Interview de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, sur RTL le 1 er juillet 2005, sur la mise en œuvre du dispositif du médecin traitant.

Prononcé le 1er juillet 2005

Intervenant(s) : 

Circonstance : Entrée en vigueur du parcours de soins coordonné autour du médecin traitant le 1er juillet 2005

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE : Bonjour Xavier Bertrand. Nous sommes le 1er juillet, et le médecin traitant devient donc une réalité du paysage médical. Il s'agit le plus souvent d'un médecin généraliste désigné par son patient pour l'orienter, le cas échéant, vers un médecin spécialiste. Le but, c'est d'éviter des consultations inutiles de spécialistes - il parait qu'il y en a beaucoup de ces consultations inutiles -
Xavier BERTRAND : 10 à 15 %.
Jean-Michel APHATIE : On essaiera de chiffre tout ça un peu plus tard dans la conversation donc on va essayer de soulager la facture de la Sécurité Sociale. 48 millions d'assurés sociaux de plus de 16 ans doivent choisir un médecin traitant. Aujourd'hui on dit que 20 millions en ont déjà choisi un. D'ici à la fin de l'année, vous pensez que la quasi-totalité des assurés sociaux en auront choisi un ?
Xavier BERTRAND : Oui, d'ici à la fin de l'année on sera à la quasi totalité, sachant qu'en un an il y a 80 et 85 % des Français qui vont chez le médecin. D'ailleurs, là aujourd'hui, nous avons dépassé les 20 millions de Français qui ont choisi leur médecin traitant. Ce chiffre est à rapprocher des 29 millions qui sont allés chez le médecin depuis le début de l'année parce que tout le monde ne va pas chez le médecin dans les six premiers mois de l'année.
Jean-Michel APHATIE : Donc deux Français sur trois qui ont consulté ont un médecin traitant.
Xavier BERTRAND : Ce qui est au-delà des objectifs que nous nous étions fixés. Ce qui est bien mieux mais si ça marche, c'est parce que à la fois les Français ont le sentiment que le médecin traitant c'est la logique du médecin de famille. C'est-à-dire celui qui me connaît le mieux est le mieux à même de me soigner, ou de m'orienter vers le spécialiste dont j'ai besoin.
Jean-Michel APHATIE : Ça veut dire qu'ils ont compris l'esprit de la réforme que vous avez mise en oeuvre.
Xavier BERTRAND : C'est parce que le médecin de famille c'est aussi du bon sens et que les Français sont très attachés au bon sens. Et puis l'autre phénomène, c'est qu'ils ont compris également que cette réforme était indispensable pour garder notre sécurité sociale.
Jean-Michel APHATIE : On va y revenir. un patient qui à partir de maintenant décide de consulter tout seul un spécialiste, ça va lui coûter plus cher, et de combien ?
Xavier BERTRAND : A partir d'aujourd'hui, s'il décide de consulter directement un spécialiste de secteur-1, ce spécialiste peut lui pratiquer un dépassement d'honoraires maximum de 7 euros.
Jean-Michel APHATIE : Et il sera moins bien remboursé.
Xavier BERTRAND : Et il ne sera pas remboursé par la Sécurité Sociale de ces 7 euros.
Jean-Michel APHATIE : De ces 7 euros, donc ça veut dire qu'en fait l'assuré social va commencer tout seul, de sa poche à tenter de résorber le déficit de la Sécurité Sociale.
Xavier BERTRAND : S'il ne veut pas passer par son médecin traitant. Ce n'est pas ça qui va résorber le déficit de la Sécurité Sociale.
Jean-Michel APHATIE : Ça va aider.
Xavier BERTRAND : C'est tout simplement pour lui dire très clairement, que la logique du médecin traitant, c'est à la fois bon pour lui, meilleur pour lui, c'est une logique de qualité des soins mais que s'il ne veut pas passer par le médecin traitant, dans ces conditions-là, eh bien il aura un reste à charge plus important. Je dis les choses très clairement nous avons besoin de faire le choix de la qualité des soins, et de faire aussi le choix de réduire les consultations inutiles.
