Texte intégral
J.-P. Elkabbach - A Rennes, c'est le Salon de l'élevage. Une fois par an, c'est le lieu où tout le monde vient montrer son appétit, sa culture agricole. Comme Lourdes, c'est une sorte de pèlerinage ?
J.-M. Lemétayer - C'est autre chose qu'un pèlerinage ! Je pense que c'est d'abord reconnaître la place importante que joue l'élevage dans l'agriculture française et dans notre pays, sur le plan de l'économie et de l'emploi...
Q- Il y a donc un enjeu important. Et vous attendez la bénédiction et les bienfaits du Premier ministre, pour son premier contact réel, physique, avec l'univers agricole...
R- On attend autre chose qu'une bénédiction !
Q- Vous attendez le "geste auguste du semeur" ?
R- Non, nous attendons tout simplement que le Premier ministre, pour qui cela va être le premier discours de politique agricole, affirme clairement une véritable ambition pour l'agriculture de notre pays.
Q- Les agriculteurs le connaissent-ils déjà ?
R- Non, je pense que les agriculteurs ne connaissent pas bien M. de Villepin. Ils le connaissent évidemment en tant qu'homme politique et, depuis quelques mois, Premier ministre de la France. Mais ils ne le connaissent pas du tout sous l'angle de l'agriculture.
Q- Son prédécesseur, J.-P. Raffarin, est du Poitou-Charentes. Ils le connaissaient. J'ai l'impression que vos amis agriculteurs rêvent toujours d'un Premier ministre "clone" de J. Chirac. Quel est le portrait idéal de celui qui, aujourd'hui, doit s'occuper au mieux des intérêts agricoles en France ?
R- Je ne sais pas s'il y a un portrait idéal. Ce que je puis dire, c'est qu'on ne peut répéter sans cesse que l'agriculture est importante pour notre pays - et j'insiste notamment sur l'emploi - et puis, en même temps, ne jamais dire clairement la politique que l'on va mener en matière d'accompagnement à la politique dont nous savons que, pour l'agriculture, elle se décide au niveau européen ?
Q- De qui parlez-vous, quand vous dites que "jamais on n'explique..." ?
R- Je dirais simplement qu'on a besoin de mesures concrètes. On est très souvent aux très beaux discours - "l'agriculture, c'est important pour les territoires, pour la qualité de notre alimentation" - et on n'est jamais dans l'orientation, dans le discours où l'on dit "oui, l'agriculture, c'est important, et on va l'accompagner de telle manière".
Q- D'accord, là, vous l'avez prévenu ! Hier, vous avez employé une drôle de formule. Vous avez dit : "A Rennes, D. de Villepin n'a pas le droit de se rater". Est-ce un conseil d'ami ou une menace ?
R- Je n'ai pas à donner de "conseil d'ami" au Premier ministre. C'est son premier discours de politique agricole et la profession agricole, l'ambiance est morose actuellement dans les campagnes. Je crois tout simplement que les agriculteurs attendent beaucoup de l'intervention du Premier ministre. Et il ne peut pas décevoir : il doit montrer l'ambition qu'il a pour l'agriculture et la procession agricole. Et nous attendons aussi, au-delà du discours, des mesures concrètes.
Q- Qu'est-ce que cela veut dire, "il n'a pas le droit de se rater" ?
R- Il n'a pas le droit de se rater, je le répète, parce qu'il pourrait créer une énorme déception ce midi.
Q- C'est la coutume de la FNSEA : un, réclamer ; deux, le chantage à la manif...
R- Je n'accepte pas cette appréciation sur la FNSEA ! Je pense que nous portons avec beaucoup de sérieux les attentes de la profession agricole, dans la diversité des productions et de nos territoires. Regardez ce qui se passe dans la viticulture. Nous n'avons malheureusement aucun pouvoir sur le climat, regardez ce qui s'est passé tout l'été avec la sécheresse...
Q- On entre dans le concret. Tous les secteurs économiques sont touchés par la hausse du prix du pétrole : les entreprises, les transporteurs routiers, les taxis, les ambulanciers, les particuliers, les pêcheurs. Pour les agriculteurs, tout le monde reconnaît que c'est un facteur de plus que la crise multiforme qu'ils sont en train de subir.
