Texte intégral
Q- Le Gouvernement a transmis vendredi dernier aux partenaires sociaux les quatre projets d'ordonnances supposés former la base de son plan d'urgence pour l'emploi. Parmi les mesures envisagées, le contrat nouvelles embauches, dont on parle beaucoup, avait été lancée par D. de Villepin, lors de son discours de politique générale, après réflexion, est-ce que l'hostilité de votre syndicat à cette proposition s'est nuancée ou pas ?
R- Non, pas du tout. C'est monsieur de Villepin qui l'a annoncé, mais c'était une demande patronale qui traînait depuis longtemps dans les tiroirs. Non, parce que c'est un nouveau contrat de travail précaire, et qu'à partir de là, même s'ils n'osent plus parler de période d'essai aujourd'hui, parce que cela posait des problèmes juridiques, mais c'est une période de deux ans pendant laquelle l'employeur pourra se séparer à son gré d'un salarié. C'est un nouveau contrat de travail précaire qui risque même de se substituer à d'autres contrats de travail, type CDI, type CDD. C'est un troisième contrat de travail. Donc, notre hostilité n'a pas changé depuis le début.
Q- Le fait que les syndicats soient quasi inexistants dans les très petites entreprises, parfois, où ce contrat pourrait être impliqué, cela n'a rien à voir ?
R- Non, cela n'a rien à voir. Quand nous avons vu le Premier ministre, nous lui avons dit qu'il fallait que la France soit un vrai pays de liberté syndicale, ce qui n'est pas vrai dans les TPE et les PME. Pas toutes mais il y a très souvent dans les très petites et moyennes entreprises des gens qui n'osent se syndiquer ou tout simplement être délégué du personnel, parce qu'ils ont peur de la répression patronale. On a expliqué cela au Premier ministre. Résultat des courses : il va accroître ce phénomène, puisque, maintenant, pour savoir si dans une entreprise il doit y avoir des délégués du personnel, c'est à partir de onze. Pour calculer s'il y a onze salariés, on va retirer tous les jeunes de moins de 26 ans. Cela veut dire que dans toute une série d'entreprises, il n'y aura plus de délégués du personnel, il n'y aura plus de délégués syndicaux, il n'y aura peut-être plus de comité d'entreprise. Si c'est cela, faciliter le dialogue social, je veux bien, mais c'est tout le contraire.
Q- Sur cette mesure-là, vous allez porter plainte.
R- Oui, nous avons prévenu le Gouvernement, et comme il ne bouge pas et qu'il maintient son texte en l'état, nous porterons plainte devant le Bureau international du travail. Ce n'est pas rien que la France...
Q- Sur quel grief ?
R- Discrimination sur l'âge. Pourquoi, lorsque l'on a moins de 26 ans, on ne rentrerait pas dans le calcul pour être délégué du personne et que l'on ne pourrait pas être délégué du personnel, on ne pourrait pas être délégué syndical ? Donc, discrimination sur l'âge et discrimination syndicale.
Q- De mémoire, c'est une procédure qui est...
R- C'est très rare qu'un pays industrialisé soit mis au banc des accusés par une organisation syndicale. Cela se voit plus dans des pays de type Birmanie, où la démocratie n'existe pas, que dans un pays industrialisé. Mais là, c'est une vraie discrimination par l'âge. Ce n'est pas la peine de mettre une Haute autorité de lutte contre les discriminations en place, quand, parallèlement, on propose de telles mesures qui sont de la discrimination sur l'âge et une discrimination syndicale.
Q- Je reviens au contrat nouvelles embauches : vous vouliez un encadrement strict des causes de ruptures de ce contrat ?
