Texte intégral
Q - Catherine Colonna, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre déléguée aux Affaires européennes. Ce matin, Nicolas Sarkozy écrit une tribune dans "Les Echos" où il dit "OMC, agriculture, non au marché de dupes". La France a rappelé à l'ordre le commissaire européen Peter Mandelson. Que se passe-t-il entre la Commission européenne et la France ?
R - Nous n'avons pas de problèmes avec la Commission en général mais nous avons un problème sur un sujet précis.
Q - Un sujet précis et un homme précis, en l'occurrence le commissaire européen Peter Mandelson, un britannique assez libéral ?
R - Qui a oublié sa nationalité, puisqu'il est commissaire européen travaillant pour l'intérêt général de l'Europe. Le problème est le suivant : la semaine dernière, le commissaire qui négocie au nom de l'Union européenne a fait des propositions dans les négociations commerciales internationales. Des propositions qui sont nouvelles mais sans aucune concertation avec les Etats membres. Cela n'est pas normal. Le système est le suivant : la Commission négocie au nom de l'Union européenne dans le cadre d'un mandat qui lui est donné par le Conseil. Il faut bien sûr une latitude de négociation à l'intérieur du mandat, mais le mandat est la limite. Si on est à l'extérieur du mandat, ce n'est pas normal. La question qui se pose est de savoir si l'offre nouvelle faite par le commissaire Mandelson se situe à l'intérieur de son mandat de négociation ou va trop loin et est à l'extérieur.
Q - Le" hic" portait sur la baisse des subventions agricoles.
R - Sur le dossier agricole, la baisse des subventions et peut-être l'accès aux marchés. En tout cas, il a fait sa proposition sans en parler au préalable aux Etats membres et le paradoxe est que les pays tiers l'ont connu avant les Etats qu'il représente et dont il défend les intérêts. Le commissaire estime avoir respecté son mandat de négociation, nos propres expertises nous font douter de cela. Et sur un certain nombre de sujets précis, il y a peut-être eu, en effet, dépassement du mandat. En tout cas, les experts sont au travail et tant que la Commission n'a pas apporté la preuve qu'elle a bien respecté son mandat et que son offre se situe à l'intérieur de son mandat, il n'est pas possible d'aller de l'avant dans les négociations à Genève. C'est ce que le gouvernement a réaffirmé aujourd'hui.
Q - Vous, vous dites "stop, il faut regarder précisément". Le commissaire européen dit "Certains pays me soutiennent, des grands pays comme l'Allemagne considèrent que j'ai réussi à débloquer le dossier agricole". Est-ce que la France a le soutien de l'Allemagne ?
R - Pour le moment, il s'est plus avancé qu'il n'a reçu de contrepartie. Ce qui justifie notre vigilance. Hier, à Genève, il s'est trouvé 14 pays, comme nous, pour penser que les explications de la Commission étaient imprécises, insuffisantes, et donc que la Commission n'avait pas fait la démonstration qu'elle avait bien respecté son mandat. Ce que nous souhaitons, c'est qu'elle le respecte. Si cette preuve est apportée, tant mieux, dans le cas contraire, il faut dire que cela ne va pas.
Q - Vous, vous demandez un contrôle a priori ou a posteriori ?
R - Lorsqu'il y a une offre nouvelle, il faut s'assurer qu'elle est bien dans le cadre du mandat fixé, c'est normal. Le commissaire ne doit pas confondre la tactique et la stratégie. Bien sûr qu'à l'intérieur de son mandat, il mène la négociation, encore faut-il qu'il soit bien resté à l'intérieur de son mandat et c'est toute la question qui se pose. Chaque fois qu'il y a une négociation nouvelle ou une étape importante, il est bon de vérifier si, oui ou non, le mandat a été respecté.
Q - Catherine Colonna, vous avez été nommée ministre déléguée aux Affaires européennes le 2 juin au lendemain du référendum sur la Constitution européenne, du " non " à cette Constitution. Est-ce que finalement la France ne paye pas aujourd'hui ce "non" ? Est-ce qu'il n'y a pas un affaiblissement de la France au sein de la Commission européenne, au sein de l'Union européenne ?
