Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, au "JDD" le 3 juillet 2005, sur son refus d'aller à Matignon en raison de l'invitation du front national, sur son appréciation de la conférence de presse du Premier ministre, sur le prochain congrès du parti socialiste.

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Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Q - Pourquoi refuser d'aller à Matignon sous prétexte que Le Pen y était aussi invité ?
R - Jamais je n'admettrais la banalisation du Front national. En l'invitant à Matignon, le Premier ministre a commis une double faute. Il a oublié que, le 5 mai 2002, Jacques Chirac a été élu par le rassemblement de tous les républicains contre l'extrême droite. Oubliés les propos révisionnistes de Le Pen et Gollnisch qui, encore récemment, ont provoqué l'indignation générale. Rien ne justifiait que Dominique de Villepin rompe avec l'attitude de tous les chefs de l'Etat et de gouvernement depuis treize ans. Au moment où le populisme et la xénophobie gagnent du terrain, en France et en Europe, il faut répondre aux peurs mais marquer aussi les limites et ne pas céder sur l'essentiel.
Q - Ne donnez-vous pas l'impression de chercher une " radicalité " à bon compte. Comme cette motion de censure générale contre Chirac, la " crise de régime ", etc ?
R - Le gouvernement parle beaucoup ces derniers jours. Mais il n'entend rien. Pas plus les électeurs que ceux qui les représentent. La meilleure façon de faire vivre la démocratie, c'est de respecter les droits du Parlement. Or, le gouvernement, en recourant aux ordonnances pour modifier le Code du travail, vient d'y porter atteinte. Notre opposition n'a pas besoin d'être forcée ou radicalisée. Elle doit être à l'unisson avec nos concitoyens : ils ont censuré le pouvoir à toutes les élections. Nous devons traduire leur colère au Parlement mais lui offrir un débouché utile : l'alternance en 2007.
Q - Que retenez-vous de la conférence de presse du Premier ministre ?
R - À part l'annonce de 500 radars supplémentaires, je n'ai rien vu de nouveau. Mais c'est Sarkozy qui est en perpétuel excès de vitesse. Il multiplie les déclarations intempestives, stigmatisant les quartiers ou accusant les juges. Il se met en scène pour déclarer sa candidature à toute occasion. Y a-t-il encore un Président, un Premier ministre quand le ministre de l'Intérieur impose ses thèses, sa ligne et son jeu ? C'est plus qu'une fin de règne, c'est une crise de régime !
Q - Le PS préfère-t-il combattre Villepin ou Sarkozy ?
R - Où est la différence ? Au-delà du style, ils appartiennent au même gouvernement depuis trois ans. Ils font les mêmes choix, sont comptables d'une même politique et de ses échecs : croissance en panne, chômage en hausse, pouvoir d'achat en baisse et moral des Français en berne.
Q - Qu'auriez-vous dit, vous, à La Courneuve, après le meurtre d'un enfant ?
R - J'aurai évité les mots qui blessent. Oui, il faut mettre hors d'état de nuire les mafias et les bandes. Ce qui suppose de renforcer les effectifs de police dans les quartiers en difficulté. Mais je n'aurais pas attendu tout ce temps pour découvrir la nécessité de la prévention. Cette récupération médiatique des faits-divers est insupportable, et d'abord pour les populations concernées. Celles-ci demandent le respect, c'est-à-dire l'accès au travail, à un logement digne, à une école de qualité, pas le bâton ou l'aumône.
Q - Mais Sarkozy bat tous les présidentiables de gauche ?
R - Ne confondez pas sondages et élections. En 2007, Nicolas Sarkozy sera jugé sur ses résultats. Il est au gouvernement depuis 2002 et préside le parti unique de la majorité. Ses idées, c'est le bilan de la droite. Son programme, c'est la politique actuelle ou alors cela signifie que ceux qui gouvernent ne peuvent rien !
Q - Vous critiquez le contrat " nouvelle embauche " plus précaire, qu'auriez-vous fait ?
R - Plus de précarité ne fait pas plus d'emploi. Ma priorité serait aujourd'hui de relancer la croissance et donc la consommation. Une entreprise embauche si elle a des commandes, pas des facilités réglementaires. Ensuite, je proposerai l'ouverture d'une grande négociation, un nouveau " Grenelle " sur l'emploi, les salaires, la formation. Enfin, je mettrais en place un contrat de reclassement pour que tout licencié retrouve à terme un emploi. Il n'y a pas de crise du modèle social français -le gouvernement Jospin a créé deux millions d'emplois-, - il y a l'échec d'une politique qui a affaibli les droits des salariés sans redonner confiance aux entrepreneurs.
Q - Quel est le congrès du PS dont vous rêvez ?
R - D'un congrès qui rassemble les socialistes autour d'un projet utile aux Français. Rejeter la droite, ce n'est pas encore espérer la gauche ! Une course de vitesse est même engagée entre le populisme et le réformisme. Il faut répondre à la demande de protection et de changement qui nous est adressée par les citoyens, élections après élections. Cela passe par des réformes audacieuses : une nouvelle donne démocratique, un progrès partagé autour d'un pacte de croissance et d'emploi, une égalité effective des droits. Avant d'avoir un candidat, le PS doit avoir un projet. Le débat entre le oui et le non est derrière nous. Les militants socialistes avaient fait démocratiquement un choix en décembre. Les Français ont tranché la question le 29 mai. Notre congrès du Mans n'a donc pas vocation à répéter ce débat. En revanche, il devra rappeler les règles collectives, celle du respect du vote des militants. Pour que nul ne puisse à l'avenir s'en affranchir, ce principe sera inscrit dans nos statuts. Cela est d'autant plus nécessaire que nous aurons à désigner, à la fin de l'année prochaine, notre candidat à l'élection présidentielle qui sera, forcément, celui de tout le parti socialiste.
Q - Ne resteriez-vous pas plus facilement Premier secrétaire en disant clairement que vous renoncez à être candidat à la présidentielle ?
R - Ne confondons pas les échéances. Le congrès du PS, en novembre, n'est pas le congrès de désignation du candidat. Pour ma part, je dois me consacrer entièrement à ma tâche de Premier secrétaire, au rassemblement des socialistes, à la préparation de notre projet. À l'heure du choix, fin 2006, je répondrai, avec tous les adhérents du PS, à la seule question qui vaille : lequel ou laquelle d'entre nous peut avoir les meilleures chances de gagner la présidentielle et porter avec efficacité nos propositions pour les traduire en actes ?
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 6 juillet 2005)