Texte intégral
Avec toutes les personnes présentes de cette journée, nous aimerions d'abord vous remercier d'être présents ce soir. Je voudrais remercier chacun des participants de la part essentielle qu'il a prise dans ces débats qui ont été extrêmement productifs et sans détour.
Je voudrais remercier Brigitte Girardin d'avoir assuré avec talent la présidence de cette lourde journée. Vous le savez, c'est une étape essentielle avant le Sommet du G8 au début du mois de juillet, avant la réunion du mois de septembre à New York, sur les Objectifs du Millénaire, avant le Sommet Afrique-France à Bamako et avant la réunion de l'OMC à Hong Kong en décembre prochain.
Cette journée nous a permis de nourrir nos analyses et de conforter nos positions et je tiens personnellement à approfondir ce dialogue sur des questions essentielles qui touchent à l'avenir de nos pays et de notre planète.
Avant de passer la parole à mon collègue et ami Moctar Ouane qui vous présentera, au nom de la présidence malienne, les objectifs du prochain sommet, je voudrais simplement et très rapidement évoquer les quelques points qui me paraissent se détacher des débats tenus aujourd'hui.
D'abord, la priorité à accorder à la prévention et à la résolution des conflits. Pas de développement durable, pas d'aide au développement efficace sans implication accrue pour la résolution des conflits.
Le deuxième point que je voudrais souligner, c'est la volonté confirmée de nos amis africains d'exercer la responsabilité politique du règlement des crises et des conflits sur le continent et de faire en sorte de respecter les engagements pris devant la communauté internationale.
Troisièmement, je voudrais souligner la nature désormais régionale à la fois des facteurs de conflits et des solutions à apporter à leur règlement.
Ensuite, nous avons eu des discussions approfondies sur le terrorisme et la criminalité organisée ; ce sont de nouvelles menaces qui supposent la mise en uvre d'instruments collectifs et spécifiques.
Et enfin, je veux souligner l'intérêt de conforter le partenariat naturel entre le continent européen et le continent africain, entre l'Union européenne et l'Union africaine.
Il est évident que je terminerai par la nécessité de renforcer l'intégration de l'Afrique dans le commerce international, en particulier en ce qui concerne les produits agricoles. Et j'aurai, peut-être, dans les questions que vous me poserez tout à l'heure, l'occasion d'en dire un peu plus.
Q - Le fait pour les pays africains les plus pauvres de pouvoir exporter leurs produits, notamment en matière agricole, c'est que l'Europe protège bien aussi ses marchés et ses agriculteurs et c'est bien légitime aussi, alors, comment effacer cette contradiction ? En avez-vous parlé ?
R - Le ministre - Je vais laisser parler Mme Girardin de ce sujet s'il a été abordé. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'en effet, si on veut donner un sens à la politique en faveur de l'Afrique, on doit permettre à l'Afrique de rentrer dans les circuits économiques et commerciaux internationaux. Je le disais ce matin : il y a 15 ans, 10 % du commerce international concernait l'Afrique, et cette année, 2 %. Et d'ailleurs, regardez ce qui s'est passé pour le coton, le président de la République a, depuis plusieurs années, été l'un des chefs d'Etat dans le monde à défendre cette idée-là.
Ce n'est certainement pas en déstabilisant certains que l'on aide les autres ; c'est, au contraire, en nous basant sur une volonté qui n'est pas une volonté de subventions pour les subventions, mais une volonté de faire entrer nos partenaires africains dans les circuits économiques et dans les circuits commerciaux.
R - La ministre déléguée - J'ajouterai simplement sur ce point, qu'effectivement, le sujet du coton a été largement débattu au cours de notre réunion. C'est un sujet de préoccupation majeure pour nos amis africains. Sur ce dossier et sous l'impulsion du président de la République, la France a pris plusieurs initiatives avec la volonté de soutenir cette filière agricole qui est essentielle, qui crée, je le rappelle quand même, 15 millions d'emplois directs ou indirects. Il est donc essentiel de soutenir cette filière agricole mais c'est tout aussi important de la défendre au sein des instances internationales sous l'aspect commercial. Nous sommes fortement engagés dans le soutien de cette filière et nous défendons l'Afrique sur ce dossier essentiel et qui est, surtout, l'un des piliers économiques de nombreux Etats africains et très pourvoyeur d'emplois.