R- C'est un facteur de hausse de charges très important. C'est la raison pour laquelle, au-delà de mesures déjà prises, parce que la mesure de remboursement de la part française de la TIPP est prise pour l'ensemble de l'année 2005. Nous attendons une mesure complémentaire pour alléger la facture...
Q- Laquelle ?
R- Un crédit d'impôt supplémentaire, de la défiscalisation.
Q- Crédit d'impôt donc, allégement de charges : que demandez-vous à D. de Villepin ?
R- Il faut que les auditeurs comprennent que la profession agricole n'a aucun moyen de répercuter sur ses prix agricoles l'augmentation de ses charges.
Q- Comme les transporteurs, par exemple ?
R- Hier, D. Perben a annoncé un projet de loi permettant d'indexer l'évolution du prix du carburant sur leur facturation ; pour nous, ce ne sera pas possible, ce genre de mesure n'est pas possible.
Q- Vous êtes coincés, vous ne pouvez pas...
R- Nous, on ne peut pas. Regardez ce qui se passe sur le prix du lait aujourd'hui, sur le prix des vins, sur le prix des fruits cet été ; nous n'avons pas cette possibilité.
Q- Qu'est-ce qui apaiserait votre inquiétude ?
R- Dans cette période où l'on subit une forte évolution des charges, il faut des mesures françaises d'allégement des charges sur ce qui est du ressort de la France. On a une multitude de taxes, j'ai aussi demandé à ce que l'on voie le dossier de la taxe sur le foncier non bâti qui est une lourde taxe qui pèse sur l'agriculture - 700 millions d'euros. Le président de la République, l'an dernier, dans son discours à Murat, a dit que c'est un dossier qu'il fallait revoir. J'attends, là aussi, que le Premier ministre engage la réforme de la taxe du foncier non bâti.
Q- Dans cette crise croissante de l'énergie, les agriculteurs sont-ils prêts à fournir des biocarburants que le Gouvernement veut développer et accélérer ?
R- Cela, c'est l'aspect très positif, parce que je crois qu'il y a l'allégement des charges d'un côté et il y a l'ambition que nous pouvons avoir en matière d'énergie verte. Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière une accélération du calendrier en matière d'incorporation du biocarburant, il faut maintenant qu'il soutienne les investissements indispensables pour que ce soit bien les producteurs, les agriculteurs français qui fournissent cette énergie verte et que l'on ne se tourne pas demain vers des importations d'éthanol du Brésil par exemple.
Q- Donc, ça, c'est positif ?
R- C'est très positif. Au-delà même de l'éthanol et du diester, je pense que l'on peut jouer un rôle très important en matière de développement d'énergies renouvelables qui, qui plus est, correspondent au souhait attendu de tous de développement durable.
Q- Les producteurs de lait bloquent depuis quelques jours les accès de plusieurs laiteries dans l'Ouest, le Nord, l'Est, pour protester contre la baisse du prix du lait ; D. de Villepin avait déjà nommé un médiateur qui négocie avec tous les acteurs de la crise laitière. Ily a eu des négociations toute la nuit au ministère de l'Agriculture, qu'est-ce que cela donne ?
R- Je crois que l'on est encore dans l'impasse. Cette nuit n'a pas permis d'aboutir. Je souhaite vraiment qu'il y ait un accord entre les producteurs et les industriels, parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation que je qualifie de "débandade", où chaque entreprise pratique le prix qu'elle veut. Ce n'est possible. Le Gouvernement doit aussi s'investir, parce que ces baisses de prix sont aussi la conséquence de la réforme de la politique agricole européenne.
Q- La Politique agricole commune, le président de la République, ses gouvernements et ses ministres la défendent. Elle est sanctuarisée, comme on dit, jusqu'en 2013...
R- Je l'espère.
Q- Pourquoi cette inquiétude constante qui se répète chez vous ?
