Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,
Parler de la mort est toujours difficile. Lorsque j'ai visité il y a quelques jours à Trappes un réseau de soins palliatifs à domicile," Le Pallium ", j'ai pu mesurer tout le dévouement et le courage que certains professionnels de santé et bénévoles déploient pour accompagner les malades en fin de vie à domicile. Je sais que beaucoup d'entre vous ici mettent ces mêmes qualités au service des personnes qui meurent en réanimation.
Certains services de réanimation pratiquent déjà la démarche palliative, comme nous allons le voir dans le film de Bernard Martino, " La mort n'est pas exclue ", que je tiens à remercier de l'honneur qu'il nous fait, avec Jérôme Clément, de présenter ce film bouleversant en avant-première, dans cette maison qui est aussi la vôtre. Nous y verrons comment l'équipe de réanimation du CHU de Brest prend en charge avec humanité et dignité la fin de vie des patients.
Aujourd'hui, deux Français sur trois meurent à l'hôpital, alors que plusieurs enquêtes montrent que 80 % de nos concitoyens déclarent vouloir mourir chez eux. La mort aujourd'hui n'est plus considérée comme un épisode naturel de la vie sociale. C'est devenu un moment marqué par la solitude.
Près du quart des patients admis en réanimation y terminent leur vie. Leur décès est souvent consécutif à une décision médicale de limitation ou d'arrêt de traitement. Cette décision est difficile à prendre, souvent difficilement vécue par les équipes. Elle a trop longtemps été qualifiée d'euthanasie alors qu'il ne s'agit que de " restituer à la mort son caractère naturel ". Comme le rappelle Marie de Hennezel dans son rapport " Fin de vie : Le devoir d'accompagnement ", cette confusion est à l'origine d'une certaine opacité et clandestinité des pratiques, mais aussi d'un malaise dont souffrent les soignants et les familles.
I- Je veux d'abord rappeler que l'enjeu de la démarche palliative en réanimation est essentiel pour accompagner le malade en fin de vie.
Il s'agit tout d'abord de rassurer les Françaises et les Français. Un des arguments majeurs mis en avant par les personnes favorables à une loi dépénalisant l'euthanasie est la peur de mourir dans des conditions indignes et inhumaines, c'est-à-dire dans la douleur, dans l'acharnement thérapeutique et dans la solitude.
La démarche palliative permet aussi de prévenir les deuils difficiles. La mort en réanimation peut paraître violente, lorsque la décision d'arrêter un traitement devenu inutile est prise sans préparation et en l'absence de concertation avec la famille.
Cette violence est à l'origine de deuils pénibles. Un tiers des personnes ayant perdu un proche en réanimation présenteraient des symptômes de stress post-traumatiques.
Enfin, il est indispensable d'améliorer les conditions de travail des équipes médicales et soignantes. Plus les pratiques sont collégiales et transparentes, moins les soignants souffrent d'un sentiment d'échec ou d'impuissance.
Cette démarche palliative implique :
- une réflexion permanente au sein de l'équipe : la volonté du chef de service de la faire progresser en ce domaine est essentielle ;
- la collégialité et la transparence des décisions. Cela demande que l'on se parle, que les informations circulent, que l'équipe paramédicale soit associée aux décisions ;
- le respect des directives anticipées et du refus de soin du patient, la prise en compte de l'avis de la famille ou de la personne de confiance et la possibilité pour les familles de venir accompagner leur proche en fin de vie ;
- une stratégie respectant le " temps du mourir ". Le patient doit pouvoir être accompagné par son entourage, ayant reçu les soins palliatifs nécessaires, pendant les heures qui séparent l'arrêt des techniques de suppléance devenues inutiles et le moment de sa mort ;
- un accueil et un soutien psychologique des familles. Ceci nécessite de les informer régulièrement, de respecter leurs croyances et convictions religieuses et d'aménager un espace pour les recevoir en élargissant les heures de visite.
- une réflexion sur la souffrance des soignants, la mise en place de groupes de parole et d'une formation régulière à l'annonce des nouvelles douloureuses de la mort.
