Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à la presse luxembourgeoise, à RTL, RTL-Radio, Radio-socioculturelle et DNR le 6 novembre 2000, sur l'état des négociations sur la réforme des institutions communautaires, notamment la commission européenne et la repondération des voix.

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Circonstance : Voyage de M. Moscovici au Luxembourg le 6 novembre 2000

Média : DNR - Emission L'Invité de RTL - Presse étrangère - Presse luxembourgeoise - Radio-socioculturelle - RTL - RTL-Radio - Télévision

Texte intégral

Pour commencer, il faut chasser deux ou trois idées fausses.
Première idée fausse : nous aurions eu à Biarritz une position brutale entre petits et grands pays. Je crois que ce n'est pas vrai. L'estimation commune que nous pouvons faire, que nous avons faite avec le Premier ministre luxembourgeois, est que le débat de Biarritz fut un débat salutaire, utile, qu'il valait mieux qu'il se déroule là plutôt qu'à Nice, parce qu'il permettait en même temps de mesurer ce qu'était la position des uns et des autres et, surtout, qu'il permettait de sortir de cette opposition supposée. Pour moi, il n'y a pas en Europe de petits et de grands Etats. Il y a des pays plus ou moins peuplés, ce dont il faut bien tenir compte, que ce soit à travers la pondération des voix ou à travers d'autres mécanismes, mais en même temps il y a des pays qui apportent une contribution différente à l'Union européenne, qui ont des visions différentes de l'Union européenne, et je ne considère pas que le Luxembourg, qui est l'un des pays fondateurs, qui a donné plusieurs présidents à la Commission, qui a présidé, encore récemment, l'Union européenne, en y apportant une touche très importante, - je veux parler des dimensions de l'emploi et de cohésion sociale -, soit un petit pays. C'est un pays qui va jouer son rôle, comme d'habitude, dans la formation du consensus.
Deuxième idée fausse : on dit que la France présiderait avec une vision partiale et avec une conception orientée vers ses intérêts propres ; je crois que c'est profondément faux, c'est notamment faux en ce qui concerne le sujet délicat, qui a fait couler beaucoup d'encre, de la composition de la Commission. Quand la Présidence propose, parmi des schémas retenus, celui d'une Commission plafonnée avec une rotation égalitaire, il est évident que c'est un schéma qui n'avantage pas les grands pays, qui n'avantage pas la France, Aujourd'hui, les grands pays, dont la France, ont deux commissaires dans la Commission; si on va à un système de commission plafonnée à 20 avec une rotation égalitaire, cela signifie que la France perdrait un commissaire tout de suite, tout le temps, et deux commissaires, à certains moments, alors que, pour les autres pays, cela signifierait la perte d'un commissaire pendant quelque temps et que l'on retrouverait donc dans cette Commission la France et le Luxembourg exactement soumis aux mêmes conditions. J'ajoute que cette proposition est une des propositions qui est sur la table, l'autre proposition est celle d'une commission avec un commissaire par Etat membre, avec une réorganisation de la Commission et nous n'avons jamais dit à Biarritz que nous nous engagions dans une seule voie. Et donc je voudrais être très clair maintenant, - ces deux idées fausses étant dissipées -, sur la phase où nous nous trouvons. C'est la phase de l'indispensable fabrication des compromis. La Présidence est là pour fabriquer des compromis, bien sûr des compromis qui représentent des avancées. On ne peut pas fabriquer un compromis qui soit au rabais ; nous avons toujours dit que nous préférions pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité. Nous continuons à le dire. Simplement, il nous semble qu'il est possible d'aller à Nice vers un bon compromis qui permette la fabrication d'un bon traité. C'est dans ce contexte là que je suis venu ici, après m'être rendu, à la demande du président de la République et du Premier ministre, en Belgique, où j'ai rencontré M. Verhofstadt, au Portugal, où j'ai rencontré M. Guterres, en Finlande, où j'ai rencontré M. Lipponen, et au Danemark, où j'ai rencontré M. Rasmussen. J'aurais d'ailleurs dû chronologiquement, je le précise, venir ici la semaine dernière, mais j'ai été dans l'impossibilité de venir du fait de la tempête qui a empêché mon avion de décoller, lundi dernier. Qu'il soit clair que je ne voulais pas terminer par le Luxembourg, mais que j'avais, au contraire, le projet de commencer par là. Et je pense que, maintenant, il faut que chacun contribue au compromis, c'est à dire que chacun fasse mouvement par rapport à ses positions initiales ; et dans ce contexte là, je crois qu'il est important que les pays du Benelux, qui sont des pays fondateurs, contribuent par des propositions à la fabrication du compromis. Voilà l'introduction que je voulais faire.