R- Oui, ce qui fait qu'on ne pourrait pas parler de période d'essai. C'est le seul point sur lequel le Gouvernement n'a pas voulu évoluer, parce que cela remettait en cause ce que monsieur de Villepin a dit, puisqu'il a parlé d'essai dans son discours. Un employeur, s'il a besoin de deux ans pour voir si un salarié est bon, c'est l'employeur qu'il faut changer, ce n'est pas le salarié ! Si un employeur a besoin de deux ans pour savoir si salarié est bon ou tout simplement... Vous savez, cela a un côté surréaliste : quand on discute avec le Gouvernement, il nous explique que c'est pour un problème psychologique qu'il crée ce nouveau contrat, c'est parce qu'un patron d'une petite entreprise ne connaît pas le code du travail obligatoirement, ne connaît pas les conventions collectives, donc, à partir de là, il peut faire des bêtises et être condamné aux prud'hommes.
Q- C'est pour lui faciliter les choses. Il sait très bien que le bassin d'emplois est justement dans ces petites entreprises...
R- Si c'est pour régler un problème psychologique...
Q- C'est un encouragement.
R- Non. Pour régler un psychologique, on ne va pas créer un nouveau contrat de travail précaire ! Ou alors, on crée une cellule d'action psychologique - c'est une boutade - ou alors, que les organisations qui existent fassent leur boulot : chambres des métiers, les chambres de commerce et d'industrie, les organisations patronales. A elles de conseiller les employeurs. Quand un salarié a un problème, il vient nous voir et on l'aide, on le conseille, y compris s'il faut aller aux prud'hommes. Que les organisations patronales fassent la même chose et les chambres des métiers et les chambres de commerce. Cela, j'aurais compris, mais là, c'est un nouveau contrat de travail précaire, cela ne peut pas marcher.
Q- Monsieur Larcher, dans le journal le Monde, vous fait observer que la fin de ce type de contrat s'accompagne d'indemnités et qu'un préavis est prévu.
R- Oui, c'est ce qu'ils ont concédé, c'est qu'il y ait un préavis, de manière limitée d'ailleurs, qu'il y ait une indemnité de rupture inférieure à celle d'un CDD, parce qu'en plus on va faire payer le salarié pour son assurance chômage supplémentairement. Ce sont deux dispositifs qu'ils ont pris, mais sur le point, qui est le point essentiel, le motif de rupture, demandé par l'ensemble des organisations syndicales, ils n'ont pas bougé d'un iota.
Q- Le fait que ce type de contrat existe dans des pays voisins européens, cela n'a aucune importance ?
R- Ce n'est pas que cela n'ait aucune importance, mais il y a une chose qui me fait sourire, enfin qui me fait rire jaune, d'une certaine manière : on a d'un côté le président de la République, le 14 Juillet qui tape sur le modèle anglais et là, sur le plan social, on est en train de mettre en place le modèle anglais, avec des contrats flexibles, par exemple. Cela, c'est le modèle anglo-saxon, alors qu'on ne nous dise pas que "le modèle français" - on ne met pas des doutes d'ailleurs sur le modèle français, moi, je n'aime pas la formule du modèle social français.
Q- Oui, on va y revenir.
R- Mais d'un côté on nous dit qu'il faut surtout préserver nos caractéristiques et ne pas faire le modèle anglais, et concrètement, on est en train de nous mettre en place le modèle anglais.
Q- Je vais peut-être vous faire bondir, mais ne vaut-il pas mieux, parfois, avoir un emploi, même fragile, que le chômage.
R- Ce n'est pas cela le problème. Est-ce que cela va créer des emplois ? Même les petites entreprises interrogées disent qu'elles ne créeront pas forcément d'emploi avec ce dispositif. C'est ça le problème de fond, c'est qu'ils font un pari. En gros, tout ce qu'on a fait depuis quelques années, cela n'a pas marché, donc, en gros, il reste deux ans avant les élections, eh bien on ne s'embête plus maintenant, on fait du libéralisme à fond ; voilà ce que cela signifie.
Q- Vous pouvez peut-être attendre pour voir si cela produit des résultats, plutôt que de condamner tout de suite.
