Extraits d'un entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, avec Europe 1 et TV5 le 19 septembre 2005, notamment sur le rôle des militaires français dans le maintien de la paix en Afghanistan et en Côte d'Ivoire, l'industrie d'armement, le budget militaire et sur la formation professionnelle des jeunes au sein de l'armée.

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Média : Europe 1 - Télévison - TV5

Texte intégral

Jean-Pierre Elkabbach - C'est le premier Grand Rendez-Vous organisé par Europe 1 et TV5 sur ses réseaux français et mondial et diffusé à partir des studios d'Europe 1 de la Rue François 1er. Madame Michèle Alliot-Marie, je vous remercie d'être notre première invitée. Dois-je dire que vous êtes ministre de la Défense, donc ministre avec le rang de 'numéro trois' du gouvernement, aux côtés de Dominique de Villepin et de Nicolas Sarkozy, que vous êtes un des interlocuteurs réguliers, privilégiés du président de la République, chef suprême des armées, et que votre rôle est important pour la stratégie et les armes de dissuasion, pour la présence militaire de la France en Afrique, en Europe, dans le monde, pour votre budget, pour l'emploi, la recherche au coeur des activités d'avenir et aussi, peut-être le direz-vous tout à l'heure, pour votre choix politique et personnel pour 2007. Mais dans quelques jours, vous allez publier chez Odile Jacob ce livre, " Le chêne qu'on relève ". Il est tombé ?
Michèle Alliot-Marie - Les chênes ont effectivement connu, au moment de la grande tempête de décembre il y a quelques années, des forces qui les ont poussés et qui ont failli en abattre un certain nombre. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé dans mon jardin. Ce chêne s'inclinait beaucoup ; certains nous ont dit qu'il était fini et qu'il fallait l'abattre complètement. Nous, nous avons résisté. Nous avons dit que ce chêne qui avait abrité plusieurs générations méritait d'être relevé. Nous l'avons donc relevé sous l'oeil sceptique de beaucoup. Aujourd'hui, il est de nouveau vert, en bonne santé et il nous abrite tous. Ce chêne, c'est un peu la France. Avec la mondialisation et dans un contexte difficile, la France, comme beaucoup d'autres pays, connaît des poussées très fortes, parfois des vents contraires. J'en entends certains qui disent que la France décline, que la France disparaît. Ce n'est pas ma conception. Et c'est ce que j'ai voulu exprimer dans ce livre, qu'il y avait certes des difficultés, mais que les difficultés ce n'est pas le déclin.
Q - Vous savez que Tolstoï dans " Guerre et paix " fait dire au Prince Andrei tout une tirade sur le chêne justement, vieilli, affaibli, rabougri, mais qui va connaître à la belle saison sa renaissance et sa floraison. Pour vous la belle saison, c'est quand ? Avant ou après 2007 ?
R - Je n'ai pas fait un livre politicien.
Q - Mais on voit bien ce qu'il y a derrière.
R - Ce qu'il y a derrière, c'est qu'au cours de son histoire, la France a connu de nombreuses périodes où nous avons eu de grandes difficultés. A plusieurs reprises, notre territoire a été occupé. Nous avons eu de grandes crises économiques, et la France s'est toujours redressée. C'est cela ce que je veux dire dans ce livre, c'est un acte de foi dans la France et surtout dans les Français, Jean-Pierre Elkabbach.
Q - Lorsque vous dites, le chêne qu'on relève, 'on' c'est qui ?
R - 'On', c'est la volonté, la volonté de tous, la volonté des Français, leur génie propre.
Q - Mais le moment où on va le relever, quand est-ce ?
R - C'est maintenant, c'est chaque jour.
Q - On n'attend pas, vous voulez dire ?
R - On n'attend pas. Absolument. Il ne faut jamais se laisser aller à la désespérance. Il ne faut jamais se laisser aller à la morosité, parce que c'est, jour après jour et heure après heure, que l'on affirme ce que l'on est et que l'on peut permettre de redresser la situation.
Q - On va voir de quelle façon tout au long de cette émission du Grand Rendez-Vous d'Europe 1. avec Philippe Dessaint, Fabien Namias.
(.../...)
