Déclaration de M. Frédéric de Saint-Sernin, secrétaire d'Etat à l'aménagement du territoire, sur les emplois perdus par les délocalisations et les emplois créés par les implantations d'entreprises étrangères en France, sur la couverture en téléphonie mobile, sur le développement des pôles de compétitivité, Créteil le 11 mai 2005.

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Circonstance : 2ème Rencontres Entreprises et Territoires à l'Université Paris XII - Val de Marne à Créteil le 11 mai 2005

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,

C'est pour moi un réel plaisir de participer à ces 2ème « Rencontres Entreprises et Territoires » et je remercie l'Université Paris XII - Val de Marne, et plus particulièrement Monsieur Didier GIARD, chef de projet de ces rencontres et maître de conférences associé, de m'avoir invité à clôturer ces débats sur un thème ô combien d'actualité.

Je voudrais tout d'abord saluer les différents intervenants qui ont nourri ces échanges de leurs nombreuses idées et de la richesse de leur expérience. Ces échanges ont apporté des éclairages extrêmement intéressants, sur un sujet qui suscite bien sûr des inquiétudes légitimes chez nos concitoyens, mais sur lequel circule beaucoup de contrevérités et d'approximations. Le phénomène des délocalisations occupe aujourd'hui les esprits au moment où la concurrence de certains pays émergents comme la Chine s'accentue. Les entreprises françaises et européennes sont soumises à une concurrence de plus en plus forte qui nous oblige à réagir, à trouver les moyens de renforcer notre compétitivité. Le phénomène n'est pas nouveau, mais sa mondialisation et son extension à la plupart des activités renforce la perception que nous en avons. Depuis longtemps, la compétitivité d'un pays comme la France ne peut plus reposer sur les seuls prix et donc sur les coûts de production. Elle doit au contraire tirer sa force de la qualité, de l'innovation, bref de la capacité des produits et des services à se différencier.

Nous savons d'abord que les délocalisations doivent être évaluées à leur juste mesure.

Selon les experts des statistiques, de l'ordre de 4 % des investissements français à l'étranger seulement pourraient être qualifiés au sens strict de « délocalisation », c'est-à-dire la suppression d'une production et son transfert dans un autre pays. Beaucoup d'investissements à l'étranger sont appelés à tort délocalisation : le plus souvent, il s'agit pour une entreprise de s'établir dans un nouveau marché. Gardons nous par conséquent de confondre délocalisation et nouvelle localisation-conquête de marché.

N'oublions pas en même temps que les implantations dans les pays de l'Est de l'Europe ou dans les pays émergents comme la Tunisie, la Turquie ou le Maroc ont un effet « retour » sur la France. D'abord, en permettant le développement, chez nous, d'emplois hautement qualifiés (marketing, comptabilité, finances, ..). Ensuite, ces implantations nouvelles dégagent des bénéfices qui permettent aux entreprises françaises de continuer à investir, notamment en France.

Les nouveaux états membres de l'Union européenne souffrent eux aussi de délocalisations proches (en Ukraine par exemple) ou lointaines (en particulier en Chine). A cet égard, et parce que le sujet est d'actualité, l'impact réel de la fin des quotas textiles doit être mesuré de façon précise, car il est possible et même à peu près sûr, que ces pays ou ceux de l'Afrique du Nord bien plus menacés que la France, même si je ne sous estime pas l'impact de la fin des mesures de protection au plan national, pour lesquelles le Gouvernement français défend une position offensive auprès de l'Union Européenne.

J'ajoute que dans le contexte d'une économie mondialisée, qui repose sur une vraie liberté d'échanges et d'investissement, il est tout à fait réducteur de parler des délocalisations d'entreprises françaises vers des pays étrangers, sans évoquer en parallèle le phénomène inverse, à savoir les investissements étrangers en France.

Nous savons en effet que depuis 10 ans, 11 000 emplois ont été supprimés chaque année du fait des délocalisations. Mais il ne faut pas oublier que durant la même période, de l'ordre de 25 000 emplois ont été créés chaque année par les entreprises étrangères venues s'installer en France. Je suis naturellement conscient qu'il ne s'agit pas des mêmes types d'emplois. La balance reste donc largement en faveur de la France qui est, ne l'oublions pas, une des toutes premières destinations pour les investissements étrangers.

