Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je suis très heureux de conclure votre journée de réflexion sur les relations entre le théâtre public et le théâtre privé.
Et je le suis d'autant plus que vous avez placé votre rencontre sous le double symbole des identités et des passerelles, deux termes essentiels qui renvoient, pour moi, à trois autres axes : l'ouverture, le rayonnement, la lisibilité, sur lesquels je fonde mon action en faveur du théâtre, ainsi que je l'ai annoncé le 5 octobre dernier rue de Valois.
Je vous remercie, cher Jacques Baillon, de votre invitation, car elle me permet d'abord de dire aux responsables du théâtre privé et à tous ceux, artistes et techniciens, qui le font vivre au quotidien, mon admiration et ma reconnaissance.
Les théâtres privés constituent en effet un réseau de 48 salles à Paris, unique en Europe, produisant une centaine de spectacles par an, rayonnant, grâce aux tournées, sur l'ensemble du territoire, et rassemblant chaque année 2 850 000 spectateurs.
Depuis toujours, le théâtre privé a été à l'origine de la découverte de nombreux auteurs, joués par de remarquables comédiens, dont les noms font partie désormais de notre mémoire collective. Et vous savez combien cette mémoire m'est chère : j'ai en effet décidé d'organiser, le 17 juillet 2006, au cur du Festival d'Avignon, une grande journée consacrée aux soixante ans de la décentralisation théâtrale. Je souhaite qu'à cette occasion, la grande famille du théâtre se réunisse pour célébrer son amour des textes d'hier et d'aujourd'hui et réfléchir à ce qui l'unit plutôt qu'à ce qui la sépare. Tous ici, vous êtes donc invités à construire avec moi cet événement : je compte sur vos souvenirs aussi bien que sur votre participation active !
Sur cette scène, vous ne m'en voudrez pas d'ailleurs d'évoquer les noms de Jean Desailly et de Simone Valère, qui furent durant tant d'années acteurs dans la compagnie de Madeleine Renaud et de Jean-Louis Barrault, puis directeurs de ce beau Théâtre de La Madeleine, prouvant ainsi la force du lien qui peut, et doit, unir théâtre public et théâtre privé.
L'accent mis sur les grandes réussites du théâtre public, dont je suis fier comme Ministre et auxquelles je suis redevable, comme spectateur, de beaux et rares moments d'émotion, a parfois terni l'image du théâtre privé, assimilé à tort au seul théâtre de divertissement. Or je sais, nous savons tous ici, combien le privé a toujours su garder une véritable capacité à prendre des risques artistiques et à proposer au public des spectacles exigeants et passionnants. Et je place volontiers dans cette catégorie cet art si difficile de la comédie que le théâtre public néglige parfois, alors que les spectateurs réclament avec raison le retour du rire sur les scènes de théâtre.
Heureusement, la différence, autrefois sensible, entre théâtre public et théâtre privé, tend à se réduire en raison de l'évolution des répertoires et de la circulation des auteurs et des comédiens d'un secteur à l'autre.
Ici même, dans ce théâtre, sera créée la semaine prochaine une pièce d'Edward Albee mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia, qui fut metteur en scène associé au Théâtre de La Criée-centre dramatique national de Marseille, et accueilli régulièrement sur les scènes publiques, du Théâtre de la Tempête à celui du Rond-Point.
Au Théâtre de l'uvre, la présentation récente de la pièce de Denise Bonal " Dis à ma mère que je pars en voyage ", d'abord créée au Rond-Point, ou encore, il y a quelques mois, la reprise au Théâtre des Bouffes Parisiens des " Bonnes " de Jean Genet d'abord mis en scène par Alfredo Arias au Théâtre de l'Athénée, prouvent combien le passage d'un secteur à l'autre est fécond.
Et je n'oublie pas les expériences de Gildas Bourdet, de Roger Planchon, de Jacques Weber, de Pierre Pradinas ou de compagnies comme celle de Lisa Wurmser, accueillie au Théâtre Hébertot, ou encore la création à la Maison de la culture de Bourges du fameux " André le magnifique " repris triomphalement au Théâtre Tristan Bernard et devenu un long-métrage de cinéma.
