Texte intégral
La France est en état de défiance.
Ce n'est pas un mouvement d'humeur, une poussée de fièvre, une colère. C'est un moment exceptionnel. Tout simplement une crise.
Elle est générale : économique, sociale, morale.
Elle est profonde. Le référendum du 29 mai en a montré la gravité. Elle interpelle directement le pouvoir.
La responsabilité, c'est d'abord celle du chef de l'Etat.
Elu il y a 10 ans sur le thème de la fracture sociale, il l'a laissé s'élargir jusqu'au point de rupture.
Réélu il y a trois ans avec les voix de tous les républicains pour faire barrage à l'Extrême droite, il a manqué à son premier engagement : alors que le vote devait, disait-il, "l'obliger". il a installé Jean- Pierre Raffarin à la tête d'un gouvernement dont la politique n'eut pour seul but que d'effacer celle du gouvernement précédent. Au lieu de rassembler, il a divisé. Au lieu d'apaiser, il a ouvert des fronts.
Ce même pouvoir a ignoré tous les avertissements, toutes les manifestations, toutes les protestations, prétendant que la rue n'était dédiée qu'à la circulation. Enseignants, chercheurs, lycéens, salariés du privé comme du public en sont sortis floués.
Mais l'Exécutif est également resté insensible au verdict des urnes. Et, quand après le triple désaveu électoral du printemps 2004, le Président de la République a maintenu votre prédécesseur, tout en promettant comme aujourd'hui -avec les mêmes mots- une inflexion, le Chef de l'Etat a alors pris la grave responsabilité de mettre le pays en risque, c'est-à-dire en divorce avec ses gouvernants. L'Europe vient d'en faire inutilement les frais.
Jacques Chirac a fait, devant cette crise, son choix. Celui, pour ne rien changer, de ne changer que le Premier ministre. Vous êtes donc là devant la représentation nationale avec le même gouvernement, les mêmes hommes avec moins de femmes, le Président de l'UMP en plus, sans que l'on sache lequel de vous deux est le véritable chef de la majorité.
Vous vous présentez comme porteur d'une nouvelle ambition, d'une nouvelle impulsion, d'une nouvelle mobilisation. Mais ces mots sont usés jusqu'à la corde, tant ils ont été employés depuis trois ans. Vous incarnez en fait la continuité. Pas simplement celle des personnes, mais celle des politiques. Votre premier problème c'est que vous héritez de vous-même. Vous êtes le légataire de votre propre passif. Je ne parle pas simplement des lois que vous jugez plus sages de reporter. Il en est ainsi de la loi Fillon qui devait être la grande affaire du quinquennat et qui est mise au rebut après avait été essorée, il est vrai, par le Conseil constitutionnel.
Mais, je parle surtout de la grave déprime économique et sociale qui frappe notre pays :
La croissance est en berne. Elle ne dépassera pas 1,5 % au lieu des 2,5 % imprudemment annoncés par le MInistre de l'Intérieur d'aujourd'hui, hier Ministre des finances.
Le nombre de chômeurs s'est accru, depuis trois ans, de plus de 230 000, le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %. 60 000 emplois ont été détruits depuis trois ans.
Le nombre de Rmistes a atteint le niveau second de 1,2 millions de prestataires ; la précarité s'est aggravée ; 70 % des embauches se font en CDD.
Les inégalités se creusent jusqu'à la provocation : les patrons du CAC 40 annoncent leur propre augmentation par voie de presse en appelant leurs salariés à la modération. Et que dire de certains qui s'octroient des retraites qui représentent plusieurs siècles du salaire d'un Smicard.
Voilà la réalité de notre société d'aujourd'hui. C'est ce climat-là, lié à des comportements personnels au sommet de l'Etat, qui a fait aussi le résultat du 29 mai. C'est cette souffrance-là qui mine les ressorts d'une reprise économique.
Le pays n'est pas simplement dans une impasse économique, un désarroi social, il vit à découverts. Vous en avez même fait l'aveu en disant que vos marges étaient limitées, voire sans effet :
La dette publique dépasse 65 % de la richesse nationale.
Le déficit de l'Etat n'a été réduit que par des expédients.
Le déficit de la Sécurité sociale dépasse 15 milliards d'euros par an, et la dette sociale ne cesse de s'alourdir.