Nous avons eu un entretien et vous avez pu voir qu'il a été long et approfondi, qu'il a été amical. Il n'y a pas eu d'amertume ou de ressentiment entre le Luxembourg et la France mais comme toujours une volonté de travailler ensemble. Il y a un grand respect de notre part pour les positions du gouvernement luxembourgeois, pour celles de Jean-Claude Juncker, et pour celles de Lydie Polfer.
Q - Quelle peut être la contribution luxembourgeoise ?
R - Je ne veux pas vous donner les détails de cette conversation, car je ne voudrais pas déformer la pensée de mes interlocuteurs. Je dirai simplement que sur la Commission, il reste deux propositions sur la table. Première proposition, celle d'une Commission plafonnée, avec une rotation égalitaire. C'est celle, par exemple, qui a la préférence de la Présidence, en tout cas, de la délégation française. Deuxième proposition, c'est celle d'une Commission avec un commissaire par Etat membre et une réorganisation. Dans ce contexte là, il faudrait préciser ce que l'on entend par réorganisation, quel pouvoir pour le président de la Commission, quel nombre de vice-présidents, et plus largement, quelle mission pour les commissaires. Il y a une idée qui commence à émerger, qui m'avait été formulée par le Premier ministre Verhofstadt, mais qui a rencontré la sympathie ici ou là, qui est celle d'un plafonnement par étape de la Commission. Autrement dit, on sortirait de Nice avec un commissaire par Etat membre ; il y aurait ensuite une augmentation du nombre des membres de la Commission, au fur et à mesure des élargissements, jusqu'à un certain chiffre et puis ensuite, étant conscients que la Commission doit se réformer après l'élargissement, on redescendrait vers un autre chiffre, avec alors, une rotation égalitaire. La question que je pose est : cette solution est-elle intéressante ? Et si oui, comment peut-on la décliner ? Encore une fois la France ne veut pas être celle qui impose une solution. D'ailleurs, c'est impossible, et peut-être sur ce troisième scénario peut-il y avoir une contribution des pays du Benelux. Le Luxembourg s'est montré intéressé. Encore une fois c'est délicat de ma part d'en dire plus, ce que le porte-parole de M. Juncker n'apprécierait pas ! Disons que je crois que nous pouvons travailler sur les trois scénarios.
Q - Vous croyez vraiment qu'on peut assurer la légitimité de la Commission et son acceptation par les Etats membres d'une Commission où tous les Etats membres ne seraient plus représentés ?
R - J'en ai la conviction très profonde. Je veux que les choses soient claires. Nous, nous avons une préférence extrêmement nette pour le système d'une Commission qui soit plafonnée avec une rotation égalitaire. Pourquoi ? Parce que nous pensons qu'une Commission qui deviendrait trop nombreuse, à 25, 30 ou 35, parce que nous allons vers cela avec l'élargissement, une fois que les Balkans se tourneront vers l'Europe, cette Commission là ne serait pas crédible, parce qu'elle serait trop nombreuse. Certes, il y aurait un commissaire par Etat membre mais, en même temps, elle aurait de terribles difficultés de fonctionnement et sa légitimité à l'égard des autres Institutions serait faible. C'est justement parce que nous pensons que la Commission est plus efficace quand elle est plus resserrée, que nous proposons une Commission plafonnée. Mais, en même temps, que les choses soient claires, nous comprenons l'attitude des pays, qui pensent que la légitimité passe par un commissaire par Etat membre. Qui dit compromis, dit justement prise en compte, aussi, des positions des autres pays. Je le répète, nous n'imposerons rien.
