Texte intégral
Q- Avant de parler de l'Europe et du Parti socialiste, un bilan d'étape de ce Gouvernement, après vingt jours sur les cent que s'est donnés le Premier ministre pour faire bouger
les lignes ?
R- On ne va pas être cruel, quand même. Vingt jours : on ne va pas juger un gouvernement en si peu de temps, même si lui-même s'est donné cent jours... Mais convenons que sur le sujet qu'il s'est lui-même posé comme prioritaire, l'emploi et la croissance, nous avons une croissance qui recule aujourd'hui - elle devait être de 2,5 %, elle ne sera que de 1,5 % - et nous avons un chômage qui continue sa progression. A partir de là, les mesures qui ont été annoncées - pour l'instant, nous n'en sommes que là : aux effets d'annonce - sont-elles de nature à recréer la confiance et la dynamique économique ? Je ne le crois pas. Cela aggravera la précarité, cela heurtera les partenaires sociaux, puisque 'est un passage par les ordonnances qui a été décidé, et cela ne mettra pas le pays en situation, au bout de cent jours, d'avoir repris confiance dans l'avenir.
Q- Et sur le partage des tâches entre D. de Villepin et N. Sarkozy ?
R- Pour l'instant, comme on pouvait s'en douter, on voit davantage N. Sarkozy que D. de Villepin. On a le sentiment que c'est N. Sarkozy qui donne le ton, qui fixe le rythme, qui donne les priorités. Nous ne savons pas qui est le chef de la majorité, je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'ils le savent eux-mêmes. N. Sarkozy est, lui, en campagne présidentielle et quand il vient - et pour moi, c'était un aveu - à La Courneuve, après un drame dont chacun mesure l'ampleur, un petit garçon de onze ans qui a été victime d'une balle perdue, on attend d'un ministre de l'Intérieur, qui a été lui-même ministre de l'Intérieur pendant deux ans, d'éviter des formules choc et de traiter le problème. Or on nous parle d'un "nettoyage au karcher", on nous parle d'une "mise au clair de ce qui se passe à La Courneuve" : certes, mais que n'a-t-il fait depuis trois ans ? Et comment se fait-il que les effectifs de police aient baissé à La Courneuve ? Et pourquoi le maire de La Courneuve lui-même, qui ne veut pas rentrer dans une polémique politique, constate que finalement, toutes les promesses, qui lui avaient été déjà faites il y a trois ans, ne sont pas tenues ? C'est donc ça, ce Gouvernement, une nouvelle fois : c'est-à-dire les mots, les formules, les incantations. Et puis le reste, la dure réalité pour les Français.
Q- Question personnelle : avez-vous parfois regretté d'avoir posé avec N. Sarkozy pour la couverture de Paris-Match ?
R- Cela n'a rien à voir. J'étais dans un débat par rapport à lui, par rapport à la politique gouvernementale qu'il incarne, puisqu'il est président de l'UMP. Je considère que les méthodes de N. Sarkozy sont à bout de souffle...
Q- C'est lui l'adversaire aujourd'hui ?
R- Je pense qu'il s'est lui-même posé comme tel. Il ne s'agit plus d'aller sur le terrain pour dire : "Regardez comme je fais". Il s'agit d'agir, de prendre des décisions et de rendre compte. Quand il y a des drames, c'est normal que le ministre de l'Intérieur soit sur place, et nul ne lui en fera le reproche. Mais ce que l'on attend, ce n'est pas simplement des formules, des manières de faire, des discours saccadés à la télévision ! Ce que l'on attend d'un ministre de l'Intérieur, c'est qu'il rassure les populations, pas simplement, c'est déjà important, par des effectifs policiers - ils ont baissé, je vous l'ai dit, à La Courneuve depuis trois ans, mais surtout par des mesures de prévention, par des mesures sur le logement - cette tour où habitait ce jeune garçon devait être démolie depuis longtemps -, et enfin par des mesures d'accompagnement de la jeunesse. Et pas simplement en disant que l'on va faire une politique contre les voyous, c'est bien le moins !
