Texte intégral
Q- D. de Villepin était hier soir sur France 2. Il propose aux partenaires sociaux des discussions sur les parcours professionnels, la réduction des inégalités au travail et le pouvoir d'achat des salariés. Vous avez regardé France 2 hier soir...
R- J'ai regardé les deux tiers ! Parce que c'est difficile, quand même, la logorrhée verbale, au bout d'un moment !
Q- Vous n'avez pas tenu jusqu'au bout ?
R- J'ai tenu plutôt la deuxième partie...
Q- Quelle est votre réaction, après avoir entendu D. de Villepin hier soir ?
R- Nous avons un curieux Gouvernement, qui mène une politique de droite dure, sous une mousse verbale absolument incompressible. Alors, on a l'emballage, le "baratin" comme diraient certains, et puis, il y a les actes dessous. Sur le fond, M. de Villepin n'a répondu ni aux questions que lui pose le mouvement social, ni à celles d'ailleurs que lui a posées F. Hollande, qui étaient précises quand même. Il se contente de déclarations vastes, creuses et vides. Et il espère, comme ça, qu'il va pouvoir régler les questions. Moi, je ne le crois pas !
Q- C'est quand même astucieux, ce qu'il a proposé : on va augmenter les salaires dans la fonction publique avec l'argent du non remplacement d'une partie des fonctionnaires qui partent à la retraite chaque année. Qu'en pensez-vous ?
R- Je n'en pense rien du tout, parce que les actes sont complètement contraires. Pour l'instant, le pouvoir d'achat de la fonction publique a reculé de 0,5 %. Et je ne vois pas, dans le budget qu'on nous présente aujourd'hui, une augmentation des salaires de la fonction publique. Mais ça, c'est tout ce Gouvernement ! C'est M. Bertrand, qui nous explique que 12 milliards de déficit à la Sécu, c'est moins grave que si c'était pire ! D'ailleurs, M. de Villepin nous l'a répété hier soir. Il nous a dit : "C'est vrai, c'est un gros déficit, mais cela aurait pu être plus grave" ! Le pouvoir d'achat a reculé, dans le privé comme dans la fonction publique. Ce Gouvernement fait des privatisations opaques et sauvages à la rentrée, en forme de provocation. Il a passé l'été à passer le Kärcher, n'est-ce pas, sur le code du travail, par ordonnances. Et quant à ses dispositions fiscales, elles sont complètement inégalitaires : il va consacrer la même somme pour 80.000 personnes et 8 millions de bénéficiaires de la prime à l'emploi. C'est quand même ahurissant !
Q- Hier soir, D. de Villepin a rappelé que sa politique de lutte contre le chômage donne des résultats. Il a dit qu'il y a 80.000 chômeurs en moins, ces trois derniers mois...
R- Oui, bien sûr, et moi, j'entends que l'on ferme à Laval - 450 emplois -, que l'on va fermer en Charente une autre entreprise, que l'on annonce une catastrophe dans les Bouches-du-Rhône pour lundi ! Il y a eu un passage des statistiques un petit peu au nettoyage. Il y a aussi des départs à la retraite, tout le monde le sait. Mais M. de Villepin ne nous a pas expliqué comment il allait résorber les 300.000 chômeurs que ce Gouvernement a créé depuis qu'il est là.
Q- Avant les manifestations de mardi, certains responsables du Parti socialiste ont évoqué un "risque d'embrasement social en France". Est-ce que vous le souhaitez, pour accélérer une éventuelle alternance ?
