Editoriaux de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de LO, dans "Lutte ouvrière" les 3, 10, 17 et 24 juin 2005, sur le non au référendum sur le Traité constitutionnel européen, sur son analyse du plan gouvernemental pour l'emploi, sur la "nécessaire contre-offensive du monde du travail" pour faire échec à la politique actuelle.

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Média : Lutte Ouvrière

Texte intégral

n°1922 du 3 juin 2005
Le Non est une gifle, mais il faudra un Juin 36 ou un Mai 68
Comme il était attendu et espéré dans les milieux populaires, le "non" a été largement majoritaire au référendum. Et les résultats par ville ne laissent aucun doute: ce sont surtout les villes ouvrières qui ont rejeté aussi bien la Constitution européenne que ceux qui l'ont proposée et défendue, à commencer par Chirac.
De toute façon, les deux étaient intimement liés tant Chirac, Raffarin, Sarkozy se sont engagés dans la campagne pour le "oui". Le gouvernement mène depuis trois ans une politique particulièrement rétrograde et antiouvrière. Ce n'est que justice que la Constitution qu'il patronne comme sa politique soient rejetées.
Ce n'est que justice également que la direction du Parti Socialiste porte le discrédit d'un alignement total sur la politique de la droite et de ses chefs de file. Une partie de l'électorat socialiste lui-même a trouvé difficile à avaler qu'après l'avoir appelé à voter pour Chirac en 2002, la direction du Parti Socialiste remette le couvert une fois de plus.
Du côté des dirigeants, la victoire du "non" se traduit déjà par la multiplication des manuvres politiques. À droite, c'est Sarkozy contre Chirac, à gauche, c'est Fabius contre Hollande, sans parler des autres.
Et qu'en est-il pour les travailleurs? Le soir même du référendum, il y a eu la satisfaction de voir à la télévision la tête déconfite des dirigeants politiques et d'entendre leurs explications emberlificotées. Le PCF mis à part, les dirigeants de tous les grands partis ayant appelé à voter "oui", le désaveu a été infligé à tous ceux qui gouvernent aujourd'hui, comme aux socialistes qui gouvernaient il y a trois ans et qui espèrent gouverner demain.
Ce désaveu pour ces dirigeants politiques ne changera cependant pas en lui-même la situation sociale. Les licenciements et les fermetures d'entreprises continueront, tant que les possesseurs de capitaux auront des raisons de penser que c'est un moyen d'augmenter leurs profits. Le pouvoir d'achat des salariés continuera de baisser et la précarité de s'aggraver. Chirac va changer de Premier ministre, mais seuls changeront les discours, pas la politique antiouvrière. Ils trouveront même le moyen de rejeter sur l'électorat populaire et sur le "non" la responsabilité des mesures d'austérité qu'ils prendront contre les salariés.
Le ministre de l'Économie, Thierry Breton, a commencé le soir même du référendum en parlant de la difficulté accrue de sa tâche dans les instances européennes. Comme si l'électorat populaire avait des raisons de faciliter son travail de représentant des intérêts patronaux!
Pour Marie-George Buffet, dirigeante du PCF, la victoire du "non" se situe "dans la dynamique de rassemblement populaire qui évoque les grands moments du Front populaire ou de mai 68". Pour elle, en juin 36, il faudrait mettre sur le même plan l'entente des partis de gauche et la vague d'occupations d'usines qui ont fait trembler le grand patronat. Mais à l'époque, le gouvernement de Front populaire a surtout servi à sauver la mise à ce grand patronat en arrêtant la grève générale.
Quant à 1968, la "dynamique de rassemblement" ne s'est pas du tout manifestée dans les urnes, dont a surgi au contraire une très forte majorité de droite, mais dans les luttes et dans la grève générale.
Pour changer le sort des travailleurs, le "non" ne changera quelque chose que s'il leur redonne espoir, au point qu'ils se donnent les moyens de se battre non seulement contre un texte de Constitution, mais contre le grand patronat en chair et en os, dans les entreprises. La course au profit, responsable du chômage et des salaires insuffisants, ne vient pas d'un texte constitutionnel mais de la mainmise des possesseurs de capitaux sur toute l'économie.
