Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à France Info le 29 août 2005, sur la rentrée sociale, l'unité syndicale et le contrat "nouvelles embauches".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

Q- Chaque année, c'est presque une tradition, on nous promet une rentrée sociale "chaude", "brûlante"... Je pense que vous n'allez pas déroger à la règle ?
R- La question qui est posée aujourd'hui n'est pas de savoir si il doit y avoir une rentrée "chaude" ou pas. Nous constatons, et tout le monde le fait avec la CFDT, que les inquiétudes des salariés, les interrogations, les mécontentements sont importants. Que ce soit sur l'emploi, sur le chômage, la peur de perdre son emploi ou de ne pas en retrouver si l'on est au chômage, sur le pouvoir d'achat - et l'on voit tous les débats autour du prix du pétrole et du logement -, tous ces mécontentements, toutes ces inquiétudes font que les syndicats, la CFDT en premier, doivent aider les salariés à exprimer ces mécontentements et ces inquiétudes. Cela passera vraisemblablement par des moments forts ou un moment fort. Maintenant, il faut que l'on en discute avec les autres organisations syndicales.
Q- FO et la CGT appellent justement à une "mobilisation forte et unitaire". Voulez-vous, allez-vous, vous y associer ?
R- La question n'est pas de savoir si l'on doit s'associer ou pas...
Q- C'est la question que je vous pose quand même !
R- La réponse, tout le monde la connaît, on l'a déjà donnée, je crois, avant l'été. Il y a des inquiétudes fortes. La préoccupation de la CFDT est de pouvoir exprimer ces inquiétudes, avec les autres organisations syndicales bien évidemment. Mais l'objectif de la CFDT pour cette rentrée est de savoir quels sont les débouchés que nous allons amener à ces actions, c'est-à-dire que veut-on très exactement, et quels sont les résultats que l'on veut amener aux salariés en matière de pouvoir d'achat et en matière de lutte contre le chômage ? Amener les salariés dans des manifestations qui n'amèneraient aucun résultat, ce serait bien évidemment augmenter le désespoir des salariés. Nous voulons donc des résultats à ces actions. Il y aura des actions, je le confirme. Mais maintenant, travaillons sur le résultat que nous voulons obtenir ensemble.
Q- L'unité syndicale, c'est quelque chose à laquelle vous êtes attaché ?
R- Mais on n'est pas attachés à "l'unité syndicale" pour "l'unité syndicale". Nous sommes attachés à des actions syndicales pour amener des résultats aux salariés. C'est cela l'essentiel. Parce que les actions qui ne mobilisent pas les salariés, parce que l'on serait en dehors de leurs préoccupations, ou qui n'amènent pas des résultats, ce n'est pas positif pour des syndicats. Nous voulons donc des actions positives qui amènent des résultats. Nous voulons, d'une part, ouvrir des négociations dans toutes les branches professionnelles, dans les entreprises, où il n'y a pas eu de négociations d'accords salariaux cette année. Nous voulons que le Gouvernement réunisse une grande conférence des revenus, pour que l'on puisse réfléchir à : comment l'on répond aux problèmes de l'essence, des logements, du manque de couverture sociale complémentaire pour les salariés, à une redistribution plus juste par la fiscalité. Nous voulons aussi que le Gouvernement et le patronat - parce que le patronat a été interpellé d'une façon forte - reviennent sur des vraies discussions, pour que l'on puisse créer de l'emploi. Le Gouvernement a des responsabilités, le patronat évidemment dans les entreprises. Voilà ce que voulons : nous ne voulons pas une chose, mais une multitude d'initiatives qui seront positives pour le pays.
Q- Parlons de l'emploi : on a quand même l'impression que les syndicats en général, CFDT y compris, sont très actifs pour défendre les salariés, mais beaucoup moins pour aider les chômeurs à trouver un emploi. Le contrat "nouvelles embauches", contre lequel vous êtes très remonté, c'est à la fois un coup de canif dans les acquis sociaux, mais c'est aussi un moyen sans doute de faire trouver un emploi, peut-être précaire, mais un emploi quand même à des chômeurs...
R- Notre première démarche pour ce contrat, a été de rentrer dans une concertation positive avec le Gouvernement. Nous avons obtenu, pour partie, des contreparties pour les salariés. Nous avons obtenu qu'il y ait un préavis en cas de licenciement, une indemnité en cas de licenciement. Nous avons obtenu un meilleur suivi du chômeur. Mais nous restons en désaccord sur l'élément fondamental, qui est que l'on donne la possibilité à un employeur de licencier sans le motiver. Nous avions dit au Gouvernement que nous étions prêts à réfléchir à une démarche plus simple en cas de problèmes économiques de la petite entreprise. On ne va pas mettre en danger toute une entreprise, bien évidemment, si il y a des problèmes économiques, mais nous ne voulions pas troquer - c'est ce que voulait le Gouvernement - plus de facilités pour l'employeur contre une plus grande flexibilité pour le salarié. Voilà le point de désaccord que nous avons avec le Gouvernement. Mais nous sommes prêts, nous l'avons toujours dit, dans un cadre beaucoup plus grand, puisque nous savons qu'il y a beaucoup de salariés qui sont exclus du travail, à réfléchir sur une évolution du code du travail par la négociation, avec le patronat, pour faire en sorte que les entreprises embauchent mieux, et qu'il y ait une meilleur aide aux salariés. La CFDT n'est pas fermée, mais le Gouvernement décide seul, et ce n'est pas comme cela que l'on fait. On n'est pas prêts à troquer plus de flexibilité contre plus de facilités de licenciement.
Q- Vous venez de le dire, vous êtes prêt à envisager une évolution du contrat de travail. Laquelle ?
R- Quand on est dans un pays où l'on a 70 % des salariés qui sont embauchés en contrat à durée déterminée, où l'on a un nombre aussi important de précarité ou de chômage, inévitablement, cela veut dire que notre modèle social n'est plus adapté à la réalité. Il faut donc que l'on voit, d'une façon beaucoup plus large, comment l'on peut amener plus de souplesse effectivement aux entreprises pour pouvoir fonctionner...
Q- Peut-on revenir sur des acquis sociaux ?
R- Mais il n'y a pas de tabous pour la CFDT...
Q- Donc on peut discuter de cela ?
R- Mais bien évidemment. A partir du moment où notre système fonctionne mal, il faut en trouver un autre. Mais il n'est pas question, pour la CFDT, de rester dans la logique : plus d'insécurité pour les salariés pour plus de facilités pour les entreprises. On peut trouver un système où le salarié, mieux accompagné, a plus de formation. Regardez ce qui se passe actuellement dans la chaussure : on a des salariés qui vont être au chômage, qui ont une ancienneté de 20 à 25 ans dans cette entreprise, qui n'ont jamais eu de formation dans leur carrière qui leur permette éventuellement, s'il y a une difficulté, de retrouver un emploi. Il n'est pas normal, dans un pays moderne, que l'on laisse des salariés pendant 20 à 25 ans sans formation pour pouvoir réagir en cas d'accident.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 29 août 2005)