R- Je ne souhaite pas du tout un embrasement social, parce que dans les embrasements, on ne sait malheureusement pas qui, à l'arrivée, va brûler. Donc je souhaiterais que l'on ait un gouvernement qui comprenne que l'on ne peut pas mener une politique libérale, une politique de droite dure... Prenons le cas fiscal quand même : on nous dit sans arrêt que l'on va baisser les impôts. En réalité, les prélèvements obligatoires augmentent cette année. Cela veut dire que l'on baisse pour les plus riches et que, comme le total augmente, ce sont les plus pauvres qui paient. Comment ? Mais par la fiscalité indirecte, par le prélèvement à la pompe, par les cotisations vieillesse... Par exemple, cette année, l'augmentation 2006 des cotisations vieillesse va être supérieure - 800 millions d'euros - à toutes les baisses fiscales promises pour l'ensemble des ménages.
Q- Cela dit, une parenthèse : dans la motion que vous avez présentée avant le congrès du PS, vous êtes favorable à la création d'un impôt européen...
R- Oui, absolument, mais je l'ai toujours été...
Q- Mais qui va le payer ? Donc les Français vont devoir payer un impôt de plus !
R- Attendez, là, vous passez tout d'un coup de la politique du Gouvernement de M. De Villepin...
Q- A la vôtre, à vos propositions !
R- Si vous voulez que l'on parle de l'Europe, on en parlera dans un instant...
Q- Y aura-t-il un impôt européen en plus ?
R- Mais cela ne veut pas dire en plus ! Cela veut dire que le Parlement européen devrait avoir le droit de lever un impôt, pour financer un plan de développement européen. C'est autre chose. Si vous voulez, on en parle, mais pas au débotté, comme cela ! Là, j'étais sur la France et M. de Villepin. On viendrait peut-être, tout à l'heure, à M. Barroso, cela pourrait être intéressant...
Q- Revenons à la SNCM : D. de Villepin a dit hier qu'il n'y a pas d'autre solution possible que le montage qui a été proposé. Voyez-vous d'autres options ?
R- Je vois une autre option, celle qu'a proposée J.-N. Guérini, président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, qui dit que pour arriver à 50 %, il faut demander à la Caisse des dépôts et consignations de prendre une participation, comme elle l'a fait pour Accor avec 4 milliards d'euros. Je ne vois pas pourquoi la CDC, qui a mis 4 milliards d'euros dans Accor, ne pourrait pas mettre un peu d'argent dans la SNCM, pour qu'entre l'Etat, les salariés et la CDC, on arrive à une majorité publique.
Q- Je rappelle que la compagnie enregistre, chaque année, des pertes de 30 millions d'euros. Donc l'Etat doit continuer, comme cela, à assurer les fins de mois de la SNCM ?
R- Vous savez, quand on a envie de focaliser sur un sujet, on peut le faire. On pourrait aussi parler du système d'armement de Rafale, qui coûte beaucoup plus cher, et dont personne ne parle !
Q- Mais on ne parle pas de ça, on parle de la SNCM !
R- Oui, mais quand on parle aux Français, il est évident que si l'on pointe un déficit, sans parler des autres, ou des autres dépenses, c'est un peu facile quand même. La SNCM assure la continuité territoriale...
Q- Donc l'Etat doit assurer les fins de mois, quoi qu'il arrive ?
R- C'est par nature une activité qui n'est pas rentable. On n'a jamais vu
une continuité territoriale, que ce soit en France ou en Italie, rentable.
Donc expliquer qu'il faut assumer une mission de service public, et
qu'en plus il faut être rentable, c'est un peu curieux. C'est tout nouveau,
cela vient d'arriver !
Q- Donc l'Etat continue à payer, même s'il y a des déficits énormes ?
R- Mais ne présentez pas les choses comme ça ! L'Etat continue à payer pour la police, pour la justice, pour l'éducation... Si vous voulez remettre en cause toutes les dépenses de l'Etat, il faut le dire, à commencer par les radios publiques alors !
Q- La présidente du Medef, L. Parisot, demande, ce matin, au Gouvernement de débloquer le port de Marseille, qui est paralysé par la grève. Elle dit qu'il y a urgence, parce qu'un grand nombre d'entreprises sont en péril. Quelle est votre réaction ?