R - Je ne le pense pas. Il y a, en revanche, c'est vrai, un problème en Europe, une difficulté pour les Européens à dégager l'intérêt général, une difficulté pour les Etats membres à faire des accords. C'est d'ailleurs dans ces moments - là que l'on aimerait que la Commission joue un rôle et dise aux Etats quelle est la voie à suivre. Si chacun joue son rôle en Europe, l'Europe peut fonctionner. Si on s'écarte de ce qui est la règle, cela n'ira plus. C'est un petit peu cela que nous rappelons.
Q - Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que le mot "Europe" a disparu du discours politique en France, que le gouvernement, Jacques Chirac que vous connaissez bien puisque vous avez été longtemps porte-parole de l'Elysée, a complètement rayé le mot Europe de ses propos ?
R - Vous serez surprise que non, et pas plus tard que la semaine prochaine, Les 25 chefs d'Etat et de gouvernement se réunissent près de Londres. C'est la première fois que les 25 se retrouvent au plus haut niveau depuis le Conseil européen du mois de juin. Le président fera un certain nombre de propositions. La France veut être active et constructive dans le débat européen. Nous avons beaucoup à faire pour remettre l'Europe au travail. La France a fait des propositions à la Présidence britannique sur les sujets qui intéressent nos concitoyens : le développement économique, la conciliation d'un plus grand dynamisme qui est nécessaire pour l'emploi, et en même temps la consolidation d'une dimension sociale de la construction européenne, l'énergie, - que fait-on avec le prix du pétrole qui monte ? - les questions de sécurité qui intéressent aussi nos concitoyens. Sur tous ces sujets, nous ferons des propositions.
Q - Comment expliquez-vous le bras de fer qu'a entamé le président de la République avec la Commission européenne en disant qu'elle ne se préoccupait pas du social?
R - Le mandat de la Commission, sa raison d'être, c'est de dégager l'intérêt général européen. Elle est gardienne des traités...
Q - Dans un cadre fixé... ?
R - Dans un cadre fixé qui dans un domaine social conduit à avoir des compétences. Il y a, par exemple, une directive européenne sur l'information des travailleurs, directive dont il convient de voir si elle est respectée ou non, des aides et il est normal pour la Commission, lorsqu'elle en donne et les assortit de conditions, de vérifier qu'elles soient bien respectées. C'est dans le cadre de son mandat, en plus de ce rôle d'impulsion, et pour l'intérêt général de l'Europe qui doit toujours être le sien.
Q - Catherine Colonna, deuxième sujet chaud pour vous, c'est la grippe aviaire : une simulation a eu lieu pour tester la préparation de l'Union européenne justement en vue d'une éventuelle pandémie, est ce que vous estimez que l'on a les moyens de faire face à cette grippe aviaire ?
R - C'est un sujet très sérieux et donc le gouvernement le prend très au sérieux. Aujourd'hui la situation est la suivante. Cette épidémie animale donc cette épizootie progresse. Il y a eu des cas en Turquie et en Roumanie...
Q - Oui, deux en Roumanie.
R - Et des cas qui sont encore en cours d'investigation en Croatie et en Grèce...
Q - Donc on voit bien que cela se rapproche de l'Hexagone.
R - Ce qui justifie notre vigilance, et on voit bien que cette épizootie se propage par les oiseaux migrateurs. Il faut donc être extrêmement prudent ; depuis longtemps maintenant, puisque le gouvernement a arrêté un premier plan de précautions et de protection, il y a un an, en octobre 2004. Nous considérons qu'il faut des mesures. La protection des citoyens peut être assurée par des médicaments mais aussi par des mesures de prévention d'où la mise en production de masques. Il y en aura 200 millions à la fin de cette année.
(...)
Q - Vous parliez de l'achat de masques, de 200 millions, Bruno Durieux l'ancien ministre de la Santé que j'ai eu l'autre jour parlait de 600 millions mais peut-on parler d'une mobilisation générale sur la grippe aviaire ?
