Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à RTL le 7 juillet 2005, sur la nécessité d'une réforme des institutions et du modèle social français.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Jean-Michel APHATIE : Bonjour François Bayrou. Pour organiser les Jeux Olympiques d'été de 2012, le Comité Olympique International a donc préféré hier Londres à Paris. On pourrait n'y voir qu'une affaire sportive, d'autres veulent y voir comme l'expression d'une crise de la société française. Quelle est votre opinion François Bayrou ?
François BAYROU : C'est un signe de plus en effet de la plus profonde crise que nous ayons traversée depuis des décennies.
Q - Crise de confiance, crise de leadership, c'est quoi ?
R - Crise de confiance, crise de projets. Isolement de la France ou en tout cas un isolement croissant de la France, en raison d'un certain nombre d'erreurs qui ont été faites.
Q - Lesquelles ?
R - Je pense par exemple aux propos qui ont été tenus à l'égard des pays de l'Est. A l'égard des pays de l'Europe de l'Est, et si on fait l'analyse des votes on voit en effet qu'un certain nombre de voix qui s'étaient portées sur Moscou, au premier tour, sont allées - alors qu'on attendait qu'elles viennent sur Paris, elles sont allées sur d'autres.
Q - Peut-être parce qu'on ne connaît pas les votants mais c'est une hypothèse. Les propos que vous citez sont ceux de Jacques Chirac, pour préciser, à l'égard des pays de l'Est, il y a un an et demi.
R - Oui, je pense que la France est dans une mauvaise passe. Une situation mauvaise et qui demande qu'on tourne une page et qu'on entre dans un projet différent.
Q - Qu'est-ce que c'est "tourner la page" pour vous François Bayrou ?
R - Eh bien c'est d'abord mesurer les raisons de la crise que nous traversons. Elles sont à mon avis triple. Première raison : on a une démocratie qui ne fonctionne pas. Ça parait très loin des Jeux Olympique, ou de l'économie ou du social en réalité, c'est très près. Quand un peuple ne ressent pas que sa vie publique, son parlement, sa vie politique, ses représentants, disent la vérité, et disent sa vérité, disent à la fois la vérité des faits et ses attentes. Ce peuple se détache et s'en va. Et donc le pays n'est pas capable de prendre les décisions qui s'imposent les yeux dans les yeux. On est en train de le vivre me semble t-il tous les jours, et en particulier en ce moment même au Parlement. On l'a vécu avec le référendum évidemment, le 29 mai, il y a à peine un mois. Deuxièmement : la France souffre de ne pas accepter la modernité comme elle est. De ne pas accepter le monde comme il est. Et ça n'est pas avec des protestations verbales ou idéologiques, que nous allons pouvoir nous redresser dans un monde - on l'a bien vu avec les décisions du CIO hier - qui obéit à être performant dans la compétition, à être aussi fort et plus fort que les autres. Et il n'y a aucune raison que la France ne soit pas aussi forte que les autres.
Q - Il faudrait qu'on accepte davantage l'idée de mondialisation et de libéralisation qu'elle suggère, c'est ce que vous dites François Bayrou ?
R - Il faut que nous acceptions que la réalité du monde aujourd'hui : c'est la compétition. Et que nous comprenions deux choses : c'est que la France n'est pas plus mal armée dans la compétition que les autres, au contraire. Notamment en raison du niveau de formation de ses jeunes, à condition que nous ne le perdions pas et que, deuxièmement, notre modèle social, dans cette compétition, peut être un atout et pas un handicap, à, condition que nous le prenions pour ce qu'il est, et que nous le corrigions des dérives nombreuses dont il souffre.
Q - Donc il faut changer le mode social de ligne.
R - Il faut le réformer !
Q - D'accord.