R- Tout simplement parce qu'il y a un débat qui monte au niveau de l'Europe, entre les chefs d'Etat et de gouvernement et c'est à ce niveau là : quelle est l'ambition pour l'agriculture européenne ? Est-ce que l'on veut continuer en matière d'indépendance alimentaire, ou est-ce que l'on veut mondialiser aussi les échanges internationaux en matière agricole qui feraient qu'après tout, si demain, l'alimentation vient de produits importés, ce ne serait pas grave. Je crois que nous avons un rôle à jouer en matière de qualité de l'alimentation pour le consommateur, de sécurité de cette alimentation, et j'aimerais bien que T. Blair aborde les choses aussi sous cet angle-là, et pas simplement de qualifier l'agriculture comme étant seulement porteuse de 2 % d'emplois. Vous le savez, c'est bien plus cela en France.
Q- Mais si les discussions s'engagent en 2006 - essayons d'être clairs - par exemple après les élections allemandes et pour l'avenir du budget de l'Europe, pour parler de la PAC, parler en 2006 de la PAC en 2015, est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce que vous le comprendriez ? Oui ou non ?
R- Oui, bien sûr. Il faut d'abord confirmer qu'on ne reviendra pas sur des décisions qui nous conduisent à 2013, et je trouve tout à fait normal que des discussions s'engagent pour l'après 2013, mais il faut que cela se fasse dans la sérénité et pour cela, il faut d'abord dire : des décisions ont été prises par les chefs d'Etat, elles doivent se mettre en place. La réforme de la PAC n'est pas encore en place en France, ce sera pour début 2006, et on voudrait réformer la réforme.
Q- Mais elle n'est pas éternelle la PAC ?
R- Bien entendu, mais le débat budgétaire de l'Europe, parce que c'est sous cet angle-là qu'évidemment les discussions risquent de reprendre, je crois là aussi qu'il faut que les choses soient claires. Nous, nous sommes prêts... La Politique agricole peut coûter beaucoup moins chère si les prix agricoles pratiqués pour les agriculteurs se rapprochent de leurs coûts de production.
Q- On entend toujours parler des devoirs des autres, est-ce que quelquefois vous pensez à vos devoirs, par exemple, avant de voir... Vos devoirs sur l'eau, la pollution, la solidarité pour soutenir les prix des produits de la terre africaine ou sud américaine, aussi. Il y a des pauvres là bas.
R- Je reviens d'un déplacement au Sénégal, la semaine dernière, enfin il y a une dizaine de jours maintenant, où je suis allé signer une convention d'accompagnement avec mes collègues de la production agricole sénégalaise. La ministre de l'Elevage du Sénégal sera présente au SPACE, cette semaine. Le ministre de l'Agriculture du Mali également....
Q- Eh bien, c'est bien. Vous avez une médaille d'Europe 1.
R- Tous les pays en émergence - si je peux me permettre un dernier mot - si je devais rêver dix secondes, ce serait qu'ils aient eux aussi une politique agricole commune, comme nous avons eu la chance d'en bénéficier depuis quarante ans. Il faut protéger leurs marchés si on veut que les agriculteurs puissent développer leurs productions chez eux, pour leurs consommateurs.
Q- Deux mots : J. Bové vient de laisser entendre que lui aussi, pourquoi pas, si ses amis le lui demandent avec assez d'insistance, il pourrait être candidat à l'Elysée. Qu'est-ce que vous en pensez ?
R- Il est libre, J. Bové. Il est libre de faire les choix qu'il veut, y compris d'aller en politique. Je crois que maintenant, les choses sont claires : J. Bové devient un homme politique.
Q- Vous, vous n'êtes pas tenté ? Il y a déjà douze candidats, il n'y aura pas un treizième ou un quatorzième ?
R- D'abord, personne ne me le demandera et puis, j'ai beaucoup à faire
pour servir les agriculteurs.
Q- Quel serait le bon geste de D. de Villepin de ce matin, parce que vous dites bien qu'il joue gros ?
R- Ce sont des mesures sur l'allègement des charges et un discours clair, ambitieux pour l'agriculture et ses paysans.
Q- Et si c'est cela, ça vous va ?