Les combinaisons politiques qui s'échafaudent aussi bien à droite qu'à gauche visent, d'une manière ou d'une autre, à désarmer les travailleurs.
Alors, le moment de joie de la soirée électorale passé, c'est de cette capacité des travailleurs à passer à l'offensive contre le patronat dont dépend notre avenir.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 3 juin 2005)
Ouvrière n°1923 du 10 juin 2005
Ils ne reculeront que si nous les faisons reculer !
Qui, parmi les travailleurs, en activité ou chômeurs, pourrait avoir la naïveté de croire Villepin lorsqu'il dit que la lutte contre le chômage sera la priorité de son gouvernement ? Depuis vingt-cinq ans et plus, il n'y a pas un gouvernement qui ne promet, lors de son installation, qu'avec lui, on va voir ce qu'on va voir! Et on connaît le résultat: le chômage reste catastrophique.
La "bataille pour l'emploi" annoncée par le gouvernement sera par contre l'occasion de nouvelles attaques contre les travailleurs pour éliminer du code du travail le peu qui gêne les patrons.
Le soir même du référendum, Seillière, patron du Medef, a donné la feuille de route. Si l'on veut, a-t-il dit en substance, que les patrons embauchent un jour, il faut leur donner le droit de licencier plus facilement. En réalité, les patrons continueront à n'embaucher que s'ils en ont vraiment besoin, mais la modification du code du travail qu'ils souhaitent leur donnerait le droit de licencier les CDI aussi facilement que les intérimaires et les CDD.
C'est derrière le paravent de la "bataille pour l'emploi" qu'ils veulent obliger les chômeurs à accepter tout travail mal payé, en supprimant toute allocation chômage pour ceux qui refuseraient, par exemple, plus de deux propositions.
Et le gouvernement exécutera d'autant plus les exigences formulées par Seillière que cela lui permettra de joindre l'utile -faire ce que demande le grand patronat- à l'agréable -plaire à son électorat. Car pouvoir embaucher et licencier quand on veut, comme on veut, est le souhait de tout ce que le pays compte de patrons. Jusqu'aux plus petits des restaurateurs, des plagistes, des entrepreneurs en bâtiment, qui ont besoin de salariés pour un temps mais qui refusent toute obligation à leur égard.
Au référendum sur la Constitution giscardienne, une très grande majorité de l'électorat populaire a voté "non". À juste raison car il ne fallait pas cautionner une Constitution écrite dans l'intérêt exclusif du grand patronat. Mais ceux qui prétendent que Chirac, affaibli, devra tenir compte du mécontentement exprimé par l'électorat populaire, trompent sciemment les travailleurs.
À quel point Chirac n'a que faire de l'électorat populaire, on le voit avec le nouveau gouvernement, copie du précédent, Raffarin en moins, mais Sarkozy en plus. On le verra de plus en plus dans sa politique. La droite au pouvoir sait que, pour gagner les prochaines élections, elle a besoin de toutes les voix de sa base électorale traditionnelle. C'est cette base électorale de bourgeois petits et grands, réactionnaires, hostiles aux salariés, que le gouvernement va choyer pendant les mois qui viennent.
Il prendra à son compte une part plus grande des charges sociales. Il supprimera des emplois dans le secteur public. Il tentera de faire des économies au détriment des assurés. Il renforcera la démagogie contre les travailleurs immigrés et contre les plus pauvres. Sarkozy, au ministère de l'Intérieur, s'efforcera de montrer qu'il n'y a pas besoin de voter Le Pen pour que sa politique soit appliquée. Et, pour renflouer les caisses de l'État qui se vident en raison des cadeaux faits au grand patronat, le gouvernement continuera à privatiser ce qui peut encore l'être, comme il vient de le décider pour France Télécom.
Alors, l'espoir pour les travailleurs n'est certainement pas dans les gémissements des dirigeants de la gauche qui demandent à Chirac de tenir compte du mécontentement exprimé dans les urnes. Il n'est pas non plus dans l'attente d'une victoire hypothétique du Parti Socialiste aux prochaines élections présidentielle et législatives. Nous n'avons que trop fait l'expérience qu'il n'y a rien à attendre d'un gouvernement socialiste et surtout pas une politique favorable aux travailleurs.