II- L'esprit de la loi du 22 avril 2005 relative aux Droits des malades et de la fin de vie est précisément de fournir un cadre légal à de bonnes pratiques dans ce domaine.
Aujourd'hui, des milliers de personnes confrontées à leur vie finissante souhaitent vivre leurs derniers moments le plus dignement et humainement possible. Ces personnes veulent mourir sans douleur, sans angoisse excessive, sans obstination déraisonnable, recevoir les soins de fin de vie adaptés et ne pas être seules au moment de leur mort.
Il était devenu nécessaire de permettre aux médecins d'arrêter ou de limiter des traitements devenus pénibles ou inutiles, quand le patient le demande. C'était la responsabilité du Politique de répondre à cette question.
Certaines voix se sont élevées en France pour que ce texte ouvre la porte à une autre loi, qui aurait dépénalisé l'euthanasie. Philippe Douste-Blazy, tout comme le Parlement qui a proposé cette loi, n'ont pas souhaité aller dans ce sens. Je tiens ici à rendre hommage à Jean Léonetti, Nadine Morano et Gaétan Gorce d'avoir su dégager un consensus sur un sujet longtemps esquivé, sur un sujet difficile car il touche au plus intime.
J'ai la conviction profonde que dépénaliser l'interdit de tuer aurait été une erreur. Les Françaises et les Français n'attendaient pas de nous que nous légalisions le droit de donner la mort, mais que nous accompagnions leur fin de vie en respectant leur dignité, tout en soutenant leurs proches dans la souffrance. Respecter la vie, c'est aussi accepter la mort.
La loi du 22 avril 2005 traduit cette volonté. Elle organise le temps du dialogue entre le malade, ses médecins et ses proches. Laisser mourir, ce n'est pas donner la mort.
Ainsi, la loi autorise le médecin à augmenter les doses de médicaments anti-douleur, même si cela peut abréger la vie du malade, à la condition de l'en avoir informé (art. 2). Elle donne le droit au patient en fin de vie à refuser le traitement de trop sans qu'aucun médecin n'ait le droit de s'y opposer (art. 6). Enfin, elle permet aux médecins, en consultant les proches, de laisser partir le malade inconscient artificiellement maintenu en vie (art. 9).
Je me suis engagé à ce que les décrets d'application soient publiés avant la fin de l'année, après concertation des professionnels de santé, des parlementaires et du Conseil National de l'Ordre des Médecins.
Les décisions prises en fin de vie le seront en toute transparence et collégialité, au terme d'une évaluation de la situation et d'un processus de réflexion partagée entre l'équipe soignante, la famille et bien sûr le patient. Elles doivent être toujours assorties d'une formation des équipes et d'un accompagnement de la famille et du malade.
En effet, la collégialité et la transparence favorisent une approche cohérente des modalités dans la décision et l'accompagnement. C'est ainsi que se crée une culture du travail en équipe, seule capable de répondre à un tel enjeu.
Mais l'application de cette loi suppose la diffusion de la démarche palliative dans tous les services concernés par la fin de vie de leurs patients.
Les unités de réanimation ont longtemps été reconnues uniquement pour leurs compétences techniques. Elles ont désormais à cur d'offrir aux patients et à leur famille une démarche éthique, de grande qualité, comme nous allons le voir avec l'équipe de réanimation de Brest.
Je voudrais remercier la Société de réanimation de langue française pour la part active qu'elle prend dans la diffusion de recommandations pour la démarche palliative. Je souhaite la remercier aussi pour sa participation essentielle à la Conférence de Consensus sur l'accompagnement de la personne en fin de vie et de ses proches.
Je sais que vous souhaitez qu'une place importante soit donnée aux soins palliatifs dans l'évaluation des pratiques professionnelles, la formation médicale continue et l'accréditation des établissements de santé. Je vous propose d'en faire un indicateur de la qualité des soins.
Enfin, je tiens à rendre hommage à toutes celles et tous ceux, qui, professionnels de santé ou bénévoles, uvrent pour rendre la mort plus humaine en accompagnant chaque jour les malades dans le respect de leur volonté et de leur dignité.
Je vous remercie.
(Source http://www.sante.gouv.fr, le 9 septembre 2005)