Q- J. Chirac, "monarque finissant", avez-vous dit au journal Le Monde, commentant un fiasco européen sur lequel on va revenir. Dans votre esprit, le Président serait-il bien inspiré de ne pas attendre 2007 pour changer la donne, pour rebattre les cartes ?
R- Quand on appartient à la famille gaulliste et que l'on a connu, dans son premier mandat, une dissolution ratée, que l'on s'est accroché néanmoins cinq ans aux responsabilités ; quand dans le second mandant, élu dans les conditions que l'on sait, c'est-à-dire essentiellement pour faire barrage à l'extrême droite, et qu'il n'y a que des échecs électoraux, le plus grave étant quand même, parce que c'est notre enjeu commun, l'Europe ; c'est vrai qu'il devrait y avoir une prise de conscience de la part de celui qui, de cette famille politique, s'inspire normalement du principe de responsabilité. Il ne le fait pas. Il cherche à finir son mandat coûte que coûte et à se protéger. Je ne suis pas sûr que cela participe effectivement d'une bonne conception des institutions de la Ve République.
Q- Aurait-il dû tirer des conséquences des échecs ?
R- En tout cas, il aurait du, à un moment, redonner la parole au peuple.
Q- Souhaitez-vous qu'il le fasse, dans les deux ans qui viennent ?
R- Je pense que maintenant, on connaît - il nous a d'ailleurs prévenu - et son tempérament et son choix : il veut aller jusqu'au bout, se protéger jusqu'au bout et ne pas donner au peuple français les moyens d'agir. Très bien, nous attendrons 2007. Il y a des légitimités, il y a des mandats à respecter, nous avons aussi à préparer l'alternance. Mais j'en fais simplement le constat. Aujourd'hui, ce qui relève de la gauche, c'est de préparer l'échéance de 2007, ce n'est pas d'attendre : je ne suis pas là en supputant sur une éventuelle dissolution ou un départ du président de la République. Je suis trop informé de ce qui est le comportement du chef de l'Etat pour m'illusionner sur un retour au peuple. Ce que je veux éviter en revanche à mon pays, c'est une crise sociale. Elle est possible, je ne la souhaite pas, mais on voit bien que la colère, la grogne, la contestation sont fortes. A partir de là, il faut que le Gouvernement et le président de la République en tirent les conséquences et fassent des choix qui permettent, notamment jusqu'en 2007, à avoir effectivement un certain nombre de signes de confiance et notamment de pouvoir d'achat et de politique d'emploi.
Q- Retour sur Bruxelles : Chirac a perdu, on l'a bien compris. Mais T. Blair a-t-il gagné ?
R- Je pense que c'est d'abord l'Europe qui a perdu...
Q- Ce sont des mots, ça !
R- Non, ce ne sont pas des mots, parce que quand une construction européenne n'est plus capable de se donner des règles de fonctionnement, en l'occurrence une Constitution, et des mécanismes financiers de solidarité, en l'occurrence un budget, on peut dire que cette entité est en "crise". C'est bien d'ailleurs la formule qui convient. J'aurais souhaité que dans ce somment européen, qui était le somment de tous les risques - et on voit bien qu'aujourd'hui, les risques sont majeurs - que le président de la République fasse un peu preuve d'audace. Il fallait donc augmenter le budget européen, parce que nous avons besoin de financer les dépenses d'avenir. Il fallait dire qu'effectivement, le chèque britannique - en ce sens, la responsabilité de T. Blair est engagé - devait être remis en cause. Et enfin, que les règles de la PAC pouvaient être rediscutées.
Q- Mais n'avons-vous pas envie de considérer T. Blair comme un modèle ? Quand il parle de "l'Europe moderne", a-t-il tort ou raison ?