Q - Les Afghans votent, eux aussi, aujourd'hui et pour la première fois, avec la violence comme environnement, et en plus des attentats provoqués ou ratés. Un soldat [français] a été tué la nuit dernière, un autre gravement blessé. Ils appartenaient aux forces spéciales et étaient en patrouille de nuit. Comment cela s'est-il passé et qu'est-ce que vous en pensez ?
R - Oui, des élections ont effectivement lieu aujourd'hui en Afghanistan. Ces élections législatives régionales constituent une étape essentielle pour l'avenir de ce pays, pour lui permettre de retrouver ses institutions, sa souveraineté et de retrouver une vie normale. Les Afghans ont d'ailleurs eux-mêmes manifesté leur intérêt pour ces élections. Ils ont été très nombreux à se faire enregistrer sur les listes électorales et ils sont nombreux à aller voter. Mais, bien entendu, cela ne plaît pas à tout le monde, et cela ne plaît notamment pas à ceux qui peuvent prospérer sur un pays qui est en crise.
Q - Vous voulez dire les Taliban ?
R - Je veux dire les Taliban ; je veux dire Al Qaïda. Nous savions très bien que cette période était particulièrement sensible ; c'est ce qui a d'ailleurs conduit la France - et d'une façon générale la communauté internationale - à renforcer sa présence en Afghanistan, la France en ajoutant notamment 6 avions de combat et 200 hommes supplémentaires. Ce qui s'est effectivement passé, c'est qu'une patrouille comprenant des militaires français circulait entre plusieurs bureaux de vote pour empêcher justement les attaques que l'on pressentait contre ces bureaux. Et c'est entre deux bureaux de vote que, sur la route, on a fait exploser un engin téléguidé.
Q - Placé au dernier moment ?
R - Oui, un engin qui a été probablement placé là, sous le sable, au dernier moment. Comme c'était la nuit, on n'a pas pu le voir. La voiture qui était la première du convoi a sauté. Un caporal-chef a été tué et un adjudant-chef blessé.

Philippe Dessaint - Pour les téléspectateurs et auditeurs qui nous suivent en ce moment, il y a donc une présence militaire importante en Afghanistan. Comment, avec le recul, peut-on expliquer le fait qu'il n'y ait pas eu, je dirais, de victoire plus patente, plus probante, notamment effectivement contre le régime qui était en place, contre Al Qaïda, et pas d'arrestation massive de Ben Laden ou de personnes importantes au niveau de cette nébuleuse terroriste ?
R - Il faut savoir d'une part, que l'Afghanistan est un très grand pays et d'autre part, qu'en l'espace de quelques années, nous avons fait des progrès considérables en sécurisant une grande partie du pays. Nous sommes au coeur d'une région extrêmement sensible, avec des frontières très poreuses, notamment entre le Pakistan et l'Afghanistan. Il y a d'abord eu la mise en place d'un gouvernement. Mais des problèmes demeurent notamment parce que très régulièrement, passe de la frontière pakistanaise vers l'Afghanistan, un certain nombre de personnes. C'est vrai aussi dans le sens inverse puisque certains autres se sont réfugiés au Pakistan.
Q - Vous avez rendu visite sur place aux forces spéciales. Vous y êtes allée, je crois, trois ou quatre fois.
R - Plus que cela même...
Q - En six ans, le terrorisme n'a pas baissé les armes. Est-ce que vous nous dites que l'on n'a pas renoncé à arrêter ou à retrouver Ben Laden, et est-ce que l'on a baissé les bras ? Est-ce que, un jour, on retrouvera Ben Laden et les responsables, les chefs d'Al Qaïda?
R - Ce que je voudrais dire, c'est que nous luttons et que nous essayons d'intercepter et d'arrêter tous les terroristes, qu'ils soient Taliban ou qu'ils fassent partie d'Al Qaïda. Ben Laden, j'espère qu'on l'arrêtera. Ne vous faites aucune illusion ; ce n'est pas parce que Ben Laden sera arrêté qu'Al Qaïda disparaîtra. Aujourd'hui, le terrorisme est devenu une nébuleuse. Il y a eu une sorte de 'sous-traitance' dans les groupes terroristes. Ce sont des groupes qui sont pratiquement autonomes ; certains se rattachent à Al Qaïda, ou déclarent qu'ils se rattachent à Al Qaïda, mais c'est quelque chose qui est beaucoup plus compliqué. En Afghanistan d'ailleurs, ces problèmes de terrorisme proprement dits sont également doublés par tous les problèmes du trafic de drogue. Car la drogue est un problème majeur en Afghanistan et contribue aussi à entretenir l'instabilité. Le trafic de drogue bénéficie bien entendu de cette instabilité. Tant qu'un pays n'est pas capable grâce à ses forces de police et ses forces armées de tenir l'ensemble du pays, c'est beaucoup plus facile pour les trafiquants. C'est la raison pour laquelle nous aidons les Afghans à former leurs militaires. Cela fait aussi partie des missions des troupes françaises là-bas. La FIAS mène aussi des actions de sécurisation.
