Texte intégral
J.-P. Elkabbach - La France et le Canada viennent de gagner une guerre, et on ne s'en est presque pas rendu compte. On vous met une médaille, une étoile de général supplémentaires, il faut expliquer, R. Donnedieu de Vabres. L'Unesco a adopté une Convention qui libère la culture des règles du commerce international. Est-ce bien, est-ce important ? C'est-à-dire ?
R. Donnedieu de Vabres - C'est une très grande nouvelle. Première date, 2 septembre 2002, le président de la République, J. Chirac, à Johannesburg, lance l'idée de la diversité culturelle. Dans ce monde de fureur, de violence, d'intégrisme, de fanatisme, de spirales conduisant parfois au terrorisme, reconnaître le droit de chaque peuple, de chaque culture, de chaque tradition à vivre, à être respecté, et à rayonner dans le monde, c'est très important.
Q - Le droit, oui, à condition d'en avoir les moyens ?
R - Exactement. La culture n'est pas une marchandise comme une autre, et aujourd'hui nous sommes dans un monde déséquilibré. Sans agressivité, je dis dans la même voix : vive la culture américaine ! mais aussi, vive la culture brésilienne !, et vive la culture française ! 85 % des tickets de cinéma aujourd'hui, vendus dans le monde le sont pour des productions d'Hollywood. Donc, on est dans une situation déséquilibrée.
Q - Mais hier, à l'Unesco, après un débat de plusieurs semaines, les Etats-Unis ont perdu, il faut le dire. Sur 154 votants, 148 ont dit "oui" à la Convention, seuls les Américains et les Israéliens ont voté contre. Tous les soldats de la culture étaient donc mobilisés à Paris.
R - Cela a été une très belle rencontre, c'était très important. J'aurais préféré que les Etats-Unis s'abstiennent ou qu'ils votent positivement, parce que c'est leur intérêt. De ce point de vue-là, il n'y a pas de divergence dans le monde des démocraties. Faire en sorte que, partout où il y a des foyers, dans le monde, de conflits, de haine, et de guerres, que l'on diffuse, la valeur du respect de l'autre, c'est très important. La diversité culturelle Unesco, ce n'est pas uniquement sur la scène internationale. Je pense que c'est aussi une bonne nouvelle pour chaque immeuble de France, chaque ville, chaque quartier et chaque pays. C'est tout simplement dans le respect bien sûr des principes républicains des droits de l'homme, le droit de chaque culture à être respectée et soutenue. Cela veut dire que je suis plus fort aujourd'hui, à Bruxelles, pour défendre le système des aides françaises au cinéma.
Q - D'accord. Mais les Américains, qui sont déçus, n'ont pas avalé ce qui s'est passé à Paris. Ils disent que "le protectionnisme porte atteinte à la liberté d'expression". Et c'est vrai qu'ils ont tout fait pour s'y opposer : la séduction, les menaces, les pressions. Et quand ils disent justement que ce n'est pas la diversité qui a été votée l'Unesco ?
R - Oui, mais je dis avec humour que l'on a tort de prendre les ministres de la Culture pour des troubadours sympathiques. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, il y a eu de très nombreuses réunions de mobilisation. Quand, à Madrid, il y a quelques semaines, avec ma collègue espagnole et mon collègue brésilien nous avons réuni 90 ministres de la Culture du monde entier, quand...
Q - Les Américains n'avaient rien dit. Mais cela concerne quels domaines culturels ?
R - Cela concerne toutes les uvres de l'esprit, tous les biens culturels. On nous a fait le reproche en disant : mais cela va interdire les échanges, par exemple de matières premières, parce qu'une matière première peut être considérée comme un bien culturel. C'est de la caricature.
Q - Les Américains, Wall Street aujourd'hui, écrit : "Il sera désormais possible de fermer des télévisions par satellite aux films et aux journaux américains au nom de la sécurité culturelle". Vous rendez-vous compte de ce qu'ils disent !
R - Mais je vous signale que la France a été, de ce point de vue-là, à l'avant-garde. C'est la France qui a déclenché l'interdiction des ondes à la chaîne Al Manaar, qui diffusait des propos à caractère antisémite et raciste...
Q - D'accord, mais cela c'est la télévision américaine.