A cette dimension artistique s'ajoute une réalité économique. Dans notre pays, tous les théâtres sont, d'une certaine manière, des théâtres soutenus par des fonds publics : le théâtre public par la subvention directe de l'Etat ou des collectivités territoriales, le théâtre privé par la taxe fiscale sur la billetterie et par les subventions versées par l'Etat et la Ville de Paris au fonds de soutien pour le théâtre privé.
Il importe que nous partagions aujourd'hui l'objectif de parvenir collectivement à la meilleure utilisation de ces financements publics. C'est pourquoi j'ai demandé à la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles de mener une étude sur " l'Association de soutien pour le théâtre privé ". Et je me réjouis qu'elle ait pu se faire en très étroite collaboration avec la Ville de Paris.
Le rapport issu de cette étude, qui vient d'être rendu public, ouvre un ensemble de pistes qui me paraissent particulièrement intéressantes pour le rapprochement du public et du privé.
Il constate en effet que les modes de fonctionnement propres à chaque secteur induisent une exploitation encore insuffisante des spectacles : les théâtres publics ne jouent qu'un nombre limité de représentations à leur siège et rarement à Paris (8 245 représentations en 2004 contre 15 123 pour les théâtres privés), tandis que les théâtres privés ne tournent pas suffisamment en région faute d'être accueillis par les Centres dramatiques nationaux, les scènes nationales ou les scènes conventionnées.
Or, les théâtres privés pourraient accueillir les productions réalisées du théâtre public pour les exploiter à long terme, et les théâtres subventionnés pourraient programmer les meilleures productions du théâtre privé.
Déjà, la transformation de la taxe parafiscale en taxe fiscale - qui augmente les revenus du fonds de soutien (d'un peu plus de 3 millions d'euros en 2003 à 4 millions d'euros en 2004), par ailleurs soutenu financièrement par l'Etat et la Ville de Paris (plus de 7 millions d'euros) - favorise la multiplication des échanges entre les deux secteurs.
Le rapport propose d'aller plus loin. Je souhaite donc que le groupe de travail qui vient de se mettre en place entre l'association de soutien pour le théâtre privé, la Ville de Paris et le Ministère de la Culture et de la Communication approfondisse tout particulièrement trois propositions :
- l'élargissement de la taxe fiscale à toutes les représentations de théâtre, privé ou public, sur l'ensemble du territoire national ;
- la possibilité, pour tout théâtre privé parisien, de consacrer un de ses droits de tirage auprès du fonds de soutien à la reprise d'une production existante du théâtre public ;
- le développement du mécénat, voire de l'investissement, dans le théâtre et je pense particulièrement à la possibilité de créer l'équivalent des Sofica pour le théâtre.
J'ajoute qu'il me paraîtrait nécessaire que les tourneurs, qui jouent un rôle majeur dans la circulation des uvres, saisissent cette occasion pour multiplier les échanges d'un secteur à l'autre.
Pour conclure, je veux rappeler que si les Molières sont depuis dix-neuf ans la grande fête annuelle du théâtre, ainsi qu'une émission de télévision, ils constituent aussi un lieu unique de dialogue et de rapprochement entre le théâtre privé et le théâtre public.
J'ai demandé à Patrick de Carolis de reprendre ce dossier et je suis sûr qu'avec lui, nous pourrons construire un travail en commun pour rapprocher théâtre et télévision.
La dix-neuvième édition a permis de lancer une réforme qui doit être, tant dans l'organisation que dans la forme de l'émission de télévision elle-même, prolongée et améliorée. Car il est dans notre intérêt à tous de fêter un bel anniversaire à l'occasion de la vingtième édition, en 2006.
Riches de vos différences, et forts de ce qui vous rassemble, je tiens à vous dire enfin que vous êtes tous, auteurs, acteurs, directeurs, équipes artistiques et techniciens du théâtre public comme du théâtre privé, chargés d'une mission essentielle : construire une société qui refuse le repli sur soi et se rassemble dans les salles de spectacle pour former une communauté qui partage, dans le rire ou les larmes, ses émotions et ses valeurs.
De cela, je tiens à vous remercier.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 11 octobre 2005)
Chers amis,
Je suis très heureux de conclure votre journée de réflexion sur les relations entre le théâtre public et le théâtre privé.