Jean-Michel APHATIE : Alors, en année pleine justement, mettons année 2006, vous espérez faire économiser combien d'argent à la Sécurité Sociale, à la fois en remboursant moins, et à la fois en supprimant les consultations inutiles auprès des spécialistes ?
Xavier BERTRAND : Ce n'est pas le moindre remboursement à partir du 1er janvier qui va faire économiser de l'argent à l'assurance maladie. La vocation première c'est encore une fois d'inciter très clairement à passer par le médecin traitant. Si on prend les chiffres dont nous disposons aujourd'hui : 10 à 15 % des examens qui sont faits dans ce pays sont faits en double. Ils ne servent donc strictement à rien, et ils représentent un milliard à un milliard et demi d'euros, par an. Eh bien ce milliard et demi d'euros qui est dépensé en pure perte, je préfère l'utiliser pour lutter contre le cancer ou pour faire reculer les maladies orphelines. Donc voilà aujourd'hui pourquoi nous avons besoin de mieux organiser notre système de santé en décloisonnant davantage la ville et l'hôpital en faisant travailler le patient dans un parcours de soins avec le dossier médical personnel, avec le médecin traitant et puis à côté il y a aussi ce souci de meilleure gestion. C'est la maîtrise médicalisée, c'est la lutte contre les abus, les gaspillages et les fraudes également. Nous demandons des efforts aux Français, mais en contrepartie nous faisons en sorte que ce système d'assurance maladie soit mieux géré, c'est une exigence.
Jean-Michel APHATIE : Certains doutent tout de même de l'économie réalisée, c'est-à-dire que, consulter directement un spécialiste peut revenir moins cher à la Sécurité Sociale en remboursements, que consulter d'abord un généraliste puis un spécialiste. On verra à la fin de l'année 2006 si votre pari est réussi. Parce que c'est difficile de savoir a priori quels sont les comportements des assurés sociaux.
Xavier BERTRAND : Mais vous savez que l'ensemble de nos voisins européens ont depuis de nombreuses années mis en place ce système du médecin traitant. Ça marche dans les autres pays.
Jean-Michel APHATIE : Quels pays ? Quel est le pays qui vous a servi d'exemple ?
Xavier BERTRAND : Vous avez notamment la Grande Bretagne qui a ce système. L'Allemagne a décidé aussi d'aller dans cette direction, la Belgique aussi, l'Espagne, et je pourrais vous citer l'ensemble des pays européens qui sont dans cette logique du médecin traitant depuis des années. Il était temps aussi que nous nous y mettions, même si pour beaucoup de Français le médecin de famille est une réalité. Moi vous savez, je suis provincial, je n'ai jamais consulté un spécialiste sans être allé voir au préalable mon médecin généraliste, mon médecin de famille.
Jean-Michel APHATIE : C'est marrant en Angleterre. C'est toujours Tony Blair qui nous sert de référence enfin c'est un autre débat.
Xavier BERTRAND : Pas vraiment en matière de système de santé, mais c'est amusant de voir qu'ils ont aussi cette logique de médecin traitant depuis des années et ça marche.
Jean-Michel APHATIE : La critique la plus précise qui est faite à votre réforme Xavier Bertrand, c'est celle de l'instauration d'une médecine à deux vitesses.
Xavier BERTRAND : Ah certainement pas !
Jean-Michel APHATIE : Je vais formuler la critique et vous allez y répondre. "J'ai un peu d'argent, je sollicite directement le spécialiste, qui me fait passer de manière prioritaire avant - puisqu'il pourra faire un dépassement de tarif -
Xavier BERTRAND : Certainement pas !
Jean-Michel APHATIE : Avant le malade qui lui est envoyé par le médecin généraliste, puisque le spécialiste gagnera moins d'argent avec ce malade-là.
Xavier BERTRAND : Vous ne trouverez pas Jean-Michel Aphatie plus intransigeant que moi sur cette question.
