Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "RTL" le 1er juin 2005, sur l'objectif du nouveau gouvernement de Villepin de lutte contre le chômage, sur la personnalité du Premier ministre et sur la tenue d'un congrès du parti socialiste à l'automne afin de clarifier la situation au sein du parti.

Prononcé le 1er juin 2005

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Jean-Michel APHATIE : Bonjour François Hollande. La priorité du nouveau gouvernement de Dominique de Villepin, c'est Jacques Chirac qui l'a dit hier soir, c'est l'emploi et - a précisé le chef de l'Etat - ceci "dans le respect du modèle français"... Au fond, les responsables socialistes ne diraient pas mieux...
R- François HOLLANDE : S'ils n'avaient pas entendu cette même ritournelle depuis maintenant trois ans. On nous annonce quasiment chaque année un plan pour l'emploi. Il y a encore quelques mois, Jean-Pierre Raffarin disait - c'était son engagement - qu'il allait faire baisser le chômage et qu'il donnait même un objectif de 10% de moins de chômeurs. On sait ce qu'il en est advenu. Et Jacques Chirac, après les élections régionales et cantonales de l'année dernière, avait parlé - lui aussi, et encore - d'une nouvelle inflexion pour la politique contre le chômage. Et il y avait même eu - on s'en souvient à peine tellement les choses se dissipent - un plan Borloo de cohésion sociale, pour justement lutter contre le chômage. Tout ce la a échoué. Et donc il n'y a rien dans le discours du Président de la République qui puisse laisser penser à une quelconque inflexion, à une quelconque mobilisation. Tout cela est purement verbal. C'est une méthode que l'on connait bien. Nous avons un Président en fin de règne, qui ne sait pas comment aujourd'hui il peut agir, et qui confie un gouvernement à deux "premier ministre", parce qu'il y a presque deux lignes politiques au sein du gouvernement. Sur le modèle social, vous avez évoqué le mot...
Q- ... Il a tranché... Jacques Chirac, il a tranché, puisqu'il dit : "modèle social français, plutôt que modèle anglo-saxon"...
R- Donc, sur le modèle social, il en fait son objectif, la préservation du modèle social français qui pourrait être contre ? Et il appelle, il rappelle devrais-je dire, au gouvernement Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, qui dit : "C'est le modèle social français le problème aujourd'hui". Alors donc il y a un gouvernement qui, parait-il a un objectif, qui parait-il a une conception, et qui est composé par Jacques Chirac avec deux "premier ministre" poursuivant, semble t-il, deux politiques différentes.
Q- Mais il y aura un chef du gouvernement, et ce sera Dominique de Villepin. Nicolas Sarkozy sera au ministère de l'Intérieur.
R- Il y aura un chef du gouvernement, avec la même politique, celle de Jean-Pierre Raffarin et de Jacques Chirac. En définitive, rien ne change, tout continue, sans Jean-Pierre Raffarin, avec un Jacques Chirac qui est aujourd'hui en fin de règne.
Q- Jean-Louis Debré disait à votre place hier matin, et puis on verra bien si cela se retrouvera dans le discours de politique générale de Dominique de Villepin mardi, qu'il fallait procéder à une relance des investissements publics, éventuellement en s'affranchissant du pacte de Maastricht, ou des critères du pacte de stabilité. Est-ce que ça vous parait une bonne idée François Hollande ?
R- Qu'il faille mettre la priorité sur les investissements publics, c'est-à-dire les grandes infrastructures, les grands services publics, 'y suis favorable. Sauf que le gouvernement aujourd'hui, celui de Dominique de Villepin, mais c'était vrai de Jean-Pierre Raffarin, n'a plus les moyens de poursuivre cette politique, car il a tout gaspillé. Il a notamment gaspillé, avec les baisses d'impôts qui sont intervenues depuis trois ans. Il a gaspillé avec des dépenses inutiles, qui ont été mises dans des domaines essentiellement catégoriels ou corporatistes. Et donc il n'a plus aucune marge de manoeuvre, ni en politique intérieure - on le voit bien aujourd'hui -ni en politique économique, ni en politique européenne.
Q- Le respect, ou l'irrespect, ou l'affranchissement des règles du pacte de Maastricht... c'est une nécessité d'après vous ou pas ? Ou vous qui vous dites européen, c'est dangereux de faire ça ?
R- Le pacte de stabilité il a déjà été assoupli.
Q- Oui.