Toutes illusions abandonnées, il nous reste notre propre force collective, celle d'une classe sociale qui fait marcher toute l'économie et qui a le pouvoir de tout arrêter. C'est de ce pouvoir qu'il faudra nous servir pour imposer nos exigences.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 9 juin 2005)
n°1924 du 17 juin 2005
Le 21 juin, montrer que c'est la lutte qu'on choisit, et pas la résignation
Il n'a pas fallu attendre longtemps pour constater que le nouveau gouvernement Villepin-Sarkozy ne représente aucun changement par rapport à celui de Raffarin, si ce n'est en pire. Ses premières mesures sont autant de cadeaux aux patrons et autant de coups contre les travailleurs.
Son "contrat nouvelle embauche", avec une période d'essai de deux ans, livre aux patrons une main-d'uvre licenciable à n'importe quel moment. Avec la suppression de la "contribution Delalande", les entreprises qui licencieront des salariés de plus de 50 ans n'auront même plus à payer une pénalité financière. Cela ne créera pas un emploi de plus pour les travailleurs âgés mais facilitera le licenciement des anciens. Sous prétexte de lutter contre le chômage des jeunes, les embauchés de moins de 25 ans ne compteront plus dans le calcul des seuils de 10 et de 50 salariés qui déterminent les obligations en matière de droit syndical. Villepin confirme, en outre, la suppression totale d'ici 2007 des charges patronales de Sécurité sociale au niveau du Smic.
L'ensemble de ces mesures est intitulé, avec cynisme, "bataille pour l'emploi" alors qu'elles ne font que rendre plus précaires les emplois qui existent. Les patrons petits et grands ne créent des emplois que s'ils en ont besoin, s'ils y ont intérêt. Avec les mesures Villepin, ils pourront en revanche licencier encore plus facilement.
À l'annonce du résultat du référendum, il y en a parmi les travailleurs qui se sont dit: "Ils ne peuvent pas ne pas tenir compte de l'importance du vote "non"". Mais, contrairement à ce que nous disent les politiciens qui veulent tromper les travailleurs, le gouvernement n'obéit pas aux urnes. Il obéit au grand patronat. Il obéit aux groupes capitalistes qui détiennent le pouvoir économique.
De plus, l'opinion publique à laquelle le gouvernement veut plaire, en vue des élections présidentielle et législatives de 2007, c'est celle de l'électorat de droite. Ce sont les privilégiés grands et petits et, au-delà, ceux qui croient pouvoir le devenir grâce à la "réussite" individuelle, grâce au profit.
S'en prendre aux salariés, précariser leur situation, démolir le code du travail, plaît à cet électorat réactionnaire et anti-ouvrier. Comme lui plaisent les attaques de Sarkozy contre les travailleurs immigrés, qui essaie de montrer que ce que Le Pen dit, lui, il le fait.
Alors, à nous d'en tenir compte! Il fallait certes voter "non" au référendum par dignité et pour dire "non" à Giscard et à sa Constitution, à Chirac-Raffarin et à leur politique, pour dire "non" aussi à ceux qui, à gauche, ont choisi de servir la soupe à Chirac. Mais il ne faut pas attendre de ce vote plus qu'il ne peut donner.
Les travailleurs n'arrêteront les coups du grand patronat et du gouvernement que par leur propre détermination, en utilisant les armes qui sont les leurs. L'économie ne fonctionne que grâce aux travailleurs et ils ont le pouvoir d'arrêter la pompe à profit.
La CGT appelle à une journée de mobilisation le 21 juin. Les autres centrales ouvrières ont refusé de s'y associer sous des prétextes divers. Il est de l'intérêt de tous les travailleurs que cette journée de mobilisation en soit réellement une et qu'elle marche. Il est de leur intérêt qu'il y ait un maximum de débrayages, de grèves et de manifestations pour affirmer que la solution pour les travailleurs est dans cette direction, et pas dans la résignation devant les coups.
Une seule journée de mobilisation, même si elle est réussie, ne suffira certainement pas à faire reculer le patronat et le gouvernement. Mais elle peut montrer qu'il y a de plus en plus de travailleurs qui ne croient à aucun Père Noël et qui sont convaincus que seule la lutte peut stopper les mesures anti-ouvrières, contraindre le patronat à embaucher en répartissant le travail entre tous et à imposer l'augmentation générale des salaires.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 16 juin 2005)
n° 1925 du 24 juin 2005
Le désaveu électoral ne pouvait pas les faire reculer. Notre détermination le fera !