Et je le suis d'autant plus que vous avez placé votre rencontre sous le double symbole des identités et des passerelles, deux termes essentiels qui renvoient, pour moi, à trois autres axes : l'ouverture, le rayonnement, la lisibilité, sur lesquels je fonde mon action en faveur du théâtre, ainsi que je l'ai annoncé le 5 octobre dernier rue de Valois.
Je vous remercie, cher Jacques Baillon, de votre invitation, car elle me permet d'abord de dire aux responsables du théâtre privé et à tous ceux, artistes et techniciens, qui le font vivre au quotidien, mon admiration et ma reconnaissance.
Les théâtres privés constituent en effet un réseau de 48 salles à Paris, unique en Europe, produisant une centaine de spectacles par an, rayonnant, grâce aux tournées, sur l'ensemble du territoire, et rassemblant chaque année 2 850 000 spectateurs.
Depuis toujours, le théâtre privé a été à l'origine de la découverte de nombreux auteurs, joués par de remarquables comédiens, dont les noms font partie désormais de notre mémoire collective. Et vous savez combien cette mémoire m'est chère : j'ai en effet décidé d'organiser, le 17 juillet 2006, au cur du Festival d'Avignon, une grande journée consacrée aux soixante ans de la décentralisation théâtrale. Je souhaite qu'à cette occasion, la grande famille du théâtre se réunisse pour célébrer son amour des textes d'hier et d'aujourd'hui et réfléchir à ce qui l'unit plutôt qu'à ce qui la sépare. Tous ici, vous êtes donc invités à construire avec moi cet événement : je compte sur vos souvenirs aussi bien que sur votre participation active !
Sur cette scène, vous ne m'en voudrez pas d'ailleurs d'évoquer les noms de Jean Desailly et de Simone Valère, qui furent durant tant d'années acteurs dans la compagnie de Madeleine Renaud et de Jean-Louis Barrault, puis directeurs de ce beau Théâtre de La Madeleine, prouvant ainsi la force du lien qui peut, et doit, unir théâtre public et théâtre privé.
L'accent mis sur les grandes réussites du théâtre public, dont je suis fier comme Ministre et auxquelles je suis redevable, comme spectateur, de beaux et rares moments d'émotion, a parfois terni l'image du théâtre privé, assimilé à tort au seul théâtre de divertissement. Or je sais, nous savons tous ici, combien le privé a toujours su garder une véritable capacité à prendre des risques artistiques et à proposer au public des spectacles exigeants et passionnants. Et je place volontiers dans cette catégorie cet art si difficile de la comédie que le théâtre public néglige parfois, alors que les spectateurs réclament avec raison le retour du rire sur les scènes de théâtre.
Heureusement, la différence, autrefois sensible, entre théâtre public et théâtre privé, tend à se réduire en raison de l'évolution des répertoires et de la circulation des auteurs et des comédiens d'un secteur à l'autre.
Ici même, dans ce théâtre, sera créée la semaine prochaine une pièce d'Edward Albee mise en scène par Frédéric Bélier-Garcia, qui fut metteur en scène associé au Théâtre de La Criée-centre dramatique national de Marseille, et accueilli régulièrement sur les scènes publiques, du Théâtre de la Tempête à celui du Rond-Point.
Au Théâtre de l'uvre, la présentation récente de la pièce de Denise Bonal " Dis à ma mère que je pars en voyage ", d'abord créée au Rond-Point, ou encore, il y a quelques mois, la reprise au Théâtre des Bouffes Parisiens des " Bonnes " de Jean Genet d'abord mis en scène par Alfredo Arias au Théâtre de l'Athénée, prouvent combien le passage d'un secteur à l'autre est fécond.
Et je n'oublie pas les expériences de Gildas Bourdet, de Roger Planchon, de Jacques Weber, de Pierre Pradinas ou de compagnies comme celle de Lisa Wurmser, accueillie au Théâtre Hébertot, ou encore la création à la Maison de la culture de Bourges du fameux " André le magnifique " repris triomphalement au Théâtre Tristan Bernard et devenu un long-métrage de cinéma.