Q - Que pensez-vous de la position de la Commission ? (question sur les déclarations récentes du président Prodi)
R. Je ne veux pas corriger le président Prodi, mais je voudrais me baser sur les documents de la Commission elle-même, c'est à dire sur son rapport de l'année dernière, qui était très clair, à savoir que la meilleure solution était un plafonnement de la Commission. Que dit le président Prodi ? Je peux le redire ici, c'est qu'il a constaté qu'une majorité d'Etats membres souhaitait un commissaire par Etat membre ; cela ne veut pas dire que c'est la meilleure solution. Cela veut dire que c'est celle qui semble constituer aujourd'hui la majorité, ce qui n'est pas du tout pareil. Je note que le commissaire Barnier, qui est responsable du dossier, lui, a rajouté immédiatement "un commissaire par Etat membre, mais pas tout le temps", ce qui est la même chose qu'une Commission plafonnée.
Q - Extension du vote à la majorité qualifiée, notamment pour les questions fiscales et le paquet fiscal ?
R - Nous continuons d'espérer qu'il y aura une extension du vote à la majorité qualifiée, y compris sur la fiscalité, et nous sommes assez en sympathie avec les propositions qui ont été faites, en la matière, par la Commission. Je crois qu'il faudra continuer à en discuter à la fois dans le cadre de la CIG et dans celui de l'ECOFIN.
Q - En ce qui concerne la repondération des voix, est-ce que la France pourrait accepter finalement les vux de l'Allemagne d'avoir plus de voix au Conseil des ministres que la France ?
R - Je n'ai jamais entendu cette demande formulée par le chancelier, ni par le ministre des Affaires étrangères.
Q - Sinon, la France pourrait accepter, à la fin, une proposition comme celle là ?
R - Mais, cette proposition n'existe pas. Je suis au courant que l'Allemagne est un pays plus peuplé que la France, pour autant je n'ai pas entendu, pour le moment, demander un décrochage entre l'Allemagne et la France. Ma position est claire : c'est de considérer que dans l'esprit des traités, et dans l'esprit de l'histoire de la construction européenne, il est très clair que l'égalité entre la France et l'Allemagne est une philosophie. Donc, je ne vois pas la nécessité d'un décrochage.
Q - Quelle repondération proposez-vous ?
R - Pour l'instant, nous n'avons fait aucune proposition en la matière. Là encore, il y a deux propositions qui sont sur la table : une proposition qui est celle d'une double majorité avec différentes modalités (pondérée, simple, avec un filet démographique au sein du Conseil), et une deuxième proposition qui est une proposition, là encore, avec différentes grilles de repondération simple des voix. Ces deux propositions sont toujours sur la table. Il nous semble qu'il y a une légère majorité d'Etats membres, qui est favorable à une pondération simple ; donc, nous allons faire maintenant des propositions en ce sens, qui tiennent compte, là encore, des exigences et des inquiétudes des uns et des autres. Le Luxembourg est un pays, qui est, je crois, favorable à la double majorité, mais je crois comprendre, aussi, qu'il ne refuserait pas d'examiner, sous certaines conditions, des propositions en matière de repondération simple des voix. Je ferais simplement remarquer que jusqu'à présent l'Union européenne a toujours fonctionné avec une repondération simple et que le passage à la double majorité supposerait que l'on introduise une très forte logique démographique. Mais, sur ce terrain là, la France fera des propositions lors du prochain conclave à Bruxelles. Je dis la France, pardon, la présidence. Nous avons eu un dialogue, sur ce point, je dirai, assez ouvert, avec le Premier ministre.
Q - Au Parlement européen, certaines personnes semblent indiquer que la monnaie d'échange serait le nombre de Députés luxembourgeois.
R - J'ai cru comprendre que c'était une préoccupation forte (rires). Elle m'a été exprimée avec clarté.
Q - Oui, mais quelle a été la réponse ?
R - Pour l'instant, nous sommes, encore une fois, dans une phase de fabrication de compromis qui repose sur l'écoute des uns et des autres. J'ai bien compris que c'était un point délicat pour la délégation luxembourgeoise. Je comprends pourquoi, d'ailleurs.