On a pu, bien sûr, se réjouir du camouflet subi, lors du référendum, aussi bien par Chirac que par la direction du PS, par ceux qui gouvernent aujourd'hui et par ceux qui gouvernaient hier. Ils ont été complices dans le vote "oui" pour une Constitution qui n'apportait rien de bon aux travailleurs et aux peuples. Et cela, en plus d'assumer à tour de rôle la politique qui leur est dictée par le grand patronat et qui se traduit par la dégradation continue des conditions d'existence des salariés et des chômeurs.
Que ces gens-là aient été désavoués, tant mieux! Mais la suite a montré que cela ne les oblige pas à renoncer à leur politique antiouvrière.
Les ténors du "non de gauche", qui font mine de s'insurger contre le fait que Chirac "n'entend pas le message des électeurs", abusent les travailleurs.
Ceux qui nous gouvernent n'ont pas attendu le "non" au référendum pour savoir que le monde du travail en a ras le bol! Ras le bol des attaques contre les retraites et l'assurance maladie, ras le bol des licenciements qui ruinent des centaines de milliers d'existences, ras-le-bol du chômage et de la précarité.
Bien sûr qu'ils savent que les salariés ne peuvent pas être contents d'une politique si clairement opposée à leurs intérêts, alors même que le patronat, les possédants sont favorisés systématiquement.
Mais ils ne gouvernent pas en fonction des salariés. Ils gouvernent pour le compte du grand patronat. S'agissant du gouvernement Villepin-Sarkozy, même sur le plan électoral, ce n'est pas le vote des salariés qu'il recherche mais celui des possédants, grands bien sûr, mais aussi moyens et petits. La droite au pouvoir a très bien compris le message du "non". Elle cherchera à se relever, pas auprès des travailleurs, mais auprès de l'électorat réactionnaire qui approuve les mesures antiouvrières.
Nous n'avions rien à espérer du référendum passé, si ce n'est la satisfaction d'avoir dit "non". Comme nous n'avons rien à espérer des élections législatives et présidentielle à venir.
En revanche, le monde du travail représente une force réelle, puissante. Pour que la pompe à profits fonctionne, pour que les actionnaires encaissent sans rien faire des revenus en croissance de 10 à 20% tous les ans, il faut que l'économie tourne, que les usines produisent, que le commerce débite. Les travailleurs ont le pouvoir d'enrayer toute cette machinerie, et cela représente pour la bourgeoisie une menace certes plus grave que le résultat d'un référendum!
Les organisations de la classe ouvrière, le PCF et les directions syndicales, amusent la galerie en continuant à présenter le référendum comme un combat décisif gagné. Le PC prétend même le continuer par... une pétition! Mais ni les uns ni les autres ne proposent une perspective pour les travailleurs.
Une contre-offensive du monde du travail assez forte pour faire reculer et le patronat et le gouvernement, un nouveau Juin 36, ne se décrète pas. Il faut que les travailleurs reprennent confiance en leur force. Cela exige un plan de combat, un échéancier, des objectifs qui unissent l'ensemble du monde du travail. Des journées comme celle de la Métallurgie le 9 juin ou celle du 21 juin pourraient y trouver leur place. Mais, pour le 21juin, seule la CGT a appelé, et encore sans beaucoup de conviction, alors que les autres centrales n'ont rien d'autre à proposer que la résignation. Et encore, même la CGT ne parle pas d'une suite et ne la prépare pas dans la transparence, afin que les travailleurs puissent connaître les étapes à venir et en juger.
Il faut participer à des journées d'actions comme le 21juin, même mal engagées. Il le faut, ne serait-ce que pour montrer aux directions syndicales ce que les travailleurs attendent d'elles.
Mais, une fois ces journées passées, reste entière la nécessité d'une mobilisation des travailleurs sur des objectifs vitaux: mettre fin au chômage et à la précarité en interdisant les licenciements, répartir le travail entre tous les bras, imposer une augmentation générale des salaires.
(Source http://www.lutte-ouvriere.org, le 27 juin 2005)