R- Je pense que M. de Villepin a mis les pieds dans un guêpier à l'improviste. Je ne sais pas ce qui lui a pris d'essayer de privatiser la SNCM sans prévenir personne, dans une rentrée sociale qui était déjà difficile, dans des conditions qui étaient en plus ahurissantes ! On n'a jamais vu un gouvernement demander à un préfet de région de négocier une privatisation ! Il n'y a pas eu d'appel d'offres. On a vu des gens assez proches du pouvoir se précipiter... Je pense qu'aujourd'hui d'ailleurs, ils doivent se dire qu'ils ont peut-être été un peu rapides ! Donc tout cela s'est fait dans des conditions absolument insupportables. Et il n'est pas étonnant que l'on soit aujourd'hui dans un guêpier, parce qu'il y a la question de la SNCM, mais il y a aussi la question politique : les nationalistes corses s'étaient quand même fait un peu oublier. M. de Villepin leur a apporté, là, un peu de carburant, si j'ose dire !
Q- D. de Villepin, hier soir, a évoqué le dossier Hewlett-Packard. Que pensez-vous de ce qu'a dit J. Chirac, cette semaine, qui a critiqué sévèrement la Commission européenne ? Il a dit que la Commission européenne, tout de même, aurait dû s'impliquer dans ce dossier. Qu'en pensez-vous ?
R- Deux choses. D'abord, M. de Villepin a appartenu à un gouvernement qui a supprimé la loi de modernisation sociale, qui aurait permis de demander quelques garanties à Hewlett-Packard, et maintenant, il dit qu'il n'a plus d'outils ! Evidemment, ce sont eux qui les ont détruits, le gouvernement de M. Raffarin, dans lequel était quand même M. de Villepin. Et dans l'affaire européenne, il y a deux choses : que J. Chirac fasse preuve de duplicité, en demandant à M. Barroso de l'aider à régler le problème Hewlett-Packard, c'est évident ; mais que M. Barroso estime que lorsque l'on met en cause la logique de l'économie de marché, on fait du "populisme", alors là, on n'est plus dans le libéralisme, on est dans la religiosité de l'ultralibéralisme ! Parce que si l'on ne peut plus demander des règles pour le marché ou des exceptions au marché, sans que M. Barroso qui, je le rappelle quand même, a été mis dehors à la majorité absolue dans son propre pays, vienne nous donner des leçons d'ultralibéralisme, c'est quand même un peu gros. Et ce que M. Barroso a aussi fait - je tiens à le dire, parce que personne n'en a parlé en France -, c'est qu'il vient de décider de retirer, le 27 septembre, deux textes qui concernaient la Mutualité française, donc 40 millions de mutualistes, sans rien demander à personne. On attendait ces textes, eh bien, M. Barroso a décidé, tout seul, de les retirer.
Q- Parlons de la préparation du congrès du Parti socialiste, le 18 novembre. Vous savez signé une motion, avec A. Montebourg et V. Peillon. Vous avez dit, dimanche dernier, lors d'une réunion, qu'il faut que "le PS se rénove, avec une ligne réformiste, progressiste", qu'il faut "le rassemblement à gauche". Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Ce sont des mots un peu creux : "réformisme", "progressisme"...
R- Cela veut dire pas de privatisation d'EDF. J'étais un peu isolé, il y a quelques années ; maintenant tout le monde est sur cette position. Cela veut dire intégration de la prime à l'emploi dans les salaires. Cela veut dire politique fiscale - parce que, je m'excuse, si l'on veut de l'action publique, il faut des ressources pour la financer, alors que l'on a perdu plus de 200 milliards de francs de recettes fiscales et que tout le monde s'étonne maintenant qu'il y ait du déficit !
Q- J'aimerais savoir jusqu'où peut aller la ligne Emmanuelli- Montebourg-Peillon, dans la rupture avec le capitalisme de marché, alors que l'on a essayé de remplacer...