D'ailleurs aujourd'hui même, la Présidente de l'agence française pour les investissements internationaux (AFII), Madame Clara GAYMARD, vient de rendre publics, les résultats 2004 des investissements étrangers en France : 33 250 emplois ont été crées ou pérennisés. C'est le meilleur résultat depuis 2000 et le deuxième meilleur résultat depuis 10 ans. Parmi les projets les plus emblématiques d'investissements étrangers en France, citons par exemple :
- le fabricant américain de puces électroniques ATMEL qui va créer plus de 400 emplois, dans les Bouches du Rhône, pour le développement de son centre de R D ;
- l'équipementier automobile allemand Siemens VDO Automotive qui conforte ses implantations en Midi-Pyrénées ;
- ou encore, « Transcom Worldwide », filiale d'un groupe suédois, qui devrait recruter, dici 2007, 550 personnes pour son centre dappels récemment ouvert à Roanne dans la Loire.

Ces nouvelles implantations illustrent une réalité que nous avons tendance à oublier : l'Union européenne concentre à elle seule 55 % des investissements étrangers. C'est dire que la « veille Europe » a gardé de beaux restes et continue d'être un acteur économique
majeur.

Est-ce à dire que les délocalisations ne seraient qu'un épiphénomène ? Evidemment non. Il faut avoir le courage de regarder le problème en face : l'économie française et, au-delà, l'économie de l'Europe occidentale, souffre de handicaps face aux grands concurrents que sont les Etats-Unis, le Japon, l'Inde ou la Chine. A mi parcours de l'agenda de la « stratégie de Lisbonne » qui vise à faire de l'économie européenne, l'économie la plus dynamique du monde d'ici 2010, force est d'admettre que nous n'avons pas atteint pour l'instant nos objectifs. Les chefs d'Etat et de Gouvernement européens réunis en mars dernier à Bruxelles en ont convenu.

Alors, quelle politique pour améliorer la compétitivité de nos territoires ?

Avec Gilles de ROBIEN, nous revendiquons pour l'aménagement du territoire la double référence à la solidarité et à la compétitivité. Il nous paraît indispensable de fonder sur ces deux piliers la politique d'aménagement et de développement du territoire que nous voulons promouvoir dans une France décentralisée et ouverte sur l'Europe, avec un Etat garant dela cohésion, mais aussi libérateur d'énergies pour la croissance et l'emploi. Notre vision de l'attractivité repose donc sur :
- la capacité à préparer les territoires afin d'accueillir ou maintenir des activités économiques ;
- la promotion d'une « offre territoriale » auprès des décideurs économiques, adaptée à leurs attentes.

L'attractivité d'un territoire pour des entreprises est le résultat de multiples facteurs, parmi lesquels leur capacité d'échanges d'informations et de biens. Je voudrais évoquer quelques unes des initiatives que nous avons prises en la matière.

=> Concernant l'accès au haut débit et la couverture en téléphonie mobile, l'engagement du Gouvernement a été constant depuis 3 ans et nous avons veillé à ce que les décisions prises remplissent leur objectif d'aménagement du territoire, qu'elles soient d'ordre législatif, contractuel et bien sûr financier. Les résultats sont tangibles et sont reconnus par nos partenaires européens eux-mêmes.

Dores et déjà, nous pouvons dresser un bilan très positif des efforts entrepris : entre fin 2002 et fin 2004, la proportion de la population nationale desservie par une offre d'accès Internet haut et moyen débit est passée de 62 % à 90 %. Tout le territoire a donc accès progressivement au haut débit. Au-delà de cette progression totale, on peut noter que près de la moitié des Français dispose de plusieurs offres d'accès et peuvent bénéficier ainsi des effets positifs de la concurrence sur les tarifs et l'offre des services. Pour ce qui est de la téléphonie mobile, 85 % des départements ont signé un accord avec les opérateurs en vue de couvrir les fameuses « zones blanches », où il n'est toujours pas possible d'utiliser son téléphone portable.

Dici 2007, le « haut débit » pour tous deviendra réalité, alors que le réseau de téléphone mobile couvrira 99 % de la population française. Nous mettons actuellement, Gilles de ROBIEN et moi-même, tout en uvre pour parvenir à cet objectif fixé par le Président de la République.