R- Si c'est cela, je pense qu'il y a la confiance... On a besoin de retrouver confiance dans nos campagnes.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 septembre 2005)
J.-M. Lemétayer - C'est autre chose qu'un pèlerinage ! Je pense que c'est d'abord reconnaître la place importante que joue l'élevage dans l'agriculture française et dans notre pays, sur le plan de l'économie et de l'emploi...
Q- Il y a donc un enjeu important. Et vous attendez la bénédiction et les bienfaits du Premier ministre, pour son premier contact réel, physique, avec l'univers agricole...
R- On attend autre chose qu'une bénédiction !
Q- Vous attendez le "geste auguste du semeur" ?
R- Non, nous attendons tout simplement que le Premier ministre, pour qui cela va être le premier discours de politique agricole, affirme clairement une véritable ambition pour l'agriculture de notre pays.
Q- Les agriculteurs le connaissent-ils déjà ?
R- Non, je pense que les agriculteurs ne connaissent pas bien M. de Villepin. Ils le connaissent évidemment en tant qu'homme politique et, depuis quelques mois, Premier ministre de la France. Mais ils ne le connaissent pas du tout sous l'angle de l'agriculture.
Q- Son prédécesseur, J.-P. Raffarin, est du Poitou-Charentes. Ils le connaissaient. J'ai l'impression que vos amis agriculteurs rêvent toujours d'un Premier ministre "clone" de J. Chirac. Quel est le portrait idéal de celui qui, aujourd'hui, doit s'occuper au mieux des intérêts agricoles en France ?
R- Je ne sais pas s'il y a un portrait idéal. Ce que je puis dire, c'est qu'on ne peut répéter sans cesse que l'agriculture est importante pour notre pays - et j'insiste notamment sur l'emploi - et puis, en même temps, ne jamais dire clairement la politique que l'on va mener en matière d'accompagnement à la politique dont nous savons que, pour l'agriculture, elle se décide au niveau européen ?
Q- De qui parlez-vous, quand vous dites que "jamais on n'explique..." ?
R- Je dirais simplement qu'on a besoin de mesures concrètes. On est très souvent aux très beaux discours - "l'agriculture, c'est important pour les territoires, pour la qualité de notre alimentation" - et on n'est jamais dans l'orientation, dans le discours où l'on dit "oui, l'agriculture, c'est important, et on va l'accompagner de telle manière".
Q- D'accord, là, vous l'avez prévenu ! Hier, vous avez employé une drôle de formule. Vous avez dit : "A Rennes, D. de Villepin n'a pas le droit de se rater". Est-ce un conseil d'ami ou une menace ?
R- Je n'ai pas à donner de "conseil d'ami" au Premier ministre. C'est son premier discours de politique agricole et la profession agricole, l'ambiance est morose actuellement dans les campagnes. Je crois tout simplement que les agriculteurs attendent beaucoup de l'intervention du Premier ministre. Et il ne peut pas décevoir : il doit montrer l'ambition qu'il a pour l'agriculture et la procession agricole. Et nous attendons aussi, au-delà du discours, des mesures concrètes.
Q- Qu'est-ce que cela veut dire, "il n'a pas le droit de se rater" ?
R- Il n'a pas le droit de se rater, je le répète, parce qu'il pourrait créer une énorme déception ce midi.
Q- C'est la coutume de la FNSEA : un, réclamer ; deux, le chantage à la manif...
R- Je n'accepte pas cette appréciation sur la FNSEA ! Je pense que nous portons avec beaucoup de sérieux les attentes de la profession agricole, dans la diversité des productions et de nos territoires. Regardez ce qui se passe dans la viticulture. Nous n'avons malheureusement aucun pouvoir sur le climat, regardez ce qui s'est passé tout l'été avec la sécheresse...
Q- On entre dans le concret. Tous les secteurs économiques sont touchés par la hausse du prix du pétrole : les entreprises, les transporteurs routiers, les taxis, les ambulanciers, les particuliers, les pêcheurs. Pour les agriculteurs, tout le monde reconnaît que c'est un facteur de plus que la crise multiforme qu'ils sont en train de subir.