R - Il y a une mobilisation générale sur la grippe aviaire qui est nécessaire. Les chiffres sont les suivants : il y aura 200 millions de masques d'ici la fin de l'année. S'il est nécessaire d'en faire plus, il y en aura plus. En tout cas, tant les autorités françaises que l'Union européenne sont mobilisées. Il y aura une réunion aujourd'hui même et demain des ministres européens de la Santé pour voir s'il faut compléter les mesures d'interdiction, surveiller davantage les élevages et les migrations...
Q - Si elle arrive en France, que se passera-t-il ?
R - Il faut prendre toutes les mesures de prudence qui s'imposeraient dans ce cas de figure avec, évidemment, des mesures d'hygiène, peut-être des recours à des masques, si la maladie se déclarait, des médicaments. Restera à mettre en production un vaccin, mais qui ne peut être mis en production qu'une fois la souche identifiée.
Q - Y a-t-il une bonne coordination des ministres des Affaires européennes, des ministres de la Santé sur le sujet de la grippe aviaire ?
R - Oui, elle existe de longue date, puisqu'il y a maintenant 4 ans que l'Union européenne avait pris les premières mesures. C'est un sujet qui est suivi régulièrement, à nouveau aujourd'hui, et qui le sera dans quelques semaines si nécessaire. Nous suivrons la progression de cette épizootie. Il ne faut ni pêcher par excès d'inquiétude, ni pêcher par excès de prudence. Regardons pas à pas ce qui se passe et, à chaque pas, ajustons nos politiques.
Q - Je disais que vous avez été nommée le 2 juin au lendemain du référendum. Pour vous, la Constitution européenne, pour l'instant, est-elle enterrée ? Vous allez en reparler à l'occasion du sommet informel qui se déroule à la fin du mois entre les chefs de gouvernement et les chefs d'Etat ?
R - Non, les 25 en parleront au printemps prochain, entre le printemps et la fin du premier semestre.
Q - Un an de digestion, presque...
R - Un an de réflexion, mais de réflexion active. C'est un autre ordre du jour pour le Conseil européen de la semaine prochaine, avec l'économie, le social, les questions énergétiques, la recherche, tout ce qui constitue les prochains défis de l'Union européenne. Les 25 n'ont pas tous pu encore ratifier la Constitution, donc pour le moment elle n'est pas en vigueur. Le processus néanmoins se poursuit
Q - Il faut qu'il se poursuive, mais enfin poétiquement...
R - Certains ont ratifié depuis le mois de juin. Il y a aujourd'hui une majorité d'Etats en Europe et même une majorité de population qui ont accepté ce traité. Les autres ont soit suspendu, soit retardé leur processus. Le point sera fait dans moins d'un an. Nous verrons quelle est la situation et les 25 prendront une décision en fonction de la situation.
Q - Reste encore un autre dossier en suspens qui n'est pas de cette importance mais qui est quand même très important pour le fonctionnement et l'ambition de la Commission européenne, c'est le budget. On sait que le budget 2007-2013 devait être adopté normalement à la fin de la Présidence luxembourgeoise, ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui. Y aura-t-il des avancées bientôt ?
R - Nous souhaitons en effet que la Présidence britannique se dépêche et réussisse. Il y a un budget de l'Union européenne aujourd'hui, nous sommes en 2005. Il y en a même un pour l'année prochaine, 2006. Mais il ne faut pas tarder à arrêter le budget suivant qui est programmé sur plusieurs années.
Q - Pour vous, Catherine Colonna, soyons francs, c'est avant la fin de l'année, quelle est l'échéance ?
R - C'est souhaitable. Il y a d'abord des délais techniques pour élaborer plus précisément les règlements juridiques budgétaires, et puis les Etats ont besoin de savoir où ils en sont.
Q - Quel montant, 1 %... 1,14 %, il y a plusieurs estimations ?