Jean-Michel APHATIE : Mais vous n'allez pas tout contrôler Xavier Bertrand.
Xavier BERTRAND : Eh bien on va tout contrôler sur le terrain, dans l'ensemble des caisses primaires d'assurance maladie.
Jean-Michel APHATIE : Vous en aurez les moyens.
Xavier BERTRAND : La première des choses, c'est que s'il n'y avait pas eu la réforme de la Sécurité Sociale, et si notre système était allé dans le mur, alors là oui nous aurions eu un système de santé à plusieurs vitesses, comme ça se fait aux États-unis. C'est parce que nous n'en avons pas voulu que nous avons mis en place cette réforme. Ça c'est le premier point. Le deuxième point, c'est qu'un patient sera pris exactement dans les mêmes conditions, qu'il passe par son médecin traitant, ou qu'il aille voir directement le spécialiste.
Jean-Michel APHATIE : On ne savait pas ça. Le rendez-vous c'est le spécialiste qui l'avait fixé.
Xavier BERTRAND : Il y a les conciliateurs qui sont mis en place dans chacune des caisses de l'assurance maladie de la MSA ou de la CANAM pour les artisans, qui seront chargés de bien vérifier si les délais d'attente sont les mêmes. Et s'il y a un problème, s'il y a le moindre dérapage, il y aura aussitôt saisine du Conseil de l'Ordre. Je rencontrerai le nouveau président du Conseil de l'Ordre la semaine prochaine pour que tout soit clair. Hier soir, j'ai rencontré avec Philippe Bas les syndicats de médecins signataires sur cette question. Je ne tolérerai aucun dérapage.
Jean-Michel APHATIE : Ça veut dire que les assurés sociaux pourront éventuellement saisir le conciliateur ?
Xavier BERTRAND : Dans chacune des caisses le conciliateur est là pour vous aider à trouver un médecin traitant si vous aviez des difficultés pour en trouver un admettons que vous déménagiez souvent, ou que vous soyez souvent sur la route et que vous n'avez pas l'habitude de consulter quelqu'un si vous avez des problèmes le conciliateur sera là pour vous aider. Et puis surtout il ne doit pas y avoir deux files d'attente pour aller voir un spécialiste donc encore une fois, je serai intransigeant, et les conciliateurs seront vigilants.
Jean-Michel APHATIE : Vous serez intransigeant, mais pour être précis un cardiologue donne un rendez-vous à trois mois à quelqu'un qui le sollicite alors l'assuré social peut saisir le conciliateur.
Xavier BERTRAND : Mais vous savez qu'il y aussi autre chose. La réalité de la pratique médicale. Si je viens voir un généraliste et qu'il m'envoie voir un spécialiste, vous croyez que ce généraliste va tolérer que le patient qu'il envoie à son spécialiste coordinateur va passer après un qui irait voir directement le spécialiste ? Qu'est-ce qu'il va faire le généraliste ? Eh bien il décroche son téléphone et surtout, en plus quand il y a un cas d'urgence, bien évidemment on est pris en charge dans les meilleures conditions. Je crois qu'il y a aussi la déontologie médicale qui est une réalité dans ce pays et même si certains estiment qu'il y a un risque, j'ai bien pris la mesure de ce risque, en mettant en place les conciliateurs. Je ne vérifie donc pas derrière mon bureau, je vérifie sur le terrain que ça se passe bien.
Jean-Michel APHATIE : On verra si tout ça marche quand on aura, en 2007, les comptes de la Sécu pour 2006, qui est gravement déficitaire encore mais vous, peut-être, à ce moment-là, vous ne serez plus ministre.
Xavier BERTRAND : Regardez la vérité, l'an dernier : 14 milliards d'euros de déficit. 8 milliards à la fin de l'année. La réforme, ça marche !
Jean-Michel APHATIE : Xavier Bertand, ministre de la Santé, qui instaure le médecin traitant aujourd'hui, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 juillet 2005)