Texte intégral
Q - (sur la nomination de M. Barnier)
R - Je suis très touché - et je veux le dire en direct à ceux qui nous écoutent - de la confiance que me témoignent le président de la République et le Premier ministre. Je suis aussi très fier, d'une certaine manière, de prendre le relais de Dominique de Villepin au Quai d'Orsay, lui qui a su gérer, animer ce ministère avec talent, de l'intelligence et beaucoup d'énergie. Je suis très heureux de retrouver cette famille, cette maison qu'est le Quai d'Orsay, que je connais puisque j'ai eu la chance d'être ministre des Affaires européennes pendant deux ans, et de retrouver des hommes et des femmes, à Paris, mais aussi dans tous les postes diplomatiques et consulaires partout dans le monde, qui sont des gens de très grande qualité, très passionnés par ce qu'ils font.
Je n'arrive pas seul, c'est une équipe que je vais animer avec Claudie Haigneré et Xavier Darcos qui rejoignent le Quai d'Orsay, avec Renaud Muselier. Nous allons faire une équipe pour animer cette diplomatie de manière enthousiaste et déterminée dans les années qui viennent.
Ce gouvernement est un gouvernement d'action, et c'est dans cet esprit que j'entre à la tête de la diplomatie française, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, pour continuer, comme l'a fait Dominique de Villepin, avec mon tempérament, avec ma valeur ajoutée, l'action diplomatique.
Q - Si le défi majeur du nouveau gouvernement auquel vous appartenez est un défi économique et social, votre champ de responsabilité n'en sera pas moins important dans la restauration d'une crédibilité globale. Quelles sont vos priorités au Quai d'Orsay ?
R - Naturellement, vous ne serez pas surpris que je place au cur de ma priorité dans l'action extérieure de la France la construction européenne qui se trouve à un moment extrêmement passionnant et grave. J'ai consacré à cette construction les cinq dernières années de ma vie publique. Nous avons beaucoup travaillé sur la Constitution européenne. Je dis "grave" car, on le voit bien, l'inquiétude s'accroît, notamment avec les attentats de Madrid. Dans ce moment-là, comme l'a voulu le président de la République - et c'est probablement la raison principale pour laquelle il m'a demandé de venir à ses côtés avec Jean-Pierre Raffarin pour prendre en charge la diplomatie française -, je pense que la priorité sera la construction européenne avec une idée : renforcer la présence, l'influence de la France, la place de la France dans le projet européen. Je rappelle que nous sommes l'un des six pays fondateurs de ce projet européen. Peut-être il faudra faire en sorte aussi que les Français s'approprient davantage ce projet, réduire la fracture démocratique de ce projet qui reste l'un des plus beaux projets politique.
Si la politique signifie que l'on fabrique du progrès, la stabilité de la paix plutôt que d'entretenir des conflits, alors le projet européen à l'échelle du continent européen est le plus grand projet politique. Alors, je voudrais qu'il soit mieux compris et donc prendre un certain nombre d'initiatives très concrètes : aller parler du monde, parler de l'Europe avec les Français, non pas aux Français, mais aller parler avec eux.
Voilà ma première priorité. La seconde, vous avez observé que, depuis deux ans en particulier, la France a été extrêmement présente, active pour aider à la résolution de crises internationales. Je ne parle seulement de la crise la plus grave qui est celle de l'Irak, mais également, celles qui ont eu lieu après les attentats terribles de Washington et de New York, celles de l'Afrique aussi. La France a fait entendre une voix forte, celle du président de la République et celle, singulière de Dominique de Villepin. Une voix forte, mais respectée et singulière, et mon idée est que nous continuions cette exigence d'actions pour aider, avec d'autres, à la résolution des crises dans le monde. Cette exigence d'action sera la marque de la diplomatie française.
Enfin, la troisième priorité : la présence de la France, l'influence de la France, ce n'est pas seulement être présent dans les crises, c'est agir sur le plan du commerce, de la culture, de la langue, de l'écologie, avoir une diplomatie sur tous ces fronts. Donc, de ce point de vue, en m'appuyant sur les agents du quai d'Orsay, qu'ils soient à Paris ou ailleurs, je voudrais renforcer ce ministère, c'est-à-dire faire l'outil d'influence français sur tous les plans dans le monde.