R- T. Blair a été lui-même égoïste quand il s'est accroché au chèque britannique, alors même que les pays les plus pauvres de l'Europe - et J.-C. Juncker, le président du Conseil européen, a eu raison de le stigmatiser - disaient qu'ils étaient prêts à un effort et que la Grande- Bretagne, comme la France d'ailleurs, s'y refusait. En revanche, je pense que T. Blair a raison de nous demander - et il n'est pas le seul, les Espagnols, les Suédois font également de même - de réfléchir à ce que pourrait être l'Europe de l'avenir. C'est-à-dire qu'à côté de ce que sont les politiques européennes, notamment agricoles et territoriales, il faut investir massivement dans la recherche, dans l'université, dans les politiques de croissance et d'emploi. Oui, ça, c'est une vision qu'il faut donner. Mais elle ne peut pas se faire au détriment de ce que l'on appelle "l'acquis communautaire".
Q- Que répondez-vous à ceux qui disent que le candidat socialiste en 2007 devra être issu du camp du "non", qui disent aussi que l'Europe sera au cur de la campagne présidentielle ?
R- Deux remarques là-dessus. La première, c'est que le candidat socialiste sera celui qui sera choisi par les adhérents du Parti socialiste. Et ces adhérents ont parfaitement le choix de prendre le candidat qui leur paraîtra, le moment venu - puisque nous ferons ce choix au cours de l'année 2006 -, le plus ou la plus qualifié, approprié au contexte politique du moment. Cela peut être un candidat qui a pu voter "oui" ou qui a pu voter "non". Et je considère qu'il n'y a aucune exclusive. Chaque militant fera son choix en conscience : qui peut nous faire gagner, en fonction du projet qui sera choisi par les socialistes ? Et c'est pourquoi j'ai voulu, avant le choix du candidat, qu'il y ait un congrès du Parti socialiste, en novembre, pour définir les grandes orientations de notre projet. Et c'est sur la base de ces orientations et de ce projet que le candidat sera choisi. Deuxièmement, est-ce que l'Europe structurera la vie politique française, y compris l'élection présidentielle ? L'Europe est un sujet important, mais vous vous rendez bien compte que l'on ne va pas faire l'élection présidentielle pour savoir qui du "oui" ou du "non" avait raison ! L'Europe fait partie de C qui est l'enjeu majeur de l'élection présidentielle, mais...
Q- Le débat est derrière nous ?
R- Bien sûr et heureusement ! Parce que cela voudrait dire, à ce moment là, qu'il n'y aurait que des candidats du "oui" contre des candidats du "non" ? Et donc on reproduirait un débat référendaire, qui a eu sa place, qui a eu son importance, mais qui maintenant, doit trouver sa place réduite face aux enjeux, et notamment au clivage gauche/droite, pour l'élection présidentielle.
Q- Très rapidement, les amis d'H. Emmanuelli se définissent comme "une gauche utile", que répondez-vous ?
R- Mais la gauche, pour être "utile", doit porter un projet et elle doit se rassembler. Le projet doit être mobilisateur, imaginatif - je parle de "volonté" - et en même temps, il doit dire la vérité aux Français. Car si on continue à leur faire croire que l'on peut faire n'importe quelle politique dans n'importe quelles conditions pour, ensuite, revenus au pouvoir s'éloigner des engagements qui ont été pris, je pense que l'on aggrave sérieusement la crise démocratique. Et enfin, il faut rassembler la gauche, c'est cela l'utilité aujourd'hui, là encore, du congrès du Parti socialiste. Rassembler les socialistes pour ensuite rassembler la gauche.
Q- Quand Montebourg parle d'un "PS blockhaus, administré par des autruches", on ne pas un peu loin entre camarades, là ?
R- Je ne suis jamais favorable à ce que les phrases, petites ou grosses, soient adressées à ses amis politiques. Mais en même temps, connaissez-vous une famille politique, une seule en France, qui soit capable de faire voter ses adhérents pour savoir s'il faut ratifier ou non le traité constitutionnel ? Pour ensuite, après un vote, qui n'a pas été conforme à ce que nous attendions, nous, majorité du Parti socialiste, redonner la parole aux militants à l'occasion d'un congrès ? Cela s'appelle "la démocratie".