L'UNEDIC est au bord de la faillite avec 15 milliards de déficits cumulés.
C'est cette somme d'échecs qui fonde la méfiance et le doute à l'égard des annonces d'aujourd'hui.
Alors, vous dîtes vouloir mener " la bataille de l'emploi ", lui consacrer toutes vos forces, toute l'énergie du pays, en faire votre première priorité. C'est donc qu'elle ne l'était pas jusqu'à présent. Cruelle sentence pour votre prédécesseur.
De ce volontarisme, nul ne saurait vous en faire grief. C'est effectivement la première obligation. C'est l'attente la plus grave, c'est aussi la désespérance de nos concitoyens
Vous en portez la responsabilité. Parce que c'est vous qui avez cassé la croissance, c'est vous avez remis en cause les emplois jeunes, les 35 heures, les dispositifs en faveur des chômeurs de longue durée. C'est effectivement de ce constat que vous êtes obligé de partir pour annoncer des dispositions nouvelles.
Mais, vous oubliez la relance de la croissance ; elle ne figure dans aucune de vos annonces d'aujourd'hui. Vous oubliez surtout de nous parler de solutions nouvelles. Vous nous sortez la panoplie habituelle avec des méthodes les plus détestables. La panoplie habituelle, c'est d'abord d'annoncer des mesures qui existent déjà : la Loi Borloo, l'apprentissage -nous croyions que c'était déjà fait-, le titre emploi service -c'était déjà voté, et que dire du contrat d'avenir, c'était parai-il déjà en place!
Voilà l'annonce première que vous nous faites : dire ce qui existe déjà.
Mais, vous allez jusqu'à sortir le catalogue des dispositions de bon sens. Quand même, apprendre aujourd'hui que l'ANPE allait recevoir les jeunes qui sont sans emploi, leur donner enfin un accompagnement, mais cela n'était pas déjà fait !? Nous pensions que les Missions locales pour l'emploi, que l'ANPE avaient déjà reçu ces jeunes -c'eut été bien le moins !. Et si ce n'est pas fait, ce serait vraiment un scandale que le dispositif d'emploi est, depuis trois ans, empêché les jeunes d'être reçus convenablement dans les services de l'emploi.
Il y a plus grave. Vous nous faites encore l'annonce de nouveaux allègements de cotisations sociales pour les entreprises. Nous pensions franchement qu'après avoir consacré 18 milliards d'euros dans le budget 2005, vous auriez fait le constat que autant de dépenses sacrifiées en pure perte sans contrepartie en termes d'emplois ni en termes de salaires, vous conduirez à renoncer à ce type de proposition. Vous poursuivez donc, vous en annoncez d'autres. Il y aura donc bien de nouvelles exonérations de cotisations sociales. Et si nous vous comprenons bien, ce qui ne sera pas octroyé sous forme de baisse d'impôt sur le revenu -là la promesse a été abandonnée en chemin- sera donc affecté en baisse de cotisation sociale. C'est le même objectif, pas le même instrument, mais les mêmes erreurs qui se poursuivent d'année en année depuis 2002.
Enfin, il y a maintenant les vieilles recettes patronales que vous avez reprises. La demande du patronat sur les seuils existe depuis des décennies. Nous pensions, tout de même, qu'au nom d'une politique de l'emploi, vous ne ressortiriez pas cette vieille affaire des seuils. Vous la reprenez et vous en faites l'alpha et l'oméga de votre politique. Ce sera coûteux pour les finances publiques, déplorables pour la démocratie sociale et en plus, vous prenez un seuil de 10 salariés que vous abandonnez pour 20 salariés, donc un nouveau seuil; donc, demain, le même patronat vous fera la même demande : supprimer le seuil de 20 salariés qui empêche la création d'emplois.
Arrive ensuite cette nouvelle affaire : le contrat nouvelle embauche. Le nom est mal choisi; vous auriez du l'appeler le "contrat nouvelle précarité", car il s'agit, au lieu d'un contrat à durée indéterminée de droit commun, il y aura le contrat d'essai de deux ans. Je pensais que le contrat d'essai de deux ans pouvait être réservé au Premier ministre... Il sera généralisé à l'ensemble du salariat.
