Intreview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT à France-Inter le 6 septembre 2005, sur la rentrée sociale, l'unité syndicale et le paritarisme.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - 1,53 euro le litre de Super 98 : qui pourra suivre encore longtemps cette course folle des prix du pétrole, alors que le pouvoir d'achat est en cette rentrée la première préoccupation des Français, avant les délocalisations ? De quel poids le prix à la pompe pèse t-il sur le bilan des cent jours de D. de Villepin ? D'abord peut-être, tout de même, une question au citoyen F. Chérèque, concernant le fameux débat sur la transparence : on nous dit assez peu de choses de l'état de santé du chef de l'Etat et voilà même que P. Devedjian, conseiller politique de l'UMP, annonce ce matin - je cite ses mots - que "J. Chirac a l'intention de se représenter en 2007". Décidément, cela change tous les jours !
R - Oui, ce qui pose problème ce n'est pas tant le manque d'information, parce que je pense que l'on a les informations. Personnellement je suis peut-être un peu naïf, mais elles me suffisent. Quelqu'un de l'âge du président de la République a besoin d'une semaine pour se remettre d'un petit problème, c'est tout à fait normal. Ce qui est plutôt difficile à accepter c'est l'exploitation de cette situation de la santé du chef de l'Etat dans un débat politique et je pense que c'est cela le vrai problème aujourd'hui, ce n'est pas l'information publique.
Q - Et vous pensez, que la bataille des droites est commencée, et qu'au fond, entre les propositions faites par un D. de Villepin d'une politique dont il dit qu'elle serait sociale, et une approche beaucoup plus libérale - N. Sarkozy a, dit-on, l'intention demain de faire des annonces assez radicales sur sa relance économique -, que cette bataille-là est engagée ?
R - J'ai l'impression qu'elle est engagée depuis pas mal de temps déjà. Mais, effectivement, c'est un vrai débat, le débat sur le modèle social français, et il est important que l'on sache de quoi on parle. Pour la CFDT, quand on parle de modèle social, on parle d'abord des fondements et les fondements du modèle social français, c'est une redistribution des richesses, c'est une aide aux plus défavorisés, donc la réduction des inégalités par l'impôt, par le service public, par la protection sociale ; c'est donner à tout le monde les mêmes chances de réussir dans la vie. Et ce qui est en difficulté dans notre pays, ce ne sont pas tant les fondements du modèle social - pour la CFDT ceux-là ils sont immuables, ils sont incontestables -, c'est la façon de le mettre en uvre. Et quand on a un débat, qui est un débat positif dans notre pays, que N. Sarkozy propose une France au mérite, il remet en cause les fondements du modèle social et non pas sa mise en uvre. Et c'est là que l'on doit avoir un débat : est-ce que les fondements du modèle social dans notre pays, qui est repris dans d'autres pays européens et mis en uvre de façon différente, sont intangibles ? Pour la CFDT, c'est intangible. Et comment fait-on pour réduire les inégalités dans notre pays, un pays où les inégalités se creusent ?
Q - Mais estimez-vous aujourd'hui que nous sommes dans l'urgence sociale ? Encore une fois, le prix à la pompe - 1,53 euro - : on est presque à la limite supérieure absolue, le pouvoir d'achat s'en trouve affecté, la croissance aussi, donc la création d'emplois, on est là dans un système qui est un système pervers ?
R - Bien évidemment. Là, on a une preuve supplémentaire, s'il en fallait, que le pouvoir d'achat est bien au centre du débat de la rentrée avec celui de l'emploi, vous l'avez dit. Et pour cela, on ne peut pas attendre la fin du calendrier politique, qui va durer vingt mois dans la campagne électorale pour les présidentielles. On a besoin d'action aujourd'hui, et si la France doit s'arrêter deux ans tous les cinq ans, se priver de deux années pour réformer ou pour prendre des décisions, on a un vrai problème dans notre pays. Alors, que faut-il faire ?
Q - Alors, de quoi a-t-on besoin... ?