Q - ....
R - Mais, il n'a pas été dit que c'était une monnaie d'échange. Il m'a parlé de deux sujets, mais pas de monnaie d'échange.
Q - A propos du Parlement européen, quel rôle voyez-vous pour le Parlement européen ?
R - Le même qu'aujourd'hui, c'est à dire un rôle extrêmement important, puisqu'il est maintenant co-législateur en matière européenne. Mais, puisqu'il y aura extension du champ du vote à la majorité qualifiée, il y aura aussi extension du champ de la co-décision, donc c'est dans un plus grand nombre de matières que le Parlement européen aura à jouer son rôle de colégislateur. En ce sens, son rôle sera renforcé.
Q - Certains estiment que, en fait, dans la proposition de la Présidence sur la Commission, tout l'intérêt sera d'avoir la mainmise sur le Conseil ?
R - Je vois bien cela, mais je ne comprends pas bien la logique. Non, je pense que c'est l'inverse; je ne vois pas pourquoi la Commission deviendrait, avec le temps, un organe soumis à la logique intergouvernementale. Mais, encore une fois, je le répète, nous sommes à la recherche d'un compromis. Nous n'imposons rien. Si nous proposons une commission plafonnée, c'est au nom d'une certaine philosophie de l'intérêt général communautaire. Si cette philosophie n'est pas majoritaire, nous en tiendrons compte évidemment. Donc, encore une fois, nous sommes tout à fait, à l'écoute, compréhensifs par rapport à ce qu'on nous dit. Ce que je note, c'est que l'idée d'un plafonnement par étape a un mérite, c'est celui de réconcilier les points de vue de ceux qui pensent qu'il est important, à court terme, d'avoir un commissaire par Etat membre, y compris pour les pays qui arrivent à travers l'élargissement, mais de poser aussi le problème à plus long terme du fonctionnement d'une commission nombreuse, dans une Europe élargie. Donc, je trouve que c'est une réflexion intéressante. Il reste à en définir les modalités. Là encore, si le Luxembourg peut nous aider à formuler un compromis, ce ne serait pas inutile. Je l'ai dit à M. Juncker.
Q - Dans ce troisième scénario, est ce que l'on arriverait à la fin - et dans combien de temps -, à une Commission plafonnée de 20 membres ?
R - Tout est à écrire, le scénario est à dessiner.
Q - Quelle est votre opinion sur le clivage entre petits et grands pays ?
R - J'ai même commencé par là et je vais même terminer par là aussi d'ailleurs. Je pense que si on regarde l'histoire de la construction européenne, c'est une histoire qui est, avant tout, dominée par la capacité que chacun a de contribuer à l'esprit communautaire. Et pour moi un grand pays, c'est un pays qui contribue à l'esprit communautaire. De ce point de vue là, il est indéniable que le Luxembourg depuis l'origine, puisque c'est un pays fondateur, a apporté beaucoup plus à l'histoire européenne que le poids de sa population dans l'Europe, à l'inverse d'autres pays - je ne ferai ici grief à personne - qui se sont montrés plus réticents à la construction communautaire que le Luxembourg. Donc, un pays pèse par ce qu'il apporte à l'intérêt général communautaire. C'est comme cela, je l'ai rappelé, que le Luxembourg a apporté plusieurs présidents à la Commission, que le Luxembourg a toujours su faire entendre une voix originale, que le Luxembourg, avec son Premier ministre actuel, continue à faire entendre une voix forte dans le concert européen, et je crois que, ce que nous attendons du Luxembourg, dans la période qui vient, c'est qu'il continue de se comporter de cette façon là, c'est à dire comme un pays qui a la volonté de développer l'esprit européen, bref, de rester un membre fondateur, un membre qui développe l'Union européenne; et c'est tout à fait dans cet esprit là que nous avons parlé avec M. Juncker, ce n'est pas dans un esprit d'opposition entre les intérêts nationaux des uns et des autres. La France ne défend pas ses intérêts nationaux dans cette affaire, mais elle les connaît et il ne faut pas penser qu'elle les oublie complètement; je crois que le Luxembourg, aussi, défend une vision de l'Europe, et nos visions de l'Europe finiront, comme d'habitude, par se rejoindre.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 09 novembre 2000).