Q- Et ceux qui vous proposent de faire un trait d'union entre Parti socialiste, Parti communiste, extrême gauche ? On voit revenir l'union de la gauche.
R- L'union de la gauche, c'est être capables de se retrouver sur le même programme, autour d'un même contrat avec les Français. Et donc, devant la même responsabilité qui est l'exercice du pouvoir. Voilà ce que c'est que l'union de la gauche. Ce n'est pas essayer de céder aux incantations des uns, aux protestations des autres. Non, c'est obliger chacun à prendre sa responsabilité.
Q- Peut-on vous réconcilier avec L. Fabius ?
R- Mais nous n'avons pas besoin d'être "réconciliés" ou fâchés. Je ne souhaite pas que le Parti socialiste donne cette image. Je souhaite simplement que nous nous retrouvions, tous ensemble, sur deux principes. Le premier, c'est que le projet que nous allons adopter, en tout cas les grandes lignes, à l'occasion de notre congrès, nous rassemble. Et deuxièmement, qu'une fois ce projet fixé, nous puissions désigner librement notre candidat. Et je prends un engagement, c'est que, quel que soit le candidat - L. Fabius et beaucoup d'autres sont, je crois, sur la ligne de départ -, qui sera choisi par mon parti, je le soutiendrai loyalement et fièrement.
Q- Vous ne ferez pas comme Fabius avec le vote des militants sur la Constitution ?
R- Je respecterai... C'est le principe essentiel pour moi, le vote des militants. Celui qui sera choisi sera mon candidat.
Q- Ce qui divise les socialistes n'est-il pas plus fort que ce qui les rassemble aujourd'hui ?
R- Ce qui les rassemble aujourd'hui, c'est précisément de se retrouver ensemble sur un projet, et, le moment venu, derrière leur candidat. Parce que, vraiment, s'il y a une attente dans le pays, c'est bien celle du changement. Je pense que nous n'avons pas le droit, face à la crise démocratique qui existe dans notre pays, de laisser penser que nous pourrions passer notre tour. Je vous l'assure, nous ne laisserons pas passer notre tour. J'en prends l'engagement !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 juin 2005)
les lignes ?
R- On ne va pas être cruel, quand même. Vingt jours : on ne va pas juger un gouvernement en si peu de temps, même si lui-même s'est donné cent jours... Mais convenons que sur le sujet qu'il s'est lui-même posé comme prioritaire, l'emploi et la croissance, nous avons une croissance qui recule aujourd'hui - elle devait être de 2,5 %, elle ne sera que de 1,5 % - et nous avons un chômage qui continue sa progression. A partir de là, les mesures qui ont été annoncées - pour l'instant, nous n'en sommes que là : aux effets d'annonce - sont-elles de nature à recréer la confiance et la dynamique économique ? Je ne le crois pas. Cela aggravera la précarité, cela heurtera les partenaires sociaux, puisque 'est un passage par les ordonnances qui a été décidé, et cela ne mettra pas le pays en situation, au bout de cent jours, d'avoir repris confiance dans l'avenir.
Q- Et sur le partage des tâches entre D. de Villepin et N. Sarkozy ?
R- Pour l'instant, comme on pouvait s'en douter, on voit davantage N. Sarkozy que D. de Villepin. On a le sentiment que c'est N. Sarkozy qui donne le ton, qui fixe le rythme, qui donne les priorités. Nous ne savons pas qui est le chef de la majorité, je ne suis pas sûr d'ailleurs qu'ils le savent eux-mêmes. N. Sarkozy est, lui, en campagne présidentielle et quand il vient - et pour moi, c'était un aveu - à La Courneuve, après un drame dont chacun mesure l'ampleur, un petit garçon de onze ans qui a été victime d'une balle perdue, on attend d'un ministre de l'Intérieur, qui a été lui-même ministre de l'Intérieur pendant deux ans, d'éviter des formules choc et de traiter le problème. Or on nous parle d'un "nettoyage au karcher", on nous parle d'une "mise au clair de ce qui se passe à La Courneuve" : certes, mais que n'a-t-il fait depuis trois ans ? Et comment se fait-il que les effectifs de police aient baissé à La Courneuve ? Et pourquoi le maire de La Courneuve lui-même, qui ne veut pas rentrer dans une polémique politique, constate que finalement, toutes les promesses, qui lui avaient été déjà faites il y a trois ans, ne sont pas tenues ? C'est donc ça, ce Gouvernement, une nouvelle fois : c'est-à-dire les mots, les formules, les incantations. Et puis le reste, la dure réalité pour les Français.