=> La volonté de doter nos territoires des atouts qui leur permettront d'être attractifs et compétitifs a également amené le Gouvernement à accompagner un réseau d'infrastructures de transport adapté aux enjeux de la mondialisation et de l'élargissement de l'Union européenne à l'Est.
C'est pourquoi, notre politique des transports doit aujourd'hui concilier plusieurs objectifs : le développement économique, l'attractivité des territoires dans une Europe élargie et la prise en compte des enjeux environnementaux globaux et locaux.
Je voudrais ici, si vous me le permettez, rappeler l'importance des décisions prises au comité interministériel à l'aménagement et au développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003. Le Gouvernement n'a pas seulement refondé notre politique des transports et arrêté les cartes d'équipement en infrastructures à l'horizon 2025, il a aussi mobilisé les financements nécessaires.
Gilles de ROBIEN a installé le 1er février dernier l'agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF), structure de financement qui apporte la part de l'État dans le tour de table financier des grands projets d'infrastructures de transport qu'ils soient routiers, ferroviaires, fluviaux, portuaires ou maritimes. D'ici 2012, cela représente 7,5 milliards d'euros de crédits de l'Etat et au total environ 20 milliards d'euros de travaux.
Il faut par ailleurs souligner qu'une partie de ces projets est reconnue d'intérêt communautaire et pourra être cofinancée par l'Union européenne.

=> Pour renforcer le potentiel industriel français et créer les conditions propices à l'émergence de nouvelles activités à forte visibilité internationale, le Gouvernement a par ailleurs arrêté une nouvelle stratégie industrielle, fondée notamment sur le développement de pôles de compétitivité. Cette stratégie repose sur un partenariat actif entre les industriels, les centres de recherche et les organismes de formation initiale et continue. Plusieurs projets de pôles de compétitivité ont illustré vos échanges de l'après-midi : « pôle tourisme Biarritz - Côte Basque », « pôle bijouterie-joaillerie-orfèverie », « pôle system@tic », « pôle Vestapolis »; je n'ai donc pas besoin de revenir sur la motivation propre de ces pôles. Je dirais simplement que cette stratégie fait de la recherche et de l'innovation technologique un objectif essentiel. Tout l'enjeu des pôles de compétitivité est bien de créer les conditions favorables à l'émergence et au renforcement d'activités ayant une forte visibilité internationale. En un mot, nous avons l'obligation de préserver la place de la France parmi les grandes puissances industrielles et permettre de créer les emplois que cela implique.
Lancé à la fin du mois de novembre dernier, l'appel à projets a suscité une mobilisation d'une ampleur inattendue : 105 projets ont été déposés. Nous devons le voir, il me semble, comme un révélateur : celui d'une envie de créer, de porter des projets innovants capables de permettre à notre industrie de rester dans la compétition mondiale.
Ces dossiers de candidature déposés le 28 février dernier font l'objet actuellement d'une triple évaluation.

La première a été menée par les préfets de région, s'appuyant sur les services déconcentrés de l'Etat. Cette évaluation porte sur la qualité des partenariats présentés par les candidats.

La deuxième évaluation, plus technique, repose sur l'analyse de plus de 140 experts des différents ministères représentés au sein du Groupe de Travail Interministériel. Elle s'achève cette semaine.

Enfin, un troisième niveau d'évaluation est confié à un groupe de personnalités qualifiées, composé d'industriels, de scientifiques de renom, de financiers. Ce groupe donnera un avis sur l'ensemble des projets, notamment la visibilité internationale de chacun d'entre eux. Il rendra ses conclusions fin juin prochain afin que le Gouvernement puisse, dans la mesure du possible, désigner les premiers pôles de compétitivité avant l'été.

Il n'est pas question pour autant de délaisser les autres centres d'activités. Des politiques complémentaires d'accompagnement sont en effet nécessaires pour stimuler des ensembles industriels de taille plus modeste, mais qui témoignent de cette excellence territoriale que la politique d'aménagement du territoire entend soutenir et développer. Cela constitue aussi un enjeu pour l'économie et l'emploi de nos régions. C'est pourquoi avec Gilles de ROBIEN, nous avons formulé des propositions en ce sens au Premier ministre qui devrait confirmer très prochainement que la démarche du CIADT du 14 septembre 2004 serait renforcée vers ce qu'il convient d'appeler « les pôles d'excellence ».
Le niveau d'exigence élevé restera requis pour ce qui concerne l'implication des entreprises, l'identification de projets de coopération entre entreprises, les centres de recherche et les organismes de formation ou encore la qualité de la définition d'une stratégie de développement commune