R - Le bon budget serait celui qui se situerait près de la proposition de la Présidence luxembourgeoise. Quel montant ? 871 milliards d'euros sur la période qui va de 2007 à 2013 ; avec quelques ajustements. Cela permettait, et le budget futur doit le permettre, de financer les politiques communes qui existent, de développer des politiques nouvelles, le recherche dont nous parlions tant, il le faut, la sécurité des citoyens, la politique étrangère et de sécurité commune, c'était possible, le budget le permettait, et puis de financer l'élargissement, ce dont nous avons besoin pour permettre à ces pays de nous rattraper.
Q - Pour l'instant, il faut le dire, ce n'est pas tellement le cas. Le budget de la Commission européenne a du mal à assumer le financement de l'élargissement.
R - Il avait programmé les fonds nécessaires jusqu'en 2006 inclus. Ce sera la première fois qu'un budget plein devra prendre en compte l'élargissement à 25...
Q - Ce sont justement les Britanniques qui bloquent ?
R - Sur 25, 20 pays avaient accepté la proposition luxembourgeoise. Quelques pays entraînés par la Grande-Bretagne l'avaient refusé. Il reste que les paramètres de négociation sont connus. Il n'y a pas de magie dans les chiffres. Il y aura des Etats contributeurs et des Etats bénéficiaires, et, en particulier, oui, il faudra que la Grande-Bretagne accepte de remettre en cause le calcul du "rabais" qui lui avait été consenti il y a plus de 20 ans et qui n'est plus justifié.
Q - Puisque nous parlons de la Présidence britannique, on peut déjà tirer un premier bilan de cette présidence de Tony Blair. Il est arrivé de manière un peu tonitruante, on s'est dit qu'il allait changer, secouer l'Union européenne, la Commission européenne. On a l'impression qu'il n'a pas fait grand chose, in fine.
R- Si la Présidence britannique parvient, d'ici à la fin de sa Présidence en décembre, à faire qu'un budget existe pour l'Europe, elle aura bien travaillé. Nous ne sommes qu'à mi-parcours et il est vrai que, maintenant, il faut se dépêcher.
Q - Vous voyagez beaucoup en France et en Europe pour essayer de convaincre du rôle de la France et expliquer aux Français que l'Europe a quand même des bonnes choses. Qu'avez-vous comme retour, des retours négatifs sur l'Europe ?
R - Non, l'Europe intéresse, même si, parfois, il y a des interrogations et des mécontentements, ce qui est normal. Je me déplace, en effet, autant que je peux en région pour regarder comment les choses se passent concrètement. Arrêtons de parler de l'Europe dans des débats théoriques, voire même théologiques, regardons vraiment ce qu'elle fait, là où elle nous aide, ce qu'elle pourrait faire en plus, ce qu'elle fait bien ou moins bien. Je regrette un peu que nous ne l'ayons pas fait suffisamment et donc que les Français ne sachent pas toujours très concrètement que l'Europe les aide à créer de l'emploi, à financer une activité sociale, à créer un équipement sportif... Il faut se rendre compte que nous vivons mieux avec que sans, tout simplement !
Q - Vous avez été longtemps porte-parole de l'Elysée, aujourd'hui c'est le grand retour de Jacques Chirac avec son premier déplacement à Lyon depuis son accident vasculaire. Pour vous, c'est derrière lui, cet accident, ou il restera quelques traces, notamment politiquement ?
R - Le président a eu raison, en tout cas, de se remettre en activité pleine et entière dès cette semaine quand ses médecins lui en ont donné l'autorisation. Il a raison surtout de marquer que la priorité des priorités, c'est la croissance et l'emploi.
Q - Comment vous, vous gérez au sein du gouvernement le duel Dominique de Villepin - Nicolas Sarkozy qui s'intéresse à l'OMC ?
R - Je suis un membre du gouvernement qui joue son rôle dans les Affaires européennes qui touchent à différents aspects de notre vie. Le Premier ministre est le chef d'équipe et chacun des ministres doit jouer sa partition.
