Texte intégral
Messieurs les députés,
Vous avez mené une série d'auditions très approfondies sur la politique immobilière de l'État et je voudrais d'abord souligner l'importance que j'attache à vos travaux sur ce sujet essentiel en termes de gestion publique.
Vous avez déjà auditionné mes services. Je vois donc surtout notre rencontre d'aujourd'hui comme l'occasion :
- de tracer ensemble le bilan le plus clair possible des dernières années,
- et surtout d'esquisser les orientations stratégiques à prendre, afin de donner à l'État les outils d'une véritable politique immobilière.
I Regardons trois ans en arrière, pour voir d'où nous venons. Au début des années 2000, les bases d'une gestion active des immeubles de l'État n'étaient pas en place.
1. La situation patrimoniale de l'immobilier de l'État était très mal connue et les éléments d'information nécessaire à la mise en place d'une politique immobilière n'existaient pas. Le tableau général des propriétés était périmé, car les valeurs des biens n'étaient pas actualisées. Certains immeubles possédés par des services déconcentrés n'y figuraient pas.
2. Chaque ministère nourrissait le sentiment qu'il était propriétaire pour toujours des immeubles qu'il occupait. La notion d'affectation du domaine public était dévoyée. Dans la certitude que l'occupation des biens domaniaux était gratuite, les administrations n'étaient pas portées à réfléchir à la rationalité de leurs implantations. Cette culture n'était certainement pas le bon terrain pour encourager la gestion active de l'immobilier de l'État.
3. Le droit domanial était très rigide. Les bureaux des administrations faisaient partie du domaine public. Avant de les vendre, il fallait les déclasser.
4. En revanche, les règles de réaffectation des produits des ventes fixées par la circulaire Cresson de 1992 étaient particulièrement favorables.
- Elles laissaient 90 % des gains nets aux ministères occupant les locaux vendus, avec un taux de 100 % pour la Défense et les Affaires étrangères.
- Le reste était distribué par la commission interministérielle de la politique immobilière de l'État, en particulier pour les cités administratives.
Mais ces avantages financiers ne suffisaient pas, et les gains de cession étaient très faibles : sur la période de 1998 à 2002 ils étaient de 14 millions d'euros par an en moyenne, hors Défense. À la Défense, on oscillait entre 15 et 30 millions d'euros, sauf le programme exceptionnel de cession de la caserne Dupleix.
II Depuis lors, il y a eu une prise de conscience. Des réformes ont été mises en uvre par le gouvernement, des outils nouveaux ont été créés, et les résultats ont commencé à progresser.
1. Deux facteurs déclenchants ont joué un rôle décisif à l'origine de ces changements :
- d'abord l'annonce du Premier ministre, fixant en 2003 l'objectif volontariste de 1 million de mètres carrés de cessions immobilières ;
- et de manière moins immédiate, mais très profonde, la loi organique relative aux lois de finances, avec sa logique de prise en compte de l'ensemble des dépenses liées aux actions administratives, et d'autonomie de gestion accordée aux responsables.
2. En premier lieu l'État a désormais acquis une meilleure connaissance de son patrimoine. Ces travaux s'inscrivent dans le cadre de la LOLF car cette dernière implique qu'un bilan des actifs de l'État soit dressé.
- Depuis 2004 le tableau général des propriétés, tenu par le service des domaines, est accessible en ligne : chaque ministère peut l'actualiser facilement pour ses immeubles.
- Au total, on arrive au chiffre de 33 milliards d'euros, hors monuments historiques et implantations à l'étranger.
3. La procédure de cession a été facilitée à travers une réforme importante du droit domanial.
- Les immeubles de bureaux de l'État ont été déclassés par la loi de finances rectificative pour 2003 afin de faciliter leur gestion. Je sais que M. Tron envisage de déposer prochainement un amendement qui étendrait cette règle aux salles d'enseignement de l'école nationale d'administration.
- En outre une mesure a été prise à l'initiative du Sénat fin 2004 pour permettre la cession des sites à dépolluer affectés au ministère de la Défense.
4. Enfin, le gouvernement a cherché à se donner les moyens de conduire une action volontariste. Il ne s'est pas contenté de fixer des objectifs ambitieux ; il a voulu créer aussi une structure adaptée. En 2004 la mission interministérielle de valorisation du patrimoine immobilier de l'État a été créée afin de proposer des outils de professionnalisation et de modernisation aux responsables immobiliers des ministères, et engager les programmes de cessions les plus nécessaires.
III Les progrès permis par ces réformes ne sont pas contestables. Le rythme des cessions d'immeubles de l'État s'est accéléré considérablement. Cependant, à cause de blocages et de freins identifiés, les objectifs fixés n'ont pas été atteints et nous devons encore progresser.