R- Je n'ai jamais parlé de "rupture avec le capitalisme" ! Là, vous êtes sur les caricatures d'il y a vingt ans. Entre temps, que voulez-vous, j'ai un peu vieilli. Pas vous, j'ai l'impression...
Q- Mais que proposez-vous pour s'accommoder de ce capitalisme de marché, qui est toujours là, de cette mondialisation ?
R- Ca suffit, les caricatures ! J'ai entendu M. de Villepin, hier soir, parler de république soviétique et répondre à F. Hollande que les socialistes voulaient une "République soviétique". Je pensais que ce genre de caricatures était derrière nous, depuis que M. Poniatowski, en 1981, nous parlait des chars russes sur les Champs-Elysées !
Q- Mais vous, vous employez le mot "libéralisme", c'est une façon de parler du capitalisme de marché !
R- La droite ne va pas s'en tirer comme cela, quand même ! C'est un peu gros ! Personne n'est partisan, au Parti socialiste, du Gosplan. Tout le monde est donc partisan de l'économie de marché. Simplement, il faut des règles et il faut des exceptions, il faut qu'elles soient régulées, c'est-à-dire l'inverse de ce que fait M. Barroso qui, lui, n'a qu'une exception : c'est de déréguler.
Q- On termine avec les haines au Parti socialiste...
R- Des haines !
Q- Ah oui. Dans son livre, "Si la gauche savait", paru chez Robert Laffont, M. Rocard revient sur la victoire du "non" au référendum. Il parle de vous et dit : "Emmanuelli, c'est l'anti-Jaurès". Il parle aussi des "orthodoxes emmanuellistes". Vous avez un côté, dans ce livre, "ayatollah du socialisme !"
R- Mais pas du tout ! Je suis l'Antéchrist, si j'ai bien compris ! Je ne perçois pas cela comme un cri de haine, je prends cela plutôt comme un chant désespéré.
Q- Pourquoi ?
R- Parce que cela m'a l'air d'être le chant d'une certaine désespérance. Et je compatis !
Q- Vous n'êtes pas "l'anti-Jaurès" ?
R- Je compatis, ai-je dit...
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 octobre 2005)
R- J'ai regardé les deux tiers ! Parce que c'est difficile, quand même, la logorrhée verbale, au bout d'un moment !
Q- Vous n'avez pas tenu jusqu'au bout ?
R- J'ai tenu plutôt la deuxième partie...
Q- Quelle est votre réaction, après avoir entendu D. de Villepin hier soir ?
R- Nous avons un curieux Gouvernement, qui mène une politique de droite dure, sous une mousse verbale absolument incompressible. Alors, on a l'emballage, le "baratin" comme diraient certains, et puis, il y a les actes dessous. Sur le fond, M. de Villepin n'a répondu ni aux questions que lui pose le mouvement social, ni à celles d'ailleurs que lui a posées F. Hollande, qui étaient précises quand même. Il se contente de déclarations vastes, creuses et vides. Et il espère, comme ça, qu'il va pouvoir régler les questions. Moi, je ne le crois pas !
Q- C'est quand même astucieux, ce qu'il a proposé : on va augmenter les salaires dans la fonction publique avec l'argent du non remplacement d'une partie des fonctionnaires qui partent à la retraite chaque année. Qu'en pensez-vous ?
R- Je n'en pense rien du tout, parce que les actes sont complètement contraires. Pour l'instant, le pouvoir d'achat de la fonction publique a reculé de 0,5 %. Et je ne vois pas, dans le budget qu'on nous présente aujourd'hui, une augmentation des salaires de la fonction publique. Mais ça, c'est tout ce Gouvernement ! C'est M. Bertrand, qui nous explique que 12 milliards de déficit à la Sécu, c'est moins grave que si c'était pire ! D'ailleurs, M. de Villepin nous l'a répété hier soir. Il nous a dit : "C'est vrai, c'est un gros déficit, mais cela aurait pu être plus grave" ! Le pouvoir d'achat a reculé, dans le privé comme dans la fonction publique. Ce Gouvernement fait des privatisations opaques et sauvages à la rentrée, en forme de provocation. Il a passé l'été à passer le Kärcher, n'est-ce pas, sur le code du travail, par ordonnances. Et quant à ses dispositions fiscales, elles sont complètement inégalitaires : il va consacrer la même somme pour 80.000 personnes et 8 millions de bénéficiaires de la prime à l'emploi. C'est quand même ahurissant !