Il ne s'agit de rien d'autre, lorsque l'on regarde la formule, que de la reprise, là encore, d'une vieille formule du MEDEF qui est le contrat de mission. Ce n'est rien d'autre que cela. Cela veut dire que l'on va maintenant être embauché pour seulement deux ans. Et, peut-être, si l'essai a été concluant, si le salarié n'est pas trop coûteux, pourra-t-il accéder enfin à un contrat à durée indéterminée.
Vous parliez de modèle étranger qui pourrait vous inspirer. Ce mélange flexibilité/sécurité; j'ai compris que vous avez retenu la flexibilité, mais qu'en matière de sécurité professionnelle, il n'y avait rien en contrepartie.
J'en arrive à la méthode. Elle est détestable pour le Parlement. Que sur cette grande question de l'emploi, de la lutte contre le chômage, il puisse être annoncé comme procédure le recours aux ordonnances, c'est-à-dire le dessaisissement du Parlement, l'abandon de la confrontation démocratique, le débat serein sur des questions essentielles ! Il n'y a pas que le Parlement qui est floué, il y aussi l'ensemble des partenaires sociaux qui vient d'apprendre aujourd'hui qu'il n'y a plus de dialogue, plus de concertation et que ce seront les ordonnances -et rien que les ordonnances- qui feront la politique de l'emploi.
Je dois ici lancer un avertissement : si, à travers les ordonnances, il s'agit de toucher au droit du travail, au code du travail, alors, Monsieur le Premier ministre, vous prenez un risque considérable avec le pays. Vous connaissez l'état du pays, du peuple français, vous savez quel est son niveau d'exaspération et de colère. Si vous décidez par ordonnance de toucher au droit du travail, c'est un conflit avec le pays que vous prenez la responsabilité d'ouvrir à la rentrée.
Par rapport à de telles annonces, le Parti socialiste propose toutes autres orientations. Il ne s'agit pas là encore de l'annonce d'un catalogue, il s'agit de proposer un pacte durable et clair est passé avec les Français. Et d'abord un pacte social. Si l'on veut réduire le chômage, relancer la croissance, trouver les compromis, il n'y a pas d'autre méthode que d'ouvrir une grande négociation avec les partenaires sociaux sur l'emploi, sur les salaires, sur le pouvoir d'achat, sur l'insertion des jeunes, sur le travail des seniors. C'est un compromis social qu'il faut trouver, où chacun prend ses responsabilités. Mais, l'Etat doit également montrer l'exemple. Et réorienter la politique économique autour de la stimulation de la demande et de la préparation de l'avenir.
Ce qui suppose trois grandes séries de mesure :
Une hausse immédiate du pouvoir d'achat des familles. Plutôt que d'accorder de nouvelles exonérations de cotisations sociales, l'urgence aurait réclamé d'augmenter l'allocation de rentrée scolaire et la prime pour l'emploi. Voilà ce qui soutient la consommation.
Une valorisation du travail passe par une refonte des exonérations de cotisations sociales dont le coût est exorbitant par rapport aux effets sur l'emploi : dès lors qu'elles ne sont conditionnées ni à des embauches ni à des augmentations de salaires. La réforme pourrait s'accompagner d'un élargissement de l'assiette des cotisations sociales non pas aux seuls salariés mais à l'ensemble de la richesse produite. Et le taux de cotisation pourrait être modulé en fonction de la stabilité des contrats de travail, afin de décourager à l'usage des CDD et de la précarité.
Enfin, le retour vers l'emploi exige la simplification des contrats aidés. Et personne n'y comprend rien, entreprises, collectivités locales, associations, et même administration. Allons vers un dispositif unique, mais adaptable selon le parcours et les caractéristiques de la personne à réinsérer. Il faut en finir avec l'opacité.
Quant à la préparation de l'avenir, vous en êtes resté à des généralités. Aujourd'hui, ce qui est demandé, ce sont des engagements budgétaires clairs : la Recherche d'abord, et l'augmentation de 50 % des moyens affectés à la Recherche d'ici la fin de la législature. De faire de l'Education la priorité; car s'il n'y a pas une Education nationale confiante en elle-même, soucieuse de favoriser l'égalité des chances dont vous parlez, alors il n'y a pas de préparation de l'avenir. C'est par l'excellence technologique que la France relèvera le défi de la mondialisation et non par la baisse de son niveau de protection sociale ou le nivellement des salaires. Ce devrait être des actes budgétaires, aujourd'hui, dans vos choix.