R - Par exemple, sur l'essence, sur le prix du pétrole, il y a le prix du logement. On sait que l'Etat peut faire des choses sur ces sujets-là, mais sur le prix du pétrole, à mon avis, il y a deux directions ; il y a le court terme et le long terme. Sur le court terme, il faut aider les personnes qui sont le plus sanctionnées par l'augmentation du prix du pétrole. On l'a dit, il y a le chauffage ; mais je pense aussi à tous les salariés qui sont obligés de prendre leur voiture pour aller travailler ou chercher un emploi. Eux, ils sont défavorisés par d'autres qui, dans les zones urbaines, par exemple ici à Paris, ont les transports en commun. Donc, aidons ces personnes-là. Et puis, ensuite, il y a l'action à long terme ; c'est [de voir] comment on commence, aujourd'hui, à rentrer dans l'ère de l'après pétrole ou plutôt dans l'ère du pétrole cher. Je prends un exemple : le gouvernement Raffarin avait décidé de garder les bénéfices des autoroutes pour investir dans d'autres transports, en particulier le transport ferroviaire. Le Gouvernement décide de vendre les autoroutes, donc se prive d'un investissement. On a fait le pari du tout transport par la route, et on voit bien, d'ailleurs, les transporteurs routiers qui se mettent en grève... Donc comment revient- on sur cette politique-là, pour investir sur d'autres transports ? Comment investit- on dans la recherche ? Le Gouvernement a mis en place une agence d'innovation industrielle, des pôles de compétitivité : eh bien, il faut faire des priorités pour mieux investir dans ces directions-là. Mais pour mieux investir dans ces directions-là, encore faut-il faire les bons choix fiscaux.
Q - Mais face à cette urgence sociale, quel outil avez-vous entre les mains aujourd'hui ? Les syndicats sont-ils dans une posture unitaire, et d'abord, confirmez-vous qu'il y aura une manifestation unitaire le 4 octobre prochain ?
R - Je confirme qu'il y aura une manifestation unitaire début octobre ; la date va être décidée jeudi. La CFDT préférerait une manifestation un samedi, pour plusieurs raisons ; puisqu'on veut s'adresser en priorité aux salariés qui seront touchés par la modification du Code du Travail, le CNE, les salariés qui ont des revenus faibles et on veut travailler ce pouvoir d'achat, nous, on préférerait le samedi pour ne pas les priver d'une journée de salaire par une grève. Et en plus, cela gênerait moins les usagers. Donc, on n'est pas encore tout à fait d'accord sur la date. Mais il y aura une manifestation unitaire sur le sujet du pouvoir d'achat et sur le sujet de l'emploi, puisque les deux sujets sont liés.

Q - Quelle est, à vos yeux, aujourd'hui la responsabilité des syndicats pour engager ce réformisme, peut-être cette modernisation de nos structures sociales, économiques et finalement politiques ?
R - Je le disais à l'instant : tout d'abord être très clair sur les sujets que l'on aborde, d'une part, le fondement du modèle social intangible, la redistribution. Ensuite reconnaître, reconnaître que, dans notre pays, notre modèle social produit de l'exclusion : un million de jeunes sous le seuil de pauvreté, on voit bien les problèmes de logement, 2,5 millions de chômeurs, 1,5 million de érémistes, 70 % des jeunes qui rentrent au travail le font en contrat à durée déterminée. Donc, on voit bien que la mise en uvre du modèle social ne réduit plus les inégalités que le fondement doit nous permettre d'atteindre. Donc, pour cela, il faut rentrer dans des réformes pour réduire ces inégalités, donc faire des constats communs et le faire bien évidemment avec nos partenaires que sont le Gouvernement, mais aussi avec le patronat, parce que je crois qu'il faut que l'on montre, dans notre pays, que les partenaires sociaux, patronat et syndicats, sont capables petit à petit de réformer ce modèle social pour réduire un peu plus les inégalités dans notre pays.