A cette dimension artistique s'ajoute une réalité économique. Dans notre pays, tous les théâtres sont, d'une certaine manière, des théâtres soutenus par des fonds publics : le théâtre public par la subvention directe de l'Etat ou des collectivités territoriales, le théâtre privé par la taxe fiscale sur la billetterie et par les subventions versées par l'Etat et la Ville de Paris au fonds de soutien pour le théâtre privé.
Il importe que nous partagions aujourd'hui l'objectif de parvenir collectivement à la meilleure utilisation de ces financements publics. C'est pourquoi j'ai demandé à la Direction de la Musique, de la Danse, du Théâtre et des Spectacles de mener une étude sur " l'Association de soutien pour le théâtre privé ". Et je me réjouis qu'elle ait pu se faire en très étroite collaboration avec la Ville de Paris.
Le rapport issu de cette étude, qui vient d'être rendu public, ouvre un ensemble de pistes qui me paraissent particulièrement intéressantes pour le rapprochement du public et du privé.
Il constate en effet que les modes de fonctionnement propres à chaque secteur induisent une exploitation encore insuffisante des spectacles : les théâtres publics ne jouent qu'un nombre limité de représentations à leur siège et rarement à Paris (8 245 représentations en 2004 contre 15 123 pour les théâtres privés), tandis que les théâtres privés ne tournent pas suffisamment en région faute d'être accueillis par les Centres dramatiques nationaux, les scènes nationales ou les scènes conventionnées.
Or, les théâtres privés pourraient accueillir les productions réalisées du théâtre public pour les exploiter à long terme, et les théâtres subventionnés pourraient programmer les meilleures productions du théâtre privé.
Déjà, la transformation de la taxe parafiscale en taxe fiscale - qui augmente les revenus du fonds de soutien (d'un peu plus de 3 millions d'euros en 2003 à 4 millions d'euros en 2004), par ailleurs soutenu financièrement par l'Etat et la Ville de Paris (plus de 7 millions d'euros) - favorise la multiplication des échanges entre les deux secteurs.
Le rapport propose d'aller plus loin. Je souhaite donc que le groupe de travail qui vient de se mettre en place entre l'association de soutien pour le théâtre privé, la Ville de Paris et le Ministère de la Culture et de la Communication approfondisse tout particulièrement trois propositions :
- l'élargissement de la taxe fiscale à toutes les représentations de théâtre, privé ou public, sur l'ensemble du territoire national ;
- la possibilité, pour tout théâtre privé parisien, de consacrer un de ses droits de tirage auprès du fonds de soutien à la reprise d'une production existante du théâtre public ;
- le développement du mécénat, voire de l'investissement, dans le théâtre et je pense particulièrement à la possibilité de créer l'équivalent des Sofica pour le théâtre.
J'ajoute qu'il me paraîtrait nécessaire que les tourneurs, qui jouent un rôle majeur dans la circulation des uvres, saisissent cette occasion pour multiplier les échanges d'un secteur à l'autre.
Pour conclure, je veux rappeler que si les Molières sont depuis dix-neuf ans la grande fête annuelle du théâtre, ainsi qu'une émission de télévision, ils constituent aussi un lieu unique de dialogue et de rapprochement entre le théâtre privé et le théâtre public.
J'ai demandé à Patrick de Carolis de reprendre ce dossier et je suis sûr qu'avec lui, nous pourrons construire un travail en commun pour rapprocher théâtre et télévision.
La dix-neuvième édition a permis de lancer une réforme qui doit être, tant dans l'organisation que dans la forme de l'émission de télévision elle-même, prolongée et améliorée. Car il est dans notre intérêt à tous de fêter un bel anniversaire à l'occasion de la vingtième édition, en 2006.
Riches de vos différences, et forts de ce qui vous rassemble, je tiens à vous dire enfin que vous êtes tous, auteurs, acteurs, directeurs, équipes artistiques et techniciens du théâtre public comme du théâtre privé, chargés d'une mission essentielle : construire une société qui refuse le repli sur soi et se rassemble dans les salles de spectacle pour former une communauté qui partage, dans le rire ou les larmes, ses émotions et ses valeurs.
De cela, je tiens à vous remercier.
(Source http://www.culture.gouv.fr, le 11 octobre 2005)