Conférence de presse de M. Lionel Jospin, Premier ministre, sur la situation à Jérusalem, la situation en Yougoslavie après les élections présidentielles et sur l'augmentation du prix du pétrole, Paris le 2 octobre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Visite de Mme Madeleine Albright, secrétaire d'Etat américain, à Paris le 1er octobre 2000

Texte intégral

Quel est votre sentiment sur la situation à Jérusalem, et estimez-vous que les torts sont partagés, ou, comme beaucoup le disent, que c'est une provocation de la part d'Israël ?
"Je ne pense qu'il y ait eu une provocation de la part d'Israël. Je pense que l'acte qu'a commis monsieur A. Sharon en se rendant sur l'esplanade des Mosquées était un acte provocateur qui, compte tenu, de tous les symboles qui s'attachent à la question de Jérusalem - qui est l'objet de discussions dans le cadre du processus de paix - risquait de provoquer des réactions en chaîne explosives. Je crois que c'est une donnée. D'ailleurs, quand on parle, comme l'a dit le Président Clinton, de la nécessité d'une enquête sur les conditions du démarrage de cette affaire tragique, c'est une bonne chose. Comme l'opinion française d'ailleurs, je suis profondément bouleversé, ému, par ce à quoi j'ai assisté, par ces morts nombreux, par ces enfants touchés. Je constate aussi, parce que c'est une donnée, qu'il y a une disproportion dans ceux qui sont les victimes de ces affrontements que je regrette et dont je souhaite qu'ils cessent. Je pense qu'il faut, là aussi, que l'on veille à mesurer la façon dont on réagit à un certain nombre d'évènements. Il faut absolument que cet engrenage de la violence s'arrête. Il ne faut pas laisser les adversaires du processus de paix, des deux côtes d'ailleurs, risquer de l'emporter. J'appelle donc à un retour au calme et à ce que, ensuite, les discussions puissent reprendre. Mais il est clair qu'il y a une violence excessive et que cela doit cesser."
Peut-on s'attendre à une initiative commune de l'Europe et des Etats-Unis, puisque madame Albright était là ?
- "Nous avons naturellement parlé de cela avec madame Albright, même si nous avons aussi parlé de la situation en Serbie, des problèmes du pétrole et des initiatives qu'il serait utile de prendre pour un dialogue entre les producteurs et les consommateurs. Nous avons aussi parlé de l'Irak, à propos duquel nous avons des nuances - pas sur le jugement, sur le régime -, mais sur ce qu'il convient de faire. Nous avons fait le tour d'un certain nombre de problèmes, mais nous avons aussi parlé de ces questions. Je crois qu'il est souhaitable que l'ensemble des chefs d'Etat et de gouvernement qui comptent expriment la volonté que la paix revienne et que le processus de paix, lui-même, puisse recommencer. On ne peut pas faire vivre côte à côte deux peuples dans la haine. Il faut donc retisser les liens de la paix. Mais je crois que de lourdes responsabilités ont été prises de la part de certaines personnalités israéliennes."
Quel est votre sentiment sur la situation en Yougoslavie ?
- "Sur la Yougoslavie, je crois qu'il y a un fait positif majeur : le peuple serbe s'est exprimé pour rejeter monsieur Milosevic, pour faire le choix d'une nouvelle équipe politique qui veut un système plus démocratique, qui veut que la Serbie sorte de son isolement. C'est très important que les pays européens - la présidence française au premier chef - mais aussi les Américains aient dit que dans cette nouvelle dynamique, les sanctions n'auraient plus de raison d'être. Il faut que les Serbes sentent qu'ils ne sont pas "victimisés", isolés de la Communauté européenne mais qu'ils peuvent y trouver une place ; pour autant qu'ils retrouvent eux-mêmes le chemin de la démocratie, qu'ils refusent la xénophobie et la violence. Donc, c'est un processus extrêmement positif. Mais évidemment il y a un blocage des autorités qui sont maintenant des autorités de fait. Il faut que nous pesions tous pour que monsieur Milosevic se rende compte qu'il doit maintenant céder la place à une équipe démocratiquement élue. C'est cela qui, je crois, va l'emporter."
Quand vous dites "peser tous", cela veut dire quoi ? Quel type d'initiative ?
- "Il y a les déclarations que nous exprimons et les dialogues que nous menons avec les autorités russes qui peuvent jouer un rôle utile. Il y a surtout je crois, les messages très clairs que nous devons adresser à la population serbe pour qu'elle continue à peser dans le sens de ce qu'elle a voulu, c'est-à-dire une victoire démocratique."
Sur le pétrole, est-ce qu'il y a convergence de vues avec les Américains ?
- "Il y a certainement, de la part de madame Albright - ce débat sur le pétrole existant aussi aux Etats-Unis aujourd'hui, les réactions des consommateurs ayant également été notées -, la conscience commune qu'un dialogue est nécessaire entre pays producteurs et pays consommateurs. Quand je dis d'ailleurs pays consommateurs, ce n'est pas simplement les pays consommateurs développés qui peuvent, en gros, encore atténuer les chocs d'une hausse des prix du pétrole. Il s'agit aussi de tous les pays consommateurs en développement pour qui c'est un véritable drame. Il faut qu'on cherche ensemble les modes d'organisation de ce dialogue. Je crois qu'il faut dire aux pays producteurs : nous sommes d'accord pour rechercher avec vous comment empêcher les cours du pétrole de baisser en dessous d'un certain niveau, de façon à ce que vous puissiez valoriser les ressources rares ; et en même temps, comment empêcher que ces prix du brut montent au-dessous d'un certain niveau, ce qui pénalisera dramatiquement les pays pauvres importateurs de pétrole et ce qui peut être aussi une menace pour l'économie mondiale, sa prospérité. En retour, pour vos propres capacités à exporter demain, et pour vos prix aussi qui risquent ensuite de chuter. Je crois que madame Albright m'a confirmé que les autorités américaines étaient ouvertes à ce dialogue. C'est peut-être sur la modalité de ce dialogue qu'il faut travailler encore. C'est la décision que nous avons prise. Merci."
(Source : http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 04 octobre 2000).