R - Voilà. Il faut le réformer. Il faut en rénover les principes, et le refonder et penser qu'un pays qui accepte l'idée d'égalité des chances et de solidarité entre les forts et les faibles, est mieux armé dans la compétition qu'un pays qui n'a pas ses valeurs-là. Au lieu de ressentir la compétition comme une atteinte portée au modèle social, il faut qu'on comprenne qu'au contraire il faut accepter la compétition et que le modèle social peut être un plus dans cette compétition. Et troisièmement : il faut que nous acceptions que les autres peuvent avoir raison aussi. Que les autres pays du monde - sans renoncer à ce que nous croyons. Tout le monde a à l'esprit la guerre d'Irak. Moi je pense qu'en Irak la France avait raison sur les principes ; mais dans la démarche d'isolement qui a suivi, qui a fait que nous nous sommes antagonisés, que nous avons dit du mal de tous les pays, y compris ceux qui nous aimaient le plus. Alors là, nous avons probablement fait une erreur. Je pense une erreur qui va être difficile à corriger, mais qu'il est urgent de se mettre à corriger. La vocation de la France ça n'est pas d'être antagonisée avec tous les autres pays.
Q - On peut toujours être frappé quand on cherche à comprendre pourquoi la société française perd confiance en elle-même et qu'aucun responsable politique, et puis vous venez d'en faire la démonstration aussi François Bayrou, ne cite les problèmes financiers de ce pays. 25 ans de déficits. Mille milliards de dettes. Des déficits sociaux dans toutes les institutions concernées, qui n'instillent pas la confiance et vous n'en parlez jamais !
R - Vous pouvez soutenir tout ça, mais j'en parle à votre micro, et à la tribune de l'Assemblée nationale.
Q - Alors on va dire que vous l'aviez oublié, là, à la seconde.
R - Non ! Quand je vous ai dit : regardez les faits comme ils sont.
Q - Justement, plus de pognon.
R - Mais ça n'est pas "plus de pognon" ! C'est que nous avons choisi le déséquilibre des finances publiques et des comptes sociaux.
Q - Depuis vingt-cinq ans ! Et vous y avez participé.
R - Oui, enfin, j'accepte ma part de responsabilité, à condition que les autres acceptent la leur.
Q - Que d'autres aussi l'acceptent, absolument.
R - Nous sommes en situation malsaine, malsaine. C'est pourquoi les petites mesures ne servent à rien. C'est pourquoi il va falloir en effet une rupture et qu'on ouvre une page nouvelle. On est en fin de cycle. On est en fin de cycle politique. On est en fin de cycle pour nos institutions. On est en fin de cycle financièrement : finances publiques et comptes sociaux et on ne va pas pouvoir continuer comme ça. De toute façon, la réalité va nous rattraper.
Q - Donc ce qui nous attend, c'est quand même du sang et des larmes, pour reprendre une formule célèbre ?
R - Ce qui nous attend, c'est du courage ! Vous savez, autrefois, dans les temps anciens, il y avait une arme quand on était comme ça le dos au mur, c'était la dévaluation. Et on allait ainsi de dévaluation en dévaluation, à rechercher des facilités pour s'en sortir. Or, la dévaluation en raison de l'euro, heureusement n'existe plus. Il n'y a donc que le courage tranquille de ceux qui oseront regarder la vérité en face, et accepter un projet global, qui ne pourra être qu'un projet de rupture. L'écriture d'une page nouvelle.
Q - Il faudra attendre 2007 pour ça ?
R - J'espère qu'il n'y aura pas d'événements qui hâteront les choses. En tout cas, je sais que ça n'est pas avec des petites mesures et des petits changements, en reprenant constamment les mêmes recettes, qu'on va se sortir de la profondeur de cette crise-là. Vous voyez à quel point cette crise est aujourd'hui une crise morale. C'est-à-dire autant une crise du moral de la nation, que des principes qui la guident. Eh bien écoutez on ne va pas rester enlisés mille ans dans la crise. On est un grand pays. On est des gens courageux. On va la prendre à bras le corps et on va en sortir !
Q - François Bayrou, Président de l'UDF, était l'invité d'RTL ce matin. Bonne journée.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 8 juillet 2005)