Q - Dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement qui sont essentiels pour les relations entre la France et l'Afrique notamment, il y a un thème tout à fait structurant qui est celui de la santé. Il est dans trois objectifs et en étant de bonne foi, on pourrait dire qu'il est en réalité dans les huit objectifs. Tout le monde sait que c'est un facteur essentiel du développement. Le seul problème, c'est que lorsque l'on regarde l'aide publique au développement de la France et lorsque l'on consulte les budgets de la plupart des Etats d'Afrique, la santé est vraiment un investissement tout à fait marginal. Je crois d'ailleurs que le Mali fait exception dans ce domaine. Je sais aussi que la France fait beaucoup de choses pour le sida, mais cela ne fait que relativiser le peu de choses qu'elle fait pour le reste, puisqu'au total, je rappelle que c'est 4 % de notre APD. Or, les choses ne vont pas s'arranger, dans les documents cadre - pays qui vont, dans les trois années à venir, organiser la coopération bilatérale entre la France et les Etats africains, la santé ne remonte pratiquement jamais. Cela veut dire que, dans les 3 ans, dans la plupart des relations bilatérales entre la France et l'Afrique, il n'y aura plus de coopération en matière de santé ;
Je voulais d'abord savoir si vous trouviez que c'était en effet un problème, et dans ces conditions, comment comptez-vous répondre et je le répète à la fois du côté africain comme du côté français ?
Q - Concernant les Objectifs du Millénaire, il me semble que l'on a fixé un taux de 0,7 % du PIB. Or, l'OCDE a identifié simplement cinq pays qui déjà atteignent ce taux-là, le Danemark par exemple. Quelle est la position de la France ?
R - Le ministre - Tout d'abord, je voudrais répondre à la première question. Il ne faut pas se tromper, le XXIe siècle aura, avant tout, une question à se poser : oui ou non, les pays du Nord riches et qui ont des médicaments continueront-ils à être aussi égoïstes et, quelque part, aussi bêtes pour ne pas comprendre que le sujet numéro 1 du XXIe siècle sera la santé dans les pays du Sud ? Vous avez raison de le dire et j'aurai l'occasion de m'exprimer sur ce sujet qui, comme vous le savez, me passionne depuis plus de 15 ans.
La France est l'un des pays à avoir initié un certain nombre de réflexions dans le monde sur ces sujets. Le président de la République est, à mon avis, l'un des deux ou trois chefs d'Etat qui a une vision sur la santé des pays du Sud, avec des propositions. Mais, là où vous avez raison, c'est qu'aujourd'hui, nous n'avons pas défini de manière très structurée la politique que nous pouvons mener en termes de santé dans les pays du Sud. Je dirai qu'il suffit de regarder, au ministère des Affaires étrangères, les directions, les groupes, les sous-groupes qui s'intéressent de près ou de loin à ce sujet et il est nécessaire qu'il y ait une globalité, une vision globale de ces sujets et aujourd'hui, elle n'y est pas.
Trois sujets sont essentiels : le premier est la production de médicaments génériques contre la tuberculose, le paludisme et le sida dans les pays pauvres qui sont touchés par ces épidémies. Comme vous le savez, l'OMC a beaucoup travaillé en 2003 sur ce sujet ; à Doha, il y a eu un accord majeur sur la propriété intellectuelle donnant la possibilité aux pays pauvres touchés par ces endémies et ne pouvant pas payer les médicaments nécessaires d'avoir les molécules gratuitement. La question est : qui a transposé ces textes dans le droit national ? Le Canada. La France s'apprête à le faire mais il me paraît important d'avoir un débat là-dessus.