Q - Merci Catherine Colonna.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2005)
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre déléguée aux Affaires européennes. Ce matin, Nicolas Sarkozy écrit une tribune dans "Les Echos" où il dit "OMC, agriculture, non au marché de dupes". La France a rappelé à l'ordre le commissaire européen Peter Mandelson. Que se passe-t-il entre la Commission européenne et la France ?
R - Nous n'avons pas de problèmes avec la Commission en général mais nous avons un problème sur un sujet précis.
Q - Un sujet précis et un homme précis, en l'occurrence le commissaire européen Peter Mandelson, un britannique assez libéral ?
R - Qui a oublié sa nationalité, puisqu'il est commissaire européen travaillant pour l'intérêt général de l'Europe. Le problème est le suivant : la semaine dernière, le commissaire qui négocie au nom de l'Union européenne a fait des propositions dans les négociations commerciales internationales. Des propositions qui sont nouvelles mais sans aucune concertation avec les Etats membres. Cela n'est pas normal. Le système est le suivant : la Commission négocie au nom de l'Union européenne dans le cadre d'un mandat qui lui est donné par le Conseil. Il faut bien sûr une latitude de négociation à l'intérieur du mandat, mais le mandat est la limite. Si on est à l'extérieur du mandat, ce n'est pas normal. La question qui se pose est de savoir si l'offre nouvelle faite par le commissaire Mandelson se situe à l'intérieur de son mandat de négociation ou va trop loin et est à l'extérieur.
Q - Le" hic" portait sur la baisse des subventions agricoles.
R - Sur le dossier agricole, la baisse des subventions et peut-être l'accès aux marchés. En tout cas, il a fait sa proposition sans en parler au préalable aux Etats membres et le paradoxe est que les pays tiers l'ont connu avant les Etats qu'il représente et dont il défend les intérêts. Le commissaire estime avoir respecté son mandat de négociation, nos propres expertises nous font douter de cela. Et sur un certain nombre de sujets précis, il y a peut-être eu, en effet, dépassement du mandat. En tout cas, les experts sont au travail et tant que la Commission n'a pas apporté la preuve qu'elle a bien respecté son mandat et que son offre se situe à l'intérieur de son mandat, il n'est pas possible d'aller de l'avant dans les négociations à Genève. C'est ce que le gouvernement a réaffirmé aujourd'hui.
Q - Vous, vous dites "stop, il faut regarder précisément". Le commissaire européen dit "Certains pays me soutiennent, des grands pays comme l'Allemagne considèrent que j'ai réussi à débloquer le dossier agricole". Est-ce que la France a le soutien de l'Allemagne ?
R - Pour le moment, il s'est plus avancé qu'il n'a reçu de contrepartie. Ce qui justifie notre vigilance. Hier, à Genève, il s'est trouvé 14 pays, comme nous, pour penser que les explications de la Commission étaient imprécises, insuffisantes, et donc que la Commission n'avait pas fait la démonstration qu'elle avait bien respecté son mandat. Ce que nous souhaitons, c'est qu'elle le respecte. Si cette preuve est apportée, tant mieux, dans le cas contraire, il faut dire que cela ne va pas.
Q - Vous, vous demandez un contrôle a priori ou a posteriori ?
R - Lorsqu'il y a une offre nouvelle, il faut s'assurer qu'elle est bien dans le cadre du mandat fixé, c'est normal. Le commissaire ne doit pas confondre la tactique et la stratégie. Bien sûr qu'à l'intérieur de son mandat, il mène la négociation, encore faut-il qu'il soit bien resté à l'intérieur de son mandat et c'est toute la question qui se pose. Chaque fois qu'il y a une négociation nouvelle ou une étape importante, il est bon de vérifier si, oui ou non, le mandat a été respecté.
Q - Catherine Colonna, vous avez été nommée ministre déléguée aux Affaires européennes le 2 juin au lendemain du référendum sur la Constitution européenne, du " non " à cette Constitution. Est-ce que finalement la France ne paye pas aujourd'hui ce "non" ? Est-ce qu'il n'y a pas un affaiblissement de la France au sein de la Commission européenne, au sein de l'Union européenne ?