Q - Est-ce qu'on est prêt pour Nice et y a-t-il un compromis qui se dessine pour la réforme des Institutions européennes ?
R - Nous sommes dans une phase extrêmement importante, il nous reste à peu près un mois d'ici le Conseil européen de Nice et il s'agit effectivement de travailler à l'élaboration d'un compromis. Et c'est dans cet esprit là que je suis venu aujourd'hui au nom du président de la République française, Jacques Chirac, et au nom du Premier ministre, Lionel Jospin, pour un long entretien avec Jean-Claude Juncker et Lydie Polfer, et nous avons travaillé sujet par sujet dans un esprit de fabrication de compromis, parce que le Luxembourg est un pays fondateur de l'Union européenne, parce que le Luxembourg a toujours contribué à l'esprit communautaire et parce que notre souhait, encore une fois, n'est pas de faire prévaloir telle ou telle vision française, mais bien de chercher comment on peut fonctionner dans une Union européenne élargie. Nous avons passé en revue les différentes rubriques : format de la Commission, extension du vote à la majorité qualifiée, pondération des voix au sein du conseil, assouplissement de l'Europe par des coopérations renforcées, je crois qu'entre le Luxembourg et la France, il y a un bon esprit de travail.
Q - Vous avez pu décider, en ce qui concerne par exemple la structure de la Commission future ?
R - Vous savez, pour moi, dans l'Union européenne, il n'y a pas de petits et de grands pays. Il y a des pays qui se distinguent par leur esprit communautaire, d'autres qui en ont moins et d'autre part, il y a des pays qui sont plus peuplés ou moins peuplés. On doit tenir compte de tout ça. Mais, en même temps, un pays comme le Luxembourg est un pays qui apporte à la construction communautaire, depuis l'origine. Je comprends qu'au Luxembourg on souhaite sortir de Nice avec un commissaire par Etat membre, mais je ne suis pas certain que ce soit la bonne solution, parce que je crois qu'une Commission plus ramassée serait plus efficace pour l'avenir ; peut-être, peut-on envisager un mécanisme où il y aurait, pendant un certain temps, un commissaire par Etat membre, et puis, ensuite, dans le cadre d'une union élargie, on reviendrait à un dispositif plus ramassé, à un gouvernement de l'Europe, en quelque sorte, plus efficace. Sur ce point là nous avons eu un échange très franc avec M. Juncker et j'attends une proposition, par exemple, des pays du Benelux ; on ne pourra pas dire qu'elle réponde à l'intérêt des "supposés" grands. Les pays du Benelux ont aussi une histoire et l'Europe, c'est l'histoire des pays fondateurs, qui doivent savoir qu'il faut, à la fois, défendre ses intérêts nationaux et aussi les dépasser pour une vision plus ambitieuse de l'Europe.
Q - Autre point délicat, la majorité qualifiée et la pondération : où en êtes-vous maintenant ?
R - Sur la pondération des voix, il reste deux thèses qui sont la défense de la double majorité, majorité des Etats et majorité des populations, on voit qu'elle est complexe - et la thèse de la pondération des voix, c'est à dire chaque pays est affecté d'un certain nombre de voix au sein du Conseil et puis, à l'intérieur de cela, on détermine la majorité qualifiée. Les deux formules sont toujours sur la table, le Luxembourg est favorable à la double majorité, mais en même temps je crois comprendre que nous pourrions travailler sur un schéma de pondération des voix, en tenant compte de certaines contraintes et de certaines limites, nous allons faire des propositions d'ici une dizaine de jours dans le cadre du conclave à Bruxelles auquel participera Mme Polfer.
Q - Etes-vous optimiste en ce qui concerne Nice ?