R - Non, non, mais justement. Ensuite les Etats-Unis ont pris une décision en ce sens. Je pense qu'ils étaient mortifiés parce que c'est une très grande démocratie pour laquelle le principe de liberté absolue est une valeur suprême, ce que je comprends. En matière culturelle, ce n'est pas une marchandise comme une autre, il faut veiller aux équilibres. Nous sommes fondés à vouloir protéger nos activités culturelles.
Q - Washington peut encore refuser de ratifier cette Convention de l'Unesco. Et puis, il faut faire attention, parce que j'ai vu que les Etats-Unis sont revenus à l'Unesco en 2003 après 19 ans d'absence, ils payent cher, leur contribution est élevée, ils pourraient se fâcher, et puis s'en aller, non ?
R - J'espère que non. Je recevrai tout à l'heure un des grands patrons du cinéma américain, parce qu'il y a des sujets sur lesquels ils trouvent que la France fait un très bon travail. Ce sont notamment les questions de lutte contre la piraterie. Donc, les choses ne sont pas aussi simples et aussi antagonistes que cela. C'est vrai qu'à partir du vote d'hier soir, commence maintenant la deuxième étape de la bataille, c'est-à-dire, celle de la ratification. La Convention sera entrée en vigueur dès lors qu'il y aura 30 Etats qui l'auront ratifiée. Voilà. Je pense que cela ne posera pas trop de problèmes.
Q - Vous parlez de ce sujet ce soir aux "Rencontres de Beaune, Unesco-OMC. Quelle complémentarité pour quelles diversités". Et puis à intégrer toutes les nouvelles technologies comme le numérique qui sont en train de bouleverser la manière de faire des films et aussi de les regarder.
R - Cela suppose des investissements, ce sont des choses très importantes. Il y a en ce moment, une révolution douce, mais qui est un progrès pour l'ensemble de nos concitoyens : c'est la TNT. Cela veut dire quoi ? Ce terme un peu barbare veut dire tout simplement : une offre renforcée pour l'ensemble de nos concitoyens. Sans changer de poste de télévision, sans changer le principe d'avoir une antenne sur le toit, en achetant uniquement un adaptateur, eh bien, on peut multiplier par trois le nombre de chaînes gratuites et avoir des chaînes payantes.
Q - Peut-être quelques sujets plus embarrassants. Vous aviez demandé à un expert, J.-P. Guyot, si je me souviens bien, un rapport sur les intermittents comme base de négociations pour le nouveau statut et les nouveaux systèmes des intermittents. Où en êtes-vous ?
R - Ce n'est un sujet embarrassant pour moi. J'espère apparaître vis-à-vis des artistes et des techniciens comme l'homme des engagements tenus. Nous avons un point d'aboutissement obligé : 1er janvier 2006, il doit y avoir un système opérationnel équitable d'indemnisation du chômage pour les artistes et les techniciens. Et puis par ailleurs, j'agis positivement pour le soutien à l'emploi, cf. les localisations d'un certain nombre de tournages en France. Un expert indépendant, agréé par toutes les organisations interprofessionnelles, a été mis au travail, il a fait un remarquable rapport, je le rends public tout à l'heure. Dans ce rapport, il y a un certain nombre de préconisations. Ce rapport est sur la table, vis-à-vis des partenaires sociaux.
Q - Et c'est la base de la négociation, c'est cela ?
R - Oui. Ce sont des éléments qui vont nourrir la négociation. Avec mon collège, G. Larcher, et cela aussi c'est une belle révolution, le fait que l'on travaille, la main dans la main, le ministre des Relations du travail, et le ministre de la Culture, pour aboutir à un système définitif, c'est quelque chose de très important. Les partenaires sociaux ont annoncé l'autre jour, le 11 octobre, rue de Valois, que la discussion allait redémarrer très prochainement. J'ai annoncé de mon côté que cet expert serait en permanence à leur disposition pour, en temps réel, dans la négociation, chiffrer les alternatives. Par ailleurs, il y a certainement des pistes nouvelles pour lesquelles l'Etat sera prêt à prendre ses responsabilités, je pense aux accidents de carrières, c'est-à-dire, quand vous commencez votre carrière, ce n'est pas facile...
Q - D'accord, on ne va pas recommencer tout le débat sur les intermittents !