Q - Vous allez donc expliquer l'Europe aux Français. Certes, il vous faudra aussi l'expliquer à vos collègues ministres. Quelle sera votre attitude sur l'un des dossiers qui a le plus fâché la France avec la Commission de Bruxelles durant l'année écoulée, ce sont ces fameux déficits. Allez-vous dire à M. Sarkozy, à M. Raffarin : on ne plaisante, plus, on rentre "dans les clous" arrêtés par le pacte de stabilité ?
R - Et quand bien même nous n'aurions pas le pacte de stabilité, la monnaie unique nous protège, mutualise les risques au niveau européen. Expliquons bien que s'il n'y avait pas cette monnaie qui nous protège, probablement nous aurions des difficultés plus grandes et des dévaluations en France et dans d'autres pays. Quand bien même il n'y aurait pas cette monnaie unique ou le pacte de stabilité que vous évoquez, nous serions obligés de réduire nos déficits. Les déficits, ce sont des impôts pour nos enfants. La dette - 63 % aujourd'hui - est insupportable si l'on pense aux générations futures. Donc, oui, nous devons continuer à réduire ces déficits. C'est une chose de décider de les réduire, cela en est une autre de dire dans quel délai. Et personnellement, j'ai toujours plaidé et je continuerai à le faire -, je l'ai fait comme commissaire européen, je le ferai comme ministre français -, pour un peu plus de flexibilité et de souplesse, un peu plus de pragmatisme dans le pacte de stabilité. Probablement, nous allons devoir travailler avec les autres pays à une adaptation, à une modernisation de ce pacte, par exemple, pour mieux tenir compte de la conjoncture. Moi, j'ai toujours été frappé que les pays qui avaient 4 % de croissance, - c'était la France du temps de M. Jospin -, n'aient pas mieux utilisé cette croissance pour faire des réserves plutôt que de faire des dépenses, pour prévoir l'avenir et pour le préparer. Nous avons donc besoin de réfléchir à cette adaptation du pacte mais nous avons également besoin, pour préserver, pour protéger nos enfants, nos petits-enfants, pour ne pas les assommer d'impôts contre leur gré, de réduire la dette et le déficit de la France.
Q - Il y a un autre dossier qui va vous arriver dans les mains, ce sont les relations entre la France et les Etats-Unis. Dans quelques semaines, le président Bush va venir en France, il y a les cérémonies du 60ème anniversaire du débarquement. Dans quel état d'esprit arrivez-vous dans ce conflit, Dominique de Villepin a été un peu l'homme qui a mis "le feu aux poudres" entre les deux côtés de l'Atlantique. Quel est votre état d'esprit ?
R - Dominique de Villepin a dit avec beaucoup de force, beaucoup d'intelligence ce que je crois, et naturellement ce que pense et dit le président de la République. Il l'a fait avec courage aux Nations unies. Il a d'ailleurs dit une chose que les Américains comprennent et vont comprendre : c'est qu'il faut une autre organisation du monde. On ne peut pas avoir, dans le monde d'aujourd'hui, - qui comptait deux grandes supers-puissances il y a 15 ans, l'URSS et les Etats-Unis -, une seule super-puissance et tout autour, le désordre.
Vraiment, je plaiderai et je travaillerai pour ce partenariat avec les Etats-Unis, pour refonder, renouer cette alliance durable avec nos amis américains. Mais, pour moi, l'alliance n'est pas l'allégeance, c'est une alliance plus équilibrée qui doit être construite avec des pôles. Voilà qui justifie ou qui plaide pour que l'on organise l'Europe, non pas seulement comme une puissance régionale, mais comme une puissance mondiale capable d'être à la table de ceux qui organisent le monde de manière plus pacifique et plus stable.
Q - Il faut donc un nouveau pacte, que les gens se rencontrent et mettent à plat ces relations transatlantiques ?
R - Probablement, il faut se parler mais le dialogue a repris, le président des Etats-Unis va venir en France dans une occasion importante et le dialogue existe.