R - Je ne le pense pas. Il y a, en revanche, c'est vrai, un problème en Europe, une difficulté pour les Européens à dégager l'intérêt général, une difficulté pour les Etats membres à faire des accords. C'est d'ailleurs dans ces moments - là que l'on aimerait que la Commission joue un rôle et dise aux Etats quelle est la voie à suivre. Si chacun joue son rôle en Europe, l'Europe peut fonctionner. Si on s'écarte de ce qui est la règle, cela n'ira plus. C'est un petit peu cela que nous rappelons.
Q - Est-ce que vous n'avez pas le sentiment que le mot "Europe" a disparu du discours politique en France, que le gouvernement, Jacques Chirac que vous connaissez bien puisque vous avez été longtemps porte-parole de l'Elysée, a complètement rayé le mot Europe de ses propos ?
R - Vous serez surprise que non, et pas plus tard que la semaine prochaine, Les 25 chefs d'Etat et de gouvernement se réunissent près de Londres. C'est la première fois que les 25 se retrouvent au plus haut niveau depuis le Conseil européen du mois de juin. Le président fera un certain nombre de propositions. La France veut être active et constructive dans le débat européen. Nous avons beaucoup à faire pour remettre l'Europe au travail. La France a fait des propositions à la Présidence britannique sur les sujets qui intéressent nos concitoyens : le développement économique, la conciliation d'un plus grand dynamisme qui est nécessaire pour l'emploi, et en même temps la consolidation d'une dimension sociale de la construction européenne, l'énergie, - que fait-on avec le prix du pétrole qui monte ? - les questions de sécurité qui intéressent aussi nos concitoyens. Sur tous ces sujets, nous ferons des propositions.
Q - Comment expliquez-vous le bras de fer qu'a entamé le président de la République avec la Commission européenne en disant qu'elle ne se préoccupait pas du social?
R - Le mandat de la Commission, sa raison d'être, c'est de dégager l'intérêt général européen. Elle est gardienne des traités...
Q - Dans un cadre fixé... ?
R - Dans un cadre fixé qui dans un domaine social conduit à avoir des compétences. Il y a, par exemple, une directive européenne sur l'information des travailleurs, directive dont il convient de voir si elle est respectée ou non, des aides et il est normal pour la Commission, lorsqu'elle en donne et les assortit de conditions, de vérifier qu'elles soient bien respectées. C'est dans le cadre de son mandat, en plus de ce rôle d'impulsion, et pour l'intérêt général de l'Europe qui doit toujours être le sien.
Q - Catherine Colonna, deuxième sujet chaud pour vous, c'est la grippe aviaire : une simulation a eu lieu pour tester la préparation de l'Union européenne justement en vue d'une éventuelle pandémie, est ce que vous estimez que l'on a les moyens de faire face à cette grippe aviaire ?
R - C'est un sujet très sérieux et donc le gouvernement le prend très au sérieux. Aujourd'hui la situation est la suivante. Cette épidémie animale donc cette épizootie progresse. Il y a eu des cas en Turquie et en Roumanie...
Q - Oui, deux en Roumanie.
R - Et des cas qui sont encore en cours d'investigation en Croatie et en Grèce...
Q - Donc on voit bien que cela se rapproche de l'Hexagone.
R - Ce qui justifie notre vigilance, et on voit bien que cette épizootie se propage par les oiseaux migrateurs. Il faut donc être extrêmement prudent ; depuis longtemps maintenant, puisque le gouvernement a arrêté un premier plan de précautions et de protection, il y a un an, en octobre 2004. Nous considérons qu'il faut des mesures. La protection des citoyens peut être assurée par des médicaments mais aussi par des mesures de prévention d'où la mise en production de masques. Il y en aura 200 millions à la fin de cette année.
(...)
Q - Vous parliez de l'achat de masques, de 200 millions, Bruno Durieux l'ancien ministre de la Santé que j'ai eu l'autre jour parlait de 600 millions mais peut-on parler d'une mobilisation générale sur la grippe aviaire ?