Q- Question personnelle : avez-vous parfois regretté d'avoir posé avec N. Sarkozy pour la couverture de Paris-Match ?
R- Cela n'a rien à voir. J'étais dans un débat par rapport à lui, par rapport à la politique gouvernementale qu'il incarne, puisqu'il est président de l'UMP. Je considère que les méthodes de N. Sarkozy sont à bout de souffle...
Q- C'est lui l'adversaire aujourd'hui ?
R- Je pense qu'il s'est lui-même posé comme tel. Il ne s'agit plus d'aller sur le terrain pour dire : "Regardez comme je fais". Il s'agit d'agir, de prendre des décisions et de rendre compte. Quand il y a des drames, c'est normal que le ministre de l'Intérieur soit sur place, et nul ne lui en fera le reproche. Mais ce que l'on attend, ce n'est pas simplement des formules, des manières de faire, des discours saccadés à la télévision ! Ce que l'on attend d'un ministre de l'Intérieur, c'est qu'il rassure les populations, pas simplement, c'est déjà important, par des effectifs policiers - ils ont baissé, je vous l'ai dit, à La Courneuve depuis trois ans, mais surtout par des mesures de prévention, par des mesures sur le logement - cette tour où habitait ce jeune garçon devait être démolie depuis longtemps -, et enfin par des mesures d'accompagnement de la jeunesse. Et pas simplement en disant que l'on va faire une politique contre les voyous, c'est bien le moins !
Q- J. Chirac, "monarque finissant", avez-vous dit au journal Le Monde, commentant un fiasco européen sur lequel on va revenir. Dans votre esprit, le Président serait-il bien inspiré de ne pas attendre 2007 pour changer la donne, pour rebattre les cartes ?
R- Quand on appartient à la famille gaulliste et que l'on a connu, dans son premier mandat, une dissolution ratée, que l'on s'est accroché néanmoins cinq ans aux responsabilités ; quand dans le second mandant, élu dans les conditions que l'on sait, c'est-à-dire essentiellement pour faire barrage à l'extrême droite, et qu'il n'y a que des échecs électoraux, le plus grave étant quand même, parce que c'est notre enjeu commun, l'Europe ; c'est vrai qu'il devrait y avoir une prise de conscience de la part de celui qui, de cette famille politique, s'inspire normalement du principe de responsabilité. Il ne le fait pas. Il cherche à finir son mandat coûte que coûte et à se protéger. Je ne suis pas sûr que cela participe effectivement d'une bonne conception des institutions de la Ve République.
Q- Aurait-il dû tirer des conséquences des échecs ?
R- En tout cas, il aurait du, à un moment, redonner la parole au peuple.
Q- Souhaitez-vous qu'il le fasse, dans les deux ans qui viennent ?
R- Je pense que maintenant, on connaît - il nous a d'ailleurs prévenu - et son tempérament et son choix : il veut aller jusqu'au bout, se protéger jusqu'au bout et ne pas donner au peuple français les moyens d'agir. Très bien, nous attendrons 2007. Il y a des légitimités, il y a des mandats à respecter, nous avons aussi à préparer l'alternance. Mais j'en fais simplement le constat. Aujourd'hui, ce qui relève de la gauche, c'est de préparer l'échéance de 2007, ce n'est pas d'attendre : je ne suis pas là en supputant sur une éventuelle dissolution ou un départ du président de la République. Je suis trop informé de ce qui est le comportement du chef de l'Etat pour m'illusionner sur un retour au peuple. Ce que je veux éviter en revanche à mon pays, c'est une crise sociale. Elle est possible, je ne la souhaite pas, mais on voit bien que la colère, la grogne, la contestation sont fortes. A partir de là, il faut que le Gouvernement et le président de la République en tirent les conséquences et fassent des choix qui permettent, notamment jusqu'en 2007, à avoir effectivement un certain nombre de signes de confiance et notamment de pouvoir d'achat et de politique d'emploi.