R- A partir du moment où on nous consulte... d'abord, on ne nous a pas consultés avant, le Premier ministre nous a consultés avant son discours, mais il n'en a rien retenu, on n'a rien retrouvé de ce qu'on lui à dit dans son discours. Après, ils annoncent et après on discute. Non, je suis désilé ! Ou on tient compte de ce que disent les organisations syndicales - et là, c'est tous les syndicats, sans exception, qui ont critiqué ce contrat - et en gros, c'est "vous n'êtes pas d'accord, mais on le fait quand même. Il ne fait être surpris, à partir de là, qu'à un moment donné, il y ait des réactions, parce qu'il y a les ordonnances et il y a d'autres dispositifs qui ont été pris.
Q- Il y a une autre initiative que vous condamnez, celle du député J.- M. Fourgous.
R- C'est un habitué de ce genre de choses.
Q- Lui, il veut permettre aux entreprises d'appliquer une convention de forfait en jours pour tous les salariés dont la durée de travail n'est pas déterminée. En quoi cela vous met-il en colère que l'on essaie de s'adapter à la réalité professionnelle des uns ou des autres ?
R- Ce n'est pas s'adapter à la réalité professionnelle ! Cela fait à peu près eux ans que le patronat réclame ce dispositif et, jusqu'à maintenant, il ne l'avait pas obtenu. On va voir avec Mme Parisot, la patronne du Medef, comment elle envisage le rôle du Medef. Mais en tous les cas, dans la dernière période, ils préféraient ne pas négocier et faire passer leurs amendements par les députés en catimini. Là, c'est pareil : on a appris ça par quelqu'un à l'Assemblée, qui nous a dit : vous avez vu l'amendement qui vient d'être voté ? Pas consulté, rien du tout ! Et c'est un amendement qui consiste à ce que pour un salarié, soit disant autonome - mais cela peut être l'objet de toutes les dérives possibles -, non seulement on ne respectera plus les 35 heures, cela pourra être de travailler 218 jours par an, et cela permet aux entreprises de ne pas payer les heures supplémentaires. C'est ça, l'objet de ce [inaud.] : ne pas payer les heures supplémentaires. C'était la revendication patronale. Cela vient d'être accepté, non seulement au Parlement, mais par le ministre M. Dutreil. Vous savez, quand il était à la Fonction publique, je l'appelais l'erreur de casting du Gouvernement. Mais là, il est plutôt dans un film d'horreur social depuis quelques temps, parce que à ce que je sache, il est ministre des PME, il n'est pas ministre du Travail ! J'interpelle MM. Borloo et Larcher : comment, en tant que ministres du Travail, pouvez-vous faire passer de tels dispositifs ? On vous a vu deux jours avant, vous ne nous en avez pas parlé !
Q- Le Gouvernement, "suppôt du patronat", ce n'est pas un langage un peu rétro, ça ?
R- Je n'ai pas dit "suppôt du patronat" ! Je fais un constat : d'un côté, on a un patronat qui nous pose ses revendications, dont celle sur le forfait...
Q- Ce que vous dites, c'est que le patronat a l'air d'inspirer l'action de ce Gouvernement de bout en bout...
R- En tous les cas, depuis quelques semaines, oui, puisqu'il y a plein de revendications patronales. Comment voulez-vous que la négociation aille bien dans ce pays ? Le patronat refuse la négociation, sauf quand elle est obligatoire ! Evidemment ! Il préfère faire passer discrètement ses amendements au Parlement ! Il suffit de trouver les parlementaires qui acceptent de le faire, une majorité qui l'accepte et un ministre qui soutient. Eh bien, ils ont trouvé ça avec M. Fourgous comme député et M. Dutreil comme ministre. Ce n'est pas être "suppôt", c'est une réalité, c'est un constat. Ils répondent aux revendications patronales, en pensant naïvement que cela va créer des emplois.
Q- Chaque année, c'est devenu un peu le refrain : on nous annonce un automne social chaud, avec une unité syndicale. A quelles conditions, cette unité syndicale ? Et est-ce que vraiment, vous menacez d'un automne social difficile ?
