Déclaration de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur l'importance pour les jeunes de "donner du sens à l'Europe", Paris le 7 octobre 2000.

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Circonstance : 15èmes Etats généraux des étudiants d'Europe, à la Sorbonne, le 7 octobre 2000

Texte intégral

- "Je vais quand même dire trois mots - ce n'est pas un discours. Je voulais vous dire d'abord que je ne me suis pas levé dans une auberge de jeunesse ce matin, que je me suis levé moins tôt que vous, mais ne considérez pas que c'est un avantage, parce que les auberges de jeunesse, pour moi, c'est la nostalgie de mes 20 ans. Donc, je pense que vous avez un avantage décisif sur ma situation. Je voudrais vous dire ensuite que je suis tout à fait heureux de participer, après le Président de la République qui s'est exprimé devant vous, les ministres qui ont pris part à vos travaux, P. Moscovici qui a peut-être, au fond, fait le discours que j'aurais pu faire - puisque ce Gouvernement est assez homogène malgré tout -, je suis très heureux d'être devant les Neweuropeans 2000. Je voudrais saluer aussi le 15ème anniversaire de cette association des Etats généraux des étudiants d'Europe qui s'était d'ailleurs créée, je crois, à la Sorbonne même, peut-être même dans cet amphithéâtre.
Nous nous rencontrons alors que l'Europe est sous le choc de deux événements. L'un dans l'Europe même, positif, chaleureux, qui nous a enthousiasmé : la victoire de la volonté de démocratie en Serbie. Elle a entraîné dans la rue, puisque le vote dans les urnes ne suffisait pas, des hommes et des femmes de toutes conditions, de tout âge. Mais bien évidemment, comme il était normal, la jeunesse était au premier rang. Le deuxième événement, est un événement tragique, qui ne se situe pas au coeur de l'Europe mais qui se situe dans le berceau de la civilisation européenne, dans la Méditerranée, c'est le retour de l'esprit de violence au Proche-Orient, notamment entre les Palestiniens et les Israéliens.
Et cet événement positif, joyeux, d'un peuple, d'une société civile, qui tout d'un coup se rassemble et défait les rapports de force militaires, policiers, et cet événement, où dans un processus de paix difficile, à nouveau, la passion, la violence reviennent, nous montrent que le destin hésite toujours et qu'il dépend de nous, et il dépendra d'abord de vous que ce destin de l'Europe ou ce destin de la civilisation humaine tout simplement se fasse dans un sens positif et non pas dans un sens régressif.
Nous nous situons en même temps dans un moment historique plus long, clef, pour l'Europe puisque celle-ci redéfinit ses grands objectifs. Je suis heureux qu'elle ait notamment mis l'emploi, la croissance et la justice davantage au premier plan de ses priorités, que la question de son élargissement - c'est-à-dire de son unité retrouvée au sens politique et culturel, mais aussi de sa capacité économique à faire un ensemble harmonieux - est posée. Elle est devant la question de sa réforme et notamment de la réforme de ses institutions, de ses mécanismes de décision, de la participation des citoyens à son avenir - P. Moscovici en a parlé. Et puis, fondamentalement, la question posée devant nous pour cette construction européenne - quand l'élargissement se fera -, est de savoir si nous continuons à former, à créer de la civilisation. Il est bien d'unifier les marchés, il est nécessaire de faire la paix, il est utile de créer des ensembles économiques, mais le problème est de savoir si nous faisons de la civilisation. La civilisation ne peut pas se faire ni dans l'esprit de caserne ni selon les lois strictement uniformes des marchés. Il faut donc que nous soyons capable de donner du sens à l'Europe. Ce sens sera fait à partir de synthèse, mais pour faire de la synthèse, il faut de la diversité. L'uniformité est mortelle pour les civilisations, les sociétés. Donc, même si vous avez entre vous des liens générationels, même si vous pouvez aimer les mêmes musiques et les mêmes modes, même si vous pouvez vous ressembler par vos habitudes vestimentaires - comme il appartient à chaque génération de jeunes de vivre cela en même temps - ce qui frappe, derrière ou au milieu de votre idéal commun d'Européen, c'est cette évidente diversité de vos horizons, de vos pays, de vos histoires nationales, des difficultés que nous vivez. Cette diversité est quelque chose de précieux si elle sert à construire de la civilisation."
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 11 octobre 2000).