En revanche, les conditions portant sur la visibilité internationale et le champ des activités innovantes, seront adaptées pour identifier les projets que le Gouvernement souhaitera accompagner, en relation avec les collectivités territoriales.
Ces dynamiques, jouant un rôle essentiel dans la structuration de l'économie régionale ou interrégionale, justifient en effet une approche partenariale avec les collectivités territoriales dont la Région. L'approche au cas par cas répond au souci d'apporter un appui adapté de l'Etat, se positionnant en partenaire des acteurs, des collectivités, des réseaux existants ou des actions conduites (formation continue, transferts de technologie,...).

Ces réseaux industriels, qu'ils s'affirment à l'échelle locale ou internationale, sont essentiels pour la création d'emplois et l'animation économique des territoires. Il est possible en effet de rendre nos entreprises plus compétitives en renforçant la coopération entre les grandes entreprises et les PME, en recherchant également une meilleure complémentarité dans les outils de veille technologique et de production.

=> Mais au-delà, nous sommes conscients que des territoires plus fragiles, moins attractifs ont besoin de se différencier. Le soutien direct aux entreprises, qu'elle que soit sa forme (conseil, accompagnement financier) constitue un levier. Dans le respect d'une saine gestion des deniers publics, les pouvoirs publics (Etat et collectivités) ne doivent pas se priver de cette possibilité d'intervention, sous peine de pénaliser lourdement l'attractivité de la France. C'est pourquoi avec Gilles de ROBIEN, nous nous sommes opposés fermement au projet de la Commission européenne présenté mi-2004 qui visait à restreindre très fortement les capacités de soutien des pouvoirs publics français vis-à-vis des grandes entreprises.
Dans ces conditions, je suis particulièrement attaché à ce que notre ministère puisse poursuivre ses interventions via la prime d'aménagement du territoire, afin de soutenir les implantations d'entreprises créatrices d'emplois qui entrent dans nos objectifs de développement du territoire.
Ainsi pour 2005, les grands projets d'investissement et de créations d'emplois, de même que les projets de moins grande envergure, mais tout aussi structurants, seront privilégiés. Les territoires qui seront labellisés « pôles de compétitivité » ou les territoires fragilisés économiquement seront aussi dans le cur de cible des interventions de la PAT.

L'attractivité est nécessaire mais non suffisante ; c'est pourquoi, elle doit être « démultipliée » par une capacité de promotion. C'est notamment le rôle de deux intervenants complémentaires dans leur fonction : l'agence française pour les investissements internationaux (AFII) et les agences régionales de développement. J'ai déjà évoqué les résultats 2004 présentés par l'AFII. Outre sa mission de promotion, l'AFII dispose de la capacité à apprécier la demande des entreprises. Sa mission est également de conseiller le Gouvernement en matière d'attractivité. Le deuxième séminaire gouvernemental, qui s'est tenu le 7 février dernier, confirme la mobilisation du Gouvernement dans ce domaine. Il s'est penché tout particulièrement sur les moyens d'améliorer l'accueil des étudiants étrangers et des chercheurs de renommée internationale, ainsi que sur la capacité de la France à attirer davantage les « fonctions stratégiques » des entreprises.

Si l'AFII dispose de la capacité à apprécier la demande des entreprises, seuls des acteurs proches du terrain ont celle de proposer une offre adaptée : les agences de développement économique remplissent cette fonction essentielle, en lien avec d'autres partenaires locaux notamment consulaires. Dès l'origine, la DATAR a soutenu un réseau très directement opérationnel. Le contexte a changé, mais le besoin d'Etat se fait encore sentir.

Voilà, mesdames et messieurs, ce que la politique d'aménagement du territoire s'efforce de faire pour renforcer l'attractivité et la compétitivité de notre pays. Il va sans dire que notre action, transversale par nature, doit être envisagée en parallèle avec ce qui est mené en matière d'éducation et de formation, de recherche mais aussi de modernisation du marché du travail, d'adaptation des services publics, de fiscalité. La compétitivité d'une économie est un tout.

Je vous remercie.

(Source http://www.equipement.gouv.fr, le 13 mai 2005)