Q- Retour sur Bruxelles : Chirac a perdu, on l'a bien compris. Mais T. Blair a-t-il gagné ?
R- Je pense que c'est d'abord l'Europe qui a perdu...
Q- Ce sont des mots, ça !
R- Non, ce ne sont pas des mots, parce que quand une construction européenne n'est plus capable de se donner des règles de fonctionnement, en l'occurrence une Constitution, et des mécanismes financiers de solidarité, en l'occurrence un budget, on peut dire que cette entité est en "crise". C'est bien d'ailleurs la formule qui convient. J'aurais souhaité que dans ce somment européen, qui était le somment de tous les risques - et on voit bien qu'aujourd'hui, les risques sont majeurs - que le président de la République fasse un peu preuve d'audace. Il fallait donc augmenter le budget européen, parce que nous avons besoin de financer les dépenses d'avenir. Il fallait dire qu'effectivement, le chèque britannique - en ce sens, la responsabilité de T. Blair est engagé - devait être remis en cause. Et enfin, que les règles de la PAC pouvaient être rediscutées.
Q- Mais n'avons-vous pas envie de considérer T. Blair comme un modèle ? Quand il parle de "l'Europe moderne", a-t-il tort ou raison ?
R- T. Blair a été lui-même égoïste quand il s'est accroché au chèque britannique, alors même que les pays les plus pauvres de l'Europe - et J.-C. Juncker, le président du Conseil européen, a eu raison de le stigmatiser - disaient qu'ils étaient prêts à un effort et que la Grande- Bretagne, comme la France d'ailleurs, s'y refusait. En revanche, je pense que T. Blair a raison de nous demander - et il n'est pas le seul, les Espagnols, les Suédois font également de même - de réfléchir à ce que pourrait être l'Europe de l'avenir. C'est-à-dire qu'à côté de ce que sont les politiques européennes, notamment agricoles et territoriales, il faut investir massivement dans la recherche, dans l'université, dans les politiques de croissance et d'emploi. Oui, ça, c'est une vision qu'il faut donner. Mais elle ne peut pas se faire au détriment de ce que l'on appelle "l'acquis communautaire".
Q- Que répondez-vous à ceux qui disent que le candidat socialiste en 2007 devra être issu du camp du "non", qui disent aussi que l'Europe sera au cur de la campagne présidentielle ?
R- Deux remarques là-dessus. La première, c'est que le candidat socialiste sera celui qui sera choisi par les adhérents du Parti socialiste. Et ces adhérents ont parfaitement le choix de prendre le candidat qui leur paraîtra, le moment venu - puisque nous ferons ce choix au cours de l'année 2006 -, le plus ou la plus qualifié, approprié au contexte politique du moment. Cela peut être un candidat qui a pu voter "oui" ou qui a pu voter "non". Et je considère qu'il n'y a aucune exclusive. Chaque militant fera son choix en conscience : qui peut nous faire gagner, en fonction du projet qui sera choisi par les socialistes ? Et c'est pourquoi j'ai voulu, avant le choix du candidat, qu'il y ait un congrès du Parti socialiste, en novembre, pour définir les grandes orientations de notre projet. Et c'est sur la base de ces orientations et de ce projet que le candidat sera choisi. Deuxièmement, est-ce que l'Europe structurera la vie politique française, y compris l'élection présidentielle ? L'Europe est un sujet important, mais vous vous rendez bien compte que l'on ne va pas faire l'élection présidentielle pour savoir qui du "oui" ou du "non" avait raison ! L'Europe fait partie de C qui est l'enjeu majeur de l'élection présidentielle, mais...