R - ... Vous avez 45, 50 ou 55 ans, vous avez un accident de carrière, il faut une solidarité renforcée. L'Etat sera prêt à ce moment-là à prendre en plus ses responsabilités.
Q - Et l'Etat est-il prêt à dire qu'il y a des métiers qui sont trop ouverts et qu'il faudrait peut-être en contrôler l'accès et l'entrée pour ne pas faire des déçus après, des intermittents ?
R - Mais tout le monde n'est pas artiste et technicien. Voilà. Et donc, il y a un système spécifique. Les partenaires sociaux ont gravé définitivement le droit à la spécificité, cela veut dire qu'il y a un certain nombre d'activités qui sont très honorables mais qui n'ont rien à voir avec le spectacle, la musique, le cinéma ou l'audiovisuel.
Q - L'Ile Seguin à Boulogne : D. de Villepin, Premier ministre, a promis un grand centre pour les artistes. N. Sarkozy, président des Hauts-de-Seine, refuse, car il préfère qu'il soit construit un Institut anti-cancer. Quelle est la préférence du ministre de la Culture, et qui va trancher, qui va arbitrer ?
R - Mais il n'y a pas d'antagonisme entre les projets. C'est un lieu immense. L'Ile Seguin est un lieu qui doit accueillir la présence artistique, sous des formes que nous sommes en train de déterminer. Le Premier ministre a lancé une idée qui est une excellente initiative, c'est-à-dire...
Q - Bien sûr, c'est le Premier ministre de R. Donnedieu de Vabres, c'est normal !
R - Mais oui, pour deux raisons. La première, c'est que je crois qu'un Gouvernement et un pays fonctionnent bien quand un ministre respecte un peu le principe hiérarchique, et qu'il y a un Premier ministre, et qu'il y a un président de la République, et que ce sont mes deux patrons. Deuxièmement, cette idée je la porte parce que l'on ne travaille pas, décloisonnés les uns des autres. Et donc, je pense que toutes les initiatives que D. de Villepin a annoncées pour la création...
Q - Sont bonnes, sont bonnes...
R - ...sont quelque chose de très important. A l'Ilot Seguin, son esprit c'est qu'il y ait une sorte de village d'artistes, des ateliers, des lieux de formation, des résidences, une sorte de très grande Villa Médicis.
Q - Mais l'Institut anti-cancer voulu par J. Chirac, président de la République...
R - En quoi est-ce incompatible ?
Q - Non mais est-ce qu'il pourra aussi, être là ?
R - Mais de toute façon, quand il y avait le projet de F. Pinault, on cherchait des éléments de complémentarité. Et donc, qu'il y ait un Pôle de recherche scientifique n'est en aucune manière antagoniste du fait qu'il y ait une grande présence culturelle et artistique. Je crois que c'est très important.
Q - La société française est secouée par une grande controverse sur la presse et la vie privée des vedettes, et maintenant des hommes politiques. Vous, qui êtes respectueux de toutes ces libertés, encouragez-vous ou freinez-vous ce que L'Express a appelé "le grand déballage de l'intime" ?
R - Je pense qu'il y a une tradition française que la presse s'était fixée, c'est-à-dire de ne pas interférer dans la vie privée des Françaises, des Français, quels qu'ils soient. Je crois que c'est quelque chose de très important, et je souhaite que cette valeur puisse perdurer.
Q - "Le people" comme l'on dit, sert-il le peuple ?
R - Mais - comment vous dire ? C'est vrai que les gens aiment bien voir des photos, ils voient des images, etc., etc. Et chacun doit faire très attention. Parce que, si quelqu'un s'expose, alors à ce moment-là il s'expose aussi aux conséquences de son exposition. Donc, c'est toujours très difficile.
Q - P. de Carolis et P. Duhamel réclament des audits sur les comptes des animateurs producteurs, dont certains auraient été récemment trop favorisés. Soutenez-vous l'action des nouveaux dirigeants de France Télévisions ?
R - J'espère être pour l'audiovisuel public et pour France Télévisions un partenaire très solide. Je crois à leur mission, je crois à la spécificité de France Télévisions. Et donc, je suis attentif, je suis à leur écoute, on travaille ensemble.
Q - Mais trouvez-vous, comme eux, qu'il y a des privilèges et des abus ?
R - Je ne suis pas le président de France Télévisions. Donc, c'est à lui d'organiser financièrement et techniquement sa maison.
