Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, sur LCI le 13 juillet 2005, sur le déroulement des négociations relatives à la définition du contrat "nouvelles embauches" et l'intérêt de la constitution de pôles de compétitivité.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

P.-L. Séguillon - Dans un sondage BVA, 69 % des Français ne font pas confiance au Gouvernement pour trouver des solutions en faveur de l'emploi. Est-ce que c'est le peuple qui se trompe ou est-ce le Gouvernement qui patine ?
J.-L. Borloo - Ou est-ce que le sujet est difficile ? C'est évidemment difficile. Qu'il y ait, à un moment donné, statistiquement, 100 % de corrélation entre l'offre et la demande, c'est un sujet difficile, d'autant que la France a choisi un système qui prétend ramener tout le monde à l'emploi, à la différence de nos amis britanniques ou néerlandais par exemple. D'autres pays choisissent de considérer qu'une partie de leur population n'est pas disponible ou apte à l'emploi. C'est le cas de nos voisins britanniques, où un peu plus de 3 millions de personnes sont considérées comme pas aptes et ne sont pas dans les chiffres du chômage. Il y a d'ailleurs des études intéressantes sur les comparaisons entre la France et les Etats-Unis, ce que l'on appelle le "chômage élargi", où on essaie de prendre les mêmes critères. Et on se rend compte que l'on est dans un niveau de performances équivalent. Mais néanmoins, ce n'est pas pour rien que l'on a fait une grosse révolution, la révolution des maisons de l'emploi, des guichets uniques, la demande unique, la prévision des besoins, les services à la personne, qui sont votés d'ailleurs aujourd'hui en termes définitifs, l'apprentissage, les contrats de formation professionnelle. Il ne faut pas vous y tromper : le vrai sujet qui est devant nous en ce moment, c'est la crise du recrutement. Cela a commencé dans certains secteurs d'activité, comme le bâtiment, parce que l'on construit beaucoup, mais cela va être sur tous les métiers. Et je mets en garde ceux qui lancent des débats sur une immigration extrêmement large pour subvenir aux besoins de l'économie française. Il y a d'abord, dans ce pays, à gérer nos ressources humaines, pour qu'elles puissent contribuer au développement économique.
Q- Avant de quotas ou autre immigration choisie ?
R- Oui, nous avons déjà un dispositif qui nous permet d'intégrer au compte-gouttes. Mais attention, nous avons 2,4 millions chômeurs, nous avons d'autres gens, notamment des jeunes, qui ne sont pas dans les chiffres du chômage. Je dis attention à ce problème d'immigration.
Q- Pour réussir, vous avez quand même besoin de la confiance des Français. D. de Villepin, quand il est arrivé à la tête du Gouvernement, a dit que d'ici à cent jours, il rendrait la confiance aux Français. Sur cent jours, il en reste 70 : croyez-vous vraiment que le pari peut-être tenu ?
R- J'observe qu'il est arrivé comme chef du Gouvernement avec toujours, selon les sondages, une méfiance supérieure à la confiance. J'observe que les courbes se sont croisées la semaine dernière...
Q- C'est donc bon signe ?
R- Vous savez, les Français sont à la fois très conscients des difficultés et des réalités, il ne faut pas les prendre pour des naïfs ; en revanche, ils exigent que l'on mouille la chemise et qu'on prenne des décisions [inaud.]
Q- Est-ce que les mesures qui ont été proposées par D. de Villepin, et notamment le fameux contrat "nouvelles embauches", finalement, ne cassent pas le climat social dont vous aviez besoin pour mettre en uvre le plan de cohésion sociale ? On entend toutes les organisations syndicales dire qu'elles sont contre ce contrat "nouvelles embauches". Vous êtes en train de discuter avec elles. Avez-vous le sentiment que c'est un discours de façade ou est-ce que leur résistance demeurera jusqu'au bout ? Ou est-ce que le contrat "nouvelles embauches" va se terminer par peu de choses, passé à la moulinette des négociations ?
R- Les partenaires sociaux, lorsque vous aménagez le droit du travail, sont évidemment extrêmement attentifs. Et que l'on ne se raconte pas d'histoires : c'est partout comme cela en Europe ! Les partenaires sociaux, là, voient arriver un nouvel engin, qui part du constat, qui est vrai, que la TPE a de grosses appréhensions. Appréhensions, parce que recruter, c'est un nouvel univers, c'est difficile, c'est compliqué, c'est administratif, et que si on est obligé de se séparer, on ne sait pas comment cela se passe. Les partenaires sociaux sont conscients de cela, ils connaissent la situation d'aujourd'hui - que si vous rompez le contrat dans les deux ans, il n'y a aucune indemnité de licenciement ; qu'il faut 180 jours pour acquérir des droits aux indemnités de chômage par exemple ; qu'il n'y a pas de formation -, mais en même temps, ils sont inquiets.
Q- Pour répondre à leurs inquiétudes, quelques précisions : d'abord, est-ce que la fameuse procédure de rupture simplifiée pendant deux ans, signifie ou pas que le chef d'entreprise pourra licencier sans motif de rupture justifié ?
R- Oui, c'est absolument ça, à quelques exceptions près quand même...
Q- Est-ce que cela ne veut donc pas dire, comme le disent les syndicats, que ce sont des "salariés jetables" ?