Q- Hier soir, D. de Villepin a rappelé que sa politique de lutte contre le chômage donne des résultats. Il a dit qu'il y a 80.000 chômeurs en moins, ces trois derniers mois...
R- Oui, bien sûr, et moi, j'entends que l'on ferme à Laval - 450 emplois -, que l'on va fermer en Charente une autre entreprise, que l'on annonce une catastrophe dans les Bouches-du-Rhône pour lundi ! Il y a eu un passage des statistiques un petit peu au nettoyage. Il y a aussi des départs à la retraite, tout le monde le sait. Mais M. de Villepin ne nous a pas expliqué comment il allait résorber les 300.000 chômeurs que ce Gouvernement a créé depuis qu'il est là.
Q- Avant les manifestations de mardi, certains responsables du Parti socialiste ont évoqué un "risque d'embrasement social en France". Est-ce que vous le souhaitez, pour accélérer une éventuelle alternance ?
R- Je ne souhaite pas du tout un embrasement social, parce que dans les embrasements, on ne sait malheureusement pas qui, à l'arrivée, va brûler. Donc je souhaiterais que l'on ait un gouvernement qui comprenne que l'on ne peut pas mener une politique libérale, une politique de droite dure... Prenons le cas fiscal quand même : on nous dit sans arrêt que l'on va baisser les impôts. En réalité, les prélèvements obligatoires augmentent cette année. Cela veut dire que l'on baisse pour les plus riches et que, comme le total augmente, ce sont les plus pauvres qui paient. Comment ? Mais par la fiscalité indirecte, par le prélèvement à la pompe, par les cotisations vieillesse... Par exemple, cette année, l'augmentation 2006 des cotisations vieillesse va être supérieure - 800 millions d'euros - à toutes les baisses fiscales promises pour l'ensemble des ménages.
Q- Cela dit, une parenthèse : dans la motion que vous avez présentée avant le congrès du PS, vous êtes favorable à la création d'un impôt européen...
R- Oui, absolument, mais je l'ai toujours été...
Q- Mais qui va le payer ? Donc les Français vont devoir payer un impôt de plus !
R- Attendez, là, vous passez tout d'un coup de la politique du Gouvernement de M. De Villepin...
Q- A la vôtre, à vos propositions !
R- Si vous voulez que l'on parle de l'Europe, on en parlera dans un instant...
Q- Y aura-t-il un impôt européen en plus ?
R- Mais cela ne veut pas dire en plus ! Cela veut dire que le Parlement européen devrait avoir le droit de lever un impôt, pour financer un plan de développement européen. C'est autre chose. Si vous voulez, on en parle, mais pas au débotté, comme cela ! Là, j'étais sur la France et M. de Villepin. On viendrait peut-être, tout à l'heure, à M. Barroso, cela pourrait être intéressant...
Q- Revenons à la SNCM : D. de Villepin a dit hier qu'il n'y a pas d'autre solution possible que le montage qui a été proposé. Voyez-vous d'autres options ?
R- Je vois une autre option, celle qu'a proposée J.-N. Guérini, président du Conseil général des Bouches-du-Rhône, qui dit que pour arriver à 50 %, il faut demander à la Caisse des dépôts et consignations de prendre une participation, comme elle l'a fait pour Accor avec 4 milliards d'euros. Je ne vois pas pourquoi la CDC, qui a mis 4 milliards d'euros dans Accor, ne pourrait pas mettre un peu d'argent dans la SNCM, pour qu'entre l'Etat, les salariés et la CDC, on arrive à une majorité publique.