Q - Bien sûr, mais vous vous en occupez aussi.
R - Je discute avec lui. On met sur la table des objectifs, et moi j'essaye d'apporter les moyens pour satisfaire les objectifs. Quand il y a des tournages en France, c'est peut-être aussi parce qu'il y a eu des discussions. Quand il y a des nouvelles émissions de musique, c'est parce qu'il y a eu des projets en commun. Nous parlons librement, j'ai confiance en eux.
Q - Ils ont raison de vouloir aider la fiction, le théâtre, la culture, aux bonnes heures d'écoute...
R - Oui et ce n'est pas réservé aux insomniaques.
Q - Mais si les audiences baissent, soutiendrez-vous toujours la télévision publique, même financièrement, pour les dédommager ?
R - Bien sûr, parce que je suis un partenaire, mais je ne veux pas être injuste. C'est-à-dire que je finance grosso modo les deux tiers de l'audiovisuel public et le reste c'est la publicité. Mais il ne faut pas que l'on dise qu'une grande émission de qualité ne peut pas avoir un large public, cela c'est méprisant pour les citoyens.
Q - Evidemment, on l'a déjà dit, il est arrivé que je le dise aussi, maintenant il faut voir les résultats. Un mot : demain, au Grand Palais, il y a un concert de rock. Et après, que faites-vous du Grand Palais ?
R - Une grande nouvelle que je vous annonce : pour tous les Français et les touristes étrangers, à partir du vendredi 16 décembre, pendant trois semaines, à nouveau le Grand Palais rouvre ses portes, pour tout le monde. Il y aura toute une sorte de spectacles forains, une immense roue d'où vous pourrez voir tout Paris. Ce sera ce lieu de magie qui rend fier. C'est notre patrimoine mis à la disposition de chacun, c'est l'intégration et l'accueil du spectacle vivant. Demain soir, ce sera le rock, là, ce sera une autre forme d'activité. Le Premier ministre m'a demandé d'organiser une grande exposition sur la création française, cela aura lieu aussi en 2006. Bref, le Grand Palais a rouvert ses portes.
Q - Cela nous donne l'occasion d'avoir une pensée émue pour le poète et dessinateur, J.-M. Folon, que vous connaissiez bien. Il voulait mourir en s'envolant. C'est fait !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 25 octobre 2005)
R. Donnedieu de Vabres - C'est une très grande nouvelle. Première date, 2 septembre 2002, le président de la République, J. Chirac, à Johannesburg, lance l'idée de la diversité culturelle. Dans ce monde de fureur, de violence, d'intégrisme, de fanatisme, de spirales conduisant parfois au terrorisme, reconnaître le droit de chaque peuple, de chaque culture, de chaque tradition à vivre, à être respecté, et à rayonner dans le monde, c'est très important.
Q - Le droit, oui, à condition d'en avoir les moyens ?
R - Exactement. La culture n'est pas une marchandise comme une autre, et aujourd'hui nous sommes dans un monde déséquilibré. Sans agressivité, je dis dans la même voix : vive la culture américaine ! mais aussi, vive la culture brésilienne !, et vive la culture française ! 85 % des tickets de cinéma aujourd'hui, vendus dans le monde le sont pour des productions d'Hollywood. Donc, on est dans une situation déséquilibrée.
Q - Mais hier, à l'Unesco, après un débat de plusieurs semaines, les Etats-Unis ont perdu, il faut le dire. Sur 154 votants, 148 ont dit "oui" à la Convention, seuls les Américains et les Israéliens ont voté contre. Tous les soldats de la culture étaient donc mobilisés à Paris.
R - Cela a été une très belle rencontre, c'était très important. J'aurais préféré que les Etats-Unis s'abstiennent ou qu'ils votent positivement, parce que c'est leur intérêt. De ce point de vue-là, il n'y a pas de divergence dans le monde des démocraties. Faire en sorte que, partout où il y a des foyers, dans le monde, de conflits, de haine, et de guerres, que l'on diffuse, la valeur du respect de l'autre, c'est très important. La diversité culturelle Unesco, ce n'est pas uniquement sur la scène internationale. Je pense que c'est aussi une bonne nouvelle pour chaque immeuble de France, chaque ville, chaque quartier et chaque pays. C'est tout simplement dans le respect bien sûr des principes républicains des droits de l'homme, le droit de chaque culture à être respectée et soutenue. Cela veut dire que je suis plus fort aujourd'hui, à Bruxelles, pour défendre le système des aides françaises au cinéma.
