Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je suis heureuse de pouvoir assister aujourd'hui à une de vos séances. Je tiens d'abord à vous assurer que, même si je n'ai pu être présente avec vous avant, je suis avec attention l'ensemble de vos travaux qui m'inspirent souvent et je tiens à rendre hommage à la qualité de vos contributions.
Je pense bien sûr aux rapports sur les grands problèmes de santé publique, mais aussi au travail quotidien que reflète la revue " Actualités et dossiers en Santé Publique ".
C'est, je crois, la force des compétences diverses réunies ici: médecins généralistes, spécialistes de santé publique, économistes, vos parcours sont riches d'expériences dans tous les domaines de la santé publique.
En quelques années, le Haut Comité a su devenir indispensable à la réflexion en Santé Publique. Tous les professionnels s'accordent sur la valeur des travaux réalisés et preuve de leur qualité, ils servent de base à de nombreuses évolutions de notre système de santé.
Le plan triennal de lutte contre la toxicomanie et de prévention des dépendances, la loi de 1994 portant réforme du système de santé en milieu carcéral, la circulaire organisant les soins des personnes atteintes de diabète et, plus récemment, le programme national de lutte contre le cancer, autant de démarches sur des thèmes de santé publique que vous avez jugés prioritaires et que vous avez explorés.
Mais, je suis convaincue que, dans ce domaine, nous devons aller encore plus loin et je vous demande de débuter une réflexion pour améliorer la définition des priorités de santé publique en mettant en place, en particulier, des critères explicites de décision et des modalités dynamiques d'évaluation de ces programmes.
La santé publique, notre système de santé évoluent et je voudrais avec vous insister sur certains points qui me semblent essentiels.
I - La place de la personne malade, du citoyen dans la prise de décision en santé.
Nous en sommes convaincus, on ne peut adapter le système de santé sans les usagers.
Nous devons trouver ensemble les outils qui permettent une participation réelle et constructive des citoyens à l'évolution du système de santé.
Permettez-moi de vous rappeler les principaux enseignements de la formidable mobilisation qui a fait le succès des Etats Généraux de la Santé :
l'usager de l'hôpital et du système médical estime qu'il a son mot à dire, il l'exprime, et nous devons l'entendre,
un dialogue s'est établi : la santé, ce bien collectif est discuté entre usagers et professionnels, administratifs, élus. Un véritable débat, avec une attention particulière à la parole de chacun doit s'engager.
Les citoyens veulent que le système de santé s'organise autour et au service des personnes. Ils veulent mieux comprendre les stratégies thérapeutiques qui leur sont proposées, participer à un effort à la fois personnel et collectif de prévention, veiller à ce que les choix de société, les comportements et les consommations ne nuisent pas à la santé, les Etats Généraux de la Santé ont permis, par la concertation qui a été mise en uvre, d'identifier les attentes des Français vis-à-vis du système de santé exprimées par les plus motivés d'entre eux.
Mais en même temps, on découvre des niveaux d'information et d'adhésion variables, un déficit de connaissance sur le corps et ses manifestations auxquels on ne s'attend pas.
Maintenant, nous avons besoin de mieux comprendre comment et quel est le niveau d'information des Français ? Quelles sont leurs préoccupations dominantes ? Quels sont leurs comportements ?
Comment organiser à l'aube de ce XXI siècle la qualité de l'information pour améliorer la santé et favoriser la démocratie sanitaire : c'est le second chantier que je vous demande d'aborder.
En effet, l'information doit être disponible mais, et c'est notre devoir, elle doit être organisée et accessible à tous. Les nouvelles technologies, les innovations technologiques doivent permettre d'améliorer l'information et la participation des citoyens mais il nous faut être vigilant sur les nouvelles inégalités qui pourraient être créées, en découler.
Cet accès à l'information est l'étape indispensable pour progresser vers notre objectif : la réduction des inégalités devant les troubles, la maladie, la prise en charge et l'amélioration de l'accès au système de santé de tous les citoyens.
En 1998, le Gouvernement a fait adopter une importante loi contre les exclusions.
L'objectif est de garantir l'égalité d'accès aux droits fondamentaux. Peu importe que ces droits soient nombreux et en théorie protecteurs, si nous ne savons pas en garantir l'efficacité pour chacun de nos concitoyens.
La cohésion sociale n'est qu'une illusion si on ne donne pas à chacun les droits de tous, en particulier le droit à la santé.
Cette loi a notamment permis :
l'inscription dans les textes et dans les faits, de la mission sociale de l'hôpital, l'élaboration systématique de programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies (PRAPS), des dispositions permettent également :
de conférer une place plus explicite aux associations à la fois dans l'analyse des besoins et dans la définition prioritaire des programmes régionaux de santé.
La loi contre les exclusions a été une première étape.
Elle a été complétée par la Couverture Maladie Universelle qui permet de faire réellement progresser l'accès à la prévention et aux soins dans notre pays.
La CMU n'est pas seulement destinée aux plus exclus. Elle s'adresse aussi à ceux qui, pour des raisons de revenus, restreignent leurs soins. Elle leur permet de bénéficier d'une couverture complémentaire complète.
Même s'il s'agit d'avancées incontestables, ces dispositifs ne mettront pas un terme définitif aux inégalités en matière de santé qui sont aussi géographique, culturelle et sociale au sens de la participation.
II - Améliorer l'information, la participation, les droits des usagers, et moderniser notre système de santé est l'objectif essentiel du projet de loi sur lequel nous travaillons.
