Tribune de M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, dans "Les Echos" du 8 mars 2004 intitulée "La femme, espoir des pays du Sud" et entretien avec "Le Figaro" du 11 mars 2004, sur le rôle des femmes dans le développement, notamment en Afrique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Energies News - Les Echos - Le Figaro - Les Echos

Texte intégral

(Tribune de Pierre-André Wiltzer dans "Les Echos", le 8 mars 2004 intitulée "La femme, espoir des pays du Sud") :
Dans les pays du Sud, c'est sur les femmes que repose la cohésion de la société. Ce sont elles, les "Mamans" d'Afrique centrale, les "Mama Benz" du Golfe de Guinée, les paysannes et les commerçantes du Sud-Est asiatique ou de l'Inde qui maintiennent et développent le tissu socio-économique de base. A la campagne ou dans les villes, dans les champs ou sur les marchés, les femmes assurent dans une large mesure l'économie de base et font vivre leurs proches. Lorsqu'elles recourent au "microcrédit", pour démarrer une petite activité, cela marche ! Grâce au contrôle qu'elles exercent entre elles, leurs prêts sont remboursés dans près de 100 % des cas ! Celui qui n'est pas allé flâner sur un de ces marchés africains ou asiatiques ou parmi les petites boutiques de quartier ne peut pas comprendre la place que tiennent les femmes dans l'économie informelle, celle dont la souplesse permet d'amortir l'essentiel des effets d'une crise.
Allez visiter un "jardin de case" à Brazzaville ou une "coopérative maraîchère" en Casamance. Vous serez d'abord surpris par la chaleur de l'accueil, puis par l'étonnant sens de l'organisation de ces femmes de tous âges, parfaitement capables de s'entendre pour exploiter efficacement leur lopin de terre, celui dont la famille tire bien souvent la plus grande partie de ses revenus. Cela vaut aussi pour l'économie moderne dont elles maîtrisent spontanément les mécanismes. Quand elles peuvent le faire, elles n'hésitent pas à parcourir le monde à la recherche des produits qui se vendent sans aucune difficulté ; les besoins du marché de leur pays n'ont aucun secret pour elles. Les plus douées font de remarquables chefs d'entreprise, capables d'accéder aux cercles de décision économiques. Leur volonté et leur pugnacité sont là pour y faire valoir leurs besoins et leurs points de vue. Leur rôle dans l'éducation des enfants est évidemment essentiel, car jusqu'à l'âge de l'initiation, la transmission d'une grande partie des coutumes et des savoir-faire repose sur elles.
Avec les enfants, elles sont pourtant les premières victimes des conflits, surtout en Afrique où les crises et les guerres engendrent des déplacements de populations, volontaires ou provoqués, des viols, des brutalités, des pillages et des famines. Trop souvent, ces femmes subissent des discriminations et des traitements dégradants : violences sexuelles, mariages forcés, négation des libertés fondamentales, scolarisation écourtée, exclusion des professions du monde moderne
Elles relèvent pourtant la tête et se battent courageusement pour améliorer leur sort et celui de leurs filles.
Ce courage, cette détermination, cette solidarité dont elles font preuve nous interpellent. Notre devoir est de les soutenir en orientant davantage vers elles notre politique de coopération par des actions concrètes de terrain. C'est pourquoi, conformément aux orientations du président Chirac, je m'emploie à ce que la coopération française réponde en priorité aux besoins essentiels des populations, en particulier l'éducation de base pour tous, la santé publique, l'accès à l'eau. Trois domaines touchant directement aux conditions de vie des femmes.
L'éducation de base parce que l'alphabétisation des femmes change de manière déterminante leur place et fait progresser l'ensemble de la société : là où elles sont les plus nombreuses à savoir lire, écrire, compter et établir un budget, la santé s'améliore, la productivité s'accroît, la natalité peut être maîtrisée. La santé, et notamment la santé maternelle et infantile, parce la pratique des bons réflexes d'hygiène "à la maison" passe avant tout par les femmes. Cela concerne aussi la lutte contre le sida, parce qu'elles sont les premières victimes de la pandémie, et la lutte contre les mutilations sexuelles qui entraînent de terribles souffrances et parfois même la mort.