Q - D'accord. Mais les Américains, qui sont déçus, n'ont pas avalé ce qui s'est passé à Paris. Ils disent que "le protectionnisme porte atteinte à la liberté d'expression". Et c'est vrai qu'ils ont tout fait pour s'y opposer : la séduction, les menaces, les pressions. Et quand ils disent justement que ce n'est pas la diversité qui a été votée l'Unesco ?
R - Oui, mais je dis avec humour que l'on a tort de prendre les ministres de la Culture pour des troubadours sympathiques. Nous avons beaucoup travaillé sur ce sujet, il y a eu de très nombreuses réunions de mobilisation. Quand, à Madrid, il y a quelques semaines, avec ma collègue espagnole et mon collègue brésilien nous avons réuni 90 ministres de la Culture du monde entier, quand...
Q - Les Américains n'avaient rien dit. Mais cela concerne quels domaines culturels ?
R - Cela concerne toutes les uvres de l'esprit, tous les biens culturels. On nous a fait le reproche en disant : mais cela va interdire les échanges, par exemple de matières premières, parce qu'une matière première peut être considérée comme un bien culturel. C'est de la caricature.
Q - Les Américains, Wall Street aujourd'hui, écrit : "Il sera désormais possible de fermer des télévisions par satellite aux films et aux journaux américains au nom de la sécurité culturelle". Vous rendez-vous compte de ce qu'ils disent !
R - Mais je vous signale que la France a été, de ce point de vue-là, à l'avant-garde. C'est la France qui a déclenché l'interdiction des ondes à la chaîne Al Manaar, qui diffusait des propos à caractère antisémite et raciste...
Q - D'accord, mais cela c'est la télévision américaine.
R - Non, non, mais justement. Ensuite les Etats-Unis ont pris une décision en ce sens. Je pense qu'ils étaient mortifiés parce que c'est une très grande démocratie pour laquelle le principe de liberté absolue est une valeur suprême, ce que je comprends. En matière culturelle, ce n'est pas une marchandise comme une autre, il faut veiller aux équilibres. Nous sommes fondés à vouloir protéger nos activités culturelles.
Q - Washington peut encore refuser de ratifier cette Convention de l'Unesco. Et puis, il faut faire attention, parce que j'ai vu que les Etats-Unis sont revenus à l'Unesco en 2003 après 19 ans d'absence, ils payent cher, leur contribution est élevée, ils pourraient se fâcher, et puis s'en aller, non ?
R - J'espère que non. Je recevrai tout à l'heure un des grands patrons du cinéma américain, parce qu'il y a des sujets sur lesquels ils trouvent que la France fait un très bon travail. Ce sont notamment les questions de lutte contre la piraterie. Donc, les choses ne sont pas aussi simples et aussi antagonistes que cela. C'est vrai qu'à partir du vote d'hier soir, commence maintenant la deuxième étape de la bataille, c'est-à-dire, celle de la ratification. La Convention sera entrée en vigueur dès lors qu'il y aura 30 Etats qui l'auront ratifiée. Voilà. Je pense que cela ne posera pas trop de problèmes.
Q - Vous parlez de ce sujet ce soir aux "Rencontres de Beaune, Unesco-OMC. Quelle complémentarité pour quelles diversités". Et puis à intégrer toutes les nouvelles technologies comme le numérique qui sont en train de bouleverser la manière de faire des films et aussi de les regarder.
R - Cela suppose des investissements, ce sont des choses très importantes. Il y a en ce moment, une révolution douce, mais qui est un progrès pour l'ensemble de nos concitoyens : c'est la TNT. Cela veut dire quoi ? Ce terme un peu barbare veut dire tout simplement : une offre renforcée pour l'ensemble de nos concitoyens. Sans changer de poste de télévision, sans changer le principe d'avoir une antenne sur le toit, en achetant uniquement un adaptateur, eh bien, on peut multiplier par trois le nombre de chaînes gratuites et avoir des chaînes payantes.