J'ai un jour travaillé sur l'idée du pari de la confiance. Il faut que les Américains fassent confiance à l'Europe et que cette confiance soit bien sûr réciproque. Mais la confiance encore une fois, c'est comme l'alliance, cela ne signifie pas l'allégeance.
Q - L'élection du parlement européen le 13 juin sera, pour l'Europe élargie, un rendez-vous démocratique très important et en France, pour le gouvernement, cela va être un nouveau rendez-vous à risque car jusqu'à présent, l'horizon européen est peu motivant. En quoi les Français auraient-ils raison de croire à l'Europe et de voter pour l'Europe ?
R - Il s'agit de voter pour le projet européen, pour des institutions avec 78 députés européens. Le Parlement européen est la seule institution élue démocratiquement et directement par les citoyens. Elle a un rôle très important. Ce n'est pas la Commission européenne qui décide de la plupart des textes européens, elle ne fait que les proposer. Et qui les décide ? Les ministres d'un côté, et les parlementaires européens de l'autre, qui ont un rôle de codécision au moins aussi important à Strasbourg qu'est celui d'un député français à Paris, sinon plus.
Nous allons devoir expliquer à quoi sert un député européen. Et j'observe d'ailleurs que Jean-Pierre Raffarin a décidé de changer, et heureusement, l'élection de ces députés européens qui seront élus, pour la première fois, dans de grandes circonscriptions inter-régionales, donc plus près des citoyens. On va pouvoir connaître ces députés européens et leur demander des comptes.
Q - Et comment s'organisera le débat ? Il y aura le mode scrutin régionalisé, le débat sera-t-il national ou régional ? on ne voit pas comment peut se nouer un débat européen dans ces conditions.
R - Pourquoi avoir peur de l'innovation ? Nous avons tellement regretté que les députés soient loin, que les institutions soient éloignées des citoyens. Voilà qui rapproche l'élection des députés européens. Il y aura huit grandes circonscriptions sur la base d'ailleurs de régions qui travaillent déjà ensemble. Les cinq régions du grand Est travaillent ensemble, Rhône-Alpes et PACA travaillent ensemble, il y a donc une logique géographique et politique à ces grandes régions et bien sûr, il y aura une campagne nationale.
Q - Ce qui n'a pas eu lieu pour les régionales ?
R - Oui, mais c'est d'une autre élection dont nous parlons. Expliquer l'Europe aux Français, expliquer les institutions européennes, expliquer que nous ne sommes pas en train de construire une nation européenne ou un super Etat européen, mais une Europe unie et pas uniforme et expliquer aussi que c'est l'intérêt des Français que de ne pas être seuls.
J'ai l'intention de prendre ma part à cette élection européenne comme ministre des Affaires étrangères et européennes. J'ai l'intention d'aller expliquer ce que je crois, ce que j'ai fait, comment les choses fonctionnent, de le dire, et je vous promets que, dans les années qui viennent, avec les autres membres du gouvernement, avec les députés européens, avec les commissaires, nous ferons ce travail.
Q - Mais, Michel Barnier, n'est-ce pas un peu tard tout de même à quelques jours des élections européennes, ce travail n'aurait-il pas du être fait avant et de manière intensive ?
R - Ne me demandez pas de rattraper, en l'espace de quelque semaines en effet, 50 ans une forme de silence. Je l'ai dit souvent, et je vais le répéter comme ministre, nous avons probablement construit l'Europe pour les citoyens mais sans les citoyens. Nous avons donc une occasion, un grand débat démocratique dans toutes les régions européennes et je vais prendre ma part à ce débat pour expliquer - c'est l'intérêt des Français - qu'au-delà de la morale et de la politique, sur un certain nombre de sujets, pas sur tous les sujets, la sécurité maritime, la politique agricole, la politique régionale, la sécurité, la lutte contre l'immigration clandestine, la lutte contre les réseaux, les mafias, nous ne pouvons agir chacun chez soi, chacun pour soi et c'est une faute que de vouloir se recroqueviller. Agir ensemble donne davantage de force et je le pense davantage d'influence.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 avril 2004)
R - Je suis très touché - et je veux le dire en direct à ceux qui nous écoutent - de la confiance que me témoignent le président de la République et le Premier ministre. Je suis aussi très fier, d'une certaine manière, de prendre le relais de Dominique de Villepin au Quai d'Orsay, lui qui a su gérer, animer ce ministère avec talent, de l'intelligence et beaucoup d'énergie. Je suis très heureux de retrouver cette famille, cette maison qu'est le Quai d'Orsay, que je connais puisque j'ai eu la chance d'être ministre des Affaires européennes pendant deux ans, et de retrouver des hommes et des femmes, à Paris, mais aussi dans tous les postes diplomatiques et consulaires partout dans le monde, qui sont des gens de très grande qualité, très passionnés par ce qu'ils font.
