Tribune de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, dans les Echos le 28 juillet 2005, intitulée "OMC : l'Europe doit peser de tout son poids dans les négociations".

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En 1958, face aux responsables économiques français qui s'inquiétaient de la mise en place de l'union douanière en Europe, le général de Gaulle avait fait cette réflexion : "Ils sont forts, et ils ne le savent pas." Et c'est vrai, nous sommes forts !
L'Union européenne est la première puissance commerciale du monde. Elle réalise 20 % du volume total des échanges mondiaux, à comparer avec moins de 16 % pour les Etats-Unis et moins de 10 % pour le Japon. L'Union européenne doit peser de tout ce poids dans les négociations commerciales. Pour la croissance, pour l'emploi, l'Europe a donc tout intérêt à la conclusion du nouveau cycle lancé à Doha en novembre 2001. Car ce cycle de discussions aborde les sujets les plus importants pour nos entreprises et incarne notre vision des échanges commerciaux, soucieuse du développement de tous.
Les négociations en cours sont les plus ambitieuses jamais entreprises dans l'histoire du commerce international. Depuis l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du Commerce (OMC) en 2001, le système commercial multilatéral englobe plus de 97 % des échanges mondiaux. Pas moins de 148 Etats participent aux discussions lancées sur un volume et une variété d'échanges jamais égalés. Au-delà de la réduction des droits de douane concernant les biens et les services, les négociations abordent, pour la première fois et à notre demande, les sujets de régulation de la mondialisation, comme la santé publique ou le respect des indications géographiques. L'enjeu est de plus en plus politique puisqu'il en va de l'équité et de la stabilité du système international.
L'Union européenne défend des valeurs : elle a demandé que le développement soit placé au cur des discussions. Lorsque l'on constate que l'Afrique est passée en quelques années de 10 % à 2 % du commerce mondial, il faut réagir. Pour les pays les plus pauvres, il s'agit donc de promouvoir un traitement spécial et différencié qui leur permette de mieux s'intégrer dans le commerce mondial. On ne le sait pas assez mais l'Europe importe dix fois plus de produits des pays en voie de développement que les Etats-Unis. Depuis plus de trente ans, son marché est très largement ouvert aux produits des 78 pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique dans le cadre d'accords commerciaux préférentiels qui ont été renouvelés en 2000. En 2001, l'Union européenne a décidé d'aller au-delà en ouvrant sans aucune restriction son marché aux produits des 49 pays les moins avancés de la planète dans le cadre de l'initiative "Tout sauf les armes".
Cette vision européenne des échanges mondiaux que nous défendons au sein de l'OMC doit l'emporter dans l'intérêt des pays en développement les plus pauvres. Mais l'Union n'en tirera bénéfice qu'à la condition d'un triple équilibre qu'il revient à la Commission européenne d'obtenir : un équilibre entre les différents secteurs de la négociation, un équilibre au sein de chacun des volets du dossier agricole et enfin un équilibre entre les concessions que font les uns et les autres. C'est fondamental, l'Union européenne ne peut être, comme le dit très bien le commissaire Peter Mandelson, négociateur européen à l'OMC, "le seul banquier du round" !
Or la négociation est aujourd'hui déséquilibrée. La France le dit souvent plus fort, mais l'ensemble de nos partenaires européens partage cette préoccupation : l'Europe doit jouer un rôle actif mais elle ne doit pas faire de concessions sans être payée en retour. Elle doit marquer des points sur ses intérêts offensifs. Je l'ai dit au commissaire européen et lors du Conseil "Affaires générales" à Bruxelles le 18 juillet : les négociations doivent avancer parallèlement sur des sujets importants pour la croissance et l'emploi en Europe comme la baisse des tarifs industriels ou l'ouverture du commerce des services. Il ne faut pas oublier le respect de la propriété intellectuelle que les règles du commerce international doivent assurer, en Chine notamment. J'ai rencontré les dirigeants de plusieurs de nos grandes entreprises et ce sont pour elles des sujets de préoccupation quotidiens.
L'Union doit obtenir des avancées substantielles sur l'agriculture : avec la réforme de la Politique agricole commune (PAC) de 2003, elle a réalisé, avant tous les autres et notamment avant les Etats-Unis, les efforts nécessaires. Aujourd'hui, nous attendons des Etats-Unis des signes de leur volonté de réformer leur politique de soutien interne. Nous attendons aussi de nos partenaires des engagements précis visant à l'élimination de toute forme de soutien à l'exportation. Nous voulons que nos demandes en matière de protection des indications géographiques soient satisfaites. Les indications géographiques sont un élément fondamental pour protéger la qualité des produits de nos terroirs (AOC) mais aussi pour valoriser les produits des pays en développement. Elles ne sont aujourd'hui pas protégées sur le plan international et un accord dans le cadre de l'OMC nous offrira cette protection.
Enfin, alors qu'un consensus existe pour que le cycle de Doha mette au cur de la négociation commerciale l'objectif de développement, nos demandes en faveur des pays les plus pauvres concernant le maintien effectif des régimes préférentiels doivent être prises en compte. D'ici à la conférence interministérielle de l'OMC qui se tiendra à Hong Kong à la fin de l'année, la France sera particulièrement vigilante sur les progrès qui seront réalisés.
Le développement durable de la planète est l'un des principaux défis du XXIe siècle que des négociations équilibrées dans le cadre de l'OMC peuvent nous aider à relever. Un dernier exemple s'il en était besoin : l'accès aux médicaments pour les populations les plus démunies. La décision du 30 août 2003 sur les licences obligatoires donne la possibilité aux pays dépourvus d'industrie pharmaceutique d'importer des produits génériques à bas prix. C'est un vecteur déterminant de lutte contre les pandémies dans le monde, en particulier le sida. Il faut que cette décision soit consolidée dans les règles de l'OMC. Et l'Union européenne doit continuer à montrer l'exemple dans ce domaine. Je ferai le maximum pour que le Conseil et le Parlement européen parviennent à un accord sur le texte qui transpose l'accord de 2003 en droit communautaire, avant la conférence de Hong Kong.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 août 2005)