Q- Je rappelle que la compagnie enregistre, chaque année, des pertes de 30 millions d'euros. Donc l'Etat doit continuer, comme cela, à assurer les fins de mois de la SNCM ?
R- Vous savez, quand on a envie de focaliser sur un sujet, on peut le faire. On pourrait aussi parler du système d'armement de Rafale, qui coûte beaucoup plus cher, et dont personne ne parle !
Q- Mais on ne parle pas de ça, on parle de la SNCM !
R- Oui, mais quand on parle aux Français, il est évident que si l'on pointe un déficit, sans parler des autres, ou des autres dépenses, c'est un peu facile quand même. La SNCM assure la continuité territoriale...
Q- Donc l'Etat doit assurer les fins de mois, quoi qu'il arrive ?
R- C'est par nature une activité qui n'est pas rentable. On n'a jamais vu
une continuité territoriale, que ce soit en France ou en Italie, rentable.
Donc expliquer qu'il faut assumer une mission de service public, et
qu'en plus il faut être rentable, c'est un peu curieux. C'est tout nouveau,
cela vient d'arriver !
Q- Donc l'Etat continue à payer, même s'il y a des déficits énormes ?
R- Mais ne présentez pas les choses comme ça ! L'Etat continue à payer pour la police, pour la justice, pour l'éducation... Si vous voulez remettre en cause toutes les dépenses de l'Etat, il faut le dire, à commencer par les radios publiques alors !
Q- La présidente du Medef, L. Parisot, demande, ce matin, au Gouvernement de débloquer le port de Marseille, qui est paralysé par la grève. Elle dit qu'il y a urgence, parce qu'un grand nombre d'entreprises sont en péril. Quelle est votre réaction ?
R- Je pense que M. de Villepin a mis les pieds dans un guêpier à l'improviste. Je ne sais pas ce qui lui a pris d'essayer de privatiser la SNCM sans prévenir personne, dans une rentrée sociale qui était déjà difficile, dans des conditions qui étaient en plus ahurissantes ! On n'a jamais vu un gouvernement demander à un préfet de région de négocier une privatisation ! Il n'y a pas eu d'appel d'offres. On a vu des gens assez proches du pouvoir se précipiter... Je pense qu'aujourd'hui d'ailleurs, ils doivent se dire qu'ils ont peut-être été un peu rapides ! Donc tout cela s'est fait dans des conditions absolument insupportables. Et il n'est pas étonnant que l'on soit aujourd'hui dans un guêpier, parce qu'il y a la question de la SNCM, mais il y a aussi la question politique : les nationalistes corses s'étaient quand même fait un peu oublier. M. de Villepin leur a apporté, là, un peu de carburant, si j'ose dire !
Q- D. de Villepin, hier soir, a évoqué le dossier Hewlett-Packard. Que pensez-vous de ce qu'a dit J. Chirac, cette semaine, qui a critiqué sévèrement la Commission européenne ? Il a dit que la Commission européenne, tout de même, aurait dû s'impliquer dans ce dossier. Qu'en pensez-vous ?
R- Deux choses. D'abord, M. de Villepin a appartenu à un gouvernement qui a supprimé la loi de modernisation sociale, qui aurait permis de demander quelques garanties à Hewlett-Packard, et maintenant, il dit qu'il n'a plus d'outils ! Evidemment, ce sont eux qui les ont détruits, le gouvernement de M. Raffarin, dans lequel était quand même M. de Villepin. Et dans l'affaire européenne, il y a deux choses : que J. Chirac fasse preuve de duplicité, en demandant à M. Barroso de l'aider à régler le problème Hewlett-Packard, c'est évident ; mais que M. Barroso estime que lorsque l'on met en cause la logique de l'économie de marché, on fait du "populisme", alors là, on n'est plus dans le libéralisme, on est dans la religiosité de l'ultralibéralisme ! Parce que si l'on ne peut plus demander des règles pour le marché ou des exceptions au marché, sans que M. Barroso qui, je le rappelle quand même, a été mis dehors à la majorité absolue dans son propre pays, vienne nous donner des leçons d'ultralibéralisme, c'est quand même un peu gros. Et ce que M. Barroso a aussi fait - je tiens à le dire, parce que personne n'en a parlé en France -, c'est qu'il vient de décider de retirer, le 27 septembre, deux textes qui concernaient la Mutualité française, donc 40 millions de mutualistes, sans rien demander à personne. On attendait ces textes, eh bien, M. Barroso a décidé, tout seul, de les retirer.