R- C'est un facteur de hausse de charges très important. C'est la raison pour laquelle, au-delà de mesures déjà prises, parce que la mesure de remboursement de la part française de la TIPP est prise pour l'ensemble de l'année 2005. Nous attendons une mesure complémentaire pour alléger la facture...
Q- Laquelle ?
R- Un crédit d'impôt supplémentaire, de la défiscalisation.
Q- Crédit d'impôt donc, allégement de charges : que demandez-vous à D. de Villepin ?
R- Il faut que les auditeurs comprennent que la profession agricole n'a aucun moyen de répercuter sur ses prix agricoles l'augmentation de ses charges.
Q- Comme les transporteurs, par exemple ?
R- Hier, D. Perben a annoncé un projet de loi permettant d'indexer l'évolution du prix du carburant sur leur facturation ; pour nous, ce ne sera pas possible, ce genre de mesure n'est pas possible.
Q- Vous êtes coincés, vous ne pouvez pas...
R- Nous, on ne peut pas. Regardez ce qui se passe sur le prix du lait aujourd'hui, sur le prix des vins, sur le prix des fruits cet été ; nous n'avons pas cette possibilité.
Q- Qu'est-ce qui apaiserait votre inquiétude ?
R- Dans cette période où l'on subit une forte évolution des charges, il faut des mesures françaises d'allégement des charges sur ce qui est du ressort de la France. On a une multitude de taxes, j'ai aussi demandé à ce que l'on voie le dossier de la taxe sur le foncier non bâti qui est une lourde taxe qui pèse sur l'agriculture - 700 millions d'euros. Le président de la République, l'an dernier, dans son discours à Murat, a dit que c'est un dossier qu'il fallait revoir. J'attends, là aussi, que le Premier ministre engage la réforme de la taxe du foncier non bâti.
Q- Dans cette crise croissante de l'énergie, les agriculteurs sont-ils prêts à fournir des biocarburants que le Gouvernement veut développer et accélérer ?
R- Cela, c'est l'aspect très positif, parce que je crois qu'il y a l'allégement des charges d'un côté et il y a l'ambition que nous pouvons avoir en matière d'énergie verte. Le Premier ministre a annoncé la semaine dernière une accélération du calendrier en matière d'incorporation du biocarburant, il faut maintenant qu'il soutienne les investissements indispensables pour que ce soit bien les producteurs, les agriculteurs français qui fournissent cette énergie verte et que l'on ne se tourne pas demain vers des importations d'éthanol du Brésil par exemple.
Q- Donc, ça, c'est positif ?
R- C'est très positif. Au-delà même de l'éthanol et du diester, je pense que l'on peut jouer un rôle très important en matière de développement d'énergies renouvelables qui, qui plus est, correspondent au souhait attendu de tous de développement durable.
Q- Les producteurs de lait bloquent depuis quelques jours les accès de plusieurs laiteries dans l'Ouest, le Nord, l'Est, pour protester contre la baisse du prix du lait ; D. de Villepin avait déjà nommé un médiateur qui négocie avec tous les acteurs de la crise laitière. Ily a eu des négociations toute la nuit au ministère de l'Agriculture, qu'est-ce que cela donne ?
R- Je crois que l'on est encore dans l'impasse. Cette nuit n'a pas permis d'aboutir. Je souhaite vraiment qu'il y ait un accord entre les producteurs et les industriels, parce qu'on ne peut pas rester dans cette situation que je qualifie de "débandade", où chaque entreprise pratique le prix qu'elle veut. Ce n'est possible. Le Gouvernement doit aussi s'investir, parce que ces baisses de prix sont aussi la conséquence de la réforme de la politique agricole européenne.
Q- La Politique agricole commune, le président de la République, ses gouvernements et ses ministres la défendent. Elle est sanctuarisée, comme on dit, jusqu'en 2013...
R- Je l'espère.
Q- Pourquoi cette inquiétude constante qui se répète chez vous ?