R - Il y a une mobilisation générale sur la grippe aviaire qui est nécessaire. Les chiffres sont les suivants : il y aura 200 millions de masques d'ici la fin de l'année. S'il est nécessaire d'en faire plus, il y en aura plus. En tout cas, tant les autorités françaises que l'Union européenne sont mobilisées. Il y aura une réunion aujourd'hui même et demain des ministres européens de la Santé pour voir s'il faut compléter les mesures d'interdiction, surveiller davantage les élevages et les migrations...
Q - Si elle arrive en France, que se passera-t-il ?
R - Il faut prendre toutes les mesures de prudence qui s'imposeraient dans ce cas de figure avec, évidemment, des mesures d'hygiène, peut-être des recours à des masques, si la maladie se déclarait, des médicaments. Restera à mettre en production un vaccin, mais qui ne peut être mis en production qu'une fois la souche identifiée.
Q - Y a-t-il une bonne coordination des ministres des Affaires européennes, des ministres de la Santé sur le sujet de la grippe aviaire ?
R - Oui, elle existe de longue date, puisqu'il y a maintenant 4 ans que l'Union européenne avait pris les premières mesures. C'est un sujet qui est suivi régulièrement, à nouveau aujourd'hui, et qui le sera dans quelques semaines si nécessaire. Nous suivrons la progression de cette épizootie. Il ne faut ni pêcher par excès d'inquiétude, ni pêcher par excès de prudence. Regardons pas à pas ce qui se passe et, à chaque pas, ajustons nos politiques.
Q - Je disais que vous avez été nommée le 2 juin au lendemain du référendum. Pour vous, la Constitution européenne, pour l'instant, est-elle enterrée ? Vous allez en reparler à l'occasion du sommet informel qui se déroule à la fin du mois entre les chefs de gouvernement et les chefs d'Etat ?
R - Non, les 25 en parleront au printemps prochain, entre le printemps et la fin du premier semestre.
Q - Un an de digestion, presque...
R - Un an de réflexion, mais de réflexion active. C'est un autre ordre du jour pour le Conseil européen de la semaine prochaine, avec l'économie, le social, les questions énergétiques, la recherche, tout ce qui constitue les prochains défis de l'Union européenne. Les 25 n'ont pas tous pu encore ratifier la Constitution, donc pour le moment elle n'est pas en vigueur. Le processus néanmoins se poursuit
Q - Il faut qu'il se poursuive, mais enfin poétiquement...
R - Certains ont ratifié depuis le mois de juin. Il y a aujourd'hui une majorité d'Etats en Europe et même une majorité de population qui ont accepté ce traité. Les autres ont soit suspendu, soit retardé leur processus. Le point sera fait dans moins d'un an. Nous verrons quelle est la situation et les 25 prendront une décision en fonction de la situation.
Q - Reste encore un autre dossier en suspens qui n'est pas de cette importance mais qui est quand même très important pour le fonctionnement et l'ambition de la Commission européenne, c'est le budget. On sait que le budget 2007-2013 devait être adopté normalement à la fin de la Présidence luxembourgeoise, ce n'est toujours pas le cas aujourd'hui. Y aura-t-il des avancées bientôt ?
R - Nous souhaitons en effet que la Présidence britannique se dépêche et réussisse. Il y a un budget de l'Union européenne aujourd'hui, nous sommes en 2005. Il y en a même un pour l'année prochaine, 2006. Mais il ne faut pas tarder à arrêter le budget suivant qui est programmé sur plusieurs années.
Q - Pour vous, Catherine Colonna, soyons francs, c'est avant la fin de l'année, quelle est l'échéance ?
R - C'est souhaitable. Il y a d'abord des délais techniques pour élaborer plus précisément les règlements juridiques budgétaires, et puis les Etats ont besoin de savoir où ils en sont.
Q - Quel montant, 1 %... 1,14 %, il y a plusieurs estimations ?