Q - Alors, soyons concrets ! Dans un petit peu plus d'une heure, vous allez rencontrer L. Parisot, la présidente du Medef. Elle dit qu'elle est à peu près prête à tout pour aboutir à quelque chose s'agissant des nouvelles règles de l'assurance sociale. Qu'est-ce que ça veut dire "qu'elle serait prête à tout", à vos yeux ?
R - A mes yeux, d'abord, c'est un message qu'elle passe aux syndicats, dans le sens où elle s'engage de maintenir l'assurance chômage dans le paritarisme, c'est-à-dire qu'elle s'engage à aller jusqu'au bout d'une négociation pour faire en sorte que l'assurance chômage ne soit pas confiée à l'Etat, mais que l'on trouve des solutions avec les difficultés financières que l'on a pour avoir un système d'assurance chômage positif pour les chômeurs. Pour la CFDT, il y a deux directions ; il y a bien sûr l'indemnisation, c'est important, mais il y a aussi de l'accompagnement du chômeur, comment on construit un vrai projet avec chaque chômeur pour qu'il y ait un véritable retour à l'emploi. Donc, je pense que ce message que passe madame Parisot est important.
Q - On s'était posé il n'y a pas si longtemps la question du paritarisme ; qu'en restait-il et qu'en était-il ? Elle dit : "on continue". C'est comme cela que vous le vivez ?
R - C'est important parce que je pense qu'il y avait des vents contraires dans la société française. Une partie du patronat qui a envie de se désengager du paritarisme, une partie des hommes politiques à droite qui se disent "récupérons cette assurance chômage, avec ses moyens, et nous, on fera notre politique ; on ne va pas s'embêter avec les partenaires sociaux". Et puis, on sait très bien que les syndicats sont divisés sur ce sujet-là, où la CGT n'a jamais signé un accord d'assurance chômage et préférerait que ce soit l'Etat qui prenne cela en main. Donc, je pense que c'est important que le patronat passe un message aux quatre syndicats qui généralement gèrent l'assurance chômage, qui se sont alternativement engagés sur ce sujet-là pour faire en sorte qu'on ait un système moderne d'aide aux chômeurs financièrement, mais surtout, pour la CFDT, d'accompagnement, de projet pour chaque chômeur pour retrouver un emploi.

Q - Où en êtes-vous avec la CGT ?
R - Nous avons des relations, je crois, normales, même si elles ont été difficiles, il y a quelques mois. Nous travaillons ensemble pour essayer de trouver des points communs pour manifester ensemble sur les sujets, mais on sait très bien - c'est normal, c'est le débat démocratique - que l'on a parfois des solutions différentes sur les différents sujets. Mais l'important, c'est déjà qu'on soit en capacité début d'octobre collectivement tous les syndicats qu'on dépasse les problèmes de date, qu'on dépasse certains problèmes de divergence pour dire ensemble nos priorités ce sont celles-là pour que les politiques, et le Gouvernement en particulier, mais aussi le patronat nous entendent et disent il faut qu'on trouve, collectivement, des solutions aux problèmes qui sont posés aujourd'hui aux salariés.
Q - On se méfie beaucoup, à la rédaction de France Inter, des formules toutes faites, du type "la rentrée sera chaude". Mais percevez-vous, là - je parlais moi d'urgence sociale tout à l'heure -, une demande et une inquiétude particulière dans la société française ?
R - Je perçois un désarroi fort de la part des salariés, une inquiétude pour l'avenir, la peur de perdre son emploi, une vraie crainte par rapport à son pouvoir d'achat. Est-ce que cela va se manifester par une vraie mobilisation sociale pour soutenir les syndicats ? C'est à nous, les syndicats de convaincre les salariés que les solutions passent aussi par, de temps en temps, manifester pour montrer notre capacité de mobilisation. Mais c'est à nous de convaincre. C'est pour cela qu'il nous faut un mois aussi pour convaincre les salariés qu'il faut aller sur ce terrain-là pour pouvoir ouvrir des négociations sérieuses avec les partenaires qui sont les partenaires habituels des syndicats.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 7 septembre 2005)