Fabien Namias - Faut-il davantage de militaires français là-bas justement ?
R - Il n'en faut pas davantage. Il y a déjà un grand nombre de militaires de différents pays. Aujourd'hui, 600 militaires français participent à la force internationale [FIAS] qui est principalement sur Kaboul et autour de Kaboul. Nous avons aussi des forces spéciales qui participent à la lutte contre le terrorisme et qui sont, elles, dans la partie sud du pays. Et puis, nous avons également un certain nombre de militaires qui forment l'armée afghane. Le but, c'est bien qu'au fur et à mesure, les Afghans soient à même de prendre eux-mêmes en charge la sécurité de leur pays.
Q - Vous, vous êtes ministre de la Défense. Vous savez tellement de choses que nous ignorons. Est-ce qu'il y a une menace terroriste sur l'Europe, et peut-être sur la France ? Parce que tout le monde dit qu'il faut lutter ?
R - Bien sûr qu'il y a une menace, et depuis déjà longtemps. Aujourd'hui, aucun pays dans le monde, aucune ville et, dans une certaine mesure, plus aucun citoyen n'est à l'abri du terrorisme. Il y a eu des actions terroristes aussi bien à Londres, qu'à Madrid, Karachi, Bali, au Maroc, aux Etats-Unis. Lorsque vous entendez les déclarations qui sont faites par un certain nombre de responsables des différents groupes terroristes, vous comprenez que ce qu'ils visent, c'est finalement moins tel ou tel pays particulier que notre conception, notre vision qui est celle de la liberté, qui est celle du respect de l'homme, des droits de l'homme, qui est celle du respect des femmes. Ce sont des choses qu'ils ne peuvent pas supporter. C'est une façon de vivre, un mode de vie, des idéaux et des principes.
Q - On verra comment les combattre en dehors des moyens militaires, etc. Mais Vigipirate, il n'y a pas de raison de l'arrêter. Cela continue ?
R - Vigipirate continue parce qu'il y a une menace. Je rappelle que depuis les attentats de Londres, nous sommes en Vigipirate Rouge, c'est-à-dire un renforcement de la vigilance et des moyens qui y sont consacrés, y compris des moyens militaires, bien entendu.
Q - Vous parlez dans votre livre beaucoup et très tôt de l'Afrique. C'est vrai que c'est un continent important, en crise, etc. On va commencer par la Côte-d'Ivoire. Rien n'est réglé. Kofi Annan vient de dire qu'il n'y aura pas d'élections présidentielles le 30 octobre. Est-ce que vous le confirmez ?
R - Oui et je n'ai pas à le confirmer : il n'y aura pas d'élection le 30 octobre. Les conditions n'étaient pas réunies pour avoir à la fois, des listes électorales qui soient fiables, et pour organiser des élections sur un territoire qui est encore largement séparé et où notamment le désarmement n'a pas eu lieu. Il y a eu certes démantèlement d'un certain nombre de milices - 5 000 hommes ont été recensés, ce qui n'est pas mal - mais à partir du moment où il n'y a pas eu de désarmement, il est quasiment impossible d'organiser des élections dans des conditions normales.
Philippe Dessaint - Aujourd'hui, quelles sont les relations précises entre le président Gbagbo et Paris ? Fréquentable, pas fréquentable ? On discute ?
R - Nous avons des contacts avec le président Gbagbo, que ce soit par exemple par le biais des rencontres avec l'ambassadeur ou avec le général commandant Licorne. Ce que nous voulons, c'est parler avec tout le monde. Le rôle des forces impartiales, c'est de parler avec tout le monde pour arriver à ce qu'il y ait des accords permettant d'aller à des élections, des élections qui soient libres et crédibles.
Q - Vous les imaginez à quelle date ces élections présidentielles en Côte-d'Ivoire ?
