Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étangères, avec RMC Info le 30 mai 2005, sur les conséquences du rejet par les Français de la Constitution européenne pour l'Union européenne et la France.

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Média : RMC Info

Texte intégral

Q - Michel Barnier, hier je regardais la télévision, j'écoutais les interventions des hommes politiques, j'ai entendu un président de l'UMP demander une autre politique, j'ai vu un premier secrétaire du PS qui se défaussait, le Premier ministre est parfaitement inexistant et le pays est profondément divisé, quand je vois 80% de "oui" à Neuilly et 60% de "non" en Picardie, je me dis qu'il y a un vrai problème en France aujourd'hui. Ce matin. Et actuellement.
R - Evidemment, ce vote exprime plusieurs problèmes. D'abord, une vraie inquiétude, je l'ai ressentie tout au long de cette grande campagne de débats et d'explications qui a eu lieu pour la première fois depuis longtemps, depuis 13 ans. C'était un vrai et grand débat sur les questions européennes
Q - l'Europe nous envie ?
R - L'Europe nous envie et, franchement, on ne va pas encore attendre 10 ans pour avoir à nouveau un débat sur les questions européennes. Ce ne sont pas des questions de politique étrangère, je peux bien le dire moi-même, ce sont des questions qui imprègnent la vie quotidienne, qui intéressent et qui inquiètent à la fois les Français, et donc, il y a une urgence, - c'est une des premières leçons que je tire de ce débat - à le poursuivre. Il faut le faire ici même, sur cette antenne, comme vous le faites, dans les journaux, dans les régions. Il faut qu'on parle davantage, plus normalement, plus quotidiennement, des questions européennes, des lois européennes, de ce qui se passe à Bruxelles pour que, chaque fois qu'on en parle, cela ne soit pas un drame. Il faut qu'on en parle plus normalement. Cela, c'est une question de démocratie et je pense que c'était bien que ce référendum fasse ressortir ce besoin. Mais naturellement, les Français avaient un seul bulletin de vote pour répondre à trois ou quatre questions. Ils avaient envie de répondre à trois ou quatre questions mais ils n'avaient qu'un seul bulletin de vote, et c'est cela le problème qu'on a eu hier. Il y a l'inquiétude sociale, l'angoisse, la vie chère, le travail qui manque, il y a le sens du projet européen qu'on a perdu. Les gens se disent que ce projet européen est juste, qu'il est presque abouti dans ses frontières, dans ses politiques, dans ses droits, mais où va-t-il ? A quoi sert-il ? Et on n'a pas du expliquer cela, parce qu'on ne parle pas encore assez souvent de ces questions avec les Français. Et puis, il y avait la Constitution elle-même qui pouvait aussi susciter des questions.
Q - Michel Barnier, mais que répondez-vous à ceux qui disent, et ils sont de plus en plus nombreux, on les a entendus hier soir, que le président de la République doit renégocier ce texte, sinon c'est la démission ?
R - Le président de la République a consulté les Français. Il a eu le mérite, de saisir le peuple de ce texte. Comme nous devions donner notre sentiment, il faut maintenant attendre le sentiment des autres. Les autres pays européens doivent respecter notre choix, mais nous devons respecter le leur. Ce n'est pas la France toute seule qui va aller renégocier. On ne fait pas l'Europe tout seul, nous Français.
Q - Donc, il n'y aura pas de renégociation ?
R - J'ai toujours dit qu'il n'y aurait pas de renégociation avant très longtemps. Nous avons travaillé pendant 3 ans sur ce texte, sur toutes ses idées. Tous les syndicats européens l'ont approuvé, la quasi-totalité des partis politiques l'ont approuvé, nous y avons mis beaucoup d'idées françaises, beaucoup d'avancées, de droits nouveaux. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai franchement un regret, parce que maintenant nous allons devoir travailler pendant longtemps avec les traités actuels. Tous ceux qui ont fait voter "non", qui ont demandé qu'on vote "non", quel est le résultat de leur position ? On va garder les traités actuels, qui sont beaucoup plus libéraux. Le Traité de Maastricht, l'Acte unique, sont beaucoup plus libéraux. Il n'y a pas la protection des services publics comme celle que nous avions dans la Constitution, il n'y a pas la Charte des droits fondamentaux, il n'y a pas les protections pour les départements d'Outre-Mer, il n'y a pas la politique étrangère et la défense communes. Tout cela va nous manquer. Voilà pourquoi je pense que cela va être, non seulement plus dur pour la France à partir d'aujourd'hui, - dès ce soir, je retrouve mes collègues -, nous allons devoir nous battre pour tenir la place de la France, pour défendre nos intérêts et nos idées, mais cela va être plus dur pour l'Europe dans le monde !
Q - Avec un nouveau Premier ministre en France, est-ce indispensable ?
R - Il y aura de toute façon un Premier ministre, le président de la République
Q - Nouveau ?
R - Ecoutez, ce n'est pas à moi de le dire, le président de la République a dit, il l'a dit même avant le référendum, qu'il avait entendu ce qui s'est dit dans le pays, qu'il allait en tirer des leçons. Il va apporter une réponse, vous n'attendrez pas très longtemps. Il va apporter une réponse, mais c'est à lui de l'apporter.
Q - Hier, François Hollande a évoqué l'intervention de Nicolas Sarkozy en parlant de déclaration de candidature. Vous avez trouvé que Sarkozy a fait hier soir une déclaration de candidature ?
R - Nicolas Sarkozy, comme chef du grand parti de la majorité, a tiré ses leçons, a demandé lui aussi des inflexions. Je n'ai pas envie de personnaliser le débat. Attendez la décision du chef de l'Etat, je suis membre du gouvernement, c'est à lui, le chef de l'Etat, d'apporter la réponse comme président de la République.
Q - Assiste-t-on à la montée du "chacun pour soi" en France et en Europe ?
R - C'est cela que je crains au fond. Si le projet européen se détraque, si nous sommes en panne politique, le risque, c'est le repli, comme certains nous y invitent, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche d'ailleurs. Je les ai bien entendus, et je pense qu'ils vont se souvenir de leur vote et de ce qu'ils ont dit. C'est au fond un repli. Et pendant ce temps-là, les autres ne nous attendent pas, ni la Chine, ni l'Inde, ni le Brésil, ni la Russie un jour, ni les Etats-Unis naturellement, qui sont la grande puissance du monde et qui veulent le rester. Nous ne nous en sortirons pas seuls, il faut continuer à mutualiser. Alors sans doute, y a-t-il des leçons à tirer. Il faut mieux expliquer le sens de ce projet, il faut y mettre plus de démocratie, mais aujourd'hui ce projet européen est en panne.
Q - Les Jeux Olympiques à Paris : est-ce que le "non" plombe la candidature parisienne ?
R - J'ai entendu Bertrand Delanoë répondre à cette question tout à l'heure sur votre antenne et, comme lui, je pense que cela n'a rien à voir. Le mouvement olympique international, le CIO, va faire le choix début juillet de la ville qui aura l'honneur d'accueillir les Jeux Olympiques de 2012. Nous espérons tous, parce que c'est un très bon dossier, et parce que ce n'est pas arrivé en France depuis 1924, presque un siècle, avoir l'honneur d'accueillir les Jeux d'été en France, car je rappelle qu'on a eu les Jeux d'hiver en Savoie et, Albertville, j'ai quelques raisons de m'en souvenir. Je pense franchement que le choix du CIO tient compte de la qualité des candidatures, de l'enthousiasme et de la volonté qui s'expriment derrière ces candidatures, davantage que des considérations politiques.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 2005)