Vous faites le constat, à juste raison, d'une fracture des territoires. Un pacte territorial est également indispensable pour rétablir la cohésion de notre pays. Le vote du 29 mai exprime l'ampleur de la fracture qui s'est opéré entre zones rurales et métropoles - quartiers périphériques et centre ville. Régions industrielles et territoires technologiques. C'est un contrat entre l'Etat et les collectivités locales qui assurera la préservation des services publics, mais aussi la stabilité des ressources pour les collectivités locales, la réforme de la fiscalité locales et, enfin, la clarification des compétences, et la remise en cause du transfert des personnels aux collectivités locales qu'elles ne veulent pas, parce que ces personnels appartiennent au service public de l'Etat et non pas aux départements et aux régions.
Enfin, si on veut redonner confiance au pays, c'est un pacte républicain qu'il faut restaurer. Nous n'avons pas un problème de démocratie. Elle a démontré récemment sa vitalité, mais un problème d'institutions.
Le pouvoir est concentré dans les mains d'un seul homme pour cinq ans. Le principe d'irresponsabilité est érigé en méthode de gouvernement. Les droits du Parlement sont limités par l'exercice du fait majoritaire et les procédures. Les droits de l'opposition pour contrôler l'exécutif, malgré les efforts qui sont engagés, sont réduits à peau de chagrin.
Dès lors, les citoyens n'ont plus confiance dans les règles de notre vie en commun. Et ce qui devrait être la sanction d'une majorité peut devenir le rejet de l'ensemble de la politique.
Le renouveau ne peut venir que de l'affirmation d'un véritable pouvoir du Parlement et de la restauration de la fonction législative comme celle du contrôle de l'exécutif, du changement des règles de nominations des membres des plus hautes instances de la République et d'une redéfinition des compétences et de responsabilité du Chef de l'Etat.
Car c'est elle qui est aujourd'hui en cause.
C'est donc un changement profond que le pays attend. Ce n'est pas un discours de plus mais une autre politique fondée sur la volonté, la vérité, la solidarité. Elle n'est pas là aujourd'hui.
Pas plus sur l'Europe. Aujourd'hui en crise. Le risque est le délitement des acquis communautaires et la fin de l'Europe politique. La France a l'occasion d'envoyer un signe fort en faveur de la construction européenne. C'est le déplafonnement du budget européen. Avec les limites actuelles, chacun sait que l'Europe ne pourra financer ses politiques structurelles, notamment agricoles et territoriales, pas plus que l'élargissement et les dépenses d'avenir. Notre pays ne peut s'en tenir à sa position actuelle. Nous avons le devoir de débloquer le processus en acceptant le déplafonnement du budget européen. Vous portez, là, la responsabilité du pays.
Vous venez chercher une confiance introuvable.
Il n'y a pas de confiance véritable sans cohérence, sans vision, sans projet. Le vôtre est faussement social et confusément libéral.
Il n'y a pas de confiance sans justice. Or, vous poursuivez une politique qui fait de la redistribution à rebours, qui avantage les plus favorisés et décourage les plus modestes.
Il n'y a pas de confiance sans respect. Celui des Français et de leurs aspirations. Celui du Parlement et de l'opposition, celui des règles dans une République. De voir que le ministre de l'Intérieur peut être aussi président de l'UMP, alors même qu'il est en charge de la préparation des élections. Situation inédite sous notre république.
Et que dire du climat de soupçon qui s'est introduit dans votre propre gouvernement, quand votre Ministre de l'intérieur s'inquiète des enquêtes qui seraient diligentées sur lui dans sa propre administration ! Comme si le gouvernement n'avait pas confiance en lui-même. Dans quelle République est-on ? Comment les Français pourraient-ils, dès lors, vous l'accorder ?
Vos qualités personnelles ne sont pas en cause, votre attachement au service de la France non plus, mais vous êtes le produit d'un système en place depuis plus de dix ans et qui est, aujourd'hui, en fin de règne. Vous êtes l'illustration d'un mécanisme politique fondé sur l'irresponsabilité.
Vous n'avez pas la confiance du pays. Vous n'aurez pas la nôtre.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 9 juin 2005)