R - C'est Antonio Monteiro, le Représentant du Secrétaire général des Nations unies pour les élections en Côte d'Ivoire, qui devra nous dire dans quel délai ces élections peuvent être organisées et à quel moment. Ce que nous souhaitons, c'est que ces élections puissent être faites dans les conditions que je viens d'expliquer, c'est-à-dire de vraies élections, qui soient reconnues par tout le monde et dans les délais les plus rapides possible. C'est ce dont a besoin la Côte-d'Ivoire.
Philippe Dessaint - Les forces françaises resteront-elles aussi longtemps qu'il le faudra ?
R - En attendant, bien entendu. Une résolution des Nations unies fixe la mission des soldats de l'ONUCI, c'est-à-dire des soldats de l'ONU, et de la force Licorne. Ce mandat va jusqu'au 24 janvier 2006. En fonction de la date qui sera fixée pour les élections, il y aura peut-être une nouvelle résolution. Si les élections ont lieu après le 24 janvier ou juste à cette période-là, on nous demandera de continuer et bien entendu, nous ne nous déroberons pas à l'obligation que nous avons et à la demande que formuleront les Nations unies.
Q - Mais vous préféreriez partir puisqu'il n'y a presque plus de ressortissants français...
R - Ce que nous souhaiterions, c'est que la situation en Côte-d'Ivoire n'exige plus notre présence ni celle des forces de l'ONUCI. Ce que nous souhaiterions, c'est que la Côte-d'Ivoire retrouve son calme, sa sérénité et bien entendu son unité. C'est indispensable en Afrique. Le jour où un pays en Afrique commence à se diviser, cela veut dire que les querelles ethniques l'ont emporté. A ce moment-là, le véritable risque, c'est de voir toute l'Afrique partir dans une crise majeure.
Q - Surtout que comme vous le dites, on voit apparaître des conflits inter-ethniques, et même des conflits de l'ère pré-coloniale. Cela veut dire que pour le moment en Côte-d'Ivoire, l'actuel président Gbagbo avec ses milices, ses commandos, peut impunément continuer à narguer la communauté internationale et les Nations unies.
R - Certainement pas. Plusieurs actions ont été menées par la communauté internationale et la dernière en date, est celle du président sud-africain M'beki que nous avons très largement appuyée. Aujourd'hui, la communauté internationale a fait plusieurs analyses et a un certain nombre de moyens. La menace de sanctions existe toujours ; la communauté internationale fait et fera pression sur les différentes parties en Côte-d'Ivoire pour arriver à ce que nous voulons, c'est-à-dire de véritables élections pour permettre à ce pays de repartir sur des bases saines.
Fabien Namias - Il y a une enquête qui a été ouverte par la justice française, enquête ouverte pour assassinats suite à la mort des militaires français tués au mois de novembre dernier en Côte-d'Ivoire. La juge d'instruction Brigitte Raynaud demande à l'armée la levée du secret défense sur certains documents. Est-ce que vous allez accorder cette levée ?
R - Cela ne pose bien évidemment aucun problème. Depuis que je suis à la tête de ce ministère, j'ai toujours essayé de jouer la transparence la plus totale, bien entendu dès lors que les intérêts majeurs ou la vie de personnes ne risquent pas d'être mis en danger. A partir du moment où un juge le demande, nous suivons la procédure normale qui passe notamment par l'avis de la commission du secret défense. Ensuite, il est évident que je donnerai mon accord pour la communication de tous les documents. Ce que je souhaite vivement, c'est que cette enquête judiciaire aboutisse effectivement à un résultat. Comme vous venez de le rappeler, nous avons eu un grand nombre de soldats tués ou blessés dans des conditions qui sont inadmissibles.
Q - Dans les grandes batailles à venir, dans 'les chênes que l'on relève', très vite les guerres de l'eau. Pourquoi les guerres de l'eau ?
R - Parce que je pense que dans les années qui viennent, ce sera et cela commence d'ailleurs déjà à l'être, un des enjeux majeurs de notre pays. Il y a aujourd'hui une augmentation considérable de la consommation d'eau avec des différences énormes entre la consommation aux Etats-Unis ou en Europe et la consommation dans d'autres pays.