R - Je crois que nous allons aboutir à Nice. Pourquoi ? D'abord parce que le traité est très important. Il s'agit de préparer l'Union européenne élargie. Et c'est tout de même un enjeu fondamental, ensuite, parce que même si chacun a des conceptions différentes, il y a quand même une volonté d'aboutir. Je me suis rendu, maintenant, dans cinq pays de l'Union européenne et j'ai vu partout que l'on souhaitait aboutir à un consensus. Donc, la nécessité est là, et la volonté est là. Bien sûr il y a des intérêts à prendre en compte, mais je crois que nous saurons les dépasser. Donc pour Nice, je suis, chaque jour, plus optimiste, parce que je crois que chacun doit apporter sa pierre au compromis et je répète que la présidence française n'a qu'un but, c'est de favoriser un compromis ambitieux pour une Europe efficace à la hauteur de ses ambitions dans le cadre de l'élargissement.
Q - Vous êtes d'accord avec M. Juncker de ne pas précipiter l'élargissement ?
R - L'élargissement doit être fait à son rythme, en fonction du mérite de chacune des candidatures ; c'est un choix politique et volontaire que nous avons tous fait. Nous souhaitons l'élargissement de l'UE, c'est une nécessité historique, c'est une nécessité politique, et, en même temps, il faut que ça reste dans le cadre d'une union européenne qui soit une construction politique.
Qu'il n'y ait pas de dilution, qu'il n'y ait pas d'affaiblissement, que l'on puisse mener sérieusement les négociations. C'est ce que nous sommes en train de faire et je pense que l'on doit pouvoir aller assez vite, aussi vite que possible, dans le cadre d'une approche rigoureuse.
Q - Vous avez été dans d'autres pays, comment ont-ils réagi sur vos propositions ?
R - Je crois que nous sommes entrés dans une phase où chacun a vraiment la volonté d'aboutir et où chacun commence à comprendre qu'un compromis, ça suppose que chacun renonce à une partie de ses conceptions nationales. Bien sûr, il faut tenir compte des contraintes de chacun et il ne faut pas que le compromis se fasse par le bas. J'observe que sur la Commission, il commence à y avoir des discussions, des négociations, même chose sur la pondération des voix, sur la majorité qualifiée on avance, sur les coopérations renforcées, on est très proche d'un consensus ; je dirai que nous sommes dans un processus de travail, une véritable volonté d'arriver à un compromis, cela me rend plutôt optimiste pour conclure à Nice. Les négociations restent très difficiles, mais j'ai la conviction que les voies d'un bon traité à Nice commencent à se dessiner.
Q - (inaudible)
R - Une petite quarantaine de jours pour le formuler. La présidence française a beaucoup écouté, notamment à travers les cinq visites que j'ai faites dans les pays membres de l'Union européenne et qui va continuer à prendre ses responsabilités. Nous allons présenter de nouvelles propositions dans une dizaine de jours à Bruxelles, dans un conclave qui se tiendra le 19 novembre, notamment sur les deux sujets les plus délicats que sont la composition de la commission et la pondération des voix. Je sais, l'expérience me l'a maintenant appris, que nous conclurons dans la nuit à Nice, car tout ça va être très difficile, je crois que nous conclurons positivement et ce compromis est en train de se fabriquer.
Q - Si tel n'était pas le cas ?
R - Cela signifierait que nous n'avons pas réussi à surmonter nos antagonismes et que l'approche de l'élargissement sera plus difficile, tout comme le fonctionnement de l'union européenne. C'est justement parce qu'il y a un risque majeur, que je crois qu'il y a, en train de s'opérer, une prise de conscience, un sursaut. Il nous faut réussir à Nice et nous réussirons à Nice, j'en ai la conviction et toute discussion que j'ai eue, que ce soit avec M. Verhofstaedt, M. Lipponen, M. Rasmussen, M. Guterres, M. Juncker aujourd'hui, toutes les discussions ont été des discussions très conscientes de l'importance de cet enjeu, très cordiales, très amicales. A Biarritz, il y a eu une explication franche, directe, dont chacun reconnaît qu'elle a été utile, et maintenant nous sommes dans un autre processus qui est celui de l'élaboration d'un bon traité. Cela suppose que, politiquement, chacun fasse des avancées. Je suis toujours optimiste, je ne veux pas imaginer que le choix de la crise soit fait, car je crois qu'il nous coûterait beaucoup à tous./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 09 novembre 2000).