L'accès à l'eau potable libère du temps pour les femmes, seules en charge des corvées, mais il améliore aussi de manière déterminante la santé publique en limitant la propagation de nombreuses maladies.
Dans ces domaines, il ne faut pas oublier l'importance du dialogue entre les femmes et les hommes, souvent source de résistances dans le rapport de force entre eux. N'oublions pas non plus de promouvoir, à égalité avec les hommes, l'accession des femmes à la vie politique et aux responsabilités. Les femmes du Sud détiennent une grande partie des clés du développement de leur pays. Aidons les dans leurs efforts !
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 mars 2004)
(Entretien de Pierre-André Wiltzer avec "Le Figaro", le 11 mars 2004) :
Q - Pourquoi les organismes internationaux insistent-ils autant sur le rôle de la femme dans le développement de l'Afrique ?
R - Traditionnellement, la femme occupe une place centrale dans les sociétés africaines. Il est difficile de parler de "la" femme africaine en raison de la diversité des situations. On observe pourtant que, de façon générale, les femmes sont plus responsables que les hommes, plus conscientes de la nécessité de prendre des initiatives, de mettre en place une certaine gestion des productions, notamment agricoles, parce qu'elles ont le souci de la survie de leurs enfants, des vieillards, des orphelins du village. La femme est la gardienne de la famille, on peut même dire le chef de famille pour tout ce qui touche à sa subsistance.
A Tuléar, au sud-ouest de Madagascar, dans une banlieue très pauvre où les points d'eau étaient très rares, si bien que les femmes et les filles devaient venir de loin et faire la queue tous les matins, nous avons installé un réseau de canalisations. C'est une association de quartier montée par des femmes qui a pris en main la gestion de façon très efficace. A Cotonou, des femmes qui jusque-là cultivaient chacune leur lopin de mil ont créé une coopérative avec l'appui de nos services. A Libreville, l'Agence française de développement a financé l'installation de parcelles de maraîchage : là encore, les femmes en ont été les actrices majeures.
Q - Ont-elles un statut social, une reconnaissance à la hauteur de leurs responsabilités et de leur participation à la vie active ?
R - Il y a une nouvelle génération de femmes en Afrique qui a pris en main son destin. Sans bruit, elles sont en train de prendre le pouvoir. Par le biais de la vie associative, certaines femmes commencent à avoir accès à des sphères jusque-là exclusivement masculines, comme les affaires, l'administration, la politique. Un symbole : la commission de l'Union africaine créée il y a deux ans sur le modèle de l'Union européenne, mais avec les cinquante pays d'Afrique, est composée de dix membres dont, statutairement, une moitié de femmes. Dans ce domaine, les Africains sont en avance sur nous !
Q - Récemment, le président centrafricain chassé par un coup d'Etat a appelé à l'aide les hommes de Mbemba, devenu vice-président de la République démocratique du Congo. En échange de leur protection, il les a laissé violer femmes et enfants. La France ne pourrait-elle pas user de son poids diplomatique pour que ces pratiques ne soient plus tolérées ?
R - C'est le cas de nombreux conflits ethniques. S'en prendre à la femme est une façon d'humilier, de déshonorer l'adversaire, de détruire la société de l'adversaire. C'est une arme particulièrement odieuse. Il faut poursuivre sans pitié ceux qui l'emploient. Il est certain que les femmes auront des responsabilités politiques moins les relations entre Etats dégénéreront. Les femmes sont plus sensibles que les hommes aux conséquences des conflits sur la population et moins enclines à la violence.
Q - La promotion de la femme africaine n'est-elle pas sérieusement menacée dans certains pays par l'expansion d'un islam intégriste ?
R - C'est vrai. La meilleure façon de contrer le fanatisme, c'est de donner aux femmes les armes intellectuelles pour lutter elles-mêmes, en développant leur éducation.
Q - Justement, le taux de scolarité des filles reste en moyenne très inférieur à celui des garçons ?
R - C'est pourquoi l'une des priorités de l'aide internationale va à l'éducation. En 2000, l'ONU s'est donné des objectifs pour le développement. Au premier rang, l'éducation pour tous, garçons et filles, d'ici à 2015. C'est un levier fondamental de l'égalité, et du développement à long terme. A chaque fois que le statut de la femme progresse quelque part, c'est toute la société qui s'ouvre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mars 2004)