Q - Vous citez 700 litres d'eau par jour pour un Américain, un Européen 200, un Africain 30, un Haïtien 20 litres d'eau ; de plus, alors qu'une dizaine de pays disposent de 60 % de la réserve d'eau douce mondiale, l'évolution climatique tend à accroître les disparités etc., augmentées par les sécheresses etc. Question de Philippe Dessaint sur ce qui nous menace.
Philippe Dessaint - Effectivement à la lecture de votre livre, on voit qu'il y a beaucoup de menaces diffuses de formes très différentes. On s'adresse au ministre des Armées : est-ce qu'au fond, l'outil - force de frappe, chars, avions - aujourd'hui, au début du 21e siècle, cela marche, cela sert encore à quelque chose ? Est-ce que l'on n'est pas dans une sorte de mythe alors que les menaces sont tout autres, sont plus diffuses, sont celles que vous évoquez, sont terroristes, liées à l'eau etc. ?
R - Oui, mais ces menaces entraînent souvent des crises. C'est aussi ce que je dis.
Philippe Dessaint - Mais plus les mêmes ?
R - Si. Et certaines crises peuvent prendre des aspects militaires ; c'est-à-dire que l'on se bat pour obtenir une réserve d'eau ou que l'on risque de se battre pour lutter contre celui qui veut capter cette réserve d'eau. Il en va de même pour ce qui concerne les sources d'énergie. Je cite le pétrole : le problème du pétrole aujourd'hui, c'est à la fois certes de protéger des lieux de production mais de plus en plus de protéger les circuits par lesquels passe le pétrole. Nous avons bien vu qu'un certain nombre d'attentats terroristes visaient justement notamment les tankers.
Q - Mais en ce qui concerne le besoin de porte-avions, de sous-marins, d'avions de chasse, de missiles, etc. ?
R - A titre d'exemple, je vous rappelle que pour l'Afghanistan, un certain nombre de porte-avions a été utilisé et notamment le Charles De Gaulle dont c'était la première campagne. Le Charles De Gaulle était le seul à même de nous permettre d'intervenir très rapidement notamment lorsque les pays voisins ne veulent pas laisser se poser d'avions de chasse chez eux. C'est donc quelque chose de beaucoup plus rapide et de beaucoup plus efficace. Ce que je crois réellement, c'est que l'on a besoin des deux ; et c'est probablement l'une des difficultés que nous avons aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il y a un certain nombre de crises qui nécessite des moyens diplomatiques bien entendu, mais également des moyens militaires.
Q - Les moyens militaires, vous dites qu'ils sont toujours nécessaires...
R - Les moyens militaires sont très souvent nécessaires. De plus, les moyens militaires eux-mêmes se diversifient car vous avez raison, on ne traite pas de la même façon une crise en Afrique et une crise dans un pays majeur ou bien la lutte contre le terrorisme. Mais le problème, c'est que comme tous ces types de crises existent, il faut avoir la capacité d'y répondre. C'est aussi la raison pour laquelle en Europe par exemple, la construction de la défense européenne est indispensable. Chaque pays ne peut pas en effet disposer de tous les moyens nécessaires.

Q - On prend un exemple : depuis le début de l'année, on nous dit que les Anglais veulent construire un porte-avions. Et nous, on veut aussi en construire un. Est-ce que l'on va le construire ensemble ?
R - Les Britanniques veulent construire plusieurs porte-avions, au minimum deux dans un premier temps ; nous, nous voulons en construire un. Ce à quoi je travaille effectivement depuis maintenant deux ans, c'est que les 'modèles' soient les plus proches possibles ; pour une raison d'interopérabilité d'abord car c'est toujours utile, mais également pour des raisons d'économie puisque bien entendu, lorsque vous faites trois fois le même travail, vous n'avez pas à refaire trois fois toutes les études préalables. Et pour vous répondre, oui, nous avançons bien avec les Britanniques.
Fabien Namias - Pour prolonger la question de Philippe. La France dispose d'une industrie forte pour l'armement, pour l'espace, pour l'aéronautique civil et militaire mais est-ce qu'elle peut continuer à faire cet effort budgétaire, financier toute seule ?
R - Elle ne peut pas continuer à le faire toute seule mais elle doit continuer à le faire ; d'abord, parce que comme vous venez de le dire, l'industrie de l'armement en France emploie des centaines de milliers de personnes, et fait vivre plus de dix mille entreprises, des grandes mais également des moyennes et des petites entreprises sur l'ensemble du territoire national. C'est une richesse. Quatre milliards d'euros rentrent chaque année en France grâce à nos exportations d'armement.