Je n'arrive pas seul, c'est une équipe que je vais animer avec Claudie Haigneré et Xavier Darcos qui rejoignent le Quai d'Orsay, avec Renaud Muselier. Nous allons faire une équipe pour animer cette diplomatie de manière enthousiaste et déterminée dans les années qui viennent.
Ce gouvernement est un gouvernement d'action, et c'est dans cet esprit que j'entre à la tête de la diplomatie française, sous l'autorité du président de la République et du Premier ministre, pour continuer, comme l'a fait Dominique de Villepin, avec mon tempérament, avec ma valeur ajoutée, l'action diplomatique.
Q - Si le défi majeur du nouveau gouvernement auquel vous appartenez est un défi économique et social, votre champ de responsabilité n'en sera pas moins important dans la restauration d'une crédibilité globale. Quelles sont vos priorités au Quai d'Orsay ?
R - Naturellement, vous ne serez pas surpris que je place au cur de ma priorité dans l'action extérieure de la France la construction européenne qui se trouve à un moment extrêmement passionnant et grave. J'ai consacré à cette construction les cinq dernières années de ma vie publique. Nous avons beaucoup travaillé sur la Constitution européenne. Je dis "grave" car, on le voit bien, l'inquiétude s'accroît, notamment avec les attentats de Madrid. Dans ce moment-là, comme l'a voulu le président de la République - et c'est probablement la raison principale pour laquelle il m'a demandé de venir à ses côtés avec Jean-Pierre Raffarin pour prendre en charge la diplomatie française -, je pense que la priorité sera la construction européenne avec une idée : renforcer la présence, l'influence de la France, la place de la France dans le projet européen. Je rappelle que nous sommes l'un des six pays fondateurs de ce projet européen. Peut-être il faudra faire en sorte aussi que les Français s'approprient davantage ce projet, réduire la fracture démocratique de ce projet qui reste l'un des plus beaux projets politique.
Si la politique signifie que l'on fabrique du progrès, la stabilité de la paix plutôt que d'entretenir des conflits, alors le projet européen à l'échelle du continent européen est le plus grand projet politique. Alors, je voudrais qu'il soit mieux compris et donc prendre un certain nombre d'initiatives très concrètes : aller parler du monde, parler de l'Europe avec les Français, non pas aux Français, mais aller parler avec eux.
Voilà ma première priorité. La seconde, vous avez observé que, depuis deux ans en particulier, la France a été extrêmement présente, active pour aider à la résolution de crises internationales. Je ne parle seulement de la crise la plus grave qui est celle de l'Irak, mais également, celles qui ont eu lieu après les attentats terribles de Washington et de New York, celles de l'Afrique aussi. La France a fait entendre une voix forte, celle du président de la République et celle, singulière de Dominique de Villepin. Une voix forte, mais respectée et singulière, et mon idée est que nous continuions cette exigence d'actions pour aider, avec d'autres, à la résolution des crises dans le monde. Cette exigence d'action sera la marque de la diplomatie française.
Enfin, la troisième priorité : la présence de la France, l'influence de la France, ce n'est pas seulement être présent dans les crises, c'est agir sur le plan du commerce, de la culture, de la langue, de l'écologie, avoir une diplomatie sur tous ces fronts. Donc, de ce point de vue, en m'appuyant sur les agents du quai d'Orsay, qu'ils soient à Paris ou ailleurs, je voudrais renforcer ce ministère, c'est-à-dire faire l'outil d'influence français sur tous les plans dans le monde.