R- Ce n'est pas que l'on menace. C'est que l'on pense qu'il faut qu'il y ait des réactions à l'automne. Le Premier ministre a parlé des "cent jours", on le prend au mot d'une certaine manière - je ne parle pas de la date anniversaire des cent jours. Mais quand vous n'êtes pas entendus - je parle à la fois de la période actuelle, mais aussi des mouvements du 10 mars, du vote des salariés à l'occasion du référendum, tout cela, c'est comme s'il ne s'était rien passé du côté du Gouvernement -, il n'y a pas d'autres solutions, à partir de ce moment, pour se faire entendre, que de bouger, de se mobiliser.
Q- Qu'allez-vous faire ?
R- Pour nous, la barre minimum, c'est ce que nous avions fait le 10 mars. Je rappelle que le 10 mars, il y avait eu plus d'un million de manifestants, il y avait eu des arrêts de travail assez importants dans le public et dans le privé. C'est le minimum. Maintenant, on va en discuter et on a commencé à en discuter entre les confédérations syndicales. Je note d'ailleurs qu'il y a plusieurs organisations qui se disent prêtes à faire quelque chose à la rentrée. Il y a donc des discussions en cours entre les syndicats. Il y en aura encore cet été, il y en aura encore tout début septembre. Et je pense qu'effectivement, il est important que les salariés se mobilisent, ne serait-ce que pour se faire respecter, ne pas se faire mépriser, comme c'est le cas depuis quelques semaines.
Q- Pour La Samaritaine, que préconisez-vous ?
R- Là aussi, on est présent syndicalement, même si ce n'est pas de manière très importante, à La Samaritaine. Il n'est pas acceptable du jour au lendemain... Les problèmes de sécurité, cela fait longtemps qu'ils existent...
Q- C'est bien qu'on les prenne en compte, même au bout d'un certain temps...
R- Oui, mais j'ai toujours un doute sur la motivation qui fait qu'on les prenne en compte à ce moment-là, s'il n'y a pas une opération derrière... Il faut tout faire et prendre toutes les dispositions pour qu'il n'y ait aucun salarié sur le carreau. Et il risque d'y en avoir malheureusement.
Q- Les patrons sont toujours méchants dans votre esprit ?
R- Ce n'est pas qu'ils sont toujours méchants. Mais c'est la vie, qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Si Mme Parisot nous appelait, moi et mes collègues, en fin de matinée, pour dire que l'on ouvre une discussion sur les relations entre donneurs d'ordres et sous-traitants, je dirais que c'est bien, qu'au moins, on a un patronat qui achète la négociation. Ce n'est pas le cas ! Que voulez-vous que je vous dise ? C'est un constat. On n'entend pas beaucoup le patronat en ce moment ; par contre, le Gouvernement, on l'entend beaucoup.
Q- Que l'Etat vende la totalité de sa participation à des sociétés d'autoroutes, comme M. Breton l'annonce aujourd'hui, que cela vous inspire-t-il ?
R- Cela s'appelle vendre les bijoux de famille. J'aimerais bien que l'on nous explique à un moment donné - parce que tout cela, on l'a expliqué au Premier ministre avant son discours - comment on peut prétendre être encore dans une République quand on détricote systématiquement tout le service public. Je rappelle que le prédécesseur à l'Equipement, qui est toujours ministre d'ailleurs, M. de Robien, était contre, n'était pas favorable à ce que l'Etat privatise les sociétés d'autoroute. Il y a les sociétés d'autoroutes, il y a Gaz de France, on va entamer la privatisation d'EDF, sans tenir compte des ratages extérieurs : on a vu ce qu'a donné la privatisation de l'électricité aux Etats-Unis, en Italie et au Royaume-Uni. Comme ils sont à court d'argent, qu'ils ne relancent pas la situation économique, ils sont obligés, pour avoir un peu de "fraîche", comme on dit, de privatiser. Sauf que ça, ça ne marche qu'une fois : si la politique économique ne change pas, on se retrouvera dans la même situation d'ici quelques mois.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 juillet 2005)