Interviews de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, dans "Les Echos" le 14 octobre et dans "La Tribune" le 18 octobre 2005, sur la position de la France dans les négociations agricoles ouvertes à Hong Kong dans le cadre de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC).

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Média : Energies News - Les Echos - La Tribune - Les Echos

Texte intégral

LES ECHOS
Q - En quoi la Commission a-t-elle outrepassé les lignes rouges fixées par treize pays européens sur le dossier agricole ?
R - Ces propositions sont très articulées. Elles concernent la baisse des droits de douanes agricoles, avec plusieurs niveaux envisagés de réduction selon les produits, ainsi que les subventions à l'exportation mais aussi les soutiens internes. Nous chiffrerons actuellement chacun de ces éléments proposés par le commissaire Peter Mandelson pour mesurer précisément quels en sont les effets sur la Politique agricole commune. Il semble déjà que la proposition élaborée par la Commission, au nom des vingt-cinq membres de l'Union, n'est pas compatible avec la ligne formulée et rappelée, encore la semaine dernière, par 14 Etats membres, à savoir le respect de la Politique agricole commune, telle qu'elle a été réformée en 2003. Par ailleurs, il a toujours été convenu que toutes propositions, surtout si elles sont significatives devaient faire l'objet de consultations préalables approfondies avec les Etats membres. En l'espèce, la consultation n'a pas été suffisante.
Q - Quelle est la position de la France sur les propositions agricoles américaines qui apparaissent, dans les chiffres, plus généreuses que celle des Vingt-cinq ?
R - Pour l'instant, les Etats-Unis s'engagent à ne pas utiliser les aides qu'ils n'utilisaient déjà pas pour leurs agriculteurs. Leurs propositions sont extrêmement imprécises sur les modalités, les chiffres ou encore les produits concernés. Nous attendons la suite.
Q - La France ne risque-t-elle pas de se retrouver isolée, au sein de l'Union européenne, au fur et à mesure que la réunion de Hong Kong approche ?
R - La France n'est pas le seul pays d'Europe à disposer d'une agriculture compétitive et tous les pays européens sont liés, entre eux, par la Politique agricole commune. Nous sommes 14 à avoir rappelé à la Commission les impératifs agricoles de l'Union. Cela montre bien que la France n'est pas isolée sur le dossier.

Q - La France est-elle prête à jouer la rupture sur l'agriculture au risque de sacrifier ses intérêts dans le secteur industriel et celui des services ?
R - Il est hors de question de brader la Politique agricole commune et il est aussi hors de question de brader nos intérêts offensifs en matière de droits de douane industriels et de libéralisation des services. Nous souhaitons que le commissaire européen représente tous les intérêts de l'Union européenne dans le respect de règles de bonne gouvernance qui président à l'exécution de son mandat. Nous serons très vigilants sur tous les aspects du Cycle du développement, tel qu'il a été défini en 2001 à Doha. L'agriculture, les services, les droits de douane industriels forment un tout. C'est bien le principe d'un engagement unique à l'issue de ce round. Soit nous nous mettons d'accord sur tout. Et si nous ne nous entendons pas sur un chapitre, nous ne nous mettrons d'accord sur rien. De ce point de vue, il y a un point d'équilibre subtil à trouver. Cela veut dire que les grands pays émergents doivent aussi faire leur part du chemin et que le développement, cher à la France, ne doit pas être oublié.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2005)
"LA TRIBUNE"
Q - Considérez-vous que Peter Mandelson a radicalement changé le principe qui sous-tend son mandat ?
R - Peter Mandelson doit opérer dans le cadre de lignes fixées par le mandat qu'ont défini les 25 Etats membres de l'Union européenne. Or, sa dernière prise de position n'a pas été précédée, c'est le moins que l'on puisse dire, de beaucoup de consultation préalables auprès de ces Etats. Le Conseil des Affaires générales va permettre de clarifier le périmètre de son mandat. Il ne s'agit pas de le changer. Cela dit, on peut comprendre que Peter Mandelson ait besoin d'une marge de manuvre, mais à l'intérieur d'un périmètre.
Q - Quel est le résultat de l'évaluation des propositions de Peter Mandelson en matière agricole ?
R - Nous avons procédé à quelques chiffrages comme tous les Etats membres. Mais il appartient à Peter Mandelson de démontrer que ses propositions le situent toujours à l'intérieur de la marge de manuvre que nous fixons. Or les propositions qu'il vient de formuler nous laissent penser qu'il est à la limite ou légèrement au-delà des limites souhaitables. Dans une négociation, il faut se laisser un peu de marge de manuvre surtout quand on est au début.
Q - L'offre de libéralisation agricole américaine est-elle considérée avec scepticisme car n'empêchant pas vraiment Washington d'aider ses agriculteurs ?
R - L'offre américaine est à ce stade une proposition d'ouverture. C'est une avancée. Mais les Américains se sont bien sûr ménagé une marge de manuvre.
Q - A force de considérations tactiques, les négociateurs de l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) ne risquent-ils pas de donner l'impression de jouer avec des enjeux vitaux pour le Sud ?
R - Il faut que chacun exprime ses positions. A ce stade, on ne sait pas quelles sont les cartes qu'il reste à jouer. Beaucoup de travail reste à accomplir. Pour un pays comme la France, il y a des bénéfices importants à tirer des négociations sur le plan industriel, des services. Mais il y a aussi beaucoup de travail à faire sur les questions du développement, du coton, des médicaments.
Q - Une ONG comme "Act Up" dénonce le caractère inapplicable de l'accord sur l'accès aux médicaments pour les pays pauvres et l'inaction de Paris qui ne cache pas pourtant son insatisfaction sur ce texte ?
R - Oui. Mais pour l'instant, il faut bien essayer d'avancer avec ce qui existe, c'est-à-dire cet accord qui date d'août 2003, et le transposer dans notre droit.
Q - La Conférence de l'OMC à Hong Kong peut-elle encore réussir ?
R - Tant que les négociations ne sont pas terminées, rien n'est perdu.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 octobre 2005)