Grâce au président de la République, j'ai pu aller voir M. Lula il y a 7 mois lorsque j'étais ministre de la Santé. Nous avons abordé ce sujet, car il faut l'aborder par l'intermédiaire des pays du Sud, et nous y avons réfléchi. Je dois dire que les laboratoires pharmaceutiques évoluent beaucoup. Ceux qui, il y a encore 5 ans, étaient assez imperméables à cette idée, commencent à avoir une réflexion commune, y compris les Etats-Unis. Nous avons la chance d'avoir, en France, Jean-François Dehecq, le président-directeur général de Sanofi Aventis, numéro 2 au monde, qui a déjà lui-même réfléchi, entamé et engagé une action de son entreprise et de son groupe là-dessus.
Le deuxième sujet, imaginons que ce soit réglé, est le coût des thérapies pour un malade atteint du sida en France, 14 000 euros par malade et par an. Nous pouvons aujourd'hui, avec 150 euros par malade et par an traiter en trithérapie un malade du Sud. 13 à 14 000 d'un côté et 150 à 200 euros de l'autre. On n'a pas le droit de ne pas le faire. Si ce sujet était réglé, imaginons qu'il le soit, comment distribuer, comment atteindre les populations ? Et nous tombons là sur un sujet majeur qui est le système de santé publique. Or, nous n'avons pas mené suffisamment de réflexions sur les systèmes de santé publique. Construire une usine, produire des médicaments ne suffisent pas, il y a tout un système à mettre en place beaucoup plus lourd, beaucoup plus cher, beaucoup plus culturel, beaucoup plus difficile à aborder, en particulier en termes de prévention, de dispensaires.
Enfin, le troisième point, ce sont les études, les actions ciblées sur certaines maladies ; je pense en particulier à la grande annonce du président de la République ce matin de multiplier par deux le prix que la France va payer au Fonds mondial de lutte contre le sida : nous passons de 150 à 300 millions d'euros. Vous avez raison, il y a là toute une politique de cohérence à mettre en place et qui pourrait être exemplaire d'ailleurs vis-à-vis d'autres pays.
R - La ministre déléguée - Concernant l'aide publique au développement, actuellement, sur l'année 2004, nous avons consacré 0,42 % du revenu national brut, ce qui fait un montant de 6,8 milliards d'euros et plus de la moitié de cette aide est consacrée à l'Afrique. Nous allons bientôt dépasser le Japon, en 2005, notre objectif est d'être à 0,44 %, en 2007, à 0,5 % et nous souhaitons évidemment tenir l'engagement de 0,7 % en 2012. Nous nous donnons tous les moyens de réaliser ces objectifs et je rappelle qu'au-delà de l'APD, la France, par la voix du président de la République, a proposé également des financements innovants pour le développement de l'Afrique notamment, et ce sont toutes les initiatives françaises en matière de contributions internationales et notamment de taxation sur les billets d'avions. Et je voulais ajouter que la France participe également, à hauteur de plus de 24 %, au le financement du Fonds européen de Développement. C'est aussi une contribution française à l'Aide au développement par le biais de l'Union européenne et du Fonds européen de Développement.
Q - Vous avez parlé du frein que constituent les conflits en Afrique par rapport au développement. Des décisions ont-elles été prises lors de cette rencontre pour la gestion de ces conflits mais aussi pour leur prévention ?
Concernant le point abordé par le président malien qui parle de la problématique de la jeunesse, la fuite des cerveaux et de l'immigration. Dans ce contexte, la France parle d'une immigration choisie, à quels types de compromis peut-on s'attendre dans le futur ?
Et concrètement, comment s'effectuera la collaboration pour la lutte contre le terrorisme ?
R - Le ministre - Sur la paix et la sécurité, je crois qu'il est important de souligner le lien essentiel entre la paix, le développement et la volonté réaffirmée des Africains de prendre la responsabilité politique du règlement des crises et des conflits sur le continent. Je le disais en commençant, le caractère ou la nature désormais régionale, à la fois des facteurs de conflits et de leur règlement, ont souligné le rôle central pris par l'Union africaine et les organisations régionales pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits, notamment par la mise en place des structures continentales de sécurité, l'implication dans le traitement de la crise au Darfour et les médiations.