Q - Peut-être quelques sujets plus embarrassants. Vous aviez demandé à un expert, J.-P. Guyot, si je me souviens bien, un rapport sur les intermittents comme base de négociations pour le nouveau statut et les nouveaux systèmes des intermittents. Où en êtes-vous ?
R - Ce n'est un sujet embarrassant pour moi. J'espère apparaître vis-à-vis des artistes et des techniciens comme l'homme des engagements tenus. Nous avons un point d'aboutissement obligé : 1er janvier 2006, il doit y avoir un système opérationnel équitable d'indemnisation du chômage pour les artistes et les techniciens. Et puis par ailleurs, j'agis positivement pour le soutien à l'emploi, cf. les localisations d'un certain nombre de tournages en France. Un expert indépendant, agréé par toutes les organisations interprofessionnelles, a été mis au travail, il a fait un remarquable rapport, je le rends public tout à l'heure. Dans ce rapport, il y a un certain nombre de préconisations. Ce rapport est sur la table, vis-à-vis des partenaires sociaux.
Q - Et c'est la base de la négociation, c'est cela ?
R - Oui. Ce sont des éléments qui vont nourrir la négociation. Avec mon collège, G. Larcher, et cela aussi c'est une belle révolution, le fait que l'on travaille, la main dans la main, le ministre des Relations du travail, et le ministre de la Culture, pour aboutir à un système définitif, c'est quelque chose de très important. Les partenaires sociaux ont annoncé l'autre jour, le 11 octobre, rue de Valois, que la discussion allait redémarrer très prochainement. J'ai annoncé de mon côté que cet expert serait en permanence à leur disposition pour, en temps réel, dans la négociation, chiffrer les alternatives. Par ailleurs, il y a certainement des pistes nouvelles pour lesquelles l'Etat sera prêt à prendre ses responsabilités, je pense aux accidents de carrières, c'est-à-dire, quand vous commencez votre carrière, ce n'est pas facile...
Q - D'accord, on ne va pas recommencer tout le débat sur les intermittents !
R - ... Vous avez 45, 50 ou 55 ans, vous avez un accident de carrière, il faut une solidarité renforcée. L'Etat sera prêt à ce moment-là à prendre en plus ses responsabilités.
Q - Et l'Etat est-il prêt à dire qu'il y a des métiers qui sont trop ouverts et qu'il faudrait peut-être en contrôler l'accès et l'entrée pour ne pas faire des déçus après, des intermittents ?
R - Mais tout le monde n'est pas artiste et technicien. Voilà. Et donc, il y a un système spécifique. Les partenaires sociaux ont gravé définitivement le droit à la spécificité, cela veut dire qu'il y a un certain nombre d'activités qui sont très honorables mais qui n'ont rien à voir avec le spectacle, la musique, le cinéma ou l'audiovisuel.
Q - L'Ile Seguin à Boulogne : D. de Villepin, Premier ministre, a promis un grand centre pour les artistes. N. Sarkozy, président des Hauts-de-Seine, refuse, car il préfère qu'il soit construit un Institut anti-cancer. Quelle est la préférence du ministre de la Culture, et qui va trancher, qui va arbitrer ?
R - Mais il n'y a pas d'antagonisme entre les projets. C'est un lieu immense. L'Ile Seguin est un lieu qui doit accueillir la présence artistique, sous des formes que nous sommes en train de déterminer. Le Premier ministre a lancé une idée qui est une excellente initiative, c'est-à-dire...
Q - Bien sûr, c'est le Premier ministre de R. Donnedieu de Vabres, c'est normal !
R - Mais oui, pour deux raisons. La première, c'est que je crois qu'un Gouvernement et un pays fonctionnent bien quand un ministre respecte un peu le principe hiérarchique, et qu'il y a un Premier ministre, et qu'il y a un président de la République, et que ce sont mes deux patrons. Deuxièmement, cette idée je la porte parce que l'on ne travaille pas, décloisonnés les uns des autres. Et donc, je pense que toutes les initiatives que D. de Villepin a annoncées pour la création...
Q - Sont bonnes, sont bonnes...
R - ...sont quelque chose de très important. A l'Ilot Seguin, son esprit c'est qu'il y ait une sorte de village d'artistes, des ateliers, des lieux de formation, des résidences, une sorte de très grande Villa Médicis.
Q - Mais l'Institut anti-cancer voulu par J. Chirac, président de la République...
R - En quoi est-ce incompatible ?