Q- Parlons de la préparation du congrès du Parti socialiste, le 18 novembre. Vous savez signé une motion, avec A. Montebourg et V. Peillon. Vous avez dit, dimanche dernier, lors d'une réunion, qu'il faut que "le PS se rénove, avec une ligne réformiste, progressiste", qu'il faut "le rassemblement à gauche". Qu'est-ce que tout cela veut dire ? Ce sont des mots un peu creux : "réformisme", "progressisme"...
R- Cela veut dire pas de privatisation d'EDF. J'étais un peu isolé, il y a quelques années ; maintenant tout le monde est sur cette position. Cela veut dire intégration de la prime à l'emploi dans les salaires. Cela veut dire politique fiscale - parce que, je m'excuse, si l'on veut de l'action publique, il faut des ressources pour la financer, alors que l'on a perdu plus de 200 milliards de francs de recettes fiscales et que tout le monde s'étonne maintenant qu'il y ait du déficit !
Q- J'aimerais savoir jusqu'où peut aller la ligne Emmanuelli- Montebourg-Peillon, dans la rupture avec le capitalisme de marché, alors que l'on a essayé de remplacer...
R- Je n'ai jamais parlé de "rupture avec le capitalisme" ! Là, vous êtes sur les caricatures d'il y a vingt ans. Entre temps, que voulez-vous, j'ai un peu vieilli. Pas vous, j'ai l'impression...
Q- Mais que proposez-vous pour s'accommoder de ce capitalisme de marché, qui est toujours là, de cette mondialisation ?
R- Ca suffit, les caricatures ! J'ai entendu M. de Villepin, hier soir, parler de république soviétique et répondre à F. Hollande que les socialistes voulaient une "République soviétique". Je pensais que ce genre de caricatures était derrière nous, depuis que M. Poniatowski, en 1981, nous parlait des chars russes sur les Champs-Elysées !
Q- Mais vous, vous employez le mot "libéralisme", c'est une façon de parler du capitalisme de marché !
R- La droite ne va pas s'en tirer comme cela, quand même ! C'est un peu gros ! Personne n'est partisan, au Parti socialiste, du Gosplan. Tout le monde est donc partisan de l'économie de marché. Simplement, il faut des règles et il faut des exceptions, il faut qu'elles soient régulées, c'est-à-dire l'inverse de ce que fait M. Barroso qui, lui, n'a qu'une exception : c'est de déréguler.
Q- On termine avec les haines au Parti socialiste...
R- Des haines !
Q- Ah oui. Dans son livre, "Si la gauche savait", paru chez Robert Laffont, M. Rocard revient sur la victoire du "non" au référendum. Il parle de vous et dit : "Emmanuelli, c'est l'anti-Jaurès". Il parle aussi des "orthodoxes emmanuellistes". Vous avez un côté, dans ce livre, "ayatollah du socialisme !"
R- Mais pas du tout ! Je suis l'Antéchrist, si j'ai bien compris ! Je ne perçois pas cela comme un cri de haine, je prends cela plutôt comme un chant désespéré.
Q- Pourquoi ?
R- Parce que cela m'a l'air d'être le chant d'une certaine désespérance. Et je compatis !
Q- Vous n'êtes pas "l'anti-Jaurès" ?
R- Je compatis, ai-je dit...
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 11 octobre 2005)