R- D'abord, laissez-moi préciser que c'est sauf, bien entendu, les problèmes de discrimination, sauf le personnel protégé, sauf les femmes enceintes, sauf les handicapés...
Q- Il y a un minimum de protection sociale ?
R- Mais on ne peut pas, tous les matins, dire qu'il faut faire de la flexibilité et de la sécurité. Là, on introduit des indemnités, qui n'existent pas dans l'actuel CDI pour les petites entreprises. Il faut quand même savoir d'où on vient ! Il faut savoir que 77 % des salariés du secteur de cette taille sont en CDD. On essaie donc de bâtir un CDI, certes avec une période un peu plus complexe de consolidation de l'emploi, c'est vrai. Eh bien, on va évaluer et on va tester.
Q- Quelle sera la durée de l'allocation chômage qui sera versée ? Est-ce que sera comme pour toute allocation chômage ou bien y aura-t-il une particularité, pour un salarié qui sera licencié dans l'espace des deux ans ?
R- L'allocation chômage reste absolument la même. Simplement, il y a avant une indemnité de licenciement, qui n'existe pas dans l'actuelle CDI. C'est ça, la différence.
Q- Vous avez dit, dans Les Echos ce matin, que cela s'applique aux entreprises de moins de vingt salariés. Est-ce définitif ?
R- Je vous le confirme, absolument.
Q- A propos de seuils sociaux, maintenez-vous l'idée que les jeunes de moins de vingt-six ans n'entreront pas dans le quota pour définir soit le seuil de dix salariés, soit celui de cinquante salariés, avec les conséquences afférentes ? Cela a fait bondir les organisations syndicales, au nom de la discrimination de l'âge ?
R- L'idée qu'avait le Premier ministre était de dire que l'on ne bouge pas les seuils, encore que les organisations syndicales soient prêtes à en discuter, mais sur le fond calmement, non pas sur les seuils mais sur les conséquences des seuils, que les choses soient plus lisses. Mais enfin, le sujet par ordonnances est de se dire que vraiment, pour inciter à ce que les jeunes soient recrutés, parce que l'on a un problème de chômage des jeunes qui est extrêmement important, jusqu'à vingt-cinq ans, on ne les comptabilise pas sur les basculements de seuil. C'était l'idée. Les organisations syndicales demandent si ce n'est pas une mesure qui montre l'inquiétude sur les seuils... Il faut voir.
Q- Avec les pôles de compétitivité, on arrive finalement à du saupoudrage : on a retenu de très nombreux candidats plutôt qu'une poignée, à la manière des pôles de compétitivité américains, par exemple ?
R- D'abord, je ne partage pas... Je trouve que c'est une initiative géniale.
Q- Mais la traduction...
R- Je vais vous dire, parce que moi j'en ai monté un. Dans le Valenciennois, on a monté le pôle des transports terrestres, on n'avait pas un sous de l'Etat. Mais c'est une démarche, le pôle de compétitivité. On s'est mis ensemble pour sauver nos usines, et nous sommes devenus aujourd'hui un des quatorze pôles à vocation mondiale. On a mis ensemble les universitaires, les centres de recherche, les entreprises, leurs sous-traitants, les pouvoirs publics, pour avoir une démarche de pôle de compétitivité. L'idée c'est comment on réunit. La France est un pays qui fonctionne structure par structure, institution par institution. Surtout on ne se parle pas. L'Ecole centrale ne parle pas à l'Ecole polytechnique, etc. Donc, l'idée c'est de décloisonner la société française. Ce n'est pas tellement la distribution d'Etat qui est importante, ce n'est pas cela le sujet, c'est comment on aide à l'exportation, sur le marché mondial, à faire des recherches en commun, ces différents mondes qui, traditionnellement ne se parlent pas. Alors, selon les endroits cela peut être de l'aide à l'infrastructure, à d'autres endroits cela peut être quelques chercheurs, au troisième endroit c'est de l'aide de compensation de charges sociales.
Q- N'avez-vous quand même pas l'impression qu'on est arrivé à une sorte de saupoudrage ?
R- Non, je ne vois pas honnêtement ce que cela change sur le plateau de Saclay, sur ce qui se passe dans le Pas-de-Calais. Tant mieux si notre pays est riche. Je vais vous dire, je préfère que chacun de ces pôles-là augmente sa performance de 10 %, plutôt que d'en avoir 3, qui, finalement, les plus gros mondiaux, n'avaient peut-être pas besoin de nous.
Q- Le président de la République va s'exprimer demain...
R- C'est une bonne chose.
Q- Est-ce bien nécessaire ? N'est-ce pas une vieille tradition qu'il faut remettre en cause, comme le disait hier N. Sarkozy ?
R- Je ne sais pas ce qu'il a dit hier...
Q- Il dit que ce n'est pas la peine de s'exprimer, il n'y a pas l'actualité.
R- Si c'est l'actualité. Le fait que le chef de l'Etat, dans la Vème République, s'exprime le 14 juillet, fête nationale, c'est d'ailleurs assez attendu traditionnellement, et je crois beaucoup plus, cette année encore, parce que c'est le moment où on fixe le cap. Et d'ailleurs le Gouvernement est très attentif à ce qui est dit par le Chef de l'Etat, le 14 juillet.
(Source :premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juillet 2005)