Q - Vous allez donc expliquer l'Europe aux Français. Certes, il vous faudra aussi l'expliquer à vos collègues ministres. Quelle sera votre attitude sur l'un des dossiers qui a le plus fâché la France avec la Commission de Bruxelles durant l'année écoulée, ce sont ces fameux déficits. Allez-vous dire à M. Sarkozy, à M. Raffarin : on ne plaisante, plus, on rentre "dans les clous" arrêtés par le pacte de stabilité ?
R - Et quand bien même nous n'aurions pas le pacte de stabilité, la monnaie unique nous protège, mutualise les risques au niveau européen. Expliquons bien que s'il n'y avait pas cette monnaie qui nous protège, probablement nous aurions des difficultés plus grandes et des dévaluations en France et dans d'autres pays. Quand bien même il n'y aurait pas cette monnaie unique ou le pacte de stabilité que vous évoquez, nous serions obligés de réduire nos déficits. Les déficits, ce sont des impôts pour nos enfants. La dette - 63 % aujourd'hui - est insupportable si l'on pense aux générations futures. Donc, oui, nous devons continuer à réduire ces déficits. C'est une chose de décider de les réduire, cela en est une autre de dire dans quel délai. Et personnellement, j'ai toujours plaidé et je continuerai à le faire -, je l'ai fait comme commissaire européen, je le ferai comme ministre français -, pour un peu plus de flexibilité et de souplesse, un peu plus de pragmatisme dans le pacte de stabilité. Probablement, nous allons devoir travailler avec les autres pays à une adaptation, à une modernisation de ce pacte, par exemple, pour mieux tenir compte de la conjoncture. Moi, j'ai toujours été frappé que les pays qui avaient 4 % de croissance, - c'était la France du temps de M. Jospin -, n'aient pas mieux utilisé cette croissance pour faire des réserves plutôt que de faire des dépenses, pour prévoir l'avenir et pour le préparer. Nous avons donc besoin de réfléchir à cette adaptation du pacte mais nous avons également besoin, pour préserver, pour protéger nos enfants, nos petits-enfants, pour ne pas les assommer d'impôts contre leur gré, de réduire la dette et le déficit de la France.
Q - Il y a un autre dossier qui va vous arriver dans les mains, ce sont les relations entre la France et les Etats-Unis. Dans quelques semaines, le président Bush va venir en France, il y a les cérémonies du 60ème anniversaire du débarquement. Dans quel état d'esprit arrivez-vous dans ce conflit, Dominique de Villepin a été un peu l'homme qui a mis "le feu aux poudres" entre les deux côtés de l'Atlantique. Quel est votre état d'esprit ?
R - Dominique de Villepin a dit avec beaucoup de force, beaucoup d'intelligence ce que je crois, et naturellement ce que pense et dit le président de la République. Il l'a fait avec courage aux Nations unies. Il a d'ailleurs dit une chose que les Américains comprennent et vont comprendre : c'est qu'il faut une autre organisation du monde. On ne peut pas avoir, dans le monde d'aujourd'hui, - qui comptait deux grandes supers-puissances il y a 15 ans, l'URSS et les Etats-Unis -, une seule super-puissance et tout autour, le désordre.
Vraiment, je plaiderai et je travaillerai pour ce partenariat avec les Etats-Unis, pour refonder, renouer cette alliance durable avec nos amis américains. Mais, pour moi, l'alliance n'est pas l'allégeance, c'est une alliance plus équilibrée qui doit être construite avec des pôles. Voilà qui justifie ou qui plaide pour que l'on organise l'Europe, non pas seulement comme une puissance régionale, mais comme une puissance mondiale capable d'être à la table de ceux qui organisent le monde de manière plus pacifique et plus stable.
Q - Il faut donc un nouveau pacte, que les gens se rencontrent et mettent à plat ces relations transatlantiques ?
R - Probablement, il faut se parler mais le dialogue a repris, le président des Etats-Unis va venir en France dans une occasion importante et le dialogue existe.