Q - Votre budget, c'est je crois le deuxième budget de l'Etat ?
R - Oui, c'est le deuxième budget de l'Etat. Et c'est un budget dans lequel, contrairement à ce qui se passe dans beaucoup d'autres budgets, ce ne sont pas les personnels qui coûtent le plus cher mais ce sont au contraire, les investissements. S'agissant des investissements, nous mettons 20 milliards d'euros dans l'économie française ; nous sommes le premier investisseur économique et cela va directement vers ces entreprises, donc vers les emplois.
Q - Est-ce que vous aidez la recherche civile qui a quelquefois des difficultés ?
R - Nous avons une recherche duale, c'est-à-dire qu'il y a des recherches purement militaires et des recherches qui sont à la fois militaires et civiles. Et très souvent d'ailleurs, les recherches militaires ont été à l'origine de découvertes qui servent directement dans le civil.
Q - Vous parlez par exemple dans votre livre - tout ministre de la Défense doit le faire - de la force de frappe : 20 % de votre budget, donc un effort très important. La force de frappe est utile pour le prestige d'un pays ou pour vraiment répondre à une menace crédible aujourd'hui après la chute du Mur ?
R - La force de frappe est nécessaire pour la protection ultime d'un pays.
Q - Par exemple aujourd'hui Madame ?
R - Aujourd'hui, un certain nombre de pays est susceptible de frapper notre pays du fait simplement que ces pays disposent d'armes de destruction massive, qu'il s'agisse de nucléaire ou qu'il s'agisse d'autres types d'armes.

Q - Exemple ?
R - Tous les pays. Ce qui se passe en Iran est effectivement extrêmement préoccupant ; non pas qu'il faille dénier à l'Iran le droit de pouvoir disposer du nucléaire à des fins civiles - l'électricité effectivement, c'est quelque chose de tout à fait justifié - mais de là à dire qu'un nouveau pays peut effectivement avoir un armement nucléaire, c'est quelque chose de très préoccupant. Vous avez plusieurs pays dans le monde dont les institutions ne sont pas complètement stables, et où il peut y avoir des risques de renversement ou de révolution.
Donc il faut une force de dissuasion française.
Intervenant - Mais c'est pour le prestige aussi d'un pays ?
R - Non. C'est d'une part, pour la propre protection de ce pays et des pays avoisinants bien entendu ; d'autre part, il est vrai que de ce fait - c'est notamment parce que la France est une puissance nucléaire qu'elle est un membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU - nous avons aussi une vraie capacité d'influence.
Q - On pourrait vous poser encore beaucoup de questions sur la défense
R - Je pourrais vous apporter beaucoup de réponses...
(.../...)
Fabien Namias - Vous lancez ce mois-ci le plan 'défense deuxième chance'. Ce sont des jeunes en grande difficulté qui seront formés dans un internat par d'anciens militaires. Justement cela participe à enrayer le déclin
Garçons et filles. En uniforme ou pas ?
R - En uniforme.
Q - Ce sont presque des militaires.
R - Non, ce ne sont pas des militaires.
Fabien Namias - C'est le boulot des militaires ? C'est aussi le boulot des militaires ?
R - Ce ne seront pas des militaires qui le feront, ce seront d'anciens militaires. Je pars de l'idée que dans notre pays, chacun doit pouvoir réussir. Et ce qui m'a frappé depuis que je suis ministre de la Défense, c'est de voir comment cette institution est capable de prendre des jeunes qui sont quasiment en situation d'échec ou qui n'ont pas de diplôme. Grâce à la formation qui leur est donnée et grâce au système de promotion sociale qui existe au sein des armées, ils peuvent y arriver. C'est-à-dire que l'on peut faire une carrière et après être parti pratiquement de rien, se retrouver général.
Fabien Namias - Cela veut dire que là où l'école a échoué, l'armée doit se substituer, c'est cela ?
R - Ce n'est pas tout à fait cela.
Disons qu'elle complète ou qu'elle prolonge les insuffisances de l'Education nationale.
Je crois qu'il y a des adaptations. Un certain nombre de jeunes a besoin non seulement d'apprendre des choses - c'est la formation - mais a également besoin d'apprendre des comportements. Et la société dans laquelle ils vivent ne les leur donne pas toujours.