Q - Non mais est-ce qu'il pourra aussi, être là ?
R - Mais de toute façon, quand il y avait le projet de F. Pinault, on cherchait des éléments de complémentarité. Et donc, qu'il y ait un Pôle de recherche scientifique n'est en aucune manière antagoniste du fait qu'il y ait une grande présence culturelle et artistique. Je crois que c'est très important.
Q - La société française est secouée par une grande controverse sur la presse et la vie privée des vedettes, et maintenant des hommes politiques. Vous, qui êtes respectueux de toutes ces libertés, encouragez-vous ou freinez-vous ce que L'Express a appelé "le grand déballage de l'intime" ?
R - Je pense qu'il y a une tradition française que la presse s'était fixée, c'est-à-dire de ne pas interférer dans la vie privée des Françaises, des Français, quels qu'ils soient. Je crois que c'est quelque chose de très important, et je souhaite que cette valeur puisse perdurer.
Q - "Le people" comme l'on dit, sert-il le peuple ?
R - Mais - comment vous dire ? C'est vrai que les gens aiment bien voir des photos, ils voient des images, etc., etc. Et chacun doit faire très attention. Parce que, si quelqu'un s'expose, alors à ce moment-là il s'expose aussi aux conséquences de son exposition. Donc, c'est toujours très difficile.
Q - P. de Carolis et P. Duhamel réclament des audits sur les comptes des animateurs producteurs, dont certains auraient été récemment trop favorisés. Soutenez-vous l'action des nouveaux dirigeants de France Télévisions ?
R - J'espère être pour l'audiovisuel public et pour France Télévisions un partenaire très solide. Je crois à leur mission, je crois à la spécificité de France Télévisions. Et donc, je suis attentif, je suis à leur écoute, on travaille ensemble.
Q - Mais trouvez-vous, comme eux, qu'il y a des privilèges et des abus ?
R - Je ne suis pas le président de France Télévisions. Donc, c'est à lui d'organiser financièrement et techniquement sa maison.
Q - Bien sûr, mais vous vous en occupez aussi.
R - Je discute avec lui. On met sur la table des objectifs, et moi j'essaye d'apporter les moyens pour satisfaire les objectifs. Quand il y a des tournages en France, c'est peut-être aussi parce qu'il y a eu des discussions. Quand il y a des nouvelles émissions de musique, c'est parce qu'il y a eu des projets en commun. Nous parlons librement, j'ai confiance en eux.
Q - Ils ont raison de vouloir aider la fiction, le théâtre, la culture, aux bonnes heures d'écoute...
R - Oui et ce n'est pas réservé aux insomniaques.
Q - Mais si les audiences baissent, soutiendrez-vous toujours la télévision publique, même financièrement, pour les dédommager ?
R - Bien sûr, parce que je suis un partenaire, mais je ne veux pas être injuste. C'est-à-dire que je finance grosso modo les deux tiers de l'audiovisuel public et le reste c'est la publicité. Mais il ne faut pas que l'on dise qu'une grande émission de qualité ne peut pas avoir un large public, cela c'est méprisant pour les citoyens.
Q - Evidemment, on l'a déjà dit, il est arrivé que je le dise aussi, maintenant il faut voir les résultats. Un mot : demain, au Grand Palais, il y a un concert de rock. Et après, que faites-vous du Grand Palais ?
R - Une grande nouvelle que je vous annonce : pour tous les Français et les touristes étrangers, à partir du vendredi 16 décembre, pendant trois semaines, à nouveau le Grand Palais rouvre ses portes, pour tout le monde. Il y aura toute une sorte de spectacles forains, une immense roue d'où vous pourrez voir tout Paris. Ce sera ce lieu de magie qui rend fier. C'est notre patrimoine mis à la disposition de chacun, c'est l'intégration et l'accueil du spectacle vivant. Demain soir, ce sera le rock, là, ce sera une autre forme d'activité. Le Premier ministre m'a demandé d'organiser une grande exposition sur la création française, cela aura lieu aussi en 2006. Bref, le Grand Palais a rouvert ses portes.
Q - Cela nous donne l'occasion d'avoir une pensée émue pour le poète et dessinateur, J.-M. Folon, que vous connaissiez bien. Il voulait mourir en s'envolant. C'est fait !
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 25 octobre 2005)