Au niveau des régions, la mise en place progressive, par les communautés économiques régionales, des brigades régionales de la force africaine en attente a été mentionnée ainsi que la place centrale du NEPAD, comme "feuille de route" des efforts africains pour assurer en amont ce dont vous avez parlé, c'est-à-dire la prévention des conflits.
Quant au terrorisme et à la criminalité, sur la criminalité organisée, ce sont de nouvelles menaces, c'est vrai, qui supposent des instruments spécifiques.
S'agissant du terrorisme d'abord, il ne peut être réduit ni à une zone géographique ni à une religion, même si l'Islam intégriste est surtout mis en cause en Afrique. Leurs traitements supposent de prendre en compte les racines de ces fléaux, la pauvreté et le sous-développement, le manquement aux droits humains mais aussi des conflits fonciers internes ou autres. Enfin et toujours sur le terrorisme, je dirai que le traitement de ces menaces suppose également une approche régionale, telle que la conférence que propose le président égyptien et la création par l'Union africaine à Alger d'un centre de recherches et d'études sur le terrorisme.
Q - Je crois que nous n'avez pas commenté les décisions importantes qui ont été annoncées ce week-end concernant l'annulation de la dette. Pensez-vous que ces décisions constituent une avancée ? Le mot "historique" a été prononcé, le partagez-vous ? Pensez-vous qu'elles se suffisent à elles-mêmes et ne dénotent-elles pas, d'une certaine manière, une mise en retrait de l'influence française et des solutions que notre pays préconise ?
R - Le ministre - C'est une avancée très importante, c'est une étape significative qui doit être poursuivie, c'est une vieille idée de la France. Comme vous le savez, cela fait près de 10 ans que la France mène ce combat, d'ailleurs sous l'impulsion personnelle du président Chirac. Ainsi, dès le G7 de Cologne en 1999, la France s'est engagée à annuler la totalité de ses créances d'aide publique au développement sur les pays éligibles, à l'initiative et en faveur des pays pauvres et très endettés.
L'engagement français est d'ailleurs, d'ores et déjà, tout à fait considérable, comme le disait à l'instant Mme Girardin. La France est, en effet, l'un des tout premiers créanciers des pays en développement et en particulier africains car elle a été aussi l'un des tout premiers prêteurs, ceci explique cela. Ainsi, pour les 27 pays qui ont franchi le "cap" de l'initiative PPTE, l'effort consenti par la France représente près de deux fois celui des Etats-Unis et plus de quatre fois celui du Royaume-Uni. Je le dis en toute modestie, mais je préfère le dire quand même, car lorsque l'on entend certaines positions, autant rappeler les faits. Pour huit pays africains, les annulations de dettes consenties par la France se sont échelonnées entre 200 millions et 2 milliards de dollars. Surtout, ces mécanismes relatifs à la dette constituent un élément essentiel certes, mais qui doivent également comporter l'augmentation des flux d'aides. C'est l'objet des propositions françaises sur les mécanismes innovants de financement. Nous souhaitons l'intégration des pays africains dans les marchés mondiaux, nous en parlions au début concernant le coton ou sur l'agriculture en général, et le renforcement des efforts en faveur de la paix et de la sécurité.
Ceci dit, c'est un accord historique, qui porte sur 44 milliards de dollars qui doit être, pardonnez-moi de le dire, impérativement financé, ce que le président Chirac a rappelé ce matin, impérativement financé par des ressources nouvelles et non par une simple réallocation des moyens actuels des institutions financières internationales, ce qui affecterait gravement la capacité de financement des projets de ces institutions dans les pays pauvres. C'est parce qu'elle croit à l'avenir et au potentiel de ce continent que la France veut passer de la position de bailleur à celle de partenaire.