Q- Le débat est derrière nous ?
R- Bien sûr et heureusement ! Parce que cela voudrait dire, à ce moment là, qu'il n'y aurait que des candidats du "oui" contre des candidats du "non" ? Et donc on reproduirait un débat référendaire, qui a eu sa place, qui a eu son importance, mais qui maintenant, doit trouver sa place réduite face aux enjeux, et notamment au clivage gauche/droite, pour l'élection présidentielle.
Q- Très rapidement, les amis d'H. Emmanuelli se définissent comme "une gauche utile", que répondez-vous ?
R- Mais la gauche, pour être "utile", doit porter un projet et elle doit se rassembler. Le projet doit être mobilisateur, imaginatif - je parle de "volonté" - et en même temps, il doit dire la vérité aux Français. Car si on continue à leur faire croire que l'on peut faire n'importe quelle politique dans n'importe quelles conditions pour, ensuite, revenus au pouvoir s'éloigner des engagements qui ont été pris, je pense que l'on aggrave sérieusement la crise démocratique. Et enfin, il faut rassembler la gauche, c'est cela l'utilité aujourd'hui, là encore, du congrès du Parti socialiste. Rassembler les socialistes pour ensuite rassembler la gauche.
Q- Quand Montebourg parle d'un "PS blockhaus, administré par des autruches", on ne pas un peu loin entre camarades, là ?
R- Je ne suis jamais favorable à ce que les phrases, petites ou grosses, soient adressées à ses amis politiques. Mais en même temps, connaissez-vous une famille politique, une seule en France, qui soit capable de faire voter ses adhérents pour savoir s'il faut ratifier ou non le traité constitutionnel ? Pour ensuite, après un vote, qui n'a pas été conforme à ce que nous attendions, nous, majorité du Parti socialiste, redonner la parole aux militants à l'occasion d'un congrès ? Cela s'appelle "la démocratie".
Q- Et ceux qui vous proposent de faire un trait d'union entre Parti socialiste, Parti communiste, extrême gauche ? On voit revenir l'union de la gauche.
R- L'union de la gauche, c'est être capables de se retrouver sur le même programme, autour d'un même contrat avec les Français. Et donc, devant la même responsabilité qui est l'exercice du pouvoir. Voilà ce que c'est que l'union de la gauche. Ce n'est pas essayer de céder aux incantations des uns, aux protestations des autres. Non, c'est obliger chacun à prendre sa responsabilité.
Q- Peut-on vous réconcilier avec L. Fabius ?
R- Mais nous n'avons pas besoin d'être "réconciliés" ou fâchés. Je ne souhaite pas que le Parti socialiste donne cette image. Je souhaite simplement que nous nous retrouvions, tous ensemble, sur deux principes. Le premier, c'est que le projet que nous allons adopter, en tout cas les grandes lignes, à l'occasion de notre congrès, nous rassemble. Et deuxièmement, qu'une fois ce projet fixé, nous puissions désigner librement notre candidat. Et je prends un engagement, c'est que, quel que soit le candidat - L. Fabius et beaucoup d'autres sont, je crois, sur la ligne de départ -, qui sera choisi par mon parti, je le soutiendrai loyalement et fièrement.
Q- Vous ne ferez pas comme Fabius avec le vote des militants sur la Constitution ?
R- Je respecterai... C'est le principe essentiel pour moi, le vote des militants. Celui qui sera choisi sera mon candidat.
Q- Ce qui divise les socialistes n'est-il pas plus fort que ce qui les rassemble aujourd'hui ?
R- Ce qui les rassemble aujourd'hui, c'est précisément de se retrouver ensemble sur un projet, et, le moment venu, derrière leur candidat. Parce que, vraiment, s'il y a une attente dans le pays, c'est bien celle du changement. Je pense que nous n'avons pas le droit, face à la crise démocratique qui existe dans notre pays, de laisser penser que nous pourrions passer notre tour. Je vous l'assure, nous ne laisserons pas passer notre tour. J'en prends l'engagement !
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 juin 2005)