditionnellement bons dans les Champagne, dans la cosmétique, dans les industries pharmaceutiques, c'est une industrie dans laquelle nous sommes extrêmement compétitifs.
Q- On voit régulièrement, quand des grands groupes étrangers veulent racheter des entreprises françaises, une sorte d'émotion un peu patriotique. Est-ce qu'on n'a pas toujours la même émotion quand les entreprises françaises vont capter des marchés à l'export, on ne le dit pas forcément.
R- Quand Pernod-Ricard est allé acheter les Whiskies d'un Britannique, on était très contents. C'est un jeu qui est maintenant différent puisque la France, comme tous les autres pays, opère dans un espace mondial et dans un marché mondial dont on ne doit pas avoir peur, et dans lequel il y a une concurrence, qui doit s'exercer, qui est saine et qui nous oblige à remettre en cause parfois un certain nombre de modèles sur lesquels nous fonctionnons.
Q- Vous voulez relancer un système qui s'appelle "Les volontaires internationaux en entreprise". Avant c'étaient les VSNE, à l'époque où le service militaire existait encore. Le but c'est quoi ? C'est que quand on est jeune, on peut partir pour l'étranger dans une entreprise, quel que soit son niveau de qualification ?
R- Absolument. Les "volontaires internationaux en entreprise" ce sont des jeunes qui ont entre 18 et 28 ans, qui ont un niveau de qualification - ils peuvent être chefs cuisiniers, tailleurs de pierre, ils peuvent être sortis de Centrale ou de Polytechnique, ou d'une grande école commerciale ; il faut qu'ils parlent quand même une langue étrangère, parce que cela peut aider quand on va à l'étranger - et ils sont volontaires pour partir au service d'une entreprise française, pour l'aider soit à exporter, soit à s'implanter à l'étranger, soit à rechercher un partenaire ou à prospecter des marchés.
Q- Cela veut dire qu'ils peuvent être plombiers en Pologne s'ils parlent le polonais ?
R- Par exemple. On peut imaginer une entreprise française spécialisée dans les services de plomberie et de chauffagistes par exemple, et qui souhaiterait implanter une filiale en Pologne, qui va sur le site d'UbiFrance - c'est un petit peu le bras armé de l'exportation en France, avec un certain nombre d'autres...
Q-Ce site UbiFrance, vous en retrouverez les coordonnées sur le site de France2.
R- Ces jeunes s'inscrivent, remplissent un certain nombre de rubriques, indiquent qui ils sont, ce qu'ils savent faire. Il y a un travail de filtrage ensuite qui est effectué par UbiFrance ou tout simplement par des entreprises qui sont en recherche de jeunes volontaires pour partir à l'export. C'est intéressant parce que cela ne coûte pas cher, et cela forme à la fois les jeunes, et cela donne un retour d'expérience pour une entreprise qui est parfois un peu frileuse pour envoyer quelqu'un à l'export à des conditions très chères.
Q- Combien de jeunes bénéficient-ils aujourd'hui de ce système ?
R- Aujourd'hui, nous avons plus de 3.800 jeunes en entreprise à l'étranger, auprès d'entreprises françaises, et nous avons, si j'ose dire en stock, à peu près 40.000 jeunes qui souhaitent partir et qui cherchent une entreprise patronne.
Q- Appel donc à tous les chefs d'entreprise.
R- Cela leur donne un crédit d'impôt en plus.
Q- Très bien, il y a que des avantages. Il y a eu récemment un classement de "l'attractivité" - le mot n'est pas très heureux, mais on comprend bien ce que cela veut dire - des pays dans lesquels les entreprises étrangères aimeraient ou pas investir. Et on s'est rendu compte que la France était au 30ème rang. Alors on peut toujours discuter des critères. Ce n'est pas "top" comme diraient les jeunes...
R- Moi, j'ergote sur les critères, parce que je trouve que c'est un classement qui a été publié par The World Economic Forum, et il publie trois classements : il publie un classement sur la croissance, dans lequel on est deuxième ; il publie un classement qu'ils appellent the business rankings, qui est un classement sur l'opinion des chefs d'entreprise sur la France, où, là, on a fait d'énormes progrès puisque l'on est 11ème - on était 16ème, on est maintenant 11ème, ce qui dénote un progrès évident. Et puis il y a un troisième classement, qui est une espèce d'amalgame des trois, dans lequel on figure comme 30ème. Je ne trouve pas cela très honnête de ne communiquer que sur la place de 30ème. Il se trouve que le classement par les chefs d'entreprise, qui investissent dans n'importe quel pays du monde, nous dit aujourd'hui : la France, vous êtes 11ème, et vous faites quatre places de mieux que l'année dernière. Je trouve cela très favorable. Cela correspond à peu près au fait que nous sommes un terroir d'investissements étrangers. Il y a beaucoup d'étrangers qui viennent investir en France. On était l'année dernière 4ème. Depuis dix ans, on est à peu près systématiquement dans les six ou sept premiers.
Q-Vous parliez de Davos. Se tient à Deauville, en ce moment et ce week-end, un forum qui pourrait être le pendant français, qui s'appelle "the Women for Economy and Society". Quelle en est l'idée ? Que les femmes - vous allez peut-être vous y rendre - sont plus allantes ? Vous-même, vous avez beaucoup vécu à l'étranger.
R- Les femmes sont très "allantes", ont beaucoup d'énergie, beaucoup de confiance. La société est faite d'hommes et de femmes, et il faut que chacun y ait sa place.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 octobre 2005)