R- Tout simplement parce qu'il y a un débat qui monte au niveau de l'Europe, entre les chefs d'Etat et de gouvernement et c'est à ce niveau là : quelle est l'ambition pour l'agriculture européenne ? Est-ce que l'on veut continuer en matière d'indépendance alimentaire, ou est-ce que l'on veut mondialiser aussi les échanges internationaux en matière agricole qui feraient qu'après tout, si demain, l'alimentation vient de produits importés, ce ne serait pas grave. Je crois que nous avons un rôle à jouer en matière de qualité de l'alimentation pour le consommateur, de sécurité de cette alimentation, et j'aimerais bien que T. Blair aborde les choses aussi sous cet angle-là, et pas simplement de qualifier l'agriculture comme étant seulement porteuse de 2 % d'emplois. Vous le savez, c'est bien plus cela en France.
Q- Mais si les discussions s'engagent en 2006 - essayons d'être clairs - par exemple après les élections allemandes et pour l'avenir du budget de l'Europe, pour parler de la PAC, parler en 2006 de la PAC en 2015, est-ce que vous êtes d'accord ? Est-ce que vous le comprendriez ? Oui ou non ?
R- Oui, bien sûr. Il faut d'abord confirmer qu'on ne reviendra pas sur des décisions qui nous conduisent à 2013, et je trouve tout à fait normal que des discussions s'engagent pour l'après 2013, mais il faut que cela se fasse dans la sérénité et pour cela, il faut d'abord dire : des décisions ont été prises par les chefs d'Etat, elles doivent se mettre en place. La réforme de la PAC n'est pas encore en place en France, ce sera pour début 2006, et on voudrait réformer la réforme.
Q- Mais elle n'est pas éternelle la PAC ?
R- Bien entendu, mais le débat budgétaire de l'Europe, parce que c'est sous cet angle-là qu'évidemment les discussions risquent de reprendre, je crois là aussi qu'il faut que les choses soient claires. Nous, nous sommes prêts... La Politique agricole peut coûter beaucoup moins chère si les prix agricoles pratiqués pour les agriculteurs se rapprochent de leurs coûts de production.
Q- On entend toujours parler des devoirs des autres, est-ce que quelquefois vous pensez à vos devoirs, par exemple, avant de voir... Vos devoirs sur l'eau, la pollution, la solidarité pour soutenir les prix des produits de la terre africaine ou sud américaine, aussi. Il y a des pauvres là bas.
R- Je reviens d'un déplacement au Sénégal, la semaine dernière, enfin il y a une dizaine de jours maintenant, où je suis allé signer une convention d'accompagnement avec mes collègues de la production agricole sénégalaise. La ministre de l'Elevage du Sénégal sera présente au SPACE, cette semaine. Le ministre de l'Agriculture du Mali également....
Q- Eh bien, c'est bien. Vous avez une médaille d'Europe 1.
R- Tous les pays en émergence - si je peux me permettre un dernier mot - si je devais rêver dix secondes, ce serait qu'ils aient eux aussi une politique agricole commune, comme nous avons eu la chance d'en bénéficier depuis quarante ans. Il faut protéger leurs marchés si on veut que les agriculteurs puissent développer leurs productions chez eux, pour leurs consommateurs.
Q- Deux mots : J. Bové vient de laisser entendre que lui aussi, pourquoi pas, si ses amis le lui demandent avec assez d'insistance, il pourrait être candidat à l'Elysée. Qu'est-ce que vous en pensez ?
R- Il est libre, J. Bové. Il est libre de faire les choix qu'il veut, y compris d'aller en politique. Je crois que maintenant, les choses sont claires : J. Bové devient un homme politique.
Q- Vous, vous n'êtes pas tenté ? Il y a déjà douze candidats, il n'y aura pas un treizième ou un quatorzième ?
R- D'abord, personne ne me le demandera et puis, j'ai beaucoup à faire
pour servir les agriculteurs.
Q- Quel serait le bon geste de D. de Villepin de ce matin, parce que vous dites bien qu'il joue gros ?
R- Ce sont des mesures sur l'allègement des charges et un discours clair, ambitieux pour l'agriculture et ses paysans.
Q- Et si c'est cela, ça vous va ?
R- Si c'est cela, je pense qu'il y a la confiance... On a besoin de retrouver confiance dans nos campagnes.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 14 septembre 2005)