Q - Alors Madame, est-ce que cela ne s'appelait pas service national, autrefois ?
R - Le service national, c'était autre chose.
Q - Oui mais c'était un creuset. On le sait bien. Il y avait un brassage social, des rencontres, une formation ; c'est peut-être ce que l'on est en train de refaire ?
R - Non, et pour plusieurs raisons. La première raison, c'est que je vous rappelle que le service national ne s'adressait qu'à des garçons.
Q - Ce n'est pas faux, nous pouvons en témoigner...
R - Voilà, exactement. Deuxièmement, le service national ne portait que sur un temps relativement limité, huit mois, six mois, parfois un an. En général, cela semblait long sur le moment et après, n'est-ce pas, vous en avez gardé de bons souvenirs.
Q - Là, ce sera combien de temps ?
R - Maintenant, ce sera un an, avec une possibilité de prolongation pour arriver à deux ans.
Q - Mais lorsqu'ils sortent, qu'est-ce qui leur arrive ?
R - De quoi s'agit-il exactement ? Il s'agit de prendre des jeunes qui sont en très grandes difficultés scolaire, sociale, professionnelle. Nous les détectons chaque année à travers la JAPD, la journée d'appel de préparation à la défense, et qui a 'remplacé' si l'on peut dire le service national. Nous leur offrons - puisque ce sont des volontaires - pendant un an, de faire une remise à niveau scolaire, de leur apprendre également à se comporter dans la vie, à se lever le matin, à vivre en groupe. Nous leur apprenons à prendre des initiatives et nous allons leur permettre de faire une première formation professionnelle, un apprentissage. Cet apprentissage leur permettra au bout d'un an soit de rentrer directement dans des entreprises, soit de faire un apprentissage approfondi. Pour un certain nombre d'entre eux, nous allons les garder une deuxième année et leur donner une formation complète. Ce que je souhaite, c'est qu'à la fin, ces jeunes trouvent un emploi et je m'appuie simplement sur l'expérience des armées. Chaque année, nous engageons 35 000 jeunes ; nous sommes le premier employeur de jeunes chaque année. Parmi ces jeunes, il y a aussi bien des polytechniciens que des jeunes sans formation. Et ce que je constate, c'est que ceux qui ne font pas une carrière totale au sein des armées et qui quittent l'armée au bout de trois, cinq ou dix ans, retrouvent à plus de 90 % un contrat en CDI dans les entreprises.
Q - Donc c'est votre idée. Elle est en train de se réaliser puisque vous allez inaugurer une première mise en place dans quelques jours et c'est d'autre part, votre contribution je pense à la lutte contre le chômage des jeunes.
R - Bien entendu. Parce que la Défense est au cur de toutes les préoccupations des Français, il nous a semblé normal de le faire. Mais je précise encore une fois que ce ne sont pas des militaires qui en seront chargés même si ce sera souvent localisé dans des sites militaires ; ceux qui seront là pour assurer cet encadrement, seront des hommes ou des femmes qui ont une aptitude, qui ont montré qu'ils savaient encadrer des jeunes avec des résultats. Ils seront d'ailleurs aux côtés de personnels de l'Education nationale.
Là nous sommes trois et nous n'oublions pas que vous avez été présidente du RPR, que vous êtes numéro trois du gouvernement et d'autre part, que vous êtes une interlocutrice ou un interlocuteur fréquent du président de la République.
Sur les questions de défense surtout.
(.../...)
Q - Oui et pour ceux qui vont porter l'étendard et le drapeau de la France dans les prochaines années, cela se joue dans les derniers jours ?
R - Encore une fois, l'étendard et le drapeau de la France, nous le portons chaque jour. Dominique de Villepin l'a porté à l'ONU au nom du président de la République ; les militaires français le portent chaque jour en Afghanistan, en Côte-d'Ivoire et sur bien d'autres théâtres d'opérations extérieures.
(.../...)
Q - Merci Madame Alliot-Marie. Chaque dimanche, 'Le grand rendez-vous', j'ai envie de dire à la semaine prochaine. Merci à vous d'être venue pour ce premier " Grand rendez-vous ". La force de rayonnement conjuguée d'Europe 1 et de TV5 vous vaudra de nombreux échos
Vous portez la voix de la France !
Voilà. Merci à vous tous, merci Madame.

(Source http://www.defense.gouv.fr, le 26 septembre 2005)