1. Le rythme des cessions a fortement augmenté, mais sans atteindre les niveaux fixés. Le produit de 500 millions d'euros par an annoncé en 2004 n'a pas été atteint. En loi de finances rectificative, il a été ramené à 100 millions d'euros. Le résultat final a été de 160 millions d'euros, réaffectés pour 33 millions d'euros à la Défense directement. Et si on parle en termes de surface, les ventes concernent au total 100 000 m² de bureaux et de casernes.
2. S'agissant de l'année en cours, le chiffre de 850 millions d'euros résulte d'un amendement de votre commission des finances. Elle a augmenté le montant de 700 millions d'euros proposé par le gouvernement.
Au vu des programmes interministériels arbitrés, en novembre et en mars, pour valider les immeubles concernés, et de l'état d'avancement des opérations, il ne sera pas possible de parvenir à l'objectif fixé. Je m'engage à tout faire pour atteindre environ 600 millions d'euros soit les deux tiers de l'objectif fixé. Je souligne que le nouvel objectif assigné reste très ambitieux, en comparaison avec la réalisation de l'année précédente, par rapport à laquelle il représente plus du triple.
Sur cette somme d'environ 600 millions d'euros, 500 millions d'euros viendront réduire notre dette, tandis qu'une centaine sera affectée directement à la Défense par fonds de concours.
Atteindre ces résultats suppose des efforts très importants, mais je ne peux pas m'en satisfaire. Je crois qu'il faut réfléchir aux facteurs de blocage et aux freins à cause desquels nous n'arrivons pas encore maintenant à donner tout son élan à la dynamique que nous avons enclenchée.
3. D'abord les procédures supposent nécessairement des discussions avec les collectivités locales. Les élus locaux que nous sommes savent bien que, quand l'État vend des immeubles, l'objectif des collectivités concernées n'est pas toujours d'assurer au contribuable la recette la plus élevée. On peut vouloir installer des services d'urgence, des logements sociaux. Avec deux principales conséquences.
- Le droit de priorité des communes provoque en premier lieu des délais. Et lorsque les collectivités veulent faire usage de cette prérogative pour acheter le bien, elles remettent parfois en cause l'estimation domaniale pour obtenir le meilleur prix, d'où des discussions difficiles. Sur ce point, il est naturellement très souhaitable que ce dialogue se déroule dans de bonnes conditions, tout en respectant la procédure, donc dans la limite de deux mois et sur la base de la valeur de marché fixée par les domaines.
- En tout état de cause, lorsque le plan local d'urbanisme réserve au logement social les immeubles cédés, la valeur de marché de ces derniers est poussée à la baisse.
Ces règles d'urbanisme, au-delà du dialogue indispensable avec les collectivités locales, sont en outre d'une réelle complexité technique, avec en particulier la superposition des droits de priorité et de préemption des communes. Leur mise en uvre en est difficile : le cadre juridique n'est donc pas totalement fluidifié.
4. Au niveau des administrations de l'État certains blocages restent à surmonter, en termes de culture et d'incitation.
- En premier lieu, la culture des ministères n'a pas évolué du jour au lendemain, et certains voient avec méfiance les interventions interministérielles sur des biens dont ils se considéraient jusqu'à présent comme propriétaires.
- Ce réflexe conservateur n'est pas compensé par le mécanisme d'affectation des gains des cessions : la proportion destinée au budget général a été portée à 15 % afin de favoriser les opérations les plus rentables, tandis que des avances sont accordées en loi de finances pour le relogement des services concernés.
5. Enfin le pilotage du dispositif présente des faiblesses. Les entités administratives en ayant la charge ont été mises en place successivement, et leur articulation n'est pas optimale.
- La proposition de créer une agence pour recevoir la propriété des immeubles de l'État n'a pas été retenue. Elle engendrait trop de complexité.
- Au niveau interministériel, la mission de valorisation du patrimoine immobilier de l'État exerce une fonction de coordination et d'animation. En revanche, compte tenu de sa taille très réduite, elle n'a pas les moyens d'engager des actions de terrain à destination des responsables opérationnels.
IV Compte tenu de l'importance essentielle pour la réforme de l'État et de ses finances de développer une gestion immobilière dynamique, je prends personnellement en charge ce chantier et il fait l'objet de ma part d'un suivi constant, pour aller plus loin.