R- Mais nos partenaires veulent - et c'est bien le moins - qu'il y ait des règles. Nous sommes dans un système de monnaie unique. C'est-à-dire que nous ne pouvons pas décider seuls de ce qui nous parait bon ou mauvais pour la politique économique européenne. Donc qu'on veuille s'affranchir d'un certain nombre de règles, chacun peut l'admettre dans des périodes difficiles, notamment dans des périodes de réduction de l'activité, ou de faiblesse de l'activité... Mais nous devons en décider ensemble. Que je sache, la France n'a pas quitté l'Europe, et donc elle aura à faire en sorte de respecter les règles qui sont prévues par nos traités. Car, en définitive, nous devons appliquer, non pas le traité constitutionnel - il a été repoussé - mais les traités existants.
Q- Dominique de Villepin est le nouveau Premier ministre. Vous l'avez connu fin des années 70 sur les bancs de l'ENA. Je ne sais pas quels souvenirs vous avez gardés du jeune homme qu'il était... Quel jugement portez-vous aujourd'hui sur lui ?
R- Je le connais. C'est un homme cultivé. C'est un homme curieux, curieux de tout, mais c'est un homme qui n'était pas préparé à la fonction politique, qui a été pendant plusieurs années diplomate, c'est son métier, puis secrétaire général de l'Elysée, qui est venu au gouvernement sans un mandat électif. Et je pense que le vrai problème de Dominique de Villepin, c'est le rapport au peuple. Ca avait été dit d'ailleurs avant moi par Nicolas Sarkozy.
Q- Mais il a peut-être appris pendant toutes ces années-là ce qu'est l'appareil d'Etat, le fait de gouverner. Il a peut-être une culture qui lui permet aujourd'hui d'assumer son rôle de Premier ministre...
R- Qu'il connaisse l'appareil d'Etat, il a été formé en son sein ; qu'il ait exercé des fonctions dans l'appareil d'Etat : ministre des Affaires Etrangères, ministre de l'Intérieur, ça ne le prédispose pas nécessairement à comprendre ce qu'est l'aspiration de notre peuple et des citoyens. Je crois qu'aujourd'hui le vrai problème que l'on rencontre, c'est qu'on a un gouvernement qui est en fait celui de Jacques Chirac, et celui de l'UMP, et je veux ici insister sur le risque de confusion. Jamais nous n'avons été dans une situation de telle confusion. Confusion politique, on ne sait plus quelle est la ligne. Confusion entre l'Elysée et le gouvernement, on ne sait plus qui décide. Confusion maintenant entre l'UMP et le gouvernement, puisque le président de l'UMP est au sein du gouvernement. Et enfin, confusion entre le ministère de l'Intérieur, qui effectivement prépare les élections, les organise, et le président d'une formation politique. Jamais il n'y aura eu finalement dans nos institutions depuis des années autant de confusion. Et quand il y autant de confusion, il y a tous les risques.
Q- Alain Duhamel expliquait tout-à-l'heure que Jacques Chirac s'était inspiré en formant le couple Sarkozy/Villepin, du couple Hollande/Fabius. C'est vrai?
R- Je ne sais pas si finalement cette inspiration était la bonne...
Q- Ca ne va pas très bien votre couple à vous hein, Hollande/Fabius...
R- Quand il y a justement deux politiques qui s'affirment au sein de la même équipe, il n'y a plus de cohérence, il n'y a plus de clarté. Il n'y a plus de confiance...
Q- ... Alors...
R- ... Et donc la meilleure des façon c'est justement de redonner de la clarté. C'est ce qui n'est pas fait, là, aujourd'hui, dans le gouvernement... tous les ingrédients...
Q- ... Et vous, comment allez-vous faire ?...
R- ... Je vais y venir... Tous les ingrédients de la discordance du conflit sont introduits...
Q- Alors comment vous allez faire, vous ? Congrès ?
R- Nous, c'est un débat que nous allons avoir à la fin de la semaine... débattre... parce qu'il faut bien sûr comprendre ce qui s'est produit...
Q- ... Vous souhaitez qu'il y ait un congrès ?
R- ... Trouver des réponses, et avoir de la clarté. Je demanderai la clarté.
Q- Vous souhaitez qu'il y ait un congrès à l'automne du Parti socialiste ?
R- Ce sera au conseil national d'en décider. Ce que je demanderai c'est la clarté sur l'orientation, la clarté sur les équipes, et la clarté sur la stratégie.
Q- Et donc la clarté sans congrès.
R- De toute manière, il y aura un congrès. Il y a toujours un congrès du parti socialiste.
Q- ... On y est arrivé... il y en a toujours un...
R- ... qui sera fixé par le conseil national.
Q- François Hollande a dit qu'il y aurait un congrès du Parti socialiste à l'automne...
R- ... Il y en a toujours un...
... était l'invité d'RTL.
(Source : premier-ministre, Service d'information du 2 juin 2005)