Interview de M. Hervé Morin, président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" le 21 septembre 2005, sur la démarche du Premier ministre, Dominique de Villepin, et la situation de "cohabitation" au sein de l'exécutif, sur le projet de réforme fiscale et la préparation du budget 2006 et la position de l'UDF, entre l'UMP et le PS.

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Circonstance : Journées parlementaires de l'UDF à Taissy (Marne) les 21 et 22 septembre 2005

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

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Quel bilan faites-vous des "cent jours" de Dominique de Villepin ?
Dominique de Villepin est à la hauteur de la fonction, et il fait preuve d'une démarche volontariste, même si, à mon avis, elle a tous les risques d'échouer compte tenu de la faiblesse de ses marges de manoeuvre. Car il a deux handicaps très lourds : être premier ministre d'un exécutif politiquement affaibli et se trouver confronté à une conjoncture économique très mauvaise. Pour les Français, l'avenir est plus souvent synonyme d'angoisse que de progrès. Et pour cause ! Nos concitoyens vivent sous la menace permanente de réformes qu'ils savent
inéluctables, mais que personne ne met vraiment en oeuvre. Il est plus anxiogène d'être menacé de perdre un droit que de gérer une situation de changement connue et dès lors maîtrisée, et qui se révèle d'ailleurs souvent moins grave que ce qui était craint. Va-t-on un jour avoir le courage de dire les choses et d'indiquer là où on veut emmener les Français ?
Depuis le début de la législature, plusieurs réformes structurelles ont été engagées...
On nous a expliqué en 2002 qu'il fallait faire l'UMP pour se débarrasser des chicayas entre l'UDF et le RPR, et pour réaliser de grandes réformes. Jacques Chirac a mis en place l'instrument pour concentrer tous les pouvoirs, mais sans les exercer. En trois ans, la seule chose qui aura été faite sérieusement, c'est la moitié de la réforme des retraites. Point barre. Par exemple, augmenter les crédits de la défense, c'était nécessaire, mais cela ne suffit pas. Nous avons besoin de réformes structurelles - ce que les autres pays ont fait - pour nous permettre plus de croissance. En outre, le récent rapport de la Cour des comptes vient confirmer ce que nous avons toujours dit à l'UDF sur la réforme de l'assurance-maladie : c'est un cautère sur une jambe de bois. Quant à la réforme de l'impôt sur le revenu, le gouvernement se contente de diminuer le nombre de tranches, c'est tout, alors qu'il faut intégrer la problématique de tous les prélèvements sur les ménages, notamment la CSG, l'impôt sur le revenu, la fiscalité du patrimoine, l'ISF et les 350 niches fiscales existantes. Le système reste très inégalitaire, obscur et incompréhensible, malgré les quelques efforts de simplification. Cela devrait être fait dès 2007.
Etes-vous aussi critique sur le projet de budget pour 2006 ?
Ce budget de 2006 a la couleur de 2007, il a l'odeur de 2007. C'est un projet de loi de finances très acrobatique. Les Français doivent savoir qu'on est parti pour la gloire : en 15 jours, le gouvernement vient d'annoncer 10 milliards d'euros de cadeaux fiscaux ou de nouvelles dépenses alors qu'on a plus un sou. Le gouvernement finance des dépenses courantes par des recettes exceptionnelles dont les privatisations des autoroutes. C'est comme si un ménage finançait ses dépenses courantes en vendant progressivement chaque meuble de son appartement. En général, on finit à la rue...
N'est-ce pas inconfortable pour l'UDF d'avoir un pied dans la majorité, un pied dans l'opposition ?
J'observe que l'on ne pose pas la question en ces termes à Nicolas Sarkozy alors qu'il est aussi critique que nous ! Nous essayons de construire une alternative à l'UMP et au PS. Mais le discours de François Bayrou n'est pas seulement critique. Nous faisons de nombreuses propositions, que le gouvernement ignore souvent superbement, et qui ne sont ni défendues par le PS ni mises en oeuvre par l'UMP pourtant au pouvoir.
Etes-vous vraiment en mesure de peser face à 364 députés UMP ?
L'élection de dimanche dernier dans le Nord a montré qu'il faut compter avec nous : le candidat UDF a obtenu 4 000 voix de plus au second tour qu'au premier.
Comment vivez-vous le duel Villepin-Sarkozy ?
Nous vivons une situation pour le moins inédite : une nouvelle forme de cohabitation où le numéro 2 du gouvernement explique qu'il faut changer radicalement de politique alors qu'elle est conduite par le premier ministre. Le ministre de l'Intérieur souligne l'échec des politiques menées depuis 30 ans, pour lesquelles Jacques Chirac a une large part de responsabilité, sans que ni le premier ministre ni le président de la République ne réagissent. Cela prouve la faiblesse de l'exécutif : croyez-vous que de Gaulle ou Mitterrand auraient accepté pareil comportement de la part d'un membre du gouvernement ?
Propos recueillis par Sophie Huet et Guillaume Perrault
(Source http://www.udf.org, le 21 septembre 2005)