R - Le bon budget serait celui qui se situerait près de la proposition de la Présidence luxembourgeoise. Quel montant ? 871 milliards d'euros sur la période qui va de 2007 à 2013 ; avec quelques ajustements. Cela permettait, et le budget futur doit le permettre, de financer les politiques communes qui existent, de développer des politiques nouvelles, le recherche dont nous parlions tant, il le faut, la sécurité des citoyens, la politique étrangère et de sécurité commune, c'était possible, le budget le permettait, et puis de financer l'élargissement, ce dont nous avons besoin pour permettre à ces pays de nous rattraper.
Q - Pour l'instant, il faut le dire, ce n'est pas tellement le cas. Le budget de la Commission européenne a du mal à assumer le financement de l'élargissement.
R - Il avait programmé les fonds nécessaires jusqu'en 2006 inclus. Ce sera la première fois qu'un budget plein devra prendre en compte l'élargissement à 25...
Q - Ce sont justement les Britanniques qui bloquent ?
R - Sur 25, 20 pays avaient accepté la proposition luxembourgeoise. Quelques pays entraînés par la Grande-Bretagne l'avaient refusé. Il reste que les paramètres de négociation sont connus. Il n'y a pas de magie dans les chiffres. Il y aura des Etats contributeurs et des Etats bénéficiaires, et, en particulier, oui, il faudra que la Grande-Bretagne accepte de remettre en cause le calcul du "rabais" qui lui avait été consenti il y a plus de 20 ans et qui n'est plus justifié.
Q - Puisque nous parlons de la Présidence britannique, on peut déjà tirer un premier bilan de cette présidence de Tony Blair. Il est arrivé de manière un peu tonitruante, on s'est dit qu'il allait changer, secouer l'Union européenne, la Commission européenne. On a l'impression qu'il n'a pas fait grand chose, in fine.
R- Si la Présidence britannique parvient, d'ici à la fin de sa Présidence en décembre, à faire qu'un budget existe pour l'Europe, elle aura bien travaillé. Nous ne sommes qu'à mi-parcours et il est vrai que, maintenant, il faut se dépêcher.
Q - Vous voyagez beaucoup en France et en Europe pour essayer de convaincre du rôle de la France et expliquer aux Français que l'Europe a quand même des bonnes choses. Qu'avez-vous comme retour, des retours négatifs sur l'Europe ?
R - Non, l'Europe intéresse, même si, parfois, il y a des interrogations et des mécontentements, ce qui est normal. Je me déplace, en effet, autant que je peux en région pour regarder comment les choses se passent concrètement. Arrêtons de parler de l'Europe dans des débats théoriques, voire même théologiques, regardons vraiment ce qu'elle fait, là où elle nous aide, ce qu'elle pourrait faire en plus, ce qu'elle fait bien ou moins bien. Je regrette un peu que nous ne l'ayons pas fait suffisamment et donc que les Français ne sachent pas toujours très concrètement que l'Europe les aide à créer de l'emploi, à financer une activité sociale, à créer un équipement sportif... Il faut se rendre compte que nous vivons mieux avec que sans, tout simplement !
Q - Vous avez été longtemps porte-parole de l'Elysée, aujourd'hui c'est le grand retour de Jacques Chirac avec son premier déplacement à Lyon depuis son accident vasculaire. Pour vous, c'est derrière lui, cet accident, ou il restera quelques traces, notamment politiquement ?
R - Le président a eu raison, en tout cas, de se remettre en activité pleine et entière dès cette semaine quand ses médecins lui en ont donné l'autorisation. Il a raison surtout de marquer que la priorité des priorités, c'est la croissance et l'emploi.
Q - Comment vous, vous gérez au sein du gouvernement le duel Dominique de Villepin - Nicolas Sarkozy qui s'intéresse à l'OMC ?
R - Je suis un membre du gouvernement qui joue son rôle dans les Affaires européennes qui touchent à différents aspects de notre vie. Le Premier ministre est le chef d'équipe et chacun des ministres doit jouer sa partition.
Q - Merci Catherine Colonna.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2005)