Certes nous réaliserons en 2005 les deux tiers de l'objectif de 850 millions d'euros assigné en début d'année. Les cessions ont donné l'impulsion initiale à la politique immobilière de l'État mais il ne faut pas penser qu'elles en sont la finalité ultime : cette dernière est l'amélioration de la gestion des immeubles, pour une meilleure efficience budgétaire et un service public plus efficace.
Vendre n'est vraiment pas un but en soi, alors que l'État est déjà locataire de 35 % de l'espace qu'il occupe.
1. C'est pourquoi la cession en bloc me semble une idée à manier avec prudence. Céder pour rester locataire pendant des années est une fausse solution, car les loyers finissent par effacer, et même au-delà, le gain réalisé.
- Seules certaines catégories de locaux pourraient éventuellement faire l'objet d'une telle défaisance : je pense en priorité à ceux que les ministères ont l'intention de libérer dans le délai de deux ou trois ans.
- Beaucoup de grands acteurs financiers français et étrangers proposent des schémas pour mettre en uvre cette opération. Les offres en présence doivent en tout état de cause être comparées, mises en concurrence, et soigneusement analysées.
- Quant à l'État italien, il a vendu en 2004 à hauteur de 3 milliards d'euros des biens immobiliers, mais cette opération présente des inconvénients majeurs du point de vue financier. Les immeubles ont été vendus avec décote, alors que l'administration a pris l'engagement de les occuper pendant dix huit ans en s'acquittant de loyers élevés, et de les remettre en état à l'issue de la période.
2. En revanche, pour inciter les ministères à rendre plus rationnelle la gestion des immeubles qu'ils occupent, je vous annonce que j'ai décidé d'expérimenter en 2006 le mécanisme de loyers budgétaires par programmes, avant éventuellement de le généraliser.
- Ce système permettra de créer une véritable dynamique de progrès, car les problématiques immobilières feront désormais partie intégrante de la gestion financière des services de l'État au quotidien, au-delà des opérations exceptionnelles de cession. C'est une révolution. En outre, les gains réalisés reviendront intégralement au service occupant les locaux cédés, donc l'effet incitatif sera maximum. En définitive, les opérations les plus efficientes seront encouragées.
- Concrètement, après généralisation, les gestionnaires de crédits paieront des redevances d'occupation du parc domanial. Les montants seront fixés par les domaines au vu du tableau général des propriétés de l'État et réactualisés régulièrement. En parallèle, au moment de la mise en place, une mesure de périmètre sera prise, afin d'équilibrer les dotations. En effet il ne s'agit pas de chercher sournoisement à réaliser des économies immédiates, mais de progresser vers une gestion plus rationnelle.
Je considère que cette mesure est d'autant plus nécessaire qu'elle découle de la logique de la loi organique relative aux lois de finances, en renforçant l'autonomie et la capacité d'arbitrage des gestionnaires.
4. Enfin, le service des domaines exerce aujourd'hui avec beaucoup d'efficacité et d'implication les missions d'expertise juridique et financière dont il est chargé, mais je considère que son action est à redynamiser. Compte tenu du caractère interministériel de cette politique et de ses implications en termes budgétaires et de réforme de l'État, je considère que le ministère dont je suis responsable est appelé à y jouer un rôle essentiel.
- Le chantier a maintenant dépassé le stade des balbutiements et des actions isolées, et nous devons l'animer partout au niveau déconcentré, afin que tous les acteurs se l'approprient. Le service des domaines, avec son réseau constitué de 1 500 agents et sa compétence technique, constitue le support adapté. Je souhaite que dans toutes les matières, y compris les aspects de gestion et de stratégie, il devienne pour l'État le prestataire immobilier en interne.
- Certains éléments utiles pour la décision immobilière, comme le nombre de personnes abritées dans les immeubles de bureaux, au regard de la surface, pourraient enrichir le tableau général des propriétés.
- En outre, nous ne devons pas nous interdire de réfléchir à des questions d'organisation : le maintien au sein de la direction générale des Impôts ou bien le travail sur des synergies éventuelles avec celle de la Comptabilité publique. Le réseau de cette dernière est en contact avec toutes les administrations et les collectivités locales, et il est impliqué dans la mise en uvre de la loi organique.
Je vous remercie de m'avoir écouté sur ce sujet qui me tient à cur. Bien que les progrès réalisés ne soient pas négligeables, je suis convaincu qu'il ne faut pas en rester là, mais aller plus loin vers des réformes de fond bien réelles. Les enjeux de la politique immobilière pour l'État sont primordiaux en termes d'efficience et de performance du service public, et je continuerai de m'impliquer personnellement sur ce chantier, pour que nous nous donnions les moyens de le réussir.
(Source http://www.minefi.gouv.fr, le 17 juin 2005)