Il s'articulera principalement autour de trois grands thèmes :
II - 1 - Les droits de la personne malade
Certains principes généraux, dont le système de santé doit garantir le respect, seront réaffirmés et inscrits dans le droit positif :
le respect de la dignité, la protection de l'intégrité du corps, le principe de non-discrimination en raison de l'état de santé, d'un handicap ou du patrimoine génétique, le respect de la vie privée, enfin le respect réaffirmé du secret médical.
Deux points posent encore question :
le droit à l'information, l'accès direct au dossier médical.
Le droit à l'information s'impose à l'évidence. En revanche les modalités d'exercice de ce droit soulève de nombreuses questions.
La Cour de Cassation et le Conseil d'Etat se sont prononcés récemment en reconnaissant une obligation systématique d'information sur l'ensemble des risques, même exceptionnels. L'application pratique de cet arrêt risque de poser des problèmes inextricables si on doit l'appliquer pour l'ensemble des actes de la médecine quotidienne : la moindre prise de sang, le moindre comprimé d'aspirine ne sont pas dénués de risque.
Comment garantir l'information sans tomber dans l'excès ou dans la formalité impossible sans déstabiliser le malade.
L'accès au dossier médical est lui aussi susceptible de poser des difficultés dans certaines circonstances. Mais sa portée symbolique cristallise aujourd'hui la demande très ferme de certains. C'est pourquoi j'y suis attachée et que je m'efforce de trouver la meilleure formule.
Or, le souci est d'améliorer ou de renforcer la qualité de la relation médecin - malade.
Sur ces deux sujets, la question est de savoir quelle démarche adopter pour servir au mieux l'objectif commun de tous : accroître la transparence, la communication et la confiance des malades vis-à-vis de leurs médecins.
Si la relation médecin-malade doit être rééquilibrée, il ne s'agit pas, pour autant que soit alimentée une quelconque défiance collective à l'égard des professionnels de santé. Pas de victoire de l'un sans l'autre.
II - 2 - Les droits collectifs dans le domaine de la santé
Certains principes de fonctionnement du système de santé doivent être posés ou réaffirmés dans l'intérêt des usagers :
l'obligation de moyens pour la qualité des soins, notamment leur continuité, le droit à la sécurité sanitaire, les principes d'évaluation des pratiques, d'accréditation des établissements.
Par ailleurs, Etienne CANIARD et le groupe qu'il a animé viennent de me rendre leurs réflexions.
L'objet est ici encore de s'interroger pour savoir comment renforcer la place et la représentation des usagers dans le système de santé.
En particulier en matière :
de vigilance sur les droits des malades, d'observation de la qualité du service rendu, d'information du public, de médiation et de conciliation, de participation aux débats publics et aux instances du système de santé, notamment, au niveau local/ régional.
II - 3 - Aléa thérapeutique - L'accident médical
Nous avançons sur ce sujet aussi.
Nous voulons :
réaffirmer la primauté de la responsabilité médicale pour faute, réformer l'expertise médicale nous inspirant des recommandations du récent rapport IGAS-IGSJ, mettre en place un système d'assistance aux vi ctimes d'accident médical en facilitant la conciliation et l'accès à l'expertise et le règlement rapide des dossiers.
Quant à l'indemnisation éventuelle des accidents médicaux graves non fautifs, elle fait encore l'objet de débat.
III - Enfin, il nous faut mieux maîtriser et mieux prévoir les transformations permises par les résultats de la recherche.
Ce siècle qui s'achève est composite ; des massacres, des famines et des exterminations y côtoient des progrès décisifs dans le domaine des sciences du vivant.
La vie dans le prochain millénaire sera-t-elle heureusement bouleversée par les avancées que nous allons connaître ? Pour les accompagner, réfléchir à leurs conséquences, obtenir l'adhésion et la confiance de l'opinion publique, il est indispensable d'informer, d'expliquer, d'échanger.
Je veux ici attirer votre attention sur le développement de la médecine prédictive.
Les techniques issues des biotechnologies permettent d'identifier un certain nombre de mutations au niveau du génome, mutations considérées comme prédisposant au développement d'une pathologie : c'est notamment le cas de certains cancers. Cela sera de plus en plus vrai pour d'autres champs de la pathologie telles le diabète, l'hypertension. Ces évolutions peuvent bouleverser le rapport à notre propre corps, la pratique de la médecine, l'organisation du système de santé.
Quelles seront les pratiques demain, si l'on assène à chaque individu, l'ensemble des probabilités qu'il a de développer tout un ensemble de maladies à partir d'une analyse génétique ? L'enfant de demain naîtra-t-il avec une carte lui annonçant son espérance de vie, son risque de handicap et quand sera-t-il de la probabilité d'accident de la vie ?
Nous devons également ouvrir ce chantier.
Je vous demande de mettre en place une réflexion sur l'organisation de la médecine prédictive en France portant, en particulier, sur l'organisation de cette nouvelle médecine, l'équité dans la répartition des moyens et dans l'accès à ces nouveaux savoirs.
Pour terminer, je voudrais vous rappeler les orientations du Premier Ministre à la clôture des Etats Généraux de la Santé pour jeter les fondements de cette nouvelle "démocratie sanitaire".
Souhaitons que ce versant de la démocratie s'épanouisse.
Facilitons les échanges.
Responsabilisons nos concitoyens en les faisant participer à la réflexion sur eux-mêmes, leur état de santé, leur comportement sanitaire, car ils conditionnent l'avenir de l'homme.
Je vous remercie.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 23 mars 2000)