J'ai un jour travaillé sur l'idée du pari de la confiance. Il faut que les Américains fassent confiance à l'Europe et que cette confiance soit bien sûr réciproque. Mais la confiance encore une fois, c'est comme l'alliance, cela ne signifie pas l'allégeance.
Q - L'élection du parlement européen le 13 juin sera, pour l'Europe élargie, un rendez-vous démocratique très important et en France, pour le gouvernement, cela va être un nouveau rendez-vous à risque car jusqu'à présent, l'horizon européen est peu motivant. En quoi les Français auraient-ils raison de croire à l'Europe et de voter pour l'Europe ?
R - Il s'agit de voter pour le projet européen, pour des institutions avec 78 députés européens. Le Parlement européen est la seule institution élue démocratiquement et directement par les citoyens. Elle a un rôle très important. Ce n'est pas la Commission européenne qui décide de la plupart des textes européens, elle ne fait que les proposer. Et qui les décide ? Les ministres d'un côté, et les parlementaires européens de l'autre, qui ont un rôle de codécision au moins aussi important à Strasbourg qu'est celui d'un député français à Paris, sinon plus.
Nous allons devoir expliquer à quoi sert un député européen. Et j'observe d'ailleurs que Jean-Pierre Raffarin a décidé de changer, et heureusement, l'élection de ces députés européens qui seront élus, pour la première fois, dans de grandes circonscriptions inter-régionales, donc plus près des citoyens. On va pouvoir connaître ces députés européens et leur demander des comptes.
Q - Et comment s'organisera le débat ? Il y aura le mode scrutin régionalisé, le débat sera-t-il national ou régional ? on ne voit pas comment peut se nouer un débat européen dans ces conditions.
R - Pourquoi avoir peur de l'innovation ? Nous avons tellement regretté que les députés soient loin, que les institutions soient éloignées des citoyens. Voilà qui rapproche l'élection des députés européens. Il y aura huit grandes circonscriptions sur la base d'ailleurs de régions qui travaillent déjà ensemble. Les cinq régions du grand Est travaillent ensemble, Rhône-Alpes et PACA travaillent ensemble, il y a donc une logique géographique et politique à ces grandes régions et bien sûr, il y aura une campagne nationale.
Q - Ce qui n'a pas eu lieu pour les régionales ?
R - Oui, mais c'est d'une autre élection dont nous parlons. Expliquer l'Europe aux Français, expliquer les institutions européennes, expliquer que nous ne sommes pas en train de construire une nation européenne ou un super Etat européen, mais une Europe unie et pas uniforme et expliquer aussi que c'est l'intérêt des Français que de ne pas être seuls.
J'ai l'intention de prendre ma part à cette élection européenne comme ministre des Affaires étrangères et européennes. J'ai l'intention d'aller expliquer ce que je crois, ce que j'ai fait, comment les choses fonctionnent, de le dire, et je vous promets que, dans les années qui viennent, avec les autres membres du gouvernement, avec les députés européens, avec les commissaires, nous ferons ce travail.
Q - Mais, Michel Barnier, n'est-ce pas un peu tard tout de même à quelques jours des élections européennes, ce travail n'aurait-il pas du être fait avant et de manière intensive ?
R - Ne me demandez pas de rattraper, en l'espace de quelque semaines en effet, 50 ans une forme de silence. Je l'ai dit souvent, et je vais le répéter comme ministre, nous avons probablement construit l'Europe pour les citoyens mais sans les citoyens. Nous avons donc une occasion, un grand débat démocratique dans toutes les régions européennes et je vais prendre ma part à ce débat pour expliquer - c'est l'intérêt des Français - qu'au-delà de la morale et de la politique, sur un certain nombre de sujets, pas sur tous les sujets, la sécurité maritime, la politique agricole, la politique régionale, la sécurité, la lutte contre l'immigration clandestine, la lutte contre les réseaux, les mafias, nous ne pouvons agir chacun chez soi, chacun pour soi et c'est une faute que de vouloir se recroqueviller. Agir ensemble donne davantage de force et je le pense davantage d'influence.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 avril 2004)