Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, à RFI le 23 juillet 2005, sur la lutte contre le terrorisme au niveau européen.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Catherine Colonna, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Avec vous nous voulions parler de l'Europe, de son budget, de la place prioritaire que l'Europe devrait avoir dans l'action de tous les ministres du gouvernement français. L'actualité change la donne, finalement c'est le terrorisme qui va finir par s'imposer...
R - Ecoutez, depuis cette nuit, nous avons eu, à nouveau hélas, à déplorer des attentats dans un pays ami et ça nous rappelle ce que nous savons depuis plusieurs années, à savoir que le terrorisme est un fléau contre lequel il faut lutter avec détermination et dans la durée. Mais malheureusement, ça n'est pas la première fois que cette réflexion doit être faite.
Q - Le terrorisme est l'un des gros dossiers de l'Europe. Après les attentats de Madrid, un plan contre le terrorisme avait été adopté. Un plan en 100 points. Catherine Colonna, combien d'entre eux ont été mis en oeuvre à l'heure actuelle ?
R - La plupart. Dès le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, l'Europe s'était mobilisée et avait adopté un plan d'action qui a ensuite été ajusté et développé après les attentats de Madrid. Sur l'ensemble des décisions qu'il était nécessaire de prendre, la plupart ont été mises en oeuvre. L'Europe n'est pas le seul cadre de réponse et d'action contre le terrorisme. Mais c'est un cadre utile, évidemment. Toutes les coopérations internationales doivent être développées si on veut être efficaces. Pour ce qui concerne l'Europe, beaucoup a déjà été fait. L'essentiel, sans doute, c'est que la coopération opérationnelle entre les services de renseignement, entre les polices, entre les justices, a été considérablement renforcée et jamais sans doute elle n'a été aussi intense qu'aujourd'hui. Et sur le plan des outils, beaucoup de choses ont été également mises en place : le mandat d'arrêt européen existe, il est entré en vigueur ; un coordinateur au sein de l'Union européenne, chargé de la lutte antiterroriste a été nommé ; le rôle d'Europol a été accru. Beaucoup de choses ont été faites, même si bien sûr, nous le savons, il reste encore beaucoup à faire. Au lendemain des attentats de Londres par exemple, a été décidée l'accélération du déploiement de ce que l'on appelle les visas biométriques avec des éléments d'identité numérisés et ceci, pour plus de sécurité.

Q - Vous dites que la coopération entre les services de renseignement n'a jamais été aussi intense qu'aujourd'hui. Est-ce que ça n'est pas plus beau que la réalité, ne fonctionne-t-on pas toujours sur le modèle du donnant-donnant, autrement dit : pas d'information donnée sans information reçue ?
R - Ça n'est pas le cas. La menace qui pèse sur l'ensemble de nos démocraties est réelle et elle est perçue comme telle par l'ensemble des responsables des pays concernés, croyez le bien. Ce qui est vrai, c'est que les différents niveaux de réponses doivent être combinés. Il y a, à la fois, des coopérations bilatérales, des échanges très directs entre tel ou tel pays, des groupes de pays qui agissent. Par exemple, au sein de l'espace européen, nous avons une coopération renforcée des 5 qui constitue ce qu'on appelle le G5 - les 5 plus grands pays -, et puis, il y a le niveau européen et le niveau international. C'est l'ensemble, la combinaison et la bonne utilisation de l'ensemble de ces niveaux de réponse, qui peuvent nous apporter la protection la plus efficace possible.
Q - On a suivi, Catherine Colonna, la semaine dernière, le cas de l'Allemagne où la Cour suprême a déclaré que le mandat d'arrêt européen n'était pas conforme avec la Loi fondamentale, c'est à dire, la Constitution allemande. Une décision qui a contraint à relâcher un homme qui est considéré par le juge espagnol Garzon comme l'interlocuteur d'Oussama Ben Laden en Allemagne. C'est un petit couac, mais est-ce qu'il est grave ?
R - Je m'en suis entretenu hier matin avec la ministre allemande de la Justice. Parce que la Cour constitutionnelle allemande vient d'annuler en effet la loi qui transposait en droit allemand le mandat d'arrêt européen, qui existe et qui est en vigueur, mais qui ne peut plus, depuis cette décision, s'appliquer en Allemagne. En Allemagne, il faudra donc une nouvelle loi, ce qui prendra un certain temps, c'est ce qui m'a été indiqué, parce que la procédure parlementaire devra suivre son cours. Cela dit, en pratique, n'oublions pas que le mandat d'arrêt européen existe entre tous les Européens, qu'il permet une action beaucoup plus rapide qu'avec les procédures anciennes et, dans le cas de l'Allemagne, ce qui est rendu impossible par la décision de la Cour constitutionnelle, c'est seulement l'extradition des citoyens allemands, de ressortissants allemands, grâce au mandat d'arrêt européen. Pour les autres, nous pouvons toujours utiliser les mécanismes qui existaient, les mécanismes habituels qui restent opérationnels.
Q - On a parlé, dans la lutte contre le terrorisme au plan européen, de "Tracfin", autrement dit, l'identification de mouvements de fonds suspects. Madrid, Londres, ce ne sont pas des attentats qui coûtent cher. Est-ce que cela ne nous rend pas impuissant à vraiment lutter contre ce type d'attentats ?
R - La seule réponse, je vous le disais tout à l'heure, c'est de multiplier les niveaux de réponse et les actions de protection. Sachant que la menace est forte et qu'il ne peut pas y avoir de garantie absolue, jamais, nous le savons. La traque des moyens financiers est l'un des moyens d'action, ça n'est pas le seul. L'identification des filières terroristes va bien au-delà de ça. Le repérage des déplacements de personnes suspectes ou que nous avons des raisons de vouloir suivre dans leurs mouvements est un autre type d'action. A posteriori comme a priori, les renseignements qui peuvent nous parvenir de l'utilisation de réseaux téléphoniques est également une action qui est menée et qui sera développée d'ailleurs, puisque dans le cadre européen, nous devrions développer, d'ici la fin de l'année, la conservation des données techniques pendant un an.
Q - Dominique de Villepin se rend lundi à Londres. Que va-t-il y faire ?
R - Il avait prévu de s'y rendre essentiellement pour parler de l'Europe avec le président en exercice du Conseil européen qu'est Tony Blair, avec toutes les responsabilités que cela implique, pour faire avancer l'Europe, faire avancer les projets européens, trouver un cadre financier pour le fonctionnement futur de l'Union. Tous ces sujets restent à l'ordre du jour. La lutte contre le terrorisme aurait fait partie je n'en doute pas des questions qui étaient également destinées à être évoquées lundi. Bien sûr cela sera le cas.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 août 2005)