A titre personnel, et là cela n'intéresse que moi, je pense que lorsque l'on procède à une annulation de dettes pour un pays, il devrait y avoir un effort du gouvernement pour les personnes qui sont légèrement endettées dans leur pays. Que l'on pense également aux personnes, je crois que cela fait partie aussi des débats que la France peut être amenée à évoquer pour regarder ce que se passe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 2005)
Je voudrais remercier Brigitte Girardin d'avoir assuré avec talent la présidence de cette lourde journée. Vous le savez, c'est une étape essentielle avant le Sommet du G8 au début du mois de juillet, avant la réunion du mois de septembre à New York, sur les Objectifs du Millénaire, avant le Sommet Afrique-France à Bamako et avant la réunion de l'OMC à Hong Kong en décembre prochain.
Cette journée nous a permis de nourrir nos analyses et de conforter nos positions et je tiens personnellement à approfondir ce dialogue sur des questions essentielles qui touchent à l'avenir de nos pays et de notre planète.
Avant de passer la parole à mon collègue et ami Moctar Ouane qui vous présentera, au nom de la présidence malienne, les objectifs du prochain sommet, je voudrais simplement et très rapidement évoquer les quelques points qui me paraissent se détacher des débats tenus aujourd'hui.
D'abord, la priorité à accorder à la prévention et à la résolution des conflits. Pas de développement durable, pas d'aide au développement efficace sans implication accrue pour la résolution des conflits.
Le deuxième point que je voudrais souligner, c'est la volonté confirmée de nos amis africains d'exercer la responsabilité politique du règlement des crises et des conflits sur le continent et de faire en sorte de respecter les engagements pris devant la communauté internationale.
Troisièmement, je voudrais souligner la nature désormais régionale à la fois des facteurs de conflits et des solutions à apporter à leur règlement.
Ensuite, nous avons eu des discussions approfondies sur le terrorisme et la criminalité organisée ; ce sont de nouvelles menaces qui supposent la mise en uvre d'instruments collectifs et spécifiques.
Et enfin, je veux souligner l'intérêt de conforter le partenariat naturel entre le continent européen et le continent africain, entre l'Union européenne et l'Union africaine.
Il est évident que je terminerai par la nécessité de renforcer l'intégration de l'Afrique dans le commerce international, en particulier en ce qui concerne les produits agricoles. Et j'aurai, peut-être, dans les questions que vous me poserez tout à l'heure, l'occasion d'en dire un peu plus.
Q - Le fait pour les pays africains les plus pauvres de pouvoir exporter leurs produits, notamment en matière agricole, c'est que l'Europe protège bien aussi ses marchés et ses agriculteurs et c'est bien légitime aussi, alors, comment effacer cette contradiction ? En avez-vous parlé ?
R - Le ministre - Je vais laisser parler Mme Girardin de ce sujet s'il a été abordé. Mais ce que je veux vous dire, c'est qu'en effet, si on veut donner un sens à la politique en faveur de l'Afrique, on doit permettre à l'Afrique de rentrer dans les circuits économiques et commerciaux internationaux. Je le disais ce matin : il y a 15 ans, 10 % du commerce international concernait l'Afrique, et cette année, 2 %. Et d'ailleurs, regardez ce qui s'est passé pour le coton, le président de la République a, depuis plusieurs années, été l'un des chefs d'Etat dans le monde à défendre cette idée-là.
Ce n'est certainement pas en déstabilisant certains que l'on aide les autres ; c'est, au contraire, en nous basant sur une volonté qui n'est pas une volonté de subventions pour les subventions, mais une volonté de faire entrer nos partenaires africains dans les circuits économiques et dans les circuits commerciaux.
R - La ministre déléguée - J'ajouterai simplement sur ce point, qu'effectivement, le sujet du coton a été largement débattu au cours de notre réunion. C'est un sujet de préoccupation majeure pour nos amis africains. Sur ce dossier et sous l'impulsion du président de la République, la France a pris plusieurs initiatives avec la volonté de soutenir cette filière agricole qui est essentielle, qui crée, je le rappelle quand même, 15 millions d'emplois directs ou indirects. Il est donc essentiel de soutenir cette filière agricole mais c'est tout aussi important de la défendre au sein des instances internationales sous l'aspect commercial. Nous sommes fortement engagés dans le soutien de cette filière et nous défendons l'Afrique sur ce dossier essentiel et qui est, surtout, l'un des piliers économiques de nombreux Etats africains et très pourvoyeur d'emplois.
Q - Dans les Objectifs du Millénaire pour le Développement qui sont essentiels pour les relations entre la France et l'Afrique notamment, il y a un thème tout à fait structurant qui est celui de la santé. Il est dans trois objectifs et en étant de bonne foi, on pourrait dire qu'il est en réalité dans les huit objectifs. Tout le monde sait que c'est un facteur essentiel du développement. Le seul problème, c'est que lorsque l'on regarde l'aide publique au développement de la France et lorsque l'on consulte les budgets de la plupart des Etats d'Afrique, la santé est vraiment un investissement tout à fait marginal. Je crois d'ailleurs que le Mali fait exception dans ce domaine. Je sais aussi que la France fait beaucoup de choses pour le sida, mais cela ne fait que relativiser le peu de choses qu'elle fait pour le reste, puisqu'au total, je rappelle que c'est 4 % de notre APD. Or, les choses ne vont pas s'arranger, dans les documents cadre - pays qui vont, dans les trois années à venir, organiser la coopération bilatérale entre la France et les Etats africains, la santé ne remonte pratiquement jamais. Cela veut dire que, dans les 3 ans, dans la plupart des relations bilatérales entre la France et l'Afrique, il n'y aura plus de coopération en matière de santé ;
Je voulais d'abord savoir si vous trouviez que c'était en effet un problème, et dans ces conditions, comment comptez-vous répondre et je le répète à la fois du côté africain comme du côté français ?
Q - Concernant les Objectifs du Millénaire, il me semble que l'on a fixé un taux de 0,7 % du PIB. Or, l'OCDE a identifié simplement cinq pays qui déjà atteignent ce taux-là, le Danemark par exemple. Quelle est la position de la France ?
R - Le ministre - Tout d'abord, je voudrais répondre à la première question. Il ne faut pas se tromper, le XXIe siècle aura, avant tout, une question à se poser : oui ou non, les pays du Nord riches et qui ont des médicaments continueront-ils à être aussi égoïstes et, quelque part, aussi bêtes pour ne pas comprendre que le sujet numéro 1 du XXIe siècle sera la santé dans les pays du Sud ? Vous avez raison de le dire et j'aurai l'occasion de m'exprimer sur ce sujet qui, comme vous le savez, me passionne depuis plus de 15 ans.
La France est l'un des pays à avoir initié un certain nombre de réflexions dans le monde sur ces sujets. Le président de la République est, à mon avis, l'un des deux ou trois chefs d'Etat qui a une vision sur la santé des pays du Sud, avec des propositions. Mais, là où vous avez raison, c'est qu'aujourd'hui, nous n'avons pas défini de manière très structurée la politique que nous pouvons mener en termes de santé dans les pays du Sud. Je dirai qu'il suffit de regarder, au ministère des Affaires étrangères, les directions, les groupes, les sous-groupes qui s'intéressent de près ou de loin à ce sujet et il est nécessaire qu'il y ait une globalité, une vision globale de ces sujets et aujourd'hui, elle n'y est pas.
Trois sujets sont essentiels : le premier est la production de médicaments génériques contre la tuberculose, le paludisme et le sida dans les pays pauvres qui sont touchés par ces épidémies. Comme vous le savez, l'OMC a beaucoup travaillé en 2003 sur ce sujet ; à Doha, il y a eu un accord majeur sur la propriété intellectuelle donnant la possibilité aux pays pauvres touchés par ces endémies et ne pouvant pas payer les médicaments nécessaires d'avoir les molécules gratuitement. La question est : qui a transposé ces textes dans le droit national ? Le Canada. La France s'apprête à le faire mais il me paraît important d'avoir un débat là-dessus.
Grâce au président de la République, j'ai pu aller voir M. Lula il y a 7 mois lorsque j'étais ministre de la Santé. Nous avons abordé ce sujet, car il faut l'aborder par l'intermédiaire des pays du Sud, et nous y avons réfléchi. Je dois dire que les laboratoires pharmaceutiques évoluent beaucoup. Ceux qui, il y a encore 5 ans, étaient assez imperméables à cette idée, commencent à avoir une réflexion commune, y compris les Etats-Unis. Nous avons la chance d'avoir, en France, Jean-François Dehecq, le président-directeur général de Sanofi Aventis, numéro 2 au monde, qui a déjà lui-même réfléchi, entamé et engagé une action de son entreprise et de son groupe là-dessus.
Le deuxième sujet, imaginons que ce soit réglé, est le coût des thérapies pour un malade atteint du sida en France, 14 000 euros par malade et par an. Nous pouvons aujourd'hui, avec 150 euros par malade et par an traiter en trithérapie un malade du Sud. 13 à 14 000 d'un côté et 150 à 200 euros de l'autre. On n'a pas le droit de ne pas le faire. Si ce sujet était réglé, imaginons qu'il le soit, comment distribuer, comment atteindre les populations ? Et nous tombons là sur un sujet majeur qui est le système de santé publique. Or, nous n'avons pas mené suffisamment de réflexions sur les systèmes de santé publique. Construire une usine, produire des médicaments ne suffisent pas, il y a tout un système à mettre en place beaucoup plus lourd, beaucoup plus cher, beaucoup plus culturel, beaucoup plus difficile à aborder, en particulier en termes de prévention, de dispensaires.
Enfin, le troisième point, ce sont les études, les actions ciblées sur certaines maladies ; je pense en particulier à la grande annonce du président de la République ce matin de multiplier par deux le prix que la France va payer au Fonds mondial de lutte contre le sida : nous passons de 150 à 300 millions d'euros. Vous avez raison, il y a là toute une politique de cohérence à mettre en place et qui pourrait être exemplaire d'ailleurs vis-à-vis d'autres pays.
R - La ministre déléguée - Concernant l'aide publique au développement, actuellement, sur l'année 2004, nous avons consacré 0,42 % du revenu national brut, ce qui fait un montant de 6,8 milliards d'euros et plus de la moitié de cette aide est consacrée à l'Afrique. Nous allons bientôt dépasser le Japon, en 2005, notre objectif est d'être à 0,44 %, en 2007, à 0,5 % et nous souhaitons évidemment tenir l'engagement de 0,7 % en 2012. Nous nous donnons tous les moyens de réaliser ces objectifs et je rappelle qu'au-delà de l'APD, la France, par la voix du président de la République, a proposé également des financements innovants pour le développement de l'Afrique notamment, et ce sont toutes les initiatives françaises en matière de contributions internationales et notamment de taxation sur les billets d'avions. Et je voulais ajouter que la France participe également, à hauteur de plus de 24 %, au le financement du Fonds européen de Développement. C'est aussi une contribution française à l'Aide au développement par le biais de l'Union européenne et du Fonds européen de Développement.
Q - Vous avez parlé du frein que constituent les conflits en Afrique par rapport au développement. Des décisions ont-elles été prises lors de cette rencontre pour la gestion de ces conflits mais aussi pour leur prévention ?
Concernant le point abordé par le président malien qui parle de la problématique de la jeunesse, la fuite des cerveaux et de l'immigration. Dans ce contexte, la France parle d'une immigration choisie, à quels types de compromis peut-on s'attendre dans le futur ?
Et concrètement, comment s'effectuera la collaboration pour la lutte contre le terrorisme ?
R - Le ministre - Sur la paix et la sécurité, je crois qu'il est important de souligner le lien essentiel entre la paix, le développement et la volonté réaffirmée des Africains de prendre la responsabilité politique du règlement des crises et des conflits sur le continent. Je le disais en commençant, le caractère ou la nature désormais régionale, à la fois des facteurs de conflits et de leur règlement, ont souligné le rôle central pris par l'Union africaine et les organisations régionales pour la prévention, la gestion et la résolution des conflits, notamment par la mise en place des structures continentales de sécurité, l'implication dans le traitement de la crise au Darfour et les médiations.
Au niveau des régions, la mise en place progressive, par les communautés économiques régionales, des brigades régionales de la force africaine en attente a été mentionnée ainsi que la place centrale du NEPAD, comme "feuille de route" des efforts africains pour assurer en amont ce dont vous avez parlé, c'est-à-dire la prévention des conflits.
Quant au terrorisme et à la criminalité, sur la criminalité organisée, ce sont de nouvelles menaces, c'est vrai, qui supposent des instruments spécifiques.
S'agissant du terrorisme d'abord, il ne peut être réduit ni à une zone géographique ni à une religion, même si l'Islam intégriste est surtout mis en cause en Afrique. Leurs traitements supposent de prendre en compte les racines de ces fléaux, la pauvreté et le sous-développement, le manquement aux droits humains mais aussi des conflits fonciers internes ou autres. Enfin et toujours sur le terrorisme, je dirai que le traitement de ces menaces suppose également une approche régionale, telle que la conférence que propose le président égyptien et la création par l'Union africaine à Alger d'un centre de recherches et d'études sur le terrorisme.
Q - Je crois que nous n'avez pas commenté les décisions importantes qui ont été annoncées ce week-end concernant l'annulation de la dette. Pensez-vous que ces décisions constituent une avancée ? Le mot "historique" a été prononcé, le partagez-vous ? Pensez-vous qu'elles se suffisent à elles-mêmes et ne dénotent-elles pas, d'une certaine manière, une mise en retrait de l'influence française et des solutions que notre pays préconise ?
R - Le ministre - C'est une avancée très importante, c'est une étape significative qui doit être poursuivie, c'est une vieille idée de la France. Comme vous le savez, cela fait près de 10 ans que la France mène ce combat, d'ailleurs sous l'impulsion personnelle du président Chirac. Ainsi, dès le G7 de Cologne en 1999, la France s'est engagée à annuler la totalité de ses créances d'aide publique au développement sur les pays éligibles, à l'initiative et en faveur des pays pauvres et très endettés.
L'engagement français est d'ailleurs, d'ores et déjà, tout à fait considérable, comme le disait à l'instant Mme Girardin. La France est, en effet, l'un des tout premiers créanciers des pays en développement et en particulier africains car elle a été aussi l'un des tout premiers prêteurs, ceci explique cela. Ainsi, pour les 27 pays qui ont franchi le "cap" de l'initiative PPTE, l'effort consenti par la France représente près de deux fois celui des Etats-Unis et plus de quatre fois celui du Royaume-Uni. Je le dis en toute modestie, mais je préfère le dire quand même, car lorsque l'on entend certaines positions, autant rappeler les faits. Pour huit pays africains, les annulations de dettes consenties par la France se sont échelonnées entre 200 millions et 2 milliards de dollars. Surtout, ces mécanismes relatifs à la dette constituent un élément essentiel certes, mais qui doivent également comporter l'augmentation des flux d'aides. C'est l'objet des propositions françaises sur les mécanismes innovants de financement. Nous souhaitons l'intégration des pays africains dans les marchés mondiaux, nous en parlions au début concernant le coton ou sur l'agriculture en général, et le renforcement des efforts en faveur de la paix et de la sécurité.
Ceci dit, c'est un accord historique, qui porte sur 44 milliards de dollars qui doit être, pardonnez-moi de le dire, impérativement financé, ce que le président Chirac a rappelé ce matin, impérativement financé par des ressources nouvelles et non par une simple réallocation des moyens actuels des institutions financières internationales, ce qui affecterait gravement la capacité de financement des projets de ces institutions dans les pays pauvres. C'est parce qu'elle croit à l'avenir et au potentiel de ce continent que la France veut passer de la position de bailleur à celle de partenaire.
A titre personnel, et là cela n'intéresse que moi, je pense que lorsque l'on procède à une annulation de dettes pour un pays, il devrait y avoir un effort du gouvernement pour les personnes qui sont légèrement endettées dans leur pays. Que l'on pense également aux personnes, je crois que cela fait partie aussi des débats que la France peut être